L’intransitivité scindée dans les langues arawak

La question de l’intransitivité scindée 

De manière sommaire, l’intransitivité consiste en une scission au sein des prédicats intransitifs. Son étude se réalise généralement selon deux orientations différentes. Dans la première, elle est circonscrite au phénomène proprement dit. Son appréciation est donc potentiellement indépendante du reste de la langue, étant donné que l’étude peut être circonscrite à ce seul phénomène ou bien au système d’une langue particulière afin d’en mesurer les limites. Dans la seconde, ce phénomène est représentatif d’un type d’alignement ou, en d’autres termes, de la façon dont une langue aligne ses indices actanciels. Il est alors considéré comme un élément classificatoire. Néanmoins, j’adopte pour ce travail une troisième orientation selon laquelle l’intransitivité scindée est un phénomène indicateur de la structure d’une langue, de la constitution de ses actants ainsi que de ses relations grammaticales. Les raisons de ce choix sont les suivantes. En premier lieu, le champ d’étude est trop vaste pour appliquer les restrictions évoquées pour la première option. La comparaison se faisant entre plusieurs langues, il est capital de délimiter ce phénomène afin de vérifier ultérieurement quelles peuvent être les variations de ces limitations. En second lieu, devant les difficultés d’attribution à une langue un seul type d’alignement, il est préférable de ne pas voir dans cette action un objectif principal, mais plutôt un outil permettant de mieux mesurer l’évolution diatopique et diachronique de ce phénomène.

Pour autant, même si je n’adopte pas la deuxième démarche, je classifie les langues selon leur alignement. Il ne s’agit pas d’un but en soi. L’objectif principal reste l’étude de l’intransitivité scindée et son impact sur la structure de la langue. Mais, bien qu’incomplet, déterminer l’alignement d’une langue est un outil permettant d’avoir une idée claire sur le comportement des énoncés canoniques d’une langue. Considérer telle langue arawak comme nominative-accusative, par exemple, fournit de nombreuses informations sur les changements morphosyntaxiques opérés et nous invite à constitue un état de fait quant à l’évolution de ce phénomène dans la famille et nous invite à examiner les causes de l’apparition de cet alignement. Par ailleurs, étant donné que cette recherche est centrée sur le phénomène proprement dit, comme selon la première démarche, cette catégorisation devra rendre compte du sous-type de scission auquel nous serons confrontés. Ainsi, l’un des points clés de l’intransitivité scindée, que je développerai tout au long de la thèse, reste sa grande hétérogénéité.

Quant au choix de la famille arawak comme objet d’étude, cela s’explique par son potentiel typologique. Tout d’abord, elle comprend tous les types d’intransitivité scindée, ce qui nous fournit de nombreuses pistes quant aux possibilités d’évolution de ce phénomène. Ensuite, il découle de son étendue géographique de nombreux contacts linguistiques – que celles-ci appartiennent à des familles linguistiques ou qu’il s’agisse d’isolats. Étudier cette famille nous permet donc d’appliquer une typologie à la fois intra et inter-arawak. Enfin, la famille arawak possède un potentiel diachronique remarquable pour des langues d’Amérique en raison de l’existence de grammaires anciennes pour plusieurs de ces langues telles que l’achagua, le garifuna et le mojeño.

En outre, le choix de ce sujet et de cette famille linguistique s’inscrit parfaitement dans mon parcours académique. Mon mémoire de master a été dédié à l’étude de ce même phénomène au sein de la langue guarani, une langue tupi-guarani d’Amérique du Sud. J’avais donc à ma disposition un bagage théorique considérable, à la fois grammatical et aréal.

Présentation du phénomène de l’intransitivité scindée

L’intransitivité scindée (IS) constitue un phénomène attesté et reconnu en typologie. En revanche, il demeure nombre de désaccords sur la façon de le catégoriser. Si certains considèrent que sa présence est représentative d’un type particulier d’alignement et lui accordent une place importante, d’autres doutent de sa pertinence pour classer les langues car ils n’y voient qu’un système mixte entre langue accusative et langue ergative.

