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L’élément légal de la dissolution judiciaire pour justes motifs
La loi dispose comme suit : « La société prend fin (…) par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal de commerce à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés empêchant le fonctionnement normal de la société » (Article 213, 5 de la loi n° 2003-036)7. De cette disposition, de nombreuses questions qui méritent des explications sont apparues. D’abord, l’utilisation par le législateur de l’adverbe « notamment » (Section 1) sous entend forcément que l’inexécution de ses obligations par un associé et la mésentente entre associés ne sont que des exemples parmi d’autres justes motifs. Ensuite, l’inexécution par un associé de quelles obligations peuvent conduire à la dissolution judiciaire pour justes motifs ? (Section 2) ; enfin, quand la loi dit « inexécution ou mésentente entrainant la paralysie du fonctionnement de la société », de quelle paralysie s’agit-il si la société est encore pérenne, si elle est encore financièrement saine ? (Section 3)
L’utilisation controversée de l’adverbe « notamment » par le législateur
L’emploi de l’adverbe « notamment » sous-entend l’existence d’autres justes motifs de dissolution (§1). Il faut remarquer que les deux justes motifs légaux peuvent avoir un lien entre eux (§2).
L’existence d’autres justes motifs
L’adverbe « notamment » est un adverbe fréquemment usé dans le quotidien. Il n’est pas indispensable de rechercher sa définition dans des dictionnaires très récents et notoires. En effet, « notamment » veut dire tout simplement : spécialement, entre autres.8 Ce qui veut dire que les deux justes motifs légaux de dissolution ne sont que des exemples. L’énumération de l’article 213,5 de la loi n° 2003-036 n’est donc pas limitative. Il est donc impertinent de dire que les justes motifs de dissolution d’une société sont l’inexécution de ses obligations par un associé et la mésentente entre associés. Ce qui fait naître une autre question : si ce ne sont pas les seuls justes motifs de dissolution, alors quels sont les autres ? La jurisprudence et la doctrine a eu la sagesse de ne pas spéculer là-dessus. Néanmoins, on peut dire sans doute que constitue un juste motif de dissolution un événement caractérisé par la perte de l’affectio societatis et entraînant la paralysie du fonctionnement de la société, deux conditions posées respectivement par la jurisprudence et le législateur. C’est pour ça que les tribunaux considèrent parfois que l’abus de majorité peut être un juste motif de dissolution. 9
La perte de l’affectio societatis pourrait-elle être assimilée à un juste motif de dissolution ? La réponse logique serait l’affirmative puisque l’affectio societatis fait partie des quatre éléments constitutifs d’un contrat société.10 Et quand un de ses éléments lui manque, le contrat de société devrait disparaître. Cependant, la perte de l’affectio societatis, à elle seule, n’est pas un juste motif de dissolution sauf si celle-ci a conduit l’associé vers une inexécution de ses obligations ou a conduit les associés vers une zizanie entrainant une paralysie du fonctionnement de la société. On aboutit là, en effet, aux critères généraux conférés à tout juste motif de dissolution. On ne peut concevoir que le fait de n’avoir plus l’envie d’être en société puisse constituer à lui seul un juste motif de dissolution. La perte de l’affectio societatis n’est donc pas un juste motif de dissolution sauf si celle-ci ne permet plus à la société de survivre.11
L’impossibilité de poursuivre l’activité sociale pour perte d’un élément majeur du patrimoine social comme la perte de financement nécessaire à la réalisation de l’objet social serait-elle de nature à justifier une dissolution pour justes motifs si la situation de la société était gravement compromise.12 Or, cette impossibilité n’est autre que l’extinction de l’objet social. Et l’extinction de l’objet entraîne une dissolution de plein droit (article 213 al 2 de la loi n°2003-036 précitée) et non une dissolution pour justes motifs.
