L’internat avec école

L’internat avec école contemporain et ses bases légales et administratives

Il faut souligner que «l’internat avec école», au sens actuel du terme, est un lieu éducatif, prioritairement, doté secondairement d’une école d’enseignement spécialisé. Son action est insérée au sein de la «Politique socio-éducative cantonale» (PSE) du SPJ (Politique socio éducative cantonale en matière de protection des mineurs, adoptée par la Cheffe du DFJ le 28 août 2006). Il ne doit donc pas être confondu avec «l’école avec internat» qui est avant tout un lieu de pédagogie spécialisée accompagné, pour des raisons de distance entre le lieu de vie de l’enfant et le lieu de scolarisation, d’un internat. Il faut relever cependant que si cette différenciation de l’entrée en matière peut être énoncée de manière simple, l’évolution des populations concernées, de l’avis général des directeurs des deux types de structures, regroupés au sein du «Groupe 3 AVOP», tend à montrer que ces réalités ne sont pas ou plus si clairement différenciées sur le terrain. L’augmentation de situations liées aux troubles du comportement paraît en effet affecter toutes les organisations, qu’elles soient prioritairement axées sur l’intervention éducative ou sur l’enseignement spécialisé.
Il existe cinq «internats avec école» dans le canton de Vaud : Pré-de-Vert à Rolle ; l’Ecole Pestalozzi à Echichens ; Le Châtelard à Lausanne ; le Home-chez-Nous au Mont-sur-Lausanne et Serix à Palézieux.
Ces structures ont été créées au 19ème siècle le plus souvent et parfois au début du 20ème siècle. En ce qui concerne Serix, son activité a été effective dès 1864 et s’est déroulée, pendant près d’un siècle en amont de l’histoire professionnelle de l’éducation spécialisée (nommée ensuite éducation sociale). Pour mémoire, il faut rappeler que le pionnier de l’éducation en Suisse Romande, Monsieur Claude Pahud, a créé la première école vaudoise d’éducateurs spécialisés en 1954. Ces «internats avec école» partagent quelques traits communs:  la présence simultanée sur le même site de prestations éducatives, scolaires et thérapeutiques dans un souci de «réponse globale» aux besoins des enfants (antérieurement à toute idée de travail pluridisciplinaire) ;une taille relativement importante, composée en tout cas de plusieurs «groupes éducatifs» ; un certain «isolement», bien  que ce dernier critère se soit atténué au fil du temps par le rapprochement des zones périurbaines de ces lieux initialement situés en campagne.

Vers une école inclusive : une évolution importante du cadre légal de l’école obligatoire et de la pédagogie spécialisée et son articulation à l’internat avec école

Par sa structure scolaire, l’internat avec école est sensible à l’évolution du cadre légal et des enjeux organisationnels de l’école obligatoire et de l’enseignement spécialisé. En quelques années le Canton de Vaud s’est doté de deux dispositifs légaux modifiant en profondeur l’organisation de son école publique, La LEO (loi sur l’enseignement obligatoire) adoptée par le peuple lors de la votation du 4 septembre 2011 et la LPS (Loi sur la pédagogie spécialisée) qui sera validée, sur le plan législatif, en 2015.
La LEO (dont le règlement d’application a été mis en vigueur le 2 juillet 2012) a été initialement construite comme un contre-projet s’opposant à une initiative populaire cantonale «école 2010» voulant revenir à une école «traditionnelle». Elle est congruente avec le concordat inter-cantonal (en Suisse l’enseignement est de la stricte compétence cantonale). Elle a amené de nombreux changements (âge d’entrée en classe ; passerelles entre filières ; objectifs de fin de scolarité etc.) Son ambition était de moderniser de manière déterminante l’enseignement obligatoire. Elle a permis notamment de ramener à deux les filières (au lieu de trois antérieurement) et vise à diminuer fortement «l’exclusion scolaire» tant interne au système scolaire qu’à sa périphérie, sous forme de scolarisation spécialisée. Il faut noter à ce propos que la cheffe du DFJC, Madame Lyon (en charge de ce département depuis 2002) avait indiqué l’objectif stratégique d’une diminution des scolarisations spécialisées dès 2007, de 3,1% à 2% en dix ans (Hunziker & Pulzer, 2012, p. 5)
L’exposé des motifs du projet LEO trace la feuille de route de l’évolution à venir dans cette perspective.
«Dans le canton de Vaud, la proportion d’élèves bénéficiant de structures ou de mesures spécialisées est globalement plus élevée que dans le reste de la Suisse. Il s’agira à l’avenir de réduire ce taux, ce qui implique un accueil renforcé des élèves relevant de la pédagogie spécialisée dans l’école régulière, avec un déplacement des ressources nécessaires, tant humaines que financières, vers l’école obligatoire. La législation sur l’enseignement spécialisé devra être adaptée en conséquence. Une loi spécifique est en cours d’élaboration. » (Exposé des motifs relatif au projet de loi sur l’enseignement obligatoire, LEO, septembre 2010, p. 12)
Par ailleurs, la nouvelle «loi sur la pédagogie spécialisée» est devant le parlement vaudois (Grand conseil, législatif) en 2015. Elle valorise notamment l’apport de compétences spécialisées au sein de l’école ordinaire et filtre par un dispositif d’admission centralisé (PES7) le flux des admissions dans les lieux de la pédagogie spécialisée.

