L’impiété filiale dans la société marchande

La posture de Saikaku dans la préface de Vingt parangons d’impiété filiale de notre pays

Dans la deuxième sous-partie, nous avons essayé de trouver les différences entre les Vingt parangons et les ouvrages de morale populaire à travers le merveilleux. Après la comparaison entre les Vingt parangons et le Kagamigusa, on peut émettre l’hypothèse que l’auteur utilise le merveilleux pour rendre ses histoires variées et intéressantes et divertir les lecteurs.
Dans la troisième sous-partie, nous allons analyser principalement la préface de Vingt parangons afin de voir la posture de l’auteur. Voici la citation complète :
Les pousses de bambou surgies sous la neige se trouvent chez le marchand des quatre-saisons ; les carpes se trouvent dans le vivier du marchand de poisson. Exercer son métier sans forcer ses dons, sans appeler à l’aide les dieux, et du produit de son travail se procurer de quoi s’acquitter de ses devoirs filiaux, est à la portée d’un homme ordinaire. Mais cet homme ordinaire est rare, quand les scélérats sont légion. Quiconque vit ce qui s’appelle vivre, s’il ignore la voie de la piété filiale, ne saurait échapper aux rigueurs du Ciel. Des exemples, j’en ai recueillis dans toutes les provinces, d’impies qui ont étalé leurs forfaits au grand jour. Gravés sur les planches, ils serviront, je l’espère, à encourager la piété filiale.
Nous allons d’abord prêter attention aux premières phrases : « Les pousses de bambou surgies sous la neige se trouvent chez le marchand des quatre-saisons ; les carpes se trouvent dans le vivier du marchand de poisson ». On dit que l’idée de ces deux phrases vient des Vingt-quatre parangons de la piété filiale.
« Les pousses de bambou surgies sous la neige » de la première phrase sont basées sur l’anecdote du fils filial nommé Menzong 孟宗 . Dans cette histoire, Menzong va chercher des pousses de bambou dans le but de les servir à sa mère, alors que c’est l’hiver. Désespéré de ne pas pouvoir en trouver, il prie le Ciel. Impressionné par son comportement filial, le Ciel fait surgir des pousses de bambou sous la neige.
Ce miracle nous rappelle une des histoires du Kagamigusa que nous avons analysée dans la deuxième sous-partie : le fils, dont la femme met des excréments de chien dans le repas de sa belle-mère, prie le Ciel lorsqu’il remarque le comportement non filial de son épouse. A cause de la punition par le Ciel, celle-ci finit par avoir une tête de chien. Comme on l’a remarqué, c’est une action typique des enfants filiaux que de prier le Ciel dans les Vingt-quatre parangons de la piété filiale et d’autres ouvrages de morale populaire qui utilisent des histoires chinoises.
La deuxième phrase « les carpes se trouvent dans le vivier du marchand de poisson » fait allusion à une histoire de Vingt-quatre parangons de la piété filiale : le héros Wangxiang 王祥 s’allonge sur la rivière gelée tout nu afin de faire fondre la glace et de pêcher une carpe pour sa mère. Grâce au pouvoir du Ciel, la glace se casse toute seule et deux carpes apparaissent. Egalement dans l’histoire de Panshi du Kagamigusa qu’on a vue dans la sous-partie précédente, le Ciel accorde un poisson pour récompenser le comportement filial de l’héroïne. Comme ces histoires le montrent, les enfants filiaux des ouvrages de morale populaire servent avec dévouement leurs (beaux-) parents allant jusqu’à faire des choses presque infaisables.
En résumé, Saikaku utilise ici les expressions « les pousses de bambou » et « les carpes » en tant que représentation de la notion de piété filiale venue de la Chine. Quelle attitude vis-à-vis de cette notion chinoise l’auteur montre-il dans la préface ?
Citons de nouveau les phrases : « Les pousses de bambou surgies sous la neige se trouvent chez le marchand des quatre-saisons ; les carpes se trouvent dans le vivier du marchand de poisson ». C’est-à-dire : on peut acheter les pousses de bambou et les carpes dans un magasin et ce n’est donc pas la peine de prier le Ciel ni se donner autant du mal. L’auteur semble adopter une attitude critique envers les comportements filiaux excessifs dans les histoires chinoises. Egalement dans le Haïkaï ôku kazu 俳諧大句数 俳諧大句数 , recueil de ses haïkaï, de l’an quatre de l’ère Enpô 延宝 (1677), on trouve des vers qui semblent traiter de la notion de piété filiale chinoise.
