L’intervention du politique dans la question judiciaire. un projet politique pour la justice ? 

Le souci pour le « renforcement » des institutions judiciaires

Les magistrats au cœur de la réforme

La construction d‟un « problème public » n‟est pas, bien entendu, un phénomène naturel. Cette objectivation est le résultat d‟opérations de catégorisation et de formulation diverses, de concurrence d‟expertises, et de conflits entre groupes d‟acteurs qui se réclament le rôle de réformateurs ; de plus la construction du « problème » doit être aussi étudiée selon le contexte national et la période.
Comme le souligne Philippe Bezes, un même phénomène peut faire l‟objet de constructions sociales différentes selon les périodes et les Etats, de telle sorte qu‟il entraîne des choix publics distincts et une trajectoire différente.
Le « problème judiciaire » en Equateur connaît différentes dimensions ce qui explique une partie de  son succès. En effet, plusieurs sont les acteurs qui ont leur mot à dire à propos du fonctionnement de la justice. C‟est là précisément que réside la force de la thématique du « problème » : il permet à divers types d‟acteurs de trouver leur place dans le débat selon leurs ressources et intérêts et de s‟y investir dans la quête de solutio ns. Cela ne signifie pas pour autant que tous les acteurs aient des possibilités égales d‟entrer dans le jeu. Gusfield affirmait depuis longtemps que toutes les parties qui participent à la construction d‟un « problème public » ne sont pas dotées de la même autorité pour définir la réalité d‟un problème ou pour assumer le pouvoir légitime d‟inventer des solutions pour celui-ci.
La question judiciaire en Equateur ne diffère pas dans ce sens. Plusieurs acteurs ont intérêt à participer au processus de réforme judiciaire, et ils le font avec leurs propres moyens, mais s‟il y a un groupe qui a réussit à s‟affirmer et à influer dans le cours des réformes et des politiques publiques concernant la justice, c‟est bien celui des magistrats. Ce premier chapitre vise donc à revenir sur le processus de construction du « problème judiciaire » et surtout sur comment les magistrats ont réussi à s‟imposer en tant qu‟acteurs clé de la réforme judiciaire.

La place de la justice au tournant néolibéral équatorien des années 1990 : diagnostics et planification de la réforme

On n‟a pas les moyens (ni la prétention) de retracer l‟histoire de la question judiciaire jusqu‟à sa genèse. Un tel objectif obligerait à élargir la focale temporaire bien au -delà de la portée de ce mémoire. En effet, depuis les années 1970 on trouve déjà les ouvrages des juristes réputés dont Julio César Trujillo, qui s‟interrogent sur la place du système de justice dans le pays, et surtout sur le rôle de la justice dans la consolidation d‟un régime constitutionnaliste.
Pourtant s‟il y a un moment d‟intérêt particulier pour notre sujet c‟est bien la décennie de 1990 en raison de l‟ampleur qu‟a prise pendant ces années le débat autour de la justice.
Les années 1990 marquent un moment d‟importantes transformations dans l‟Etat équatorien. Elles sont connues ordinairement sous le label de la « bourrade néolibérale » marqué par l‟adoption de politiques d‟ouverture de marchés et de privatisation de certains secteurs économiques (comme les télécommunications et les ressources non-renouvelables) ; en grande mesure suivant les recommandations d‟organismes internationaux comme la Banque mondiale.
Ces années constituent un moment où l‟on repense le rôle de l‟Etat équatorien et la place qu‟il occupe dans la société. Ces années connaissent aussi une préoccupation pour moderniser et rationaliser le fonctionnement de l‟Etat, ce qui s‟observe à travers l‟adoption de nouvelles lois visant à réduire la taille des institutions publiques et à augmenter leur efficacité.