Le traitement des « troubles du comportement » à l’articulation du champ scolaire et du champ socio-éducatif

Lorsqu’on évoque l’indication au placement dans une structure éducative avec école ; lorsqu’on affirme la nécessité de produire une grande quantité de prestations en un seul lieu pour un enfant, c’est que l’on a affaire, le plus souvent, à la présence de «troubles du comportement». De quoi parle-t-on alors et qui se sent vraiment concerné par cette problématique ?
Il faut d’abord rappeler ce que l’on entend par troubles du comportement. «Les troubles du comportement sont très fréquents et «bruyants» et ont d’importantes répercussions sociales et développementales. Au sens descriptif, ces problèmes regroupent un ensemble de comportements perturbateurs tels que la désobéissance répétée, la provocation, le vol, le mensonge, et l’agressivité verbale et physique » (Bénony, Bénony-Viodé & Dumas 2012, p61). Sur le plan individuel, on peut les considérer comme étant soit la conséquence de troubles psychopathologiques divers dont ils traduisent les difficultés d’accordage au contexte social soit on peut les appréhender comme étant une expression comportementale, certes hétérogène, mais pouvant être décrite en tant que telle, par exemple dans l’outil de diagnostic médical CIM-10 (site web de l’office fédéral de la statistique, section publication, 16.07.2015). Par ailleurs la nature contextuelle des troubles du comportement doit être soulignée : «La nature essentiellement sociale des troubles du comportement implique évidemment que tout diagnostic est posé dans un contexte social qui ne peut jamais être ignoré, un diagnostic reflétant non seulement le comportement habituel de l’enfant ou de l’adolescent, mais aussi les normes sociales de son milieu (normes qui ne sont pas nécessairement les mêmes dans tous les contextes fréquentés par l’enfant : maison et école, par exemple).» (Bénony, Bénony-Viodé & Dumas 2012, p61)
Dans la pratique professionnelle en internat avec école, ces troubles évoquent un ensemble de difficultés, que les parents situent en général dès la petite enfance, qui constituent une entrave majeure dans le processus de socialisation de l’enfant. La relation de ce dernier aux limites en général, à la frustration, au “non” est extrêmement problématique. Cette confrontation permanente aux limites amène des réaction de grande souffrance, traduites par des passages à l’acte sous forme d’insultes (les mots devant alors être envisagés comme des armes; des projectiles avant que d’être des contenus exprimant la subjectivité de l’individu); d’attaques au matériel, aussi bien le sien propre d’ailleurs que celui de l’institution ou celui des autres; d’attaques physiques à l’autre ou à soi d’intensité variable mais pouvant aller jusqu’à la mise en cause de l’intégrité physique d’autres enfants ou d’adultes. Ces enfants sont en grave difficulté, constante, pour tisser des liens stables et structurants avec les adultes. Puis, dès lors qu’une relation devient significative, elle est alors attaquée, parfois massivement. L’intégration des règles du “vivre-ensemble” quotidien sont toujours partielles et parfois fortement déficientes.