On peut facilement deviner que « les pousses de bambou surgies sous la neige » font allusion à l’histoire de Menzong des Vingt-quatre parangons de la piété filiale. Concernant le deuxième vers Doko ni arô ka ? (Où sont les pousses de bambou surgies sous la neige ?), la particule ka, qui donne presque toujours un sens interrogatif à la phrase, peut exprimer une question rhétorique. On peut donc traduire cette phrase comme suit : Où sont les pousses de bambou surgies sous la neige ? Il n’y en a nulle part. On a l’impression que l’auteur critique l’aspect irrationnel de la notion de piété filiale chinoise, qui accorde une grande place au miracle ou à la grâce du Ciel.
Dans la préface, Saikaku continue comme suit :
Exercer son métier sans forcer ses dons, sans appeler à l’aide les dieux, et du produit de son travail se procurer de quoi s’acquitter de ses devoirs filiaux, est à la portée d’un homme ordinaire.
L’auteur montre des solutions plus raisonnables que celle qui consiste à prier le Ciel ou à se donner de la peine pour satisfaire les parents. Saikaku ne critique pas la piété filiale elle-même, mais remarque qu’il n’est plus besoin d’« appeler à l’aide les dieux » à l’époque de Saikaku où l’économie est en train de se développer. TERUOKA Yasutaka 暉 峻康隆 résume ainsi la cenception de la piété filiale exprimée dans la préface :
TANIWAKI souligne que les lecteurs s’attendent à trouver du rire dans les oeuvres de Saikaku, qui est auteur de L’Homme qui ne vécut que pour aimer. Quand on pense aux histoires de Vingt-quatre parangons de la piété filiale citées dans la préface, on imagine d’abord le héros qui prie le Ciel en pleurant ou souffre du froid. Pour résoudre ces problèmes, Saikaku propose une solution simple : aller au magasin. Ce décalage entre éléments tragiques et éléments réalistes ne rend-il pas ces phrases comiques ? C’est une technique de Saikaku que d’employer de manière parodique le cadre des Vingt-quatre parangons de la piété filiale pour critiquer et railler la notion de piété filiale décrite dans cette oeuvre. La parodie peut faire rire ceux qui connaissent l’oeuvre d’origine. Les Vingt-quatre parangons de la piété filiale sont si connus au 17ème siècle au Japon qu’ils sont à l’origine de plusieurs histoires de la littérature imaginaire et morale, et de pièces de jôruri pour le théâtre de poupées. On peut penser que Saikaku utilise les éléments des Vingt-quatre parangons de la piété filiale dans la préface afin d’attirer l’attention des lecteurs sur le fait que les Vingt parangons sont une parodie de cette oeuvre et de les faire rire du décalage entre les Vingt-quatre parangons de la piété filiale et les Vingt parangons dès le début.
« Dans la capitale actuelle aussi la vie est un emprunt » qu’on a examiné dans la première sous-partie est une parodie de l’histoire de l’Empereur Wu des Han 漢文帝 漢文帝 , qui goûte toujours les repas et même les médicaments avant de les servir à sa mère dans le but de vérifier s’ils ne sont pas empoisonnés. Inversant cette histoire d’un fils filial chinois, Saikaku décrit celle d’un fils non filial Sasaroku, qui essaie d’empoisonner son père et finit par avaler le poison lui-même par erreur. La scène de la tentative d’assassinat est basée sur les éléments des Vingt-quatre parangons de la piété filiale. Perdant tout l’argent emprunté, notre héros prie d’abord le Dieu de Taga :
Plus que jamais déplorant que son père fût indemne, il va en pèlerinage au sanctuaire du grand dieu de Taga en Ômi, prier pour que brève soit la vie de son père, mais sans doute s’est-il mépris, car ce dieu est un dieu de longue vie Sasaroku prie la Divinité pour que la vie de son père soit courte alors que c’est une action typique d’un enfant filial dans les Vingt-quatre parangons de la piété filiale que de prier le Ciel dans le but contraire. Saikaku renverse ici un trait des ouvrages de morale populaire pour construire l’image d’un fils impie. De plus, on ne peut pas s’empêcher de rire en remarquant l’erreur fatale du héros : il choisit une divinité de la longévité pour demander la mort de son père.