Par contre, la dissolution judiciaire est préférée à la dissolution de plein droit quand la difficulté de poursuivre l’exploitation sociale est assez grave pour mettre en péril les intérêts de la société. La jurisprudence illustre cette idée en trouvant un motif de dissolution dans le fait que l’objet de la société devient partiellement illicite, le fonds social est réduit à un chiffre insignifiant, l’exploitation apparaît comme étant commercialement déficitaire pour toujours.13
L’hypothèse dans laquelle la société n’a plus intérêt à poursuivre son activité du fait de la forte concurrence à laquelle elle s’expose peut être aussi considérée comme un juste motif de dissolution.14 Cela rejoint l’idée d’un juste motif de dissolution dans le fait que la société n’est plus économiquement viable.15 Il en est ainsi lorsque les pertes s’accumulent sans espoir de retour à meilleure fortune.16
Le lien étroit entre les justes motifs
Une société peut être dissoute dans la situation où on retrouve à la fois une inexécution d’une obligation par un associé et une mésentente entre les associés. Cela ne revient nullement à dire que ces deux justes motifs légaux sont cumulatifs. Seulement, l’existence de l’un peut servir de cause à la naissance de l’autre et inversement. En effet, c’est ce qui est souvent le cas en jurisprudence. Tel est le cas aussi quand la perte de l’affectio societatis chez un associé entraine celui-ci à arrêter d’exécuter ses obligations qui entraîne, à son tour, une grave mésentente entre les associés. Inversement, tel est aussi le cas quand la zizanie et l’impossibilité pour les associés de s’entendre ont conduit quelques uns d’entre eux à se désintéresser totalement des affaires sociales et à cesser d’exécuter leurs obligations. On a ici une sorte d’effet domino entre les justes motifs de dissolution. Il peut y avoir une interférence entre les justes motifs. Quoiqu’il en soit, la gravité de la situation, définie par le mauvais fonctionnement de l’entreprise sociale, apparaît comme le seul dénominateur commun des justes motifs de dissolution (inexécution des ses obligations par un associé, mésentente entre associés ou autres) admis par la jurisprudence.17
L’inexécution par un associé de ses obligations dans la société
Ce premier motif peut être assimilé à l’application au contrat de société de l’article 1184 du Code civil sur la résolution des contrats pour inexécution. (§1) Mais il faut préciser que l’inexécution de ses obligations par un associé (§2) n’est pas toujours volontaire (§3).
La justification avancée par l’article 1184 du Code civil
En effet, la société est un contrat faisant naître à toutes les parties des obligations. Dans un contrat synallagmatique, quand une partie n’exécute pas son obligation, l’autre a une option : poursuivre l’exécution forcée ou demander la résolution du contrat, avec en sus des dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui a causée l’inexécution. En fait, dans un contrat synallagmatique, l’obligation à la charge de l’une des parties sert de cause à l’obligation à la charge de l’autre (c’est la cause de l’obligation, la cause objective). Tant que l’une des parties, dans un contrat synallagmatique, n’exécute pas son obligation, l’obligation de l’autre reste dépourvue de cause. Cette dernière peut ainsi se retenir d’exécuter son obligation (exception d’inexécution) ou, quand elle l’a déjà exécutée, poursuivre l’exécution forcée ou demander la résolution du contrat (résolution du contrat pour inexécution). Comme dans la dissolution judiciaire, cette résolution revêt en principe un caractère judiciaire : le juge vérifie que l’importance de l’inexécution justifie le prononcé d’une telle mesure.18 Cette solution est appliquée dans les contrats synallagmatiques comme on vient de le voir. Seulement, peut-on l’étendre à d’autres contrats non synallagmatiques comme le contrat de société ? La doctrine répond par l’affirmatif. Ainsi, la résolution du contrat pour inexécution peut jouer aussi dans d’autres contrats qui ne sont pas synallagmatiques.19 Donc, elle peut jouer dans un contrat de société qui n’est pas un contrat synallagmatique. Si on admet que le juge vérifie si l’importance de l’inexécution justifie le prononcé d’une telle mesure, a contrario, on admet alors que toute inexécution d’une obligation par un associé n’est pas susceptible d’entrainer la dissolution pour justes motifs.