Les “troubles du comportement” ne relèvent que marginalement de la pédopsychiatrie

Les intervenants pédopsychiatriques de leur côté estiment, lorsque nous les sollicitons, que seuls les moments de décompensation aiguë les concernent, dès lors qu’il y a trouble du comportement. Vécu comme une pathologie agie dans l’espace social, métaphoriquement comme une hémorragie du monde intrapsychique, le trouble du comportement se voit renvoyé à l’internat comme milieu «naturel» de prise en charge. Dans la pratique éducative, cette résistance à entrer en matière se traduit par une difficulté fréquente à mobiliser des ressources pédopsychiatriques (de jour ou hospitalières) pour compléter l’intervention du lieu éducatif ou pour le prolonger. Résistances aux demandes d’hospitalisation; mises en place des collaborations inhabituellement longues et laborieuses (même si les prises en charges qui en découlent peuvent être réussies); parfois rupture précoces d’hospitalisation alors explicitement référencées aux “troubles du comportement”, ces réalités viennent émailler une collaboration pourtant régulière avec la pédopsychiatrie publique. Elles ne traduisent aucune “mauvaise volonté”. Certains dispositifs récents illustrent même une volonté concrète de soutenir activement et de manière novatrice l’action éducative résidentielle. Ces réalités mettent en évidence plutôt la limite des dispositifs thérapeutiques, lorsqu’ils sont constamment interrogés au niveau de leur cadre normatif, de leurs capacités de sanction, face à des enjeux qui, au travers du passage à l’acte, ne s’organisent que peu dans l’espace intérieur ou même relationnel de l’individu.

L’impact des troubles du comportement sur les instances de l’organisation

L’internat avec école est, comme toute organisation éducative, une structure aux fonctions multiples. Elle est à la fois un lieu de vie et d’apprentissage ; un ensemble d’enjeux relationnels structurés ; une caisse de résonnance de rapports de force issus de son environnement, notamment politiques ; l’étape actuelle d’une histoire faites d’évènements et de mythes ; une surface de projection de ses acteurs, etc.
Dans tous les cas, le vécu institutionnel est cependant celui d’un «tout» littéralement organique, qui lui donne à la fois son incroyable résistance mais aussi son importante inertie.
L’internat avec école absorbe en quelque sorte les situations d’enfants que le système scolaire, pourtant de plus en plus inclusif, ne peut assumer. Plus ces situations se concentrent dans ce lieu et plus ses caractéristiques contenantes, sa cohérence et sa solidité sont mises à l’épreuve. Comment esquisser les points d’impact de cette pression interne, née des troubles graves du comportent, sur la structure de l’organisation ?
Eugène Enriquez propose dans son livre « l’organisation en analyse» (Enriquez, 1992) une structuration de la compréhension globale des enjeux des organisations (au sens large) en différenciant sept niveaux (ou instances) qui sont, chacun, à l’origine de ressources comme de difficultés. De manière très succincte, j’évoque donc ici les instances formalisées par Enriquez mais on pourra se référer plus généralement au chapitre premier, dès la page 43, de son livre cité ci-dessus (Enriquez, 1992). Il s’agit de :
L’instance mythique. Elle constitue le récit fondateur dont un des enjeux majeurs est celui de l’unité, de la capacité de souder la communauté.
L’instance sociale- historique. L’instance sociale-historique est celle de l’expression de l’autorisé et de l’interdit qui découlent d’un pouvoir en place et non des hauts faits liés aux vertus supposées extraordinaires de l’instance mythique.
L’instance institutionnelle. On va découvrir ici une définition qui s’éloigne de manière significative de la définition du sens commun utilisée dans le langage professionnel habituel. Le niveau institutionnel est celui du pouvoir et de sa justification, de la production de normes et de règles dans un contexte normé d’un savoir défini comme légitime pouvant s’incarner de manière contraignante. Cette instance est aussi celle de la régulation des forces instituantes et instituées (les premières renvoyant à ce qui questionne l’ordre établi, les secondes à ce qui l’incarne et stabilise la structure).
L’instance organisationnelle (stricto sensu). C’est celle de la dimension opérationnelle de l’institution, celle qui est le support de l’action réelle, au quotidien.
L’instance groupale. Celle-ci traduit à la fois la solidarité née d’une communauté d’intérêt et la lutte concertée des individus face à ce que l’organisation attend d’eux comme conduite normée, comme finalité maîtrisée en dehors d’eux. Le groupe s’organise autour d’un projet commun, dont les racines ne sont pas que rationnelles et objet de management mais aussi de forces préconscientes ou inconscientes.
L’instance individuelle. Elle articule, de manière polarisée, des dynamiques particulièrement actives à l’échelle individuelle, en lien avec les autres instances. Enriquez distingue «l’individu totalement inséré dans le tissus social et qui, de fait, énonce seulement le discours de l’ordre social auquel il se réfère et auquel il appartient et le sujet, situé à une époque historique donnée, qui attribue à son discours et à sa conduite la fonction non de refléter le monde mais de le transformer, si mini ou si lacunaire que cette transformation puisse être» (Enriquez, 1992, p.119). On notera ici que l’internat, dans ce niveau, assume les enjeux du développement individuel non seulement des enfants qu’il accueille mais aussi des collaborateurs qui le font vivre.
L’instance pulsionnelle clôt et à la fois traverse toutes les autres instances. Opérant à partir du référentiel psychanalytique freudien (qu’il n’est pas possible d’évoquer ici de manière décente par manque de place), Enriquez y décrit notamment la danse complémentaire permanente des pulsions de vie et de mort comme « moteur » de la dynamique institutionnelle.