L’impiété filiale dans la société marchande

L’« homme ordinaire » dans les cités marchandes de l’ère Genroku ― établissement de la « maison-famille »

Dans la première partie, nous avons analysé les Vingt parangons du point de vue des procédés narratifs de l’auteur. Nous avons constaté que Saikaku n’était pas complètement d’accord avec la piété filiale chinoise dont les enfants prient le Ciel ou se donnent excessivement de mal pour leurs parents. Dans l’univers des ouvrages de morale populaire, les parents passent avant tout et il n’est pas possible que les enfants agissent afin de satisfaire leurs propres désirs.
A la fin de la partie précédente, nous avons posé les questions suivantes : Que signifie cette expression « homme ordinaire » (tsune no hito 常の人 ) ? Quelle notion de piété ou d’impiété filiale l’auteur-t-il montre dans la préface ou l’ensemble des textes ? Dans la deuxième partie, nous allons essayer de voir l’impiété filiale décrite dans les Vingt parangons.
Commençons par répondre à la première question : Que signifie cette expression « homme ordinaire » (tsune no hito 常 の 人 ) ? Dans la préface, l’auteur le définit comme suit :
Dans l’introduction, on a vu que les Japonais avaient adopté la notion de piété filiale chinoise basée sur le confucianisme qui met l’accent sur le devoir des enfants envers les parents eux-mêmes. Cependant, il semble que la morale pratique concernant la piété filiale qui s’est constituée dans les cités marchandes présente un caractère différent. SOMEYA résume brièvement la différence entre la piété filiale en Chine et au Japon :
La piété filiale extrêmement morale, qui vient du néoconfucianisme chinois de Zhu Xi, et la « piété filiale » dans les cités marchandes, où l’argent passe avant tout, présentent des caractères très différents.
Dans les cités marchandes du début de l’époque d’Edo, la piété filiale signifiait non seulement de s’occuper des parents avec sollicitude comme le montre le Kagamigusa mais aussi de maintenir et de faire prospérer la maison. On peut supposer que c’est cette nouvelle notion de piété filiale fondée sur la notion de « maison-famille », qui s’est constituée dans la société marchande du 17ème siècle, que Saikaku essaie de décrire dans les Vingt parangons.
L’auteur qualifie les actions non filiales de cet homme d’« histoire sans précédent », et va jusqu’à souligner son effroi en utilisant la particule exclamative ya qui marque une émotion forte du locuteur : Osorosiya, ce qui signifie « quelle horreur ! ». La dernière phrase soulignée Tsutsushimu beshi beshi peut se traduire d’une manière littérale, « il faut vraiment faire attention (à ce que cela ne se reproduise pas) ». Dans cette phrase, l’auteur répète deux fois l’auxiliaire beshi, qui signifie le devoir afin d’insister sur cette leçon. Le traducteur René Sieffert traduit ce ton sévère du narrateur en employant deux fois le point exclamatif. Pour quelles raisons l’auteur critique-t-il si fortement cet homme ? Nous allons voir concrètement les mauvaises actions de Buntazaemon.
Il s’agit d’un homme violent, qui tue une de ses soeurs de sept ans et qui inflige à sa mère des blessures qui entraînent sa paralysie. Même après avoir atteint sa majorité, il reste parasite en faisant travailler son père. En outre, il vole l’argent qu’obtient son autre soeur en se vendant dans le quartier de plaisir pour venir en aide à ses parents. Les pauvres parents n’ont plus le moyen de payer leurs dettes lors de la veille du jour de l’an. Désespérés, ils se donnent la mort et leurs cadavres finissent par devenir la proie de chiens sauvages. Pour tous ses crimes cruels, ce fils impie finit par être puni. A la fin de l’histoire, Buntazaemon est à son tour dévoré par les loups sur la route alors qu’il tente de s’en fuir vers l’est. Tout cela provoque l’extinction de la maison.
Dans l’histoire, Saikaku ne manque pas de souligner que Buntazaemon est un héritier.
A cette époque, les Japonais ont commencé à adopter le principe de la succession par ordre de primogéniture66. Les fils aînés avaient la responsabilité de succéder à leur père et de rendre la maison prospère. Malgré sa responsabilité, tout ce que fait Buntazaemon est de ruiner la maison en dépensant toute la fortune familiale, en causant la mort de ses parents. C’est sans doute pour ces raisons que ce fils impie est décrit dans l’oeuvre comme un des scélérats les plus terribles, le contraire d’un « homme ordinaire ».
Voyons ensuite deux autres exemples afin d’approfondir notre compréhension de l’impiété filiale décrite dans les Vingt parangons. On trouve en effet quelques points communs entre les deux histoires suivantes : le quatrième chapitre du premier volume « Nouveau récit divertissant pour un concours d’éloquence » (Nagusami kaete hanashi no ten tori 「慰改 て咄しの 点取」 ), histoire du fils d’un riche courtier en sel qui devient fou de concours d’éloquence, et le troisième chapitre du deuxième volume « Homme en étrange pays, bouddha de terre » (Hito wa shirenu kuni no tsuchibotoke 「人はしれぬ 国の土仏 」), histoire du fils d’un fabriquant de hameçons, Tôsuke.
Contrairement à Buntazaemon, ces deux fils marchands ne sont présentés ni comme des coquins, ni comme des fils impies au début de chacune de ces deux histoires. Tôsuke est même présenté dans un premier temps comme un fils filial67. Toutefois, dans le cours de l’histoire, tous deux quittent soudainement la maison, l’un pour se faire bonze, l’autre pour s’engager sur un bateau. Déplorant le départ de leur fils, les parents de l’un comme de l’autre meurent cinq ans plus tard.
Certes, on trouve moins d’éléments violents dans ces deux histoires que dans celle où sont évoqués les crimes de Buntazaemon. Mais, les deux personnages sont critiqués en tant que fils non filiaux pour la raison qu’ils tourmentent leurs parents en quittant la maison. Les reproches adressés au fils du courtier sont les plus sévères :