Les autres obligations
L’associé peut encore avoir plusieurs obligations dont l’inexécution peut conduire à la dissolution. Il est possible que les statuts lui aient imposé des obligations particulières qu’il n’est pas / plus en mesure d’exécuter.22 Il existe d’autres obligations pécuniaires autres que celle qui consiste à faire des apports qui incombent généralement aux associés. À titre illustratif, chaque associé a l’obligation de se conformer aux statuts, de contribuer aux pertes, de répondre au passif social ou de participer au paiement des dettes. À côté de ces obligations pécuniaires, les associés ont ou peuvent avoir des obligations personnelles telles que la réalisation de certain travail, l’obligation de non concurrence, l’obligation d’avoir la capacité requise pour contracter et de donner un consentement sincère et intègre.
Les inexécutions non intentionnelles
Quand on lit les ouvrages et les manuels sur la dissolution judiciaire pour inexécution de ses obligations par un associé, on a toujours tendance à croire que l’associé qui n’a pas exécuté ses obligations a commis une faute, que l’associé a délibérément failli à ses obligations. En effet, la jurisprudence et la doctrine affirment dans certains cas que le demandeur ne doit pas être lui-même à l’origine du trouble social23 ou que lorsque les dissentiments allégués sont imputables uniquement à l’associé demandeur, la demande en dissolution doit être rejetée. 24
Cependant, Jean François BARBIERI dit que le texte légal vise l’inexécution des obligations qui ressort soit d’une faute (manquement à ses engagements commis par un associé) soit d’un empêchement ou cas fortuit (comme dans la disposition de l’article 1871 de l’ancien Code civil : « infirmité habituelle » rendant un associé « inhabile aux affaires »)25. Cette inexécution involontaire pose cependant un autre problème, celui de savoir qui, dans ce cas, a perdu son affectio societatis : l’associé atteint d’une infirmité ou les autres associés qui pensent que la société est vouée à l’échec suite à l’infirmité permanente atteignant son seul associé chimiste dont l’apport en industrie est indispensable pour le fonctionnement de la société qui est un laboratoire pharmaceutique par exemple.
Pour éviter la gêne causée par un tel problème, la jurisprudence autorise les juges à constater la dissolution sans pouvoir déterminer à qui imputer la cause26, donc sans être obliger de déterminer qui a perdu son affectio societatis, qui est fautif.
Quelle paralysie ?
La signification de la paralysie (§2), condition essentielle (§1) mais pas sine qua non (§3) de la dissolution judiciaire n’est pas facile à cerner.
Paralysie : condition essentielle
On sait pertinemment bien que les idées dans une société sont vouées à être opposées. C’est pourquoi, on y trouve cette subdivision entre majorité et minorité. Mais cette divergence d’idées, cette mésentente, cette mésintelligence quand est-ce qu’elle peut être retenue pour prononcer la dissolution judiciaire pour justes motifs ? Merle apporte une réponse à cette question en disant qu’on peut invoquer la mésentente entre associé quand la zizanie s’installe entre associés ou quand un minoritaire qui veut quitter la société ne trouve pas d’acquéreur ou quand les majoritaires ne lui offrent pas de prix de sortie suffisamment élevé, on peut invoquer la mésentente entre associés.27 En résumé, la mésentente doit paralyser durablement le fonctionnement de la société.28 D’où l’accession de la paralysie du fonctionnement social au rang de condition essentielle à l’existence d’un juste motif de dissolution. Mais à quel moment peut-on dire qu’il y a paralysie du fonctionnement de la société ?
Paralysie : signification
La dissolution judiciaire pour justes motifs doit être distinguée de la liquidation judiciaire qu’on trouve dans les procédures collectives d’apurement du passif. Dans la première, on peut avoir une société financièrement pérenne alors que dans la seconde, on a une société en cessation des paiements. Subsiste alors une question : si la société est financièrement sereine, de quelle paralysie parle alors l’article 213,5 de la loi n° 2003- 036 ? On n’a pas une réponse carrée à cette question. Cependant, doctrine et jurisprudence ne manquent pas de citer des exemples de paralysie. Ainsi, il y a paralysie quand une société ne remplit plus son rôle économique, sans qu’il y ait pour autant extinction de l’objet29, quand il existe un conflit irréductible entre les deux seuls associés sur la désignation d’un directeur de laboratoire indispensable au fonctionnement de la société30, quand il existe des divergences fondamentales, quant à la politique d’investissement, entre l’associé commandité seul gérant d’une S.C.A. et les actionnaires commanditaires et l’échec des tentatives de mettre fin à cette situation31, ou enfin quand la mésentente entre associés est patente et ancienne et que les dissensions entre eux sont suffisamment profondes et persistantes pour nuire au fonctionnement de la société.32 Ainsi, comme en médecine, la paralysie s’apparente ici comme une perte partielle ou complète de la fonction motrice, quand la société reste figée sans pouvoir faire quoi que ce soit dans le sens de l’accomplissement de l’objet social sans être encore, pour autant, en difficulté financière.