« Champ réformateur » et ressources de légitimité des magistrats

Au cours des années 1990 et 2000 ce qu‟on observe est la mise en place de ce qu‟Antoine Vauchez et Laurent Willemez désigneraient un « champ réformateur » de la justice, ayant parmi ses acteurs principaux les magistrats de la Corte Suprema. Ce que ces auteurs entendent par là est un « système autonome de positions, d’acteurs et d’institutions structuré par des enjeux et des rapports internes spécifiques».
Ces auteurs signalent bien pourtant la dimension paradoxale d‟un tel concept pour l‟objet qu‟ils étudient à savoir la réforme de la justice en France entre 1980 et 2006. En effet, dans le cas de la réforme française il y a une large hétérogénéité dans les discours promouvant la réforme (modernisme juridique, simplification administrative, rationalisation budgétaire, etc.). Il semblerait donc difficile de parler d‟une quelconque « communauté réformatrice » ni même d‟une « coalition d’intérêts réformateurs » qui serait stable dans le temps. La pluralité d‟espaces où se répand l‟idée de réformer la justice rend difficile de parler celle-ci comme un objet saisi de la même façon par tous les acteurs impliqués, chacun en fonction de ses propres enjeux.
Pourtant, pour ces auteurs ce qui justifie l‟usage d‟une telle notion est le fait que dans la période analysée, ils observent une sorte de « langage commun » qui s‟impose aux acteurs et qui « n’est pas simplement une façon de parler mais aussi une manière de construire les enjeux, les problèmes et les solutions en matière de justice ».
L‟ossature de ce discours repose donc sur deux éléments complémentaires : la « crise » dont le diagnostic serait une sorte d‟évidence partagée, et la réforme invoquée de manière récurrente par l‟ensemble des acteurs.
Malheureusement notre matériel concernant cette période n‟est pas suffisant pour tester à quel point tel concept s‟adapte au cas équatorien, mais ce qui est clair est qu‟il y a bien des éléments qui relèvent d‟une telle logique. L‟idée d‟une crise dans la justice semblerait donc être quelque chose qui va de soi pour ces acteurs car elle serait pour eux une réalité indéniable. Au fondement de ce diagnostic se trouvent les travaux réalisés par les organisations comme la Banque mondiale et l‟USAID mais ce ne sont pas les seuls. Il y a aussi des acteurs locaux qui reprennent l‟idée d‟une « crise judiciaire » et qui essaient de la démontrer statistiquement. Tel a été par exemple de la contribution au débat judiciaire de la part des instituts nationaux de statistiques tels que l‟Instituto Nacional de Estadísticas y Censos (INEC) qu‟a réalisé des études dans les années 1990 s‟interrogeant sur la perception des citoyens à l‟égard des institutions publiques. Ce type de statistiques se combine avec d‟autres qu‟ont été réalisées par des organisations comme le Latinobarómetro, avec la même prétention de mesurer la performance et la qualité des démocraties latino-américaines à travers la perception des citoyens. C‟est ainsi qu‟en 1996 par exemple, une enquête de l‟INEC démontre que plus de 90% de la population est méfiante du fonctionnement de la justice, et considère qu‟elle ne protège pas les intérêts des citoyens.
Sans entrer dans le débat des limites des études prétendant mesurer « l’opinion publique », ce qu‟il faut retenir est comment se construit une réalité de la « crise judiciaire » qui s‟affirme comme une évidence.
Néanmoins, l‟émergence d‟un « champ réformateur » ne réside pas uniquement dans la production des savoirs et d‟indicateurs qui mesurent la « crise » de la justice. Le champ repose en partie sur le développement des outils cognitifs mais aussi des lieux de rencontre qui peuvent deviennent des terrains d‟entente pour les acteurs investis dans la réforme.
Autrement dit, la genèse du « champ réformateur » s‟appui sur la formation d‟espaces où se croisent différents groupes d‟acteurs participant aux politiques publiques judiciaires, et où s‟hybrident leurs conceptions de la réforme.
En Equateur cela s‟observe à travers la création des premiers groupes de travail inter-institutionnels autour de la réforme judiciaire. Un grand nombre de ceux-ci ont résulté de l‟incitative de la Banque mondiale ou de la BID qui ont affirmé l‟objectif de vouloir créer des espaces de débat autour de possibles nouvelles politiques publiques judiciaires. L‟une des premières journées de discussion autour de la justice date de 1992 lorsque se met en place un groupe de travail avec l‟initiative de la Banque mondiale ; dans celui-ci participent des magistrats, des membres du ministère public, des délégués présidentiels ainsi que quelques-uns d‟autres ministères (notamment le Ministerio de Gobierno, équivalent au Ministère de l‟Intérieur en France).
De la même façon des représentants de la Banque mondiale et de l‟USAID ainsi que des organisations judiciaires nationales (par exemple la Fenaje en tant que principal syndicat judiciaire) ont été aussi présents et ont participé à la production du plan de réformes de 1992. Ces événements sont l‟occasion pour ces acteurs de réaffirmer leur engagement dans la réforme judiciaire, et par là apporter au développement économique et à l‟affermissement de la démocratie équatorienne. Tous les éléments qu‟on a vus jusqu‟ici qui font partie du processus de construction du « problème judiciaire » (le manque d‟efficience, la corruption, la méfiance des citoyens, les théories de Douglass North sur l‟apport de la justice pour l‟économie, etc.) se retrouvent dans ces espaces pour ratifier la nécessité des réformes. C‟est dans ce sens que vont les interventions des participants, tel que l‟illustrent les comptes rendus de ces événements. C‟est ainsi que se prononce par exemple le délégué de la Banque mondiale lors des journées de discussion organisées par elle-même en 1996.