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Table des matières

1. Pour introduire le propos
1.1 Des mots pour situer des premiers enjeux
2. L’évolution d’une organisation qui offre de l’éducation, de la pédagogie et des prestations thérapeutiques et celle de son contexte pédagogique
2.1 L’héritage du 19ème siècle
2.2 L’ancienne pratique des placements sans contrôle judiciaire : une culpabilité helvétique
2.3 L’internat avec école contemporain et ses bases légales et administratives
2.4 Vers une école inclusive : une évolution importante du cadre légal de l’école obligatoire et de la pédagogie spécialisée et son articulation à l’internat avec école
2.5 Quelques faits cliniques surprenants qui traduisent la problématique d’articulation entre environnement socio-éducatif et enjeux scolaires
3. L’inclusion à l’épreuve des enfants qui présentent des “troubles du comportement”
3.1 L’enjeu de l’inclusion de « tous » les élèves : aux marges du projet inclusif Page
3.2 Le traitement des « troubles du comportement » à l’articulation du champ scolaire et du champ socio-éducatif
3.3 Les “troubles du comportement” ne relèvent que marginalement de la pédopsychiatrie
3.4 Une définition en cours de pénalisation ?
3.5 Les troubles du comportement : proposition de définition « clinique »
3.6 L’impact des troubles du comportement sur les instances de l’organisation
4 La montée en charge de l’orientation inclusive
4.1 L’impact des références pédagogiques sur l’internat avec école
4.2 Un discours inclusif et parfois… des pratiques d’exclusion ?
4.3 L’école inclusive peut-elle penser ses limites ?
4.4 L’internat avec école : un lieu appelé à disparaître ?
5 De la concentration de familles désaffiliées dans l’internat avec école à l’idéalisation de la mission de l’école obligatoire : une réalité difficile à aborder
5.1. Le placement comme mise en lumière d’une désaffiliation en cours : l’exemple de la population parentale de l’internat avec école de Serix
5.2 L’école pour construire une société plus juste ? une mission idéalisée à l’épreuve du processus de désaffiliation
6 Désaffiliation et maltraitance face à l’horizon politique du projet inclusif 
6.1 L’enjeu des troubles du comportement : qui prend quelles responsabilités à quel moment ?
6.2 L’enfant « en danger dans son développement » placé dans un internat avec école perd-il ses droits à une scolarité complète ?
7 L’internat avec école face aux troubles du comportement ; à la relégation scolaire ; et à la désaffiliation familiale: aux limites d’une construction professionnelle gagnante pour l’enfant et sa famille
Conclusion : Vers des préconisations opérationnelles

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