Au cas par cas, les juges recherchent si la paralysie affectant la société fait craindre pour celle-ci une menace de ruine. 33Ce n’est en effet que dans ce cas qu’elle peut conduire à une dissolution de la société en justice.
L’influence de l’affectio societatis dans la procédure de dissolution pour justes motifs
L’affectio societatis est une notion qui ne figure dans aucunes lois sur les sociétés commerciales. Elle n’a donc pas reçu de définition légale. Pourtant, les juges y accordent beaucoup d’importance surtout en situation de crise ou de doute, c’est-à-dire dans des situations pathologiques.38 Il en est ainsi quand les juges essaient de savoir si on est en présence d’un contrat de travail ou d’un contrat de société, si la société est fictive ou encore lorsqu’ils essaient de se prononcer sur un motif de dissolution de la société. Dans ce dernier cas, c’est plutôt sa disparition que les juges essaient de rechercher. Mais les questions qui subsistent sont celles de savoir pourquoi les juges sont-ils arrivés à accorder tant de crédit à cette notion – qui complique inutilement les choses39 – méconnue des textes de lois (Section 1), et particulièrement dans la procédure de dissolution judiciaire pour justes motifs, comment cette affectio societatis est-elle mise en oeuvre. (Section 2)
La mise en oeuvre de l’affectio societatis
Le problème rencontré en face de tout élément intellectuel c’est celui de savoir comment prouver son existence et sa disparition éventuelle. C’est pourquoi les juges sont amenés à tirer des conclusions à partir des faisceaux d’indices décelables de l’extérieur (§1). Une jurisprudence récente a cependant apporté un non sens juridique dans le raisonnement sur la perte de l’affectio societatis entrainant la dissolution judiciaire pour justes motifs car elle a affirmé qu’un nouvel associé qui a fait une diligence d’acquisition n’est pas obligé d’avoir l’affectio societatis (§2).
Le recours aux faisceaux d’indices dans la preuve de l’affectio societatis
Le droit romain avait déjà relevé qu’idem est non esse et non probari (n’avoir pas de droit ou ne pas pouvoir le prouver sont choses équivalentes). Et bien sûr, la charge de la preuve incombera à l’associé qui allègue la disparition de l’affectio societatis.53 L’existence ou la disparition de l’affectio societatis étant un fait, normalement, la preuve peut être apportée par tous moyens. Mais étant donné le caractère intellectuel de l’affectio societatis, la preuve des faisceaux d’indices paraît de loin être la preuve idéale pour se prononcer sur son existence ou non. Ici, on regarde ce qui est palpable, on prouve ce qui est visible pour se prononcer sur ce qui est inconnu. Le fait inconnu c’est la perte ou non de l’affectio societatis et les faits connus sont les indices que le juge voit dans le fonctionnement de la société. On prouve ces indices, on prouve l’existence ou non de l’affectio societatis. Alors, quels sont ces indices ? La loi même répond à cette question. Ainsi, il y a disparition de l’affectio societatis quand le désaccord persistant entre les associés (la mésentente) se sera substitué à la volonté de coopération qui doit régner entre eux (art. 213 de 2003-036). On peut démontrer aussi la disparition de l’affectio societatis par le fait que les associés minoritaires n’acceptent pas les décisions prises par la majorité alors que l’abus n’étant pas démontré.54 En effet, l’affectio societatis impose à l’associé mécontent d’oublier ses griefs dès lorsque le maintient de la vie sociale profite à tous.55 C’est ainsi qu’Yves Guyon parle de l’affectio societatis comme « un régulateur de la vie sociale »56D’autres signes témoignent également du défaut d’affectio societatis comme le fait de ne pas se rendre aux assemblées ; le fait de ne pas s’intéresser aux affaires sociales57 ; le fait qu’il existe des dissentiments profonds entre deux groupes d’associés possédant chacun la moitié des parts sociales de sorte que la gestion du gérant a perdu sa légitimité et qu’il est impossible de prendre des décisions collectives, et ce même que la situation économique de la société ne serait pas encore en péril 58 ; le fait qu’il existe une mésentente grave entre les associés interdisant en pratique la moindre activité sociale ainsi que des dénonciations démontrant la disparition chez