L’institutionnalisation de Réserves Naturelles de France (RNF)

L’institutionnalisation de Réserves Naturelles de France (RNF)

Des approches ségrégatives aux approches intégratives

 La CDB définit une aire protégée comme « toute zone géographiquement délimitée qui est désignée ou réglementée et gérée en vue d’atteindre des objectifs spécifiques de conservation ». Pour l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), une aire protégée est depuis 2007 « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés » (Dudley 2008). Ces définitions traduisent bien la multidimensionnalité des AP. Elles reprennent trois axes essentiels : l’espace, les objectifs, et les moyens (Phillips 2004). L’espace doit être délimité, défini, et reconnu (Dudley 2008). Les objectifs se concentrent avant tout sur la conservation ; les objectifs secondaires, les objets à conserver et les moyens mobilisés sont variés et ont évolué au cours du temps. La définition des limites, de l’endroit où se situe l’AP, le choix des objectifs et des moyens pour y parvenir, tous ces éléments relèvent bien de la décision politique, plus ou moins rationnelle, et influencée par un certain nombre de variables.

   Ce triptyque espace – objectifs – moyens traduit donc le caractère hybridé des AP, à cheval entre nature menacée et construit social1, une production politique d’acteurs humains et nonhumains (Robbins 2004). Présentes antérieurement en Amérique du Nord et en Afrique (Rodary & Milian 2009), elles se sont multipliées partout dans le monde et protègent en 2012 12,7 % de la surface terrestre mondiale2 et 1,6 % du domaine océanique (Bertzky et al. 2012). La conférence de Nagoya porte ces objectifsrespectivement à 17 % et 10 % d’ici 2020, propulsant les AP en tant qu’affectation majeure de l’utilisation des terres. Considérant les scénarios d’expansion démographique mondiale, les enjeux de développement et l’importance que vont prendre les AP en termes de surface et de nombre de personnes concernées, il semble indispensable de penser ces outils non seulement dans une perspective d’intégration des problématiques de développement et de conservation (Sachs et al. 2009), mais également dans un souci de durabilité écologique, de viabilité économique et d’acceptation sociale (Firey 1960 cité par Zube & Busch 1990). Dans cette première partie, nous présentons les aires protégées à l’échelle globale et dans cette perspective multidimensionnelle de coproduction sociale et écologique. Nous considérons les enjeux de cette transition des approches ségrégatives aux approches intégratives.

Perspectives académiques

    La reconsidération des rapports homme – nature va influencer les perspectives académiques sur cette question de la conservation et des AP. Deux grandes écoles philosophiques de la conservation sont aujourd’hui identifiées par Callicott : le compositionnalisme et le fonctionnalisme (Callicott et al. 1999). Les premiers tendent à exclure l’homme, séparé par son acquisition de la culture et sa qualité de destructeur d’une nature vierge. Les seconds considèrent que l’homme fait partie de la nature, et centrent leurs travaux sur l’étude des flux, des processus et des fonctions. Callicott associe à cette seconde école des concepts de la conservation que nous assimilerons aux approches intégrées : services écosystémiques, gestion adaptative, développement durable.

   L’auteur, bien qu’il reconnaisse la complémentarité de ces deux approches, maintient toutefois une vision spatiale ségrégative, en associant les compositionnalistes à la maintenance d’îlots-réservoirs de nature, et les fonctionnalistes à une matrice habitée et exploitée. Au-delà, les approches post-intégratives proposent d’intégrer les relations d’interdépendances socioécologiques et les enjeux de la variabilité spatiotemporelle de la biodiversité (Mathevet et al. 2010b). Plus concrètement, nous notons une évolution des concepts phares et des approches en sciences écologiques.

Reconsidérer les espaces, les secteurs, les outils

   Au-delà des limites des AP, la transition vers les approches post-intégratives nous amène à reconsidérer des approches centrées sur la ségrégation spatiale et sectorielle. L’efficacité des AP à l’échelle mondiale nous amène à penser qu’elles couvrent une surface trop limitée (Simberloff & Abele 1976; Grumbine 1994). Ilsemble indispensable de penser plus largement, à l’échelle d’un territoire, un modèle de développement qui intègre les enjeux de conservation au-delà d’aires spécialisées (Rosenzweig 2003; Hansen & DeFries 2007). À l’échelle européenne, les outils se diversifient donc avec le déploiement de politiques contractuelles, intersectorielles et territoriales (Mathevet & Mauchamp 2005; Lepart & Marty 2006).