Restructuration du champ politique et reformulation du « problème judiciaire »

Corruption et préoccupation sécuritaire dans la délégitimation du corps judiciaire

Si le premier chapitre de ce mémoire s‟est consacré à analyser l‟affirmation du pouvoir des magistrats, ce chapitre-ci décrit précisément le processus opposé. En effet, il est remarquable de constater qu‟alors que les magistrats ont été depuis les années 1990 au cœur des débats autour de la justice, actuellement ils se trouvent exclus de ceux-ci. Dans le même sens, alors qu‟auparavant ils étaient les principaux promoteurs des réformes pour résoudre les « problèmes » que rencontre la justice, à partir de 2007 ils sont devenus dans le discours politiques encore un autre élément constitutif de la « crise ».
Tel est le retournement qu‟il faut étudier dans ce deuxième chapitre. Pour cela il faut décrire ce qu‟a signifié l‟arrivée d‟un nouveau gouvernement et plus important encore, comment ces acteurs qui investissent le champ politique à partir de 2007 se réapproprient du « problème judiciaire » tout en lui attribuant un nouveau sens. Ce sont désormais les magistrats et tout le corps judiciaire qui deviennent les cibles des critiques dans le discours des acteurs politiques. Les magistrats connaissent donc la perte de valeur des ressources qu‟auparavant les permettaient d‟affirmer leur position en tant qu‟administrateurs de la justice. C‟est alors la légitimité des magistrats qu‟entre en jeu. A partir de 2007, avec l‟arrivée d‟un nouveau gouvernement, le discours de la réforme se construit au détriment de ces acteurs qui ont pour autant contribuer à le diffuser dans un premier temps. La suite des événements voit la délégitimation de ces acteurs qui sont en ce moment exclus de la réforme et des institutions judiciaires.