les associés de la volonté de collaboration commune.59 ; et enfin, le fait qu’un associé, à l’appui d’une demande en nullité de la société, a imputé sans fondement des manoeuvres déloyales à son coassocié dans l’évaluation des apports en nature et a ainsi provoqué une mésintelligence grave, susceptible de faire obstacle au fonctionnement de la société.60 Alain Viandier n’a-t-il pas dit qu’ « affectio societatis et bonne foi ne font qu’une ».61Etant donné que l’affectio societatis sert à distinguer un associé d’un salarié, le fait qu’un associé, dans une société donnée, se place inconditionnellement sous la direction d’un autre qui le guide sans que cela n’ait été justifié par la loi de la majorité est un signe incontestable que l’affectio societatis n’y existe pas ou n’y existe plus. On prouve l’existence de lien de subordination, on prouve l’absence d’affectio societatis. Mais dans la réalité, ce n’est pas si facile que ça à cause du caractère relativement subjectif de l’affectio societatis, la recherche d’une véritable volonté d’agir comme un associé peut poser problème, et peut sembler parfois relativement aléatoire, ou plus justement laissée à la seule appréciation souveraine du juge, et donc soumise à un certain arbitraire62.
Le raisonnement à contre sens de la jurisprudence
Comme l’affectio societatis fait partie des quatre éléments spécifiques du contrat de société avec la pluralité d’associés, la mise en commun des apports et la participation aux résultats, il est évident qu’elle existerait dans chaque société parce que celle-ci ne peut être formée sans. C’est avec cette volonté d’accomplir un devoir de loyauté, entendu comme celui de ne pas porter atteinte à l’intérêt social63 que la société a pu être créée. Donc, cette volonté doit exister à la naissance et tout au long de la vie de la société. Ce qui distingue l’affectio societatis du simple consentement au contrat. En effet, le consentement au contrat peut être qualifié d’instantané, puisqu’il n’intervient que ponctuellement, à la conclusion d’un contrat. Or, l’affectio societatis, elle, est exigée tout au long de l’aventure sociale. Si cette affectio societatis venait à disparaître, la dissolution serait la seule issue possible. Un élément perturbateur vient cependant troubler ce raisonnement : le sort d’une personne qui accède à la qualité d’associé en cours de vie sociale. Doit-on exiger de lui d’avoir l’affectio societatis ? La réponse la plus logique serait l’affirmative. En effet, la reconnaissance de la qualité d’associé suppose l’intention de s’associer, c’est-à-dire de collaborer avec d’autres sur un pied d’égalité.64 Ce qui semble aussi être l’ancienne position de la jurisprudence. Ainsi, dans un arrêt rendu le 14 mars 197365, le Tribunal de grande instance de Paris a estimé que l’acquisition d’actions laissait supposer une participation active, effective, à l’entreprise commune.
Cependant, une jurisprudence récente opte pour le contraire et affirme qu’il n’est pas obligatoire qu’une personne qui fait une diligence d’acquisition pour accéder à la qualité d’associé ait l’affectio societatis, « l’affectio societatis n’est pas une condition de validité d’une cession de droits sociaux ».66 Ce qui semble être dépourvu de sens car d’une part, on exige des associés ayant participé à la constitution de la société qu’ils aient l’affectio societatis au moment de cette constitution et tout au long de la vie sociale, et d’autre part, on n’exige pas du nouvel associé qu’il soit animé par l’affectio societatis. Cela n’entrainerait-t-il pas une rupture d’égalité entre les associés et un désintéressement à l’exploitation sociale du nouvel associé qui ne fait qu’attendre le partage de bénéfice. En fait, cette décision n’est pas tellement si surprenante que ça en ce sens qu’une tendance vers la suppression de l’affectio societatis en tant qu’élément constitutif du contrat de société se fait ressentir en doctrine. En effet, Claude BAILLY-MASSON admet que la validité d’une société est subordonnée à l’existence d’un élément psychologique : l’affectio societatis. Cependant, il suggère que cette dernière ne devrait plus être considérée comme un élément constitutif de la société, mais que seules les formalités imposées explicitement par la loi devraient être nécessaires pour prouver son existence.