L’alignement 

Si l’IS et l’alignement sont des phénomènes mesurables au sein d’une langue, le second est couramment employé comme un outil de classification. Une définition généralement acceptée en typologie consiste à désigner comme alignement la manière dont une langue code ses actants, que ce soit au niveau du marquage casuel, de l’accord du verbe ou de certaines propriétés syntaxiques comme l’ordre des constituants . Les actants mis en jeu sont très généralement définis à partir des primitifs élaborées par Dixon (1972, 1978, 1994). Parmi ces primitifs, S désigne l’actant unique d’un énoncé intransitif et que Creissels (2006a) appelle U pour actant unique, A le rôle ayant le plus contribué au succès d’une action dans un énoncé transitif et P (O selon sa terminologie) l’actant le plus affecté par l’action verbale.

Le caractère imprécis de l’alignement

Comme nous avons pu le voir précédemment, caractériser une langue selon l’alignement de ses constructions est un outil pratique permettant de visualiser rapidement la structure actancielle des énoncés prototypiques d’une langue donnée. Pour autant, il importe de nuancer ce jugement, et ce, d’après quatre critères (DeLancey 2005, Bickel & Nichols 2009). Tout d’abord, revenons sur les critères principaux permettant de définir l’alignement, à savoir le marquage casuel, l’accord verbal et, dans une moindre mesure, l’ordre des constituants, la structure discursive, le comportement (les opérations qui changent la forme de la construction) et le contrôle ou la coréférence (la syntaxe hors constituance-ordre). Il est tout à fait possible qu’une langue relève de tel alignement au niveau du marquage casuel et de tel autre selon l’accord verbal. Par exemple, l’alignement du français peut être qualifié de neutre au regard du marquage casuel, mais de NOM-ACC selon l’accord verbal et l’ordre des constituants. Quant aux langues ergatives, la majorité d’entre elles se caractérisent par un alignement ergatif sur le plan morphologique mais pas sur le plan syntaxique. Même l’accord n’est pas un critère infaillible.

De plus, certains verbes ne désignant pas une action prototypique, tels que les verbes de perception ou de sentiment, peuvent avoir un comportement particulier quant au marquage des actants, d’où une modification de l’alignement. Bickel & Nichols (2009) citent le russe qui, bien que classé comme langue NOM-ACC, comporte pourtant plusieurs verbes intransitifs avec un actant unique au datif. À vrai dire, il n’existe aucun exemple de langue où tous les verbes s’alignent sur les verbes d’action prototypiques .

