L’industrie de l’animation japonaise aux prises avec l’image numérique

Né à Tokyo en 1951, Oshii Mamoru 押井守 est un créateur singulièrement polyvalent: il s’est adonné sur plus de quarante ans à de nombreuses disciplines au cours d’une carrière qui n’est pas encore achevée. Actif au Japon depuis la fin des années 1970, il est particulièrement implanté dans l’industrie du dessin animé et a réalisé plusieurs films pour le cinéma et des séries pour la télévision ou la vidéo. À cela il combine une activité de cinéaste en prise de vues réelles, qui est d’ailleurs devenue son activité principale depuis le milieu des années 2000. Il a aussi dirigé la production de quelques jeux vidéos et conçu une installation multimédia pour l’exposition universelle d’Aichi en 2005. S’il montre une prédilection pour l’audiovisuel, il écrit et réalise aussi des feuilletons radiophoniques, met en scène des pièces de théâtre et scénarise des mangas. Enfin, il est l’auteur de nombreux romans, nouvelles et essais.

Parmi ses différentes activités, la réalisation pour le cinéma reste certainement celle qui lui vaut la plus grande reconnaissance domestique et internationale, tant du grand public que de la critique et de ses pairs. Le philosophe et critique japonais de premier plan Azuma Hiroki 東浩紀 (1971-) souligne par exemple le rôle de précurseur de Lamu Beautiful Dreamer (Urusei yatsura tsû Byûtifuru Dorîmâ うる星やつら 2 ビューティフル・ドリーマー, 1984) dans la formation du genre dit sekai-kei セ カ イ系 qui a fleuri au Japon au début des années 2000 . Son influence sur d’autres productions cinématographiques est suggérée par le très populaire Odoru daisôsasen za mûbî tsû Reinbô burijji o fûsa seyo ! 踊る大捜査線 THE MOVIE 2 レ ンボーブリッジを封鎖せよ!(2003, Motohiro Katsuyuki 本 広 克 行 ), qui rend ouvertement hommage à Patlabor 2 (Kidô keisatsu Patoreibâ tsû za mûbî 機動警  ト レ イバー 2 the Movie, 1993) dont il reprend plusieurs éléments scénaristiques. À l’international, c’est certainement Ghost in the Shell (Gôsuto in za sheru/Kôkaku kidôtai GHOST IN THE SHELL/攻 殻機動隊 , 1995) qui a le plus marqué les esprits (et les images), comme le montrent Matrix (The Matrix, 1999, Larry et Andy – aujourd’hui Lana et Lilly – Wachowski) ou sa récente adaptation par Rupert Sanders, Ghost in the Shell (2017). Plusieurs films d’Oshii ont été diffusées ou ont concouru lors de festivals internationaux et le réalisateur a reçu en 2016 le prix Winsor McCay décerné par la branche Hollywoodienne de l’Association Internationale du Film d’Animation (ASIFA-Hollywood) en récompense de sa contribution à l’art de l’animation.

Ainsi, un approfondissement de la connaissance de son œuvre permet d’en contextualiser d’autres et participe à l’écriture de l’histoire du cinéma d’animation japonais et international. C’est pour cette raison, ainsi que pour la place centrale qu’occupe le cinéma dans sa pratique, que le présent travail de recherche se concentre spécifiquement sur l’œuvre filmique d’Oshii, une œuvre qui présente aussi en soi un grand intérêt heuristique, notamment parce qu’elle articule constamment discours théorique avec production cinématographique, et qu’elle se déploie dans le cadre d’une réflexivité permanente sur la pratique de cinéaste. L’œuvre d’Oshii pour le cinéma présente donc à la fois l’intérêt intrinsèque propre à toute création en mouvement et un intérêt plus historique, comme éclairage de l’évolution de l’image et de sa théorisation.

La carrière d’Oshii évolue au plus près de l’industrie de l’animation japonaise. Le réalisateur a par exemple travaillé sur la première série distribuée directement en vidéo, Dallos (Darosu, 1983-1984), une stratégie commerciale qui, bien que limitée dans le temps, a eu un impact considérable sur la production animée au Japon. Mais l’innovation la plus marquante et la plus durable qui ait croisé sa route est certainement le développement de techniques numériques dans la production audiovisuelle.

