L’introduction des entités dans le récit en français et en chinois : des usages natifs aux variétés d’apprenants

Chaque langue du monde est d’abord un véhicule d’information entre des interlocuteurs. Dans son essence, la communication est un processus fondé sur la transmission et la réception de représentations mentales. Les participants à l’échange linguistique partagent un substrat de connaissances, et en ajoutent de nouvelles au cours de la conversation, en opérant ainsi une modification progressive de l’image du monde de l’interlocuteur : c’est ainsi que l’information est véhiculée. Une activité spontanée telle que la « conversation » implique en effet un constant et délicat travail de jugement et de structuration pragmatique : le locuteur opère des hypothèses sur le statut cognitif d’un certain référent dans l’esprit de l’interlocuteur à chaque moment du dialogue, et sur la base de cette considération, il produira une codification formelle adéquate, conformément avec le système grammatical de sa langue (Prince 1981 : 224).

La structure informationnelle est une composante formelle du langage qui reflète le statut pragmatique d’un énoncé dans un contexte donné. Son analyse rend compte des différents outils disponibles au sein d’une langue pour structurer l’information (Prince 1981 : 233, Lambrecht 1994 : 4). Comme toute notion linguistique, la structure informationnelle présente des tendances dépassant le cadre des langues particulières, que l’on peut qualifier de « translangagières » ou « typologiques », ainsi que des solutions uniques à chaque langue, résultant du compromis particulier entre les nécessités de structuration pragmatique et son système morphosyntaxique.

Or, notre étude cible un moment bien particulier de l’échange communicatif, à savoir celui où les locuteurs (aussi bien natifs qu’apprenants) introduisent dans le récit une entité référentielle non mentionnée auparavant. Pourquoi s’intéresser à cet aspect précis de la communication humaine ? Tout d’abord, ce type d’énoncé est particulier car l’entité dont il est question n’a pas le statut de thème du discours – l’élément cognitif à propos duquel la phrase est assertée. Il s’agit là de la distinction faite par plusieurs auteurs entre jugement thétique et jugement catégorique (à partir notamment de Sasse 1987). Dans les énoncés de nature thétique la structuration habituelle de l’énoncé en présupposition-assertion est neutralisée, car le prédicat et le constituant nominal dénotant l’entité référentielle introduite se trouvent tous les deux dans le domaine de l’assertion, et de ce fait la phrase entière n’est pas construite sur la base d’une présupposition. Par conséquent, le traitement du référent qu’elle contient a un coût cognitif important pour l’interlocuteur (Chafe 1987 : 31).

On considère ainsi qu’il existe dans les langues des moyens formels assurant l’ancrage des nouveaux référents en discours, qui en facilitent le traitement de la part de l’interlocuteur (Sasse 1987, Lambrecht 1994, Lambrecht et Polinsky 1997, Cornish 2008, Gast et Haas 2011, Creissels 2014). Les configurations structurelles conventionnellement utilisées pour encoder ce type de proposition sont appelées des constructions « présentatives » (Heztron 1971 : 86, 1975 : 374, Lambrecht 1986, 1988a, 1994 : 177, Bresnan 1994 et de nombreux travaux depuis). Voici la définition donnée par Lambrecht (1994) :

« The point of using this construction is to call the attention of an addressee to the hitherto unnoticed presence of some person or thing in the speech setting. This construction in called presentational because its communicative function is not to predicate a property of a given entity but to introduce a new entity into a discourse. » (Lambrecht 1994 : 39).

Il convient de préciser avant tout que notre thèse s’intéresse au registre oral de la langue. Contrairement à l’écrit, dans le parler spontané les idées sont activées au fur et à mesure que la conversation se déroule : il y a peu de temps pour une planification préalable et les nouveaux concepts doivent donc être activés rapidement (Chafe 1994 : 42) . Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne l’introduction de nouvelles entités dans le discours, car le repérage de ces référents demande un effort cognitif considérable en un temps limité. Si nous ne négligeons pas la comparaison ponctuelle avec des données tirées de l’écrit – là où cela s’avère pertinent ou bien à défaut d’autres informations – nous considérons que le phénomène linguistique étudié aura des propriétés distinctives dans le registre oral, tant au niveau formel qu’au niveau fonctionnel de l’analyse.

Pour revenir aux réalisations linguistiques de la fonction d’introduction référentielle, en ce qui concerne les langues s’appuyant principalement sur des procédés syntaxiques pour marquer le déroulement de l’information aux niveaux de l’énoncé et du discours , les locuteurs disposent d’un éventail de structures (telles que la position postverbale du sujet et les formes biclausales introduites par l’opérateur existentiel, auxquelles notre thèse s’intéresse tout particulièrement) pour marquer un écart de l’ordre des mots canonique, à savoir l’ordre sujet-verbe (S-V), où la position préverbale du sujet est associée au statut thématique par défaut, dans les langues SV(O) bien entendu .