Les inconvénients d’une dissolution judiciaire
Plusieurs personnes sont intéressées à l’aventure sociale et ont, d’une façon ou d’une autre, intérêt à ce que la société survive : les associés, les salariés, les créanciers et même l’État. C’est pourquoi, il faut appréhender les conséquences de la dissolution à l’égard des personnes qui ont intérêt à ce que la société reste en vie (Chapitre I). Mais de manière globale, la dissolution de la société aurait sûrement une répercussion qui toucherait même les personnes qui n’ont pas un intérêt direct à la survie de la société (Chapitre II).
Conséquences de la dissolution vis-à-vis des personnes intéressées à la société
On va envisager ces conséquences du point de vue des associés et des créanciers sociaux (Section 1). La situation des salariés de la société mérite une analyse à part entière (Section 2).
La liquidation entre les associés et risque d’insolvabilité de la société
La dissolution de la société entraîne généralement sa liquidation68 (article 35 de la loi n° 2001-026 du 03 septembre 2004 sur le contrat de société et la société civile) entre les associés étant donné que cette dissolution n’a d’effet à l’égard des tiers qu’à partir de sa publication. La liquidation ouvre droit au partage du reste de l’actif entre les associés (§2) après que ceux-ci ont désintéressé totalement les créanciers (§1).
Le paiement des créanciers sociaux durant la liquidation
Le paiement des créanciers sociaux est mis au premier rang par la loi dans l’ordre des opérations à effectuer dans le cadre d’une liquidation. En effet, l’article 217 de la loi n°2003-036 sur les sociétés commerciales définie la liquidation comme étant l’ensemble des opérations consistant, après règlement du passif sur les éléments de l’actif, à convertir ces éléments en argent de manière à ce que le partage puisse être effectué. Les modalités
68 Sauf fusion ou scission auxquels cas il n’y a pas liquidation après la dissolution de la société absorbée mais transmission universelle de son patrimoine vers la société absorbante ou nouvelle et sauf dissolution à la suite de la réunion de toutes les parts ou actions en une seule main (art 32 de la loi n° 2001-026 du 03 septembre 2004 sur le contrat de société et la société civile). de règlement du passif (A) ne font pas l’objet de problèmes que quand l’actif ne suffit plus pour ce règlement (B).
Les modalités de règlement du passif
Il n’y a pas, comme en matière de « faillites », une procédure d’apurement collectif du passif. Le liquidateur paie les créanciers sociaux au fur et à mesure qu’ils se présentent, à moins qu’il ne soit amené à déposer le bilan de la société ou que la liquidation ou le redressement judiciaire ne soit prononcé. Les créanciers peuvent opposer au liquidateur la compensation entre leur dette et leur créance.69 Les créanciers à terme ne peuvent pas exiger un paiement immédiat, sauf convention contraire ou application de l’article 1188 du Code civil (débiteur ayant diminué par son fait les sûretés qu’il avait données à son créancier). En pratique, avant de commencer les paiements, les liquidateurs préfèrent dresser un état liquidatif afin de faire apparaître le passif privilégié, le passif chirographaire et les éventuels prêts participatifs qui seront remboursés en dernier. Afin de régler le passif, le liquidateur peut être conduit à réaliser l’actif par des ventes. Les problèmes se présentent quand le passif ne peut être entièrement réglé sur l’actif social.
Quand l’actif social est insuffisant pour régler le passif
C’est à ce moment là que la dissolution judiciaire pour justes motifs peut être néfaste pour les créanciers sociaux et qu’on peut dire que la dissolution judiciaire est dangereuse pour les associés. En effet, si le passif ne peut être entièrement réglé sur l’actif social, les créanciers sociaux vont pouvoir poursuivre personnellement les associés.70 C’est sans doute la conséquence du principe selon lequel les associés contribuent aux pertes dans les conditions prévues par la loi (article 1 de 2003-036 préc). Mais dans ce cas, un risque est encouru par les créanciers sociaux, celui de ne pas être payés au pire et aux mieux, celui de ne recevoir satisfaction que partiellement.