Problématique et corpus 

Interrogé à la sortie d’Innocence sur sa propre définition du cinéma, Oshii Mamoru commence par rejeter la notion selon laquelle le cinéma se définit par son lieu de projection. Le dispositif autrefois unique de la salle de cinéma s’est transformé avec la multiplication des supports de diffusion, et, selon lui, un film de cinéma peut être désormais mieux apprécié sur DVD à la maison que sur l’écran d’un multiplexe. Le cinéma n’est pas non plus défini par ses moyens de production ou ses régimes de représentation : une œuvre cinématographique peut être tournée avec un caméscope vidéo et la question de la prise de vues réelles ou de l’animation n’est pas pertinente.

« Ce dont je dis moi : “Ça, c’est du cinéma !”, […] c’est ce que je considère comme “ce qui est cinématographique”. Je réfléchis beaucoup à ce qui est cinématographique, c’est-à-dire à ce qui ne peut s’accomplir que par le cinéma ».

Les questions qui se posent alors face à l’image numérique sont celles de son intégration au cinéma, de sa transformation en « ce qui est cinématographique ».

La présente thèse, qui vise avant tout à éclairer l’œuvre cinématographique d’Oshii Mamoru et sa pratique en tant que réalisateur, tente ainsi de répondre à la question de la place et de la forme qu’il donne à l’image numérique. Au moment où il l’intègre massivement à sa pratique, entre 1995 et 2004, quelles formes et fonctions techniques, esthétiques et sémantiques Oshii attribue-t-il à l’image numérique et quels sont les moteurs de ces choix ?

Pour répondre à cette question, la thèse se concentre sur les productions recourant au numérique de façon importante et visible, et sur lesquelles Oshii a assuré le poste de réalisateur , ce qui permet de restreindre le corpus aux deux longs métrages Avalon et Innocence. La production de G.R.M., entre 1995 et 1998, a été formatrice pour le réalisateur et son équipe qui développent déjà des éléments théoriques et des pratiques portant sur l’utilisation du numérique, et la réponse à la problématique ne peut faire l’économie de cette période et de l’échec auquel elle a mené. Du fait de l’abandon de la production du film, il n’existe pas d’œuvre achevée à verser au corpus. Néanmoins, la production de G.R.M. a accouché de plusieurs courtes réalisations dont deux pilotes qui doivent être pris en compte dans cette étude, mais sous un angle particulier comme je l’explique plus loin. Le corpus de la thèse compte donc deux longs métrages produits pour le cinéma et deux pilotes produits dans le cadre de la production de G.R.M.

État de l’art 

Ces dix dernières années ont vu la publication en français de plusieurs études stylistiques consacrées sous forme de monographies à des cinéastes japonais contemporains, qu’ils exercent dans l’animation (Miyazaki Hayao et Takahata Isao par Stéphane Le Roux) ou dans la prise de vues réelles (Kurosawa Kiyoshi par Diane Arnaud). Ces études viennent compléter les travaux sur des réalisateurs classiques (Ozu Yasujirô par Youssef Ishagpour ou Kurosawa Akira par Charles Tesson, etc.) et mettre à jour la connaissance des créateurs de ce cinéma. C’est d’abord dans ce contexte que s’inscrit cette thèse. Oshii est un cinéaste influent dans et hors du Japon, dans et hors du monde de l’animation, et une histoire du cinéma (japonais) contemporain en français serait incomplète sans lui.