En choisissant une configuration syntaxique marquée (et par cela nous entendons un arrangement moins fréquent donc dédié) le locuteur signale un changement dans la structuration du discours où l’interlocuteur est invité à prêter une attention particulière à l’entité en question.

En même temps, étant donné leur nature « imprédictible », les énoncés présentatifs manifestent également certaines propriétés spécifiques et, dans une certaine mesure, constantes à travers les langues, résultant dans un ancrage à l’ici-et-maintenant de l’énonciation. Comme nous le verrons (en 1.2.1.3), cette caractéristique particulière a porté de nombreux auteurs à poser la préexistence dans les énoncés présentatifs d’un cadre spatio-temporel. Dans cette perspective, l’information nouvelle transmise par l’énoncé serait « stockée » sous des paramètres spatio-temporels qui sont soit indiqués dans le discours qui précède, soit inférables depuis le contexte extralinguistique (voir Erteschik-Shir 1997 : 26-32) ; en l’absence d’éléments formels ouvertement exprimés, ce cadre spatio-temporel de référence serait donc implicite. Ce point de vue correspond mutatis mutandis à l’analyse qu’on trouve chez certains linguistes chinois des structures en yǒu à emplacement préverbal vide : lorsqu’un élément dénotant la référence spatio-temporelle n’est pas antéposé au verbe yǒu, un « ici » ou « maintenant » serait toujours implicite (Teng 1978, Yen-Hui Audrey Li 1996). Par exemple, la forme [yǒu + SN] en (I.1) n’est pas interprétable sans impliquer un élément indiquant la référence spatiale (zhèr ‘ici’) ou temporelle (xiànzài ‘maintenant’).

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Table des matières

Introduction générale 
Chapitre I. La fonction d’introduction référentielle et les moyens linguistiques dont les langues disposent pour la réaliser
1.1. La fonction d’introduction référentielle
1.1.1. Le statut cognitif des référents
1.1.1.1. Les catégories cognitives de l’identifiabilité et de l’accessibilité
1.1.1.2. L’accessibilité : la notion de « cadre cognitif »
1.1.1.3. La proéminence thématique
1.1.2.Les réalisations linguistiques des différents statuts référentiels
1.1.2.1. Identifiabilité et détermination grammaticale
1.1.2.2. L’anaphore associative (Pontage inférentiel)
1.1.2.3. Le marquage des différents statuts référentiels en chinois
1.1.3.Jugement thétique et « détopicalisation » du sujet
1.1.3.1. Proposition thétique et proposition catégorique
1.1.3.2. La détopicalisation du sujet
1.1.3.3. Introduction d’entités et introduction d’événements
1.2. Les structures à fonction présentative : manifestations et propriétés à travers les langues
1.2.1.La postposition du sujet nominal au verbe (V-S)
1.2.1.1. L’ordre V-S dans le cadre de l’hypothèse inaccusative
1.2.1.2. Inversion absolue et inversion locative
1.2.1.3. Le topique scénique
1.2.1.4. Les fonctions réalisées par l’ordre V-S
1.2.2.Les structures présentatives biclausales
1.2.2.1. L’opérateur existentiel AVOIR
1.2.2.2. Structures existentielles et structures présentatives
1.2.2.3. La construction relative présentative
1.3. Les sujets préverbaux indéfinis
1.4. Problématique et question de recherche I
Chapitre II. La fonction d’introduction référentielle chez les apprenants d’une langue étrangère
2.1. Terminologie employée et concepts-clés
2.1.1. Langue maternelle, langue native, langue source
2.1.2. Langue étrangère, langue seconde, langue cible
2.1.3. Acquisition et apprentissage
2.1.4. Transfert et interférence
2.1.5. Input linguistique
2.1.6. Interlangue et variétés d’apprenant
2.1.7. L’apprenant avancé et l’apprenant quasi-bilingue
2.2. L’approche fonctionnaliste en acquisition du langage
2.3. La construction du discours en langue seconde
2.4. L’acquisition des structures présentatives en langue seconde
2.5. Le pontage inférentiel chez l’apprenant
2.6. Les représentations métalinguistiques de l’apprenant
2.7. Problématique et question de recherche II
2.8. Méthodologie et données
2.8.1. Description du support
2.8.2. Méthode
2.8.3. Les participants
2.9. Bilan
Conclusion générale

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