Les effets de la dissolution à l’égard des salariés de la société
Les salariés de la société sont les personnes liées à elle par des contrats de travail et placées sous sa subordination (article 2 du Code du travail). Voyons d’abord le poids des entreprises dans la situation de l’emploi à Madagascar (§1). Une action en dissolution est si dangereuse qu’elle peut entraîner la disparition d’une entité économique et par là même la perte par les salariés de leurs emplois, or, l’intérêt social recouvre aussi celui des salariés (§2).
Les entreprises et l’emploi à Madagascar
Le nombre et le développement des entreprises ont sans doute un impact considérable sur la situation de l’emploi dans un pays donné. C’est la conséquence de la loi de l’offre et de la demande, l’entreprise étant un offreur d’emploi et les personnes qui cherchent du travail sont les demandeurs d’emploi. Plus il y a d’entreprises, plus il y a d’emplois et moins il y aura de chômages. Le mauvais environnement de l’entreprise à Madagascar est la cause de son difficulté d’épanouissement selon les opérateurs.
Selon une étude récente de l’Institut national de la statistique (INSTAT), les PME (entreprises individuelles et sociétés commerciales qui emploient 10 à 500 salariés) absorbent 90% des emplois à Madagascar. « Malgré un poids économique faible de 25% du PIB, les PME sont des entreprises pourvoyeuses d’emplois, qu’elles soient formelles ou informelles », a expliqué Andrianavalomanana Razafiarison, vice-président du groupement des opérateurs malgaches (Fivmpama)74. A Madagascar, les entreprises, en société ou individuelles, sont généralement membres soit du GEM (groupement des entreprises de Madagascar) soit du SIM (syndicat des industries de Madagascar) soit des deux à la fois. Sur la base d’une étude effectuée par l’INSTAT, les entreprises membres du GEM contribuent à 41% des emplois formels, 44% de la masse salariale et 47% des cotisations sociales. Par ailleurs, les entreprises membres du Syndicat des industries de Madagascar (SIM), en tant que secteur formel, ont participé de manière correcte à la création d’emploi dont 41.029 emplois directs, ce qui représente 8% de l’emploi formel et 21% de l’emploi offert par le secteur industriel.
Ces quelques statistiques attestent de la place importante que tiennent les entreprises dans le secteur de l’emploi. C’est pourquoi le sort d’une entreprise intéresse sûrement ses salariés qui s’y développent personnellement et professionnellement, ses salariés déjà en place et aussi les éventuels salariés futurs qui voient dans la société une opportunité.
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Table des matières
Partie I. LES DANGERS DE LA DISSOLUTION D’UNE SOCIÉTÉ FINANCIÈREMENT PÉRENNE
TITRE I. Approfondissement de la dissolution judiciaire pour justes motifs
Chapitre I. L’élément légal de la dissolution judiciaire pour justes motifs
Section 1- L’utilisation controversée de l’adverbe « notamment » par le législateur
§1- L’existence d’autres justes motifs
§2- Le lien étroit entre les justes motifs
Section 2- L’inexécution par un associé de ses obligations dans la société
§1- La justification avancée par l’article 1184 du Code civil
§2- Les obligations de chaque associé dans la société
A- Le s apports
– Les autres obligations
§3- Les inexécutions non intentionnelles
Section 3- Quelle paralysie ?