   La reconsidération de l’importance des corridors et des matrices1 soutient l’émergence de politiques fondées sur les notions de réseau et de corridors écologiques (Jongman 1995). Citons par exemple la mise en place du réseau Natura 2000 (McCauley 2008; Marty & Lepart 2009), ou encore des trames vertes et bleues (Vimal 2010; Charvolin et al. 2011; Vimal & Mathevet 2011; Vimal et al. 2012). Encore un peu plus loin sur le chemin de l’intégration, notons l’environnementalisation ou l’écologisation de certaines politiques publiques comme l’eau et l’agriculture, c’est-à-dire un décloisonnement sectoriel et l’intégration des objectifs de conservation dans des politiques autres que celles centrées sur la protection de la nature (Barraqué 1995; Thiébaut 1999; Deverre & De Sainte Marie 2008).

RN de Sixt (RN de Sixt 2001)

   La RN de Sixt est une des plus anciennes et une des plus grandes RNN de France métropolitaine. Créée en 1977, elle couvre 9 879 ha1de milieux alpins sur le massif Arve-Giffre, en Haute-Savoie. Ce massif se situe à proximité de secteurs très aménagés, urbanisés et fréquentés, entre la vallée de l’Arve au sud, où l’on trouve des stations réputées telles que Chamonix, Sallanches ou Flaine, la ville de Cluses à l’ouest, la vallée du Giffre au nord avec des villages comme Samoëns ou Sixt-fer-à-Cheval, et la frontière franco-suisse à l’est. Sur ce massif, cinq RNN protègent 15 000 hectares d’habitats d’un seul tenant : la RN de Sixt, la RNN de Passy, et les 3 RNN du massif des Aiguilles Rouges : la RNN du vallon de Bérard, la RNN de Carlaveyron et la RNNdes aiguilles rouges, un autre des sites d’étude. La RN de Sixt présente une diversité paysagère, géologique et biologique exceptionnelle du fait de sa structure constituée d’un assemblage de vallons suspendus (Sales, Commune, Anterne, Salvadon, Vogealle et Buet – Tenneverge), de son amplitude altitudinale (850 m à 3100 m), de sa taille, de ses reliefs tourmentés, de sa position biogéographique remarquable2, de ses cirques (de la Combe, du Fer-à-Cheval et des Fonts) dont jaillissent de nombreuses cascades et des multiples activités agro-sylvo-pastorales pratiquées depuis des siècles.

  On y trouve forêts, alpages, falaises, lapiaz et glaciers, les étages collinéens, montagnards, subalpins et alpins, une grande diversité d’espèces végétales et toute la faune de montagne, bouquetins (Capra ibex), chamois (Rupicapra rupicapra), tétraonidés et surtout le Gypaète barbu (Gypaetus barbatus). La RN de Sixt est aujourd’hui encore soumise à des pratiques pastorales et sylvicoles, l’exploitation des alpages à forte valeur fourragère, une forte présence humaine, et un tourisme dense du fait de la proximité des grandes stations et de deux sites touristiques à ses portes : le cirque du Fer-à-Cheval et la cascade du Rouget.