Le motif de la honte et l’argent en tant que cause de l’impiété filiale

Dans la première sous-partie, nous avons examiné l’impiété filiale décrite dans les Vingt parangons en voyant également l’arrière-plan historique de l’époque de Saikaku où l’économie monétaire renforçait l’établissement de la « maison-famille ». Nous en avons conclu que l’auteur représentait une conception de l’impiété filiale telle qu’elle s’est développée dans les cités marchandes du Japon au 17ème siècle, où l’accent est mis sur la prospérité et la pérennité de la maison. A travers trois exemples, nous avons montré que l’impiété filiale dans cet univers consistait avant tout à causer la ruine de sa maison et l’extinction du nom de famille.
Dans cette sous-partie, nous allons continuer à analyser les histoires de familles marchandes dans les Vingt parangons afin d’approfondir notre compréhension du thème de l’impiété filiale tel que l’auteur le développe dans cette oeuvre.
Voyons d’abord le quatrième chapitre du deuxième volume « Le père et ses quatre fils ou ceci est mon testament » (Oyako gonin yotte kakioki kudan no gotoshi 「親 子五人仍書置如 子五人仍書置如 子五人仍書置如 ㇾ件」 ). Il s’agit d’une histoire de querelle d’héritage d’une famille marchande, connue de toute la province pour sa fortune. Le père Toraya Zenzaemon 虎 屋善左衛門 屋善左衛門 屋善左衛門 屋善左衛門 屋善左衛門 a quatre fils : Zen.emon 善右衛門 善右衛門 善右衛門 善右衛門 , Zensuke 善助 , Zenkichi善吉 et Zenpachi 善八 . Lors de sa retraite, il cède la direction de la maison à son fils aîné Zen.emon. Lorsqu’il tombe malade, il déclare à ses fils que la famille possède en réalité seulement quelque deux mille doublons en or, mais qu’il va en inscrire quatre fois plus dans son testament pour ne pas nuire à la réputation de la maison. Après sa mort, Zensuke, Zenkichi et Zenpachi, qui doutent de ce que leur père avait confié concernant la fortune de la famille et sont jaloux de l’héritier principal Zen.emon, demandent à leur grand frère de leur donner deux mille doublons chacun en part d’héritage. Zen.emon, ne pouvant accéder à cette exigence impossible, se suicide sur la tombe des parents. Apprenant la vérité dans un rêve, la femme de Zen.emon venge de son mari. Après cela, Zentarô 善太 郎, fils de Zen.emon, recueille l’héritage.
Par ailleurs, la maison Toraya, reprise par Zentarô, fils du frère aîné, continue à exister même après la mort des quatre fils. Il s’agit d’une grande différence avec les histoires précédentes dans lesquelles la maison des héros finit par être ruinée à cause de leur comportement non filial. Alors, qu’est-ce qu’est exactement l’impiété filiale décrite dans cette histoire ? Pourquoi la maison Toraya peut-elle continuer à exister ?
La plus grande peur de Zenzaemon est d’avoir une mauvaise « réputation dans la société » (yo no kikoe 世の聞え ou gaibun 外聞 ). Il déforme même le montant de la fortune de la maison dans son testament, ce qui provoque plus tard une querelle de succession entre ses fils. Voici le discours qu’il tient à ses fils avant de mourir.