La dévalorisation des ressources de légitimité des magistrats

La proximité entre la Corte Suprema et certains segments présents dans le champ politique a été un fait commenté ouvertement dans le débat public. Cette proximité a été l‟objet d‟une grande visibilité car les liens entre les magistrats et quelques dirigeants politiques ont été souvent au cœur des reportages journalistiques. Les médias ont donc contribué aussi à la diffusion d‟une image de la Corte comme une institution « politisée », entendant par là l‟infiltration des partis politiques. Cela est bien entendu associé à la modalité même de désignation des magistrats qui a toujours été prise en charge par le Parlement. Même lorsque la cooptation a été adoptée en 1998, ceci ne s‟est pas produit sans que les partis politiques désignent (en principe pour la dernière fois) une nouvelle Corte en essayant d‟y placer « ceux qui pouvaient les offrir le plus de garanties et de fidélité ».
Les journaux de l‟époque ont aussi mis en avant la dimension « politisée » de la Corte en illustrant la négociation partisane au Parlement pour la désignation des juges.
L‟adoption de la cooptation n‟a pas changé énormément les choses car en 2004 on a eu l‟épisode de la PichiCorte qui a conduit encore une fois à la désignation des magistrats par le Parlement en 2004 et en 2005.
En raison des liens établis avec le champ politique, le travail de magistrats a souvent été tâché de corrompu et « d’acheté ». Ces dénonciations publiques ont eu un grand intérêt médiatique ce qui les dotait de grande visibilité. C‟est ainsi, par exemple, qu‟en juin 2006 (même avant le début de campagne la présidentielle remportée par PAIS) on observe dans les médias un grand nombre de journalistes et d‟hommes politiques qui dénoncent le manque de droiture et probité des magistrats. Les articles journalistiques reprochent souvent la proximité de la Corte avec le Partido Social Cristiano, et même la soumission au « propriétaire du pays », le dirigeant social-chrétien León Febres Cordero.
L‟on accuse les magistrats des pratiques corrompues à la faveur des hommes politiques et des banquiers qui se sont enrichis avec des fonds publics. Dans le contenu, ces dénonciations diffèrent peu de celles faites par les dirigeants des PAIS à partir de 2007. Ces acteurs reprennent les mêmes termes car pour eux la Corte Suprema est toujours une institution « politisée et corrompue par le gouvernement de Febres Cordero et les tentacules sociaux-chrétiens ».
Ces acteurs accusent la justice contrôlée par les sociaux-chrétiens d‟avoir créé une « culture de tromperie » où les dossiers judiciaires stagnent jusqu‟à ce que s‟achèvent les accords négociés «  sous la table ». Pourtant, même si la formulation des critiques ne diffère pas, il n‟est pas possibles que leurs effets ont été les mêmes. C‟est-à-dire qu‟à partir de 2007 le contexte politique change de telle sorte que les dénonciations de corruption contre les magistrats deviennent beaucoup plus efficaces qu‟elles ne l‟étaient auparavant.
Au cours des années 2000 il y a eu plusieurs initiatives pour sanctionner les magistrats de la Corte Suprema, la plupart d‟entre elles provenant des parlementaires opposants au PSC.
En effet, les dénonciations contre les magistrats n‟ont pas fait uniquement l‟objet d‟une couverture médiatique, elles sont aussi été à l‟origine de demandes concrètes de sanction contre eux. Le matériel recueilli montre bien les tentatives de certains parlementaires de recourir au Parquet pour enquêter les actions des juges et leurs biens matériels.
Pourtant celles-ci n‟ont pas eu de traduction dans des mesures concrètes de sanction ou de révocation des magistrats de leur poste à la Corte Suprema.