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Table des matières

Introduction générale
Introduction
1.Des approches ségrégatives aux approches intégratives
-Les aires protégées : un état des lieux
-La transition paradigmatique : des approches ségrégatives aux approches intégratives et post-intégratives
-Les limites des approches intégratives
-Par-delà manichéisme et panacées
2.Objectifs de la thèse et cadre théorique
-Notre questionnement
-Quels cadres théoriques utilisés ?
3.Plan de travail et méthodes : une étude à deux niveaux
-À l’échelle nationale : des réserves et un réseau
-À l’échelle locale : dix études de cas
Partie 1 : Analyse nationale
A) Les réserves naturelles de France : de quoi s’agit-il ?
Introduction
1.Politiques de protection de la nature en France et place des réserves naturelles
-Politiques publiques et politiques de l’environnement
-Politiques de protection de la nature et réserves naturelles
2.Les réserves naturelles : aires protégées, espaces multiples
-Les RN : objet spatial et biophysique
-La superposition des zonages
3.Les réserves naturelles : des outils réglementaires
-Cadre réglementaire : entre top-down et bottom-up
-La mission régalienne
4.Les réserves naturelles : des gestionnaires, des partenaires
-Modalités d’organisation des RN
-Activités des gestionnaires
-Partenariats
-Conclusion
B) « Sortir de sa réserve » : de l’échelle locale à la stratégie nationale
-Introduction
1.Sortir de sa réserve : quelles perceptions des gestionnaires ?
-Favoriser l’appropriation : pourquoi, comment ?
2.Des clichés protectionnistes aux discours intégrateurs : l’institutionnalisation de Réserves Naturelles de France (RNF)
-Introduction
-Méthodes
-L’institutionnalisation de RNF
-Discussion
-Conclusion
C) Expliquer les pratiques : des réserves, des hommes, des territoires
-Introduction
-Méthodes
1.Quelles pratiques des gestionnaires de réserves naturelles ? Actiotypes et profils d’accueil
-Rappel des actiotypes
-Profils d’accueil et de fréquentation
2.Quels profils et quelles attitudes des conservateurs de réserves naturelles ? Identification des psychosociotypes
-Profils socioculturels des conservateurs
-Perceptions des conservateurs de RN : entre discours commun et attitudes ségrégatives et intégratives
3.Quels profils territoriaux ?
-Comment caractériser le profil territorial ?
-Quatre grands types de profil territorial
4.Expliquer les pratiques ?
-Discussion et conclusion
Partie 2 : Études de cas
-Introduction et méthodes
-Problématique et plan de la seconde partie
-Cadres théoriques utilisés
-Sélection des études de cas
-Rappel de la méthode
A) Quelles caractéristiques des sites d’étude ?
1.Description des sites
2.À la recherche de l’exemplarité : l’intégration de quoi à quoi ?
-Systèmes de gouvernance : intégration d’intérêts variés dans la structure décisionnaire
-Appropriation locale : intégration entre projets de RN et projets territoriaux
-Dynamiques ex situ : intégration ex situ des enjeux des RN et extension de l’espace putatif ……… 2033.Qui sont les acteurs ?
B) Avantages et inconvénients perçus : entre trajectoires sociales et contexte
-Introduction et méthodes
1.Quelles externalités perçues pour les territoires ?
-Le poids des avantages et des inconvénients : l’inhérente inégalité entre territoires et entre acteurs
-Avantages et inconvénients liés aux RN : de l’argument générique à la spécificité territoriale
2.Vers des trajectoires cognitives
-Conclusion
C) Regards théoriques croisés
1.Étude selon le cadre d’analyse de la durabilité des systèmes socioécologiques
-Analyse des sous – systèmes et des variables appliqués au cas des RN
-Conclusion
2.Étude selon le cadre de la solidarité écologique
-Quelle place pour les dynamiques écologiques ?
-Conclusion
3.Étude sous l’angle de la political ecology
-Trajectoires de vie des RN et rapports de force
-Conclusion
4.Étude selon le cadre de l’analyse institutionnelle
-Agir in situ : trouver l’équilibre entre différents intérêts
-Agir ex situ : quelle légitimité et quel cadre institutionnel ?
-Conclusion
D) Discussion : vers un cadre de pensée unifié ?
-Apports des différents cas d’étude et analyse des trajectoires des sites
-Penser les RN : quels apports théoriques ?
-Conclusion générale
-Principaux résultats
-Intérêts et limites de l’étude
-Perspectives
-Littérature citée
-Liste des sigles et acronymes
-Glossaire
-Liste des figures
-Liste des tableaux
-Liste des encadrés
-Liste des annexes
-Annexes
-Résumé

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