L’intervention de la société

Dans cette partie, nous essaierons de saisir la piété et l’impiété filiales décrites dans les Vingt parangons. Dans les sous-parties 1 et 2, nous avons remarqué que les histoires d’impiété filiale des Vingt parangons avaient presque toutes pour cadre la famille marchande. A cette époque, les marchands ont gagné petit à petit une certaine indépendance dans l’organisation de leur vie et ont commencé à élaborer une morale pratique qui accorde une grande importance à la prospérité de la maison. Comme nous l’avons vu jusque-là, cette morale marchande est différente de la valeur de piété filiale véhiculée par les ouvrages de morale confucéenne. SOMEYA constate l’attitude de l’auteur qui observe flegmatiquement ce décalage :
C’est l’attitude de Saikaku qui essaie d’examiner à fond le décalage entre la piété filiale confucéenne venue de la Chine, d’une part, et la piété filiale ou la conception de la famille qu’on trouve en particulier chez les marchands ou les habitants des quartiers marchands au Japon.
Dans les cités marchandes, l’expression un « homme ordinaire » (tsune no hito) semble désigner celui qui exerce son propre métier et maintient le nom de famille sans distinction de richesse. Au contraire de l’« homme ordinaire », les enfants impies sont ceux qui commettent de mauvaises actions qui peuvent causer la ruine de leur maison.
Dans la société marchande telle que la décrit Saikaku dans les Vingt parangons, la maison est intégrée dans la société et subit la contrainte de la communauté. Un marchand vit inévitablement au milieu des gens et ne cesse d’être l’objet de leur jugement. Quiconque commet une action qui contrevient aux valeurs de la société, devient aussitôt objet de critique. Dans les Vingt parangons, les enfants impies sont souvent retranchés de la société. Par exemple, dans le deuxième chapitre du quatrième volume « De la pointe du pinceau tracé sur l’appuie-tête » (Makura ni nokosu fude no saki 「枕 に残す筆の 先」 ), le héros et sa femme impies finissent par se donner mutuellement la mort parce que les gens rompent toute relation avec eux. Il est également possible qu’une maison finisse par être ruinée à cause de sa mauvaise réputation, comme on l’a vu dans l’analyse de l’histoire de querelle d’héritage. Certes, on trouve des enfants non filiaux qui subissent la punition céleste dans les Vingt parangons, mais la société se substitue souvent au Ciel.
Dans les cités marchandes, telle que les décrit Saikaku, où l’opinion sociale joue un premier plan, les notions de piété et d’impiété filiales pouvaient fluctuer au gré des demandes de la société. Lorsque la cinquième fille O.Tome arrive à l’âge de se marier, les parents lui conseillent de se faire nonne au contraire du cas d’O.Fuyu97 . MINOWA Yoshitsugu 箕輪吉次 signale la contradiction des parents Dans cette histoire, les parents de cinq filles ont interdit à leur quatrième fille O.Fuyu de se faire nonne en considérant cela comme un acte d’impiété filiale tandis qu’ils y ont encouragé leur cinquième fille O.Tome. Ici aussi on peut signaler la diversité de la piété filiale : une action peut être à la fois filiale ou non filiale selon les circonstances. En outre, ce qu’on peut remarquer en considérant un tel enchaînement d’événements, c’est que cette histoire nous parle de la faute des parents qui sont prisonniers de l’opinion sociale et prennent des décisions en se fondant sur une notion unidimensionnelle de la piété filiale.
Comme le montre cet exemple, les Vingt parangons représentent une notion de piété filiale à la fois rigide et arbitraire. Certes, O.Tome se rend coupable de vol à main armée sur la maison de ses parents. Toutefois, peut-on dire qu’il soit impie de sa part de refuser la recommandation de ses parents qui lui imposent de devenir nonne ? O.Tome quitte la maison en revendiquant le droit de se marier, mais avec le souci d’épargner ses parents, au cas où elle serait frappée de la même malédiction que ses soeurs.
Les gens doivent considérer O.Tome comme une fille impie, qui ne respecte pas la volonté de ses parents et les tourmente. Cependant, elle aurait pu être une fille filiale si elle avait été à la place de ses soeurs. On peut même la considérer comme une victime de la conduite déraisonnable de ses parents. Mise au ban de la société, elle est obligée de s’abaisser jusqu’à vivre de rapines.
Comme on l’a vu, on peut donc trouver dans les Vingt parangons des personnages qui, ne pouvant pas vivre comme la société l’attend d’eux, se trouvent de ce fait exclus de leur communauté.
En somme, à travers cette oeuvre, Saikaku présente aux lecteurs la nouvelle morale des cités marchandes, centrée sur la prospérité de la maison. Les Vingt parangons sont la première oeuvre de Saikaku à aborder le sujet de la « maison-famille » et qui décrit principalement la vie dans les cités marchandes. Pour autant, ce n’est pas une oeuvre qui montre uniquement la morale marchande. Nous avons également remarqué que la morale dans les cités marchandes était fluctuante, car elle était déterminée par les exigences de la société qui pouvait être variable. Saikaku ne manque pas de suggérer les contradictions et les problèmes qui peuvent être à l’origine d’actions d’impiété filiale.
De ce fait, on peut émettre l’hypothèse que l’auteur n’écrit pas des histoires seulement dans le but de faire la morale mais qu’il utilise le thème de l’impiété filiale pour parler des habitants dans les cités marchandes qui occupaient une place de plus en plus importantes dans le Japon de cette époque. Il semble que l’auteur a choisi ce thème comme thème central de ce recueil, car c’est un thème qui pouvait attirer l’attention des lecteurs qui lisaient très probablement des livres de morale.
Par ailleurs, nous avons parlé dans l’introduction de la place que les Vingt parangons occupent parmi les ouvrages de Saikaku. Les Vingt parangons sont classés parmi les recueils de contes divers, mais ne pourrait-on pas les considérer plutôt comme le premier recueil de contes marchands ? Le Magasin perpétuel du Japon (Nippon eitaigura 『日本永代蔵』 ), ouvrage généralement considéré comme le premier recueil de contes marchands, a été publié l’an cinq de l’ère Jôkyô (1689), deux ans après la publication des Vingt parangons. Il est bien possible que Saikaku avait conçu le projet d’un recueil de contes marchands lorsqu’il était en train d’écrire les Vingt parangons, car le décalage de dates entre la publication des Vingt parangons et du Magasin perpétuel du Japon n’est pas très important, et parce qu’il semble que Saikaku ait déjà voulu écrire des histoires sur la société marchande de son époque par le biais du thème de l’impiété filiale. SOMEYA considère les Vingt parangons comme un premier recueil de contes marchands.