L‟on peut supposer alors que pendant longtemps les magistrats ont été capables de maîtriser et de réduire la portée des situations potentiellement scandaleuses. C‟est-à-dire que malgré les révélations publiques de manque de probité de certains membres de la Corte Suprema, il n‟y a pas eu d‟effet considérable de délégitimation de ces acteurs. En effet, les magistrats ont eu plutôt du succès en se préservant de possibles menaces externes. C‟est ainsi par exemple qu‟à partir de 1998 les magistrats ont été protégés du risque des procès politiques de la part des parlementaires. De la même façon, ces acteurs ont réussi à limiter le rôle disciplinaire du Consejo de la Judicatura uniquement à la sanction des juges des premières instances. Par conséquent, cette institution censée être l‟organe de « gouvernement et administration » de la justice n‟avait pas le droit d‟intervenir dans la Corte Suprema. De plus, les magistrats ont aussi bénéficié du soutien politique provenant du PSC qui a le plus fréquemment pris la défense des magistrats dans le débat publique quand ceux -ci étaient attaqués par d‟autres parlementaires.
Si on admet donc l‟hypothèse de l‟existence d‟un système de relations entre les magistrats et les dirigeants politiques (notamment ceux du PSC), les élections tenues en 2007 pour désigner les membres de l‟assemblée constituante, promue par le nouveau gouvernement, constitue un moment de forte perturbation de ces arrangements établis. En effet, la mise en place de l‟assemblée constituante a signifié la dissolution du Parlement et l‟arrivée d‟acteurs qui pour la première fois ont investi le champ politique ; la grande majorité d‟entre eux au nom de PAIS.
Quelque soit la véritable motivation derrière l‟activité de César Rodriguez, ou en l‟occurrence celle des autres membres de PAIS lors des débats autour des réformes constitutionnelles pour la justice, ce que cette confrontation confirmerait est l‟hypothèse formulée plus haut d‟une perturbation des arrangements antérieurement établis. Rodríguez, et d‟autres députés de PAIS ne font pas partie des arrangements ou des accords entre les acteurs judiciaires et politiques. Par conséquent, avec la mise en place de l‟assemblée constituante il y a une perturbation dans le système de relations que s‟était consolidé entre ces acteurs. Les dirigeants politiques de PAIS ne participent pas à ce système (ou en tout cas participent moins s‟ils le font), mais plus important encore, ils se trouvent dans une position capable de le déstructurer. Ceci serait possible par la réforme formelle des règles officielles du jeu à travers les changements inclus dans la nouvelle Constitution et dans de futurs projets de loi. Mais aussi en ayant réussi à réduire l‟accès à leurs rivaux politiques aux ressources qu‟offrent les positions au sein de l‟Etat. De leur côté, les magistrats perdent aussi un de leurs soutiens qu‟auparavant leur permettait d‟intervenir dans le débat politique. En effet, la valeur de leurs ressources de légitimité était liée, au moins en partie, à la position qu‟occupaient leurs « alliés » dans le champ politique. De telle manière, la chute du nombre des parlementaires des partis tels que le Partido Social Cristiano, s‟est traduit par une croissante vulnérabilité des magistrats en face des réformes dont ils n‟auraient plus la maîtrise.
Il serait difficile d‟affirmer que tous les membres de PAIS ont partagé une même vision de ce que devrait être l‟administration de la justice, et surtout du rôle que devrait avoir l‟assemblée constituante dans l‟élaboration de réformes à cet égard. C‟est dans ce sens que le matériel recueilli montre un grand nombre de déclarations publiques de différents membres de PAIS présents dans l‟assemblée qui ont défendu plutôt les revendications des magistrats (au moins celle de préserver la cooptation) et qui ont affirmé que l‟assemblée ne devrait pas intervenir dans la justice. Peut-être le plus important d‟entre eux serait Alberto Acosta, membre de PAIS et président de l‟assemblée constituante dont un grand nombre de ses déclarations publiques allaient dans le sens d‟une « protection de l’indépendance de la Corte Suprema » en défendant des mécanismes d‟autorégulation dans la fonction judiciaire.
Un de ces mécanismes serait précisément la préservation de la cooptation pour la désignation des magistrats. Cette proposition contrastait avec celle d‟autres membres, dont César Rodríguez, qui voulaient plutôt que la désignation des magistrats se fasse par d‟autres institutions comme le Consejo de la Judicatura.