Les études consacrées à Oshii Mamoru ou à ses œuvres sont déjà nombreuses, même en nous limitant aux langues française, japonaise et anglaise. En Europe et en Amérique du Nord, les premiers textes sur le réalisateur apparaissent dans la seconde moitié des années 1990, dans le sillage du succès de Ghost in the Shell , tandis qu’au Japon, la production est plus ancienne et accompagne sa carrière au moins depuis la fin des années 1980. À ma connaissance, il existe trois biographies du réalisateur. Celle de Brian Ruh, Stray dog of anime: The films of Mamoru Oshii (2004), est organisée de manière chronologique et propose pour chaque œuvre abordée, un synopsis et une analyse, souvent attachée aux formants culturels du contenu des œuvres et à la description du style du réalisateur. La biographie de Dani Cavallaro, The cinema of Mamoru Oshii: fantasy, technology, and politics (2006), regroupe les œuvres de façon thématique et propose des interprétations de leur sous-texte. En comparaison, l’ouvrage de Julien Sévéon, Mamoru Oshii. Rêves, nostalgie et révolution (2012), également thématique, est plus axé sur le processus de création des œuvres, proposant des récits de production détaillés et rapportant les intentions du réalisateur exprimées en interview. Au Japon, le rôle informatif de ce type d’ouvrage est rempli par des recueils d’articles et d’interviews régulièrement réédités pour être mis à jour, en particulier Oshii Mamoru zenshigoto , édité par Kinema junpô キネマ旬報, la plus ancienne revue sur le cinéma au Japon (1919-), et PERSONA Oshii Mamoru no sekai , édité par le magazine spécialisé dans le dessin animé Animêju アニメージュ (1978-), qui constitue d’ailleurs une sorte d’autobiographie puisque Oshii y revient, via des interviews, sur l’ensemble de sa carrière jusqu’en 2001. Néanmoins, il n’existe pas à ma connaissance d’ouvrages monographiques en japonais couvrant tout l’œuvre du réalisateur .

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE 1 LES DÉBUTS DE L’IMAGE NUMÉRIQUE DANS LA PRODUCTION ANIMÉE JAPONAISE
CHAPITRE 1 OSHII MAMORU, UNE FILMOGRAPHIE EN SYMBIOSE AVEC LES ÉVOLUTIONS DE L’INDUSTRIE JAPONAISE DU DESSIN ANIMÉ, 1977-1995
1 1977-1984 : Recrutement et progression rapide dans un secteur en plein essor
2 1983-1993 : De Dallos à Patlabor, le développement de la vidéo
3 1995 : Ghost in the Shell et la connexion à de nouveaux publics
CHAPITRE 2 DÉVELOPPEMENT DE L’IMAGE NUMÉRIQUE AU JAPON ET CHEZ OSHII AVANT 1995
1 Apparition et développement de l’image numérique dans l’animation japonaise
1.1 Introduction ou développement ? La rencontre entre l’animation et l’informatique
1.2 La numérisation de la production
1.3 La place de l’animation 3D
2 L’image numérique dans l’œuvre d’Oshii avant 1995
2.1 Patlabor 1 (1989), l’image de synthèse dans son propre rôle
2.1.1 IKIF et Terebi Tekunika, l’image de synthèse entre art expérimental et objet de post-production
2.1.2 Effet de réel et images de synthèse
2.2 Patlabor 2 (1993), la manipulation des images
2.2.1 Omnibus Japan, animations et post-production
2.2.2 L’image informatique au cœur du propos critique du film
2.3 Ghost in the Shell (1995), au-delà du celluloïd
2.3.1 Production I.G et Omnibus Japan, l’image numérique de la préproduction à la post-production
2.3.2 Fonctions symboliques et potentiel transformateur de l’image numérique
PARTIE 2 LA PRODUCTION DE G.R.M. (1995-1998)
CHAPITRE 1 LE DIGITAL ENGINE PROJECT : BANDAI VISUAL ET LE FINANCEMENT DE L’IMAGE NUMÉRIQUE
1 Le projet ambitieux de Bandai Visual
1.1 La proposition de Bandai
1.2 Aux origines du projet : NEXT (1993-1995)
1.3 La phase de préproduction de G.R.M
2 Enjeux et réponses : la stratégie financière de Bandai Visual
2.1 Donner une visibilité au projet
2.2 La promesse d’un investissement pour l’avenir
2.2.1 La stabilité d’un modèle de production classique
2.2.2 Une ouverture sur le marché international
2.2.3 La transition numérique comme une étape inévitable
2.3 Coproduire avec les États-Unis
3 Réductions budgétaires et abandon progressif de G.R.M
CHAPITRE 2 LE DIGITAL ENGINE LABORATORY : UNE STRUCTURE POLYVALENTE POUR UNE IMAGE HYBRIDE
1 Constitution et organisation du Digital Engine Laboratory
2 Enjeux et réponses : hybrider les pratiques
2.1 Former les créateurs
2.2 Mettre au point une ligne de production
2.3 Rechercher une esthétique de l’image numérique
3 Les productions du DEL
3.1 Expériences formelles et organisationnelles
3.2 Le Pilote de G.R.M. (1996)
3.3 Patlabor The Live Action Movie (1998)
CONCLUSION GÉNÉRALE

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