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Table des matières

Introduction générale
1. Présentation du phénomène de l’intransitivité scindée
1.0 Introduction
1.1 L’alignement
1.1.1 Les principaux types d’alignement
1.1.2 Le caractère imprécis de l’alignement
1.1.3 La pertinence contestée des primitifs
1.2 L’intransitivité scindée en typologie
1.2.1 Une place de plus en plus prégnante au sein des études typologiques
1.2.1.1 Les premiers auteurs à nommer et à catégoriser l’intransitivité scindée
1.2.1.2 Les études postérieures
1.2.1.3 Les origines du phénomène
1.2.1.4 L’extension géographique actuelle de l’intransitivité scindée d’après les études récentes
1.2.2 Une place toujours discutée et disputée au sein des études typologiques
1.2.2.1 Les langues dont de nouvelles études révèlent des cas d’intransitivité scindée
1.2.2.2 L’accusatif étendu et le nominatif restreint
1.2.3 Bilan
1.3 L’intransitivité scindée dans la littérature
1.3.1 L’intransitivité scindée et ses relations avec les autres alignements
1.3.1.1 Les critiques envers l’intransitivité scindée
1.3.1.2 L’intransitivité scindée comme intermédiaire entre les alignements NOMACC et ERG-ABS
1.3.2 L’influence des sciences cognitives
1.3.3 La grammaire relationnelle et l’hypothèse de l’inaccusativité
1.3.4 Bilan
1.4 La terminologie utilisée dans cette thèse
1.4.1 L’intransitivité scindée
1.4.2 L’alignement nominatif-absolutif
1.4.2.1 Une définition adoptée
1.4.2.2 L’expression nominatif-absolutif selon d’autres auteurs
1.4.3 Les différents types d’intransitivité scindée
1.4.4 Le cadre théorique de la transitivité et de la valence
1.5 Les champs notionnels en lien avec l’intransitivité scindée
1.5.1 Hétérogénéité des phénomènes grammaticaux
1.5.1.1 Les parties du discours
1.5.1.2 Les changements de valence et la voix
1.5.1.3 Temps, aspect et mode
1.5.1.4 La possession
1.5.1.5 Le marquage différentiel des actants
1.5.1.6 Nominalisation et subordination
1.5.2 Une approche synchronique et diachronique
1.5.2.1 L’approche diachronique
1.5.2.2 La comparaison entre plusieurs familles linguistiques
1.5.2.3 Le contact de langues
1.6 Conclusion
2. La famille arawak : caractéristiques sociolinguistiques et typologiques
2.0 Introduction
2.1 Les travaux typologiques sur les langues arawak
2.1.1 Description et classification de la famille
2.1.2 Comparaison interne à la famille
2.1.3 L’apport des autres disciplines
2.2 L’arawak septentrional
2.2.1 La branche caribéenne
2.2.1.1 Garifuna
2.2.1.2 Taíno
2.2.1.3 Lokono
2.2.1.4 Wayuu
2.2.1.5 Añun
2.2.2 La branche wapixana
2.2.2.1 Bahuana
2.2.2.2 Wapishana
2.2.3 La branche nord-amazonienne
2.2.3.1 Baniwa-kurripako
2.2.3.2 Kawiyari
2.2.3.3 Resigaro
2.2.3.4 Yukuna
2.2.3.5 Achagua
2.2.3.6 Piapoco
2.2.3.7 Tariana
2.2.3.8 Warekena
2.2.3.9 Baré
2.2.4 La branche baniwa-yavitero
2.2.4.1 Baniwa-yavitero
2.2.4.2 Maipure
2.2.4.3 Apolista/lapachu
2.2.5 Palikur
2.3 L’arawak méridional
2.3.1 Yanesha
2.3.2 Chamikuro
2.3.3 La branche du Xingu
2.3.3.1 Wauja
2.3.3.2 Mehinaku
2.3.3.3 Yawalapiti
2.3.4 La branche du Mato Grosso
2.3.4.1 Paresi
2.3.4.2 Enawene-nawe
2.3.4.3 Saraveka
2.3.5 La branche Bolivie-Parana
2.3.5.1 Terena
2.3.5.2 Baure et mojeño
2.3.5.3 Paunaka
2.3.6 La branche Purus
2.3.6.1 Apurinã
2.3.6.2 Iñapari
2.3.6.3 Le piro/yine, le manchineri et le mashco piro
2.3.6.4 Problèmes de classification
2.3.7 La branche campa
2.3.7.1 Ashaninka
2.3.7.2 Ashéninka
2.3.7.3 Caquinte
2.3.7.4 Matsigenka
2.3.7.5 Nanti
2.3.7.6 Nomatsigenga
2.4 Les langues des communautés isolées non étudiées
2.5 Proposition de classification
3. L’intransitivité scindée lexicale
3.0 Introduction
3.1 Caractéristiques morphologiques du système actanciel
3.1.1 La distribution des marques actancielles au sein d’un alignement NOM-ABS
3.1.2 Inventaire des indices actanciels
3.1.2.1 Égalités et inégalités entre les différentes séries d’indices actanciels
3.1.2.2 L’existence d’autres séries d’indices actanciels
3.1.2.3 Conservation et innovation au sein du système actanciel
3.1.2.4 La distinction entre affixes, clitiques et pronoms
3.1.3 Bilan
3.2 Les motivations d’une scission lexicale
3.2.1 Les motivations de l’Aktionsart ou aspect lexical
3.2.1.1 La distinction actif-statif
3.2.1.2 La distinction agentif-patientif
3.2.1.3 Les verbes de mouvement
3.2.2 Les motivations catégorielles
3.2.2.1 La distinction entre adjectifs et participes
3.2.2.2 L’impact des motivations catégorielles sur l’alignement
3.2.3 Bilan
3.3 Les manifestations de la scission lexicale
3.3.1 L’opposition verbo-nominale
3.3.1.1 La morphologie verbale
3.3.1.1.1 Le cadre théorique
3.3.1.1.2 Les propriétés des verbes statifs
3.3.1.1.3 Les possibilités d’affixation des indices actanciels
3.3.1.2 La morphologie non verbale
3.3.1.2.1 L’affixation de l’absolutif aux prédicats non verbaux
3.3.1.2.2 L’affixation au participe pour le groupe campa
3.3.2 Propriétés syntaxiques
3.3.2.1 L’ordre des constituants
3.3.2.2 L’omission des syntagmes nominaux et des indices actanciels
3.3.2.3 Distribution entre suffixes et pronoms pour la 3ème personne
3.3.2.4 Le marquage actanciel des constructions moyennes
3.3.2.5 Le marquage actanciel des constructions passives
Conclusion générale

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