La délégitimation du corps judiciaire : perte de soutiens, corruption et « sécurité citoyenne »

Les événements autour de l‟assemblée constituante montrent déjà en partie comment s‟est joué la délégitimation des magistrats. Ces acteurs qui auparavant étaient sans cesse présents dans les débats des politiques publiques judiciaires, désormais se trouvent exclus des espaces de discussion et de prise de décision. Ainsi, l‟assemblée constituante qui a capté l‟intérêt du débat public pendant tout 2007 et 2008, a été un espace inaccessible pour les magistrats tâchés de « politisés » et illégitimes pour administrer la justice. L‟adoption de la nouvelle Constitue donc un premier moment de stigmatisation des magistrats dans le discours politique où ils sont dénoncés pour leur opposition à la nouvelle Constitution. Ils sont donc, d‟après de discours, un obstacle dans la réforme de la justice, et par là, dans la construction d‟un nouvel Etat démocratique et transparent. Par leur critique à la Constitution, les magistrats risquent de mettre en cause la construction du récit prophétique qui annonce l‟avènement des « temps nouveaux ». Car l‟enjeu des acteurs politiques est de produire les signes qui confirment le changement, la présence des magistrats est une menace qui doit être résolue. Ainsi, le rejet d‟une nouvelle Constitution a entraîné leur destitution et leur remplacement. Pourtant, celui-ci n‟a pas été en soi un changement significatif dans la composition du corps des magistrats. Les membres de la nouvelle Corte Nacional présentent presque le même profil que les magistrats avant eux. Ils ne sont pas véritablement de nouveaux acteurs dans la justice car ils étaient déjà présents dans la Corte Suprema mais sans occuper le poste titulaire de magistrat.
Ces magistrats ont donc moins de ressources pour affirmer leur légitimité à l‟intérieur de la Corte Nacional. Ils n‟ont pas été le résultat d‟un processus de sélection consensuelle, et dès les premiers instants ils ont été définis comme « transitoires ». En effet, le Consejo de la Judicatura était censé réaliser de concours pour désigner de nouveaux magistrats suivant ce qui serait inscrit dans la Constitution. De telle manière, ces magistrats « transitoires » ont peu de soutiens qu‟ils peuvent mobiliser, même à l‟intérieur de la fonction judiciaire. Ils ont perdu le pouvoir d‟influence que la Corte détenait auparavant sur le Consejo de la Judicatura et ils ont aussi provoqué le mépris des anciens magistrats en « se prêtant au jeu » du gouvernement.
En effet, la Corte Nacional a été aussi conformée par deux magistrats qui étaient auparavant dans la Corte Suprema et qui ont gagné l‟animosité de leurs collègues car eux aussi, ils avaient affirmé ne pas participer à la nouvelle Corte.
Finalement, les magistrats ont aussi perdu le soutien qu‟ils avaient auparavant du côté de Projusticia qui a été inscrite dans un nouveau ministère créé en novembre 2007 comme le Ministerio de Justicia, Cultos y Derechos Humanos.
L‟Equateur n‟avait jamais eu un ministère spécialisé en matière d‟administration judiciaire, cette compétence étant laissé à la fonction judiciaire elle-même. Mais en novembre 2007 ce ministère est créé en intégrant par décret présidentiel l‟administration qu‟existait déjà dans Projusticia. L‟importance de celleci dans la conformation du ministère s‟observe par exemple à travers les personnes qui ont occupé le poste de ministre dans un premier temps. Le premiers qu‟ont été à la tête de ce ministère ont été Gustavo Jalkh entre novembre 2007 et février 2009, suivi par Nestor Arbito entre février 2009 et avril 2010, tous les deux anciens directeurs de Projusticia. Ce ministère a donc pris en charge la plupart des programmes qui existaient déjà dans cette première institution.
C‟est ainsi que le ministère a aussi mené des projets de modernisation des tribunaux, de création de centres de médiation et assistance juridique et surtout de coordination de la réforme judiciaire entre acteurs judiciaires, politiques ou des organisations sociales se réclamant de la « société civile ». Même si les demandes des magistrats n‟ont pas été incluses dans la Constitution par l‟assemblée constituante, ce ne sont pas tous les éléments de leurs plans de réforme qu‟ont été mis à l‟écart après 2007. Au contraire, une grande partie du contenu des plans élaborés en 2007 ont fourni la base du travail du ministère, au moins en ce qui concerne les aspects « techniques » de réforme judiciaire tels que l‟implémentation de nouvelles technologies et l‟application de nouveaux modèles gestionnaires dans l‟objectif d‟améliorer l‟efficience et la transparence dans le travail judiciaire.

L‟intervention du politique dans la question judiciaire

Un projet politique pour la justice ?

L‟arrivée d‟un nouveau gouvernement a signifié un choc important dans l‟administration du système judiciaire. Les magistrats qui auparavant y occupaient une place prépondérante se trouvent délégitimés en tant qu‟administrateurs de la justice ce qui altère les arrangements institutionnels. Les accords consolidés et les interactions routinières entre acteurs judiciaires et politiques se trouvent bouleversés. Autrement dit, on serait dans un moment où les logiques d‟institutions perdent leur emprise sur les pratiques des acteurs comme ceux caractéristiques des processus de « désectorisation » décrits par Michel Dobry.
Dans ces situations les frontières des institutions deviennent plus floues, résultant des mobilisations multiples et de l‟intervention dans un « secteur » des agents qui lui sont externes. Ces mobilisations peuvent être porteuses des revendications critiques contre les institutions, leur fonctionnement mais aussi leur légitimité. C‟est dans ces momen ts qu‟il est le plus probable d‟observer des changements les plus radicaux dans le sens d‟une disparition de l‟ensemble des règles anciennes et leur remplacement par des nouvelles. Dans cette deuxième partie, il s‟agit de voir dans quelle mesure la réforme judiciaire relèverait d‟une logique similaire.
Le choc qu‟a été l‟arrivée d‟un nouveau gouvernement a constitué une perte de valeur des ressources de légitimité des magistrats. Pourtant, d‟une façon similaire à ce que JeanLouis Briquet a décrit lors des crises politiques en Italie, la délégitimation ne se manifeste qu‟à partir du moment où elle est prise en charge par des agents mobilisateurs et qu‟elle acquiert une réelle effectivité.
La question qui se pose est donc comment différents groupes d‟acteurs essaient d‟occuper la place laissée par les magistrats en tant qu‟administrateurs de la justice et par là rétablir un fonctionnement routinier du système de justice ; comment les acteurs tentent de rétablir les arrangements institutionnels tout en affirmant leur position à l‟intérieur de ce système. En d‟autres termes, dans un contexte où les arrangements institutionnels, les logiques d‟institutions, et leur fonctionnement routinier sont altérés, ce qu‟il faut analyser est quels sont les acteurs qui vont réussir à affirmer leur autorité et s‟imposer dans l‟administration de la justice.
L‟hypothèse est donc que c‟est au cours de cette concurrence que les acteurs du champ politique (et plus précisément les membres du gouvernement) vont réussir à élargir leur capacité d‟intervention dans l‟administration judiciaire jusqu‟au point de s‟approprier du cours de la réforme en recourant au référendum. Cet élargissement des marges de manœuvre du politique dans la fonction judiciaire ne se produit pas sans l‟élimination de possibles concurrents pour le monopole de la réforme. Tel est le cas du Consejo de la Judicatura qui est l‟institution que dans un premier temps va essayer de s‟affirmer comme autorité administrative dans la fonction judiciaire. Pourtant, les difficultés éprouvées pour consolider sa position en tant qu‟administrateur vont provoquer de questionnements et critiques de la part des hommes politiques. La conflictualité entre les deux atteint son point maximum au moment du référendum. Celui-ci marque un moment de rupture avec l‟arrivée dans la fonction judiciaire d‟un nouveau personnel formé au management. Ce personnel va former une nouvelle institution pour une période de transition de dix-huit mois qui est le Consejo de la Judicatura de Transición, chargée de restructurer la justice. La mise en place de ce conseil transitoire permet de tester l‟hypothèse d‟une diffusion des pratiques managériales au sein de l‟administration publique. Pourtant au-delà de la dimension rationnelle et technique de ce conseil, il faut regarder de près qui sont les importateurs des instruments managériaux ainsi que les aléas de la technicité de cette restructuration.
Au-delà des changements réels provoqués par l‟application de pratiques de management et de nouvelles technologies, l‟objectif est toujours de revenir aux usages politiques de cette réforme. Par conséquent, l‟hypothèse à tester est celle d‟une appropriation politique de celle-ci ainsi que du travail du conseil transitoire. Cette appropriation irait dans le sens d‟une confirmation de la promesse du président Correa d‟un changement d‟époque et d‟une révolution dans l‟exercice de la justice. L‟intérêt est de voir comment se construit le récit qui présente la réforme comme une « réussite » (même si le travail du conseil transitoire n‟est pas terminé) qui ratifie la prophétie de l‟avènement de temps nouveaux, non seulement pour la justice mais pour tout le pays.

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Table des matières
RESUME 
MOTS CLÉS 
REMERCIEMENTS 
SOMMAIRE 
INTRODUCTION 
PARTIE I – LA TRAJECTOIRE DU « PROBLEME JUDICIAIRE » EN EQUATEUR. MAGISTRATS, « CRISE », ET REFORME JUDICIAIRE 
CHAPITRE 1 – LE SOUCI POUR LE « RENFORCEMENT » DES INSTITUTIONS JUDICIAIRES. LES MAGISTRATS AU CŒUR DE LA REFORME
CHAPITRE 2 – RESTRUCTURATION DU CHAMP POLITIQUE ET REFORMULATION DU « PROBLEME JUDICIAIRE ». CORRUPTION ET PREOCCUPATION SECURITAIRE DANS LA DELEGITIMATION DU CORPS JUDICIAIRE
PARTIE II – L’INTERVENTION DU POLITIQUE DANS LA QUESTION JUDICIAIRE. UN PROJET POLITIQUE POUR LA JUSTICE ? 
CHAPITRE 3 – ACTEURS CONCURRENTS POUR LE MONOPOLE DE LA REFORME JUDICIAIRE. LE CONSEJO DE LA JUDICATURA SOUS LE REGARD DU POLITIQUE
CHAPITRE 4 – PRODUIRE LE CHANGEMENT. PRATIQUES MANAGERIALES ET CONFIRMATION PROPHETIQUE AU CONSEJO DE LA JUDICATURA DE TRANSICION
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE 
ANNEXES 
TABLE DE MATIERES

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