Troisième partie : Les sens cachés des histoires d’impiété filiale

Mise en garde contre un amour excessif

Dans la deuxième partie de ce mémoire, nous avons analysé plusieurs histoires d’impiété filiale situées dans les cités marchandes. Nous avons émis l’hypothèse que l’auteur écrivait les Vingt parangons moins dans le but de faire la morale, que pour évoquer la vie des habitants des cités marchandes, en plein développement. Nous avons montré également la possibilité que cette oeuvre fonctionne comme une introduction au Magasin perpétuel du Japon et aux autres ouvrages faisant partie des contes marchands.
A travers ces analyses, nous avons conclu que les Vingt parangons dépassaient le cadre des ouvrages de morale dont le but est vraiment de faire la morale. Pour vérifier cette hypothèse, dans la troisième partie de ce mémoire, nous essayerons d’analyser les Vingt parangons ainsi que d’autres oeuvres de Saikaku qui semblent traiter du thème de l’impiété filiale.
Dans cette sous-partie, nous allons d’abord examiner principalement le deuxième chapitre du quatrième volume des Vingt parangons, « De la pointe du pinceau tracée sur l’appuie-tête » (Makura ni nokosu fude no saki 「枕 に残す筆の先」 ) et également le deuxième chapitre du quatrième volume de la huitième oeuvre de l’auteur Une Ecritoire de poche (Futokoro suzuri 懐硯 ), « Dans le monde des bambous, on subit de rudes épreuves » (Ukime wo misuru take no yononaka  du point de vue de la relation entre mère et fils.
Dans « De la pointe du pinceau tracée sur l’appuie-tête », une relation triangulaire lie le héros Suketarô 助太郎 , sa femme et sa mère. Il s’agit de l’histoire d’une mère très attachée à son fