L’intervention progressive des pouvoirs publics dans le champ cinématographique

Un moyen de construire sa culture cinématographique

Un des enjeux porté par l’éducation à l’image et évoqué de façon redondante par certains acteurs interrogés est la transmission d’un patrimoine artistique, d’une culture cinématographique.
Jean Christophe Bernard, chargé de secteurs arts plastiques, cinéma, livre lecture, patrimoine à la Direction des A ffaires Culturelles de la ville de Grenoble, identifie ainsi l’enjeu d’une approche d’histoire de l’art autour du cinéma qui serait propre à l’éducation à l’image.
Lorsque l’on interroge Jean Christophe Bernard sur les enjeux de l’éducation à l’image, il répond qu’il faut selon lui soutenir des projets qui donnent à voir un cinéma autre que celui regardé par le jeune public de nos jours : « Pourquoi on finance ces projets-là ? D’abord pour le bagage intellectuel de nos enfants et leur apprendre l’histoire de l’art. (…) C’est important pour nous qu’on apprenne à nos jeunes, aux enfants, à voir du cinéma autrement et différent de celui dont ils sont abreuvés.
Il y a des images qui s’imposent à eux extrêmement naturellement. Le travail du Méliès, de la Cinémath èque, c’est d’aller montrer à ces enfants-là qu’il existe une autre forme de cinéma. »
Il cite plusieurs fois et identifie ainsi la Cinémathèque de Grenoble comme un des piliers de l’éducation à l’image sur le territoire grenoblois pour son rôle de transmission de patrimoine cinématographique, contrairement à sa collègue Manon Vidal, qui perçoit cette structure comme l’une des associations qui œuvrent autour de l’éducation à l’image. Transmettre un patrimoine cinématographique ou aller vers un autre cinéma, c’est l’un des intérêts identifiés par Théo Michel Bechet, formateur vidéo à la Maison de l’image, spécialiste du documentaire. Il anime des ateliers de réalisation avec des publics divers : dans des classes, des équipements socio-culturels, ou encore des groupes d’ateliers sociolinguistiques, etc. Un des sens qu’il donne à son action est d’amener les personnes vers des œuvres cinématographiques qu’elles ne connaissent pas forcément : « En encourageant le regard critique, on amène à voir d’autres types de films, et notamment le documentaire. (…) Avoir un regard plus acerbe sur les images, ça permettra d’accéder à un plus grand nombre de films, en dehors du blockbuster, de l’émission de télé-réalité. » Selon Peggy Zejgman Lecarme, directrice de la Cinémathèque de Grenoble, un des intérêts de l’éducation à l’image est d’amener les personnes à construire leur culture cinématographique : la programmation et la diffusion de films de patrimoine entrent ainsi dans le champ de l’éducation à l’image car c’est un temps de médiation culturelle et d’échange. On retrouve cette idée dans les objectifs évoqués par le CNC qui, à travers les dispositifs nationaux d’éducation à l’image, École, Collège et Lycéens au cinéma, entend « donner les bases d’une culture cinématographique ».
La transmission de la culture cinématographique est bien un des objectifs identifiés par plusieurs professionnels interrogés. On peut alors se demander si l’éducation à l’image, concept hérité des pratiques des ciné-clubs, a vocation à former le spectateur à un certain « bon goût », et si cet objectif est compatible avec ceux de l’éducation populaire.

Entre héritage et nouvel élan de l’éducation populaire

L’analyse du discours et des pratiques des acteurs de l’éducation à l’image dans l’agglom ération grenobloise confirme notre hypothèse sur la prégnance du lien entre éducation à l’image et éducation populaire.

L’éducation à l’image perçue comme un outil de formation critique des citoyens

Il est reconnu par l’ensemble des acteurs, institutionnels et associatifs, que l’éducation à l’image telle qu’elle existe à travers les dispositifs nationaux ou des initiatives locales, propose des outils de formation critique du spectateur qui sont pertinents.
Les institutions identifient un besoin urgent d’accompagnement à la lecture critique des images auquel l’éducation à l’image permet de répondre, et financent des projets dans ce sens. Jean Christophe Bernard, de la Mairie de Grenoble considère qu’il est « extrêmement important d’apprendre à décoder l’image pour ces enfants confrontés 24h/24 aux écrans » et qu’il s’agit de la mission des projets d’éducation à l’image.
L’image est omniprésente et nécessite une déconstruction accompagnée, et c’est ce que les dispositifs et projets d’éducation à l’image permettent. Pour Simon Caen de Grenoble Alpes Métropole, l’éducation à l’image apporte « une forme d’accompagnement, d’éducation au décodage et à la lecture critique de l’image, sous ses diverses formes, qui contribue à saturer un peu l’espace public. (…) [elle] pose des questions de formation du citoyen, puisque c’est finalement des apprentissages sur comment on gravite et on grandit, on se structure dans la société. Il y a un certain nombre de champs disciplinaires d’apprentissages un peu canoniques qu’on peut apprendre à l’école, et finalement, ça en fait partie, c’est comme se repérer dans l’espace pour bouger dans la ville. (…) ».
Par lecture critique, Simon Caen semble vouloir parler d’une forme de lucidité que l’on doit rendre au spectateur s ur les « dessous » de la fabrication de l’image. C’est ce vers quoi amènent les acteurs associatifs d’éducation à l’image soutenus par la Métropole Grenobloise : « Et puis il y a des moments qui sont plus des temps de formation-action, où ils peuvent intervenir, (…) sur la question de la place des écrans, (…) sur les images véhiculées par la publicité, les formes de représentations stéréotypiques qu’elles peuvent véhiculer, la manière dont on construit et on hiérarchise des sujets d’information, la question des génériques aussi, de tout l’habillage, la question du placement de produits commerciaux. Il y a donc toute une série de choses qui consistent à dire que l’image c’est un construit, qu’elle ne vient pas de nulle part, il y a des manières de faire, des intérêts économiques. » On retrouve chez les associations interrogées ce même discours sur l’intérêt à amener le spectateur à s’approprier les images et à être capable d’en avoir une lecture critique. L’objectif premier de l’éducation à l’image selon Marco Gentil du cinéma Le Méliès est de faire sortir le spectateur de sa passivité, de l’amener à devenir un « spectateur acteur » et ainsi lui apporter un recul sur ce qu’il voit.
Amaury Piotin, coordinateur de Passeurs d’images sur la région Rhône Alpes, souhaite encourager l’accès à la pratique audiovisuelle car c’est selon lui un moyen de développer l’esprit critique, afin de « démystifier l’image et être moins naïf ». Yoan Demoz, réalisateur à Cinex, considère que son action s’inscrit dans un projet d’éducation à l’image, qui cherche notamment à éviter les risques inhérents à la multiplication des flux de l’image, et à faire « comprendre ce qu’il y a derrière les images qu’on nous montre, en termes de manipulation ».
A Cinéduc, Mireille Cazeneuve voit l’éducation à l’image et l’expérimentation collective qu’elle peut apporter comme une opportunité pour le spectateur de devenir un citoyen éclairé : « Ensuite, l’autre intérêt, c’est de mener les élèves à plus de liberté de parole, à défendre son point de vue, à devenir un citoyen éclairé. Parce que discuter c’est aussi laisser la parol e à l’autre, être capable d’écouter. »
L’expérience pratique audiovisuelle et l’expérimentation collective sont considérée comme centrales et indispensables par les associations. A l’ACRIRA, Amaury Piotin parle de la pratique audiovisuelle (ateliers d’écriture, réalisation, montage) comme l’outil de formation critique le plus efficace : « Souvent, une fois qu’ils ont fait un atelier, ils regardent plus du tout un film de la même façon, ou même d’autres images, comme par exemple Confessions intimes, etc. Ils vont réaliser que là, il y a quand même quelqu’un au cadre, quelqu’un qui fait le son, donc en fait il y a plusieurs personnes qui accompagnent cette pseudo-intimité. » Ce point de vue de la pratique comme clé de la lecture critique est partagé par les personnes interrogées à la Maison de l’image, à Cinex et aux Ateliers de la rétine.
Selon l’ensemble des acteurs, il est nécessaire d’amener une lecture sur un flux d’image grandissant et l’éducation à l’image participe à une formation transversale et critique du citoyen.
Les projets visant à développer l’appropriation critique des images participent à une éducation populaire. En effet, l’un des apports principaux de l’éducation populaire est celui d’une « lecture critique de la réalité sociale, en particulier des injustices générées ou amplifiées par le système capitaliste, et de la reproduction de l’ ordre social assurée par le système éducatif ».
Les outils de l’éducation à l’image permettraient notamment de décoder les intérêts économiques propres à la fabrication et diffusion des images.
Plusieurs auteurs font un lien direct entre le développement de l’esprit critique et le projet d’éducation populaire. C’est ce qu’affirme Léa Laval dans un article sur le lien entre recherche et éducation populaire :« Dans une visée de transformations sociales, l’éducation populaire tente d’articuler l’entretien d’ un esprit critique sur les réalités sociales et des pratiques d’émancipation ».
De même, Gérard Bonnefon rappelle que « l’éducation populaire préconise les méthodes actives dans l’éducation et la formation, le développement de l’esprit critique ».
La majorité des structures associatives étudiées orientent leur action vers un projet de formation critique des citoyens. Par cet engagement, nous considérons qu’elles s’inscrivent dans un mouvement d’éducation populaire. Au-delà de la correspondance entre objectifs de l’éducation à l’image et de l’éducation populaire, le discours des acteurs témoigne de la volonté de revendiquer un certain héritage, une identité qui confirme ce lien.

Des projets associatifs qui se réclament de l’éducation populaire

L’ensemble des projets associatifs se reconnaissent dans une démarche d’éducation populaire, bien qu’elle ne soit pas forcément revendiquée dans leur communication.
A la Maison de l’image, Théo Michel Béchet parle d’un lien historique fort entre le projet de la structure et l’éducation populaire. « A la base, c’était un centre audiovisuel. Ça a été créé dans les années 1970. A l’époque, il y avait une vidéogazette animée par les habitants de la Villeneuve. (…) Ils sont sur le plateau télé, ils discutent. Il y avait quelque chose de très « éduc pop » parce que… Par exemple, il y avait des émissions où les enfants eux-mêmes faisaient l’émission, la réalisaient, etc. Et du coup c’est resté dans l ‘héritage qui arrive jusqu’à la Maison de l’image quoi ». Le positionnement de la structure semble avoir tout de même évolué depuis sa création. Il semble en effet que la Maison de l’image fait partie de ces associations soixante-huitardes qui ont progressivement été institutionnalisées. Lorsque Théo Michel Bechet compare l’action de l’association de création audiovisuelle Images solidaires à celle de la Maison de l’image, il explique « Ils ont une volonté politique qu’il y a pas vraiment, qu’il y a moins en tout cas, à la Maison de l’image (…) La Maison de l’image c’est une structure qui est plus grosse, qui est là depuis longtemps. Et qui a quelque chose d’un peu plus institutionnel ». Si le lien originel entre la structure et l’éducation populaire apparaît clairement dans le discours du formateur, la prégnance de ce lien semble aujourd’hui moins évidente.
A travers son lien direct avec la Ligue de l’enseignement d’Isère, l’identité du cinéma associatif le Méliès repose clairement sur l’éducation populaire. Il n’est donc pas étonnant que Marco Gentil revendique l’appartenance du cinéma au mouvement d’éducation populaire : «

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