§1- Paralysie : condition essentielle
§2- Paralysie : signification
§3- Paralysie : pas indispensable
Chapitre II. L’influence de l’ « affectio societatis » dans la procédure de dissolution pour justes motifs
Section 1- L’intérêt pratique de l’ « affectio societatis » dans la procédure de dissolution judiciaire pour justes motifs
§1- Historique de la notion d’ « affectio societatis »
§2- Les différentes facettes de l’« affectio societatis »
Section 2- La mise en oeuvre de l’ « affectio societatis »
§1- Le recours aux faisceaux d’indices dans la preuve de l’ « affectio societatis »
§2- Le raisonnement à contre sens de la jurisprudence
TITRE II. Les inconvénients de la dissolution judiciaire pour justes motifs
Chapitre I. Conséquences d’une dissolution vis-à-vis des personnes intéressées à la société
Section 1- La liquidation entre les associés et risque d’insolvabilité de la société
§1- Le paiement des créanciers sociaux durant la liquidation
– Les modalités de règlement du passif
– Quand l’actif social est insuffisant pour régler le passif
§2- Le partage entre les associés de l’actif net subsistant
– Quand la société est in bonis
Quand la société a subi des pertes
Section 2- Les effets de la dissolution à l’égard des salariés de la société
§1- Les entreprises et l’emploi à Madagascar
§2- L’intérêt social : intérêt des salariés
Position du principe
Conséquences du principe
Chapitre II- Les victimes par ricochet de la dissolution
Section 1- L’impact économique d’une dissolution judiciaire de la société
§1- Le rôle économique de l’entreprise
§2- L’impact d’une disparition d’une entreprise sur la concurrence
Section 2- Les partenaires économiques de la société
§1- L’impact d’une disparition d’une entreprise sur le groupe dont elle était membre
§2- Mort d’une entreprise : perte pour les établissements de crédit
Partie II. LES AUTRES MOYENS PERMETTANT LE RETOUR À UNE VIE SOCIALE NORMALE
TITRE I. Les alternatives à la dissolution judiciaire pour justes motifs
Chapitre I. Les moyens préventifs de la dissolution judiciaire pour justes motifs
Section I- Les astuces du Droit des sociétés
§1- Le caractère d’ordre public de l’action en dissolution
§2- Les principaux mécanismes conventionnels et statutaires de prévention de la dissolution judiciaire pour justes motifs
Les MARL au service de la société
L’arbitrage
La médiation
Les conventions sur le vote ou pactes de votation
Les conventions de vote
La limitation statutaire du droit de vote
Les options réciproques d’achat ou de vente d’actions
L’aspect théorique des options d’achat ou de vente d’actions
a)- Option d’achat d’actions
b)- Option de vente d’actions
L’intérêt pratique de ces options dans la prévention de la dissolution judiciaire
Section II- Moyens issus des mécanismes qu’on voit dans les groupes des sociétés
§1- La fusion
§2- L’intervention de la société mère pour sauver sa filiale
Chapitre II. Les moyens curatifs de la dissolution judiciaire pour justes motifs.
Section 1 – L’examen par le juge des motifs invoqués
§1- Le pouvoir du juge dans l’appréciation du motif invoqué
§2- Le pouvoir du juge de recourir à un expert
Section 2 – Les solutions alternatives que le juge peut proposer
§1- L’administrateur provisoire
§2- L’expert de gestion
§3- La mise sous séquestre de titres
§4- L’exclusion de l’associé fautif
§5- La faculté de retrait et le rachat des parts de l’associé dissident
§6- La régularisation
§7- La sanction de l’abus par le juge
A- L’abus de majorité
B- L’abus de minorité
C- L’abus d’égalité
TITRE II. L’utilité dans certains cas d’une dissolution judiciaire
Chapitre I. Les situations vraiment irrémédiables
Section 1 – Quand la dissolution parait la seule issue possible
§1- La disparition totale de l’affectio societatis
§2- Quand tous les autres modes de résolution de conflit ont échoué
Section 2 – On ne peut pas être prisonnier de nos propres titres
§1- Le principe de la prohibition de l’engagement perpétuel
§2- Un associé doit pouvoir à tout moment quitter la société
Chapitre II. État actuel de la dissolution judiciaire pour justes motifs
Section 1- Les sociétés susceptibles de dissolution pour justes motifs
§1- Les sociétés de personnes
§2- Les sociétés à responsabilité limitée
§3- Les sociétés de capitaux
§4- Les sociétés non immatriculées
§5- Les GIE
Section 2- Les évolutions du régime de l’action en dissolution
§1- Quand la situation économique de la société est altérée : dissolution
§2- Chambre commerciale de la Cour de cassation française : 16/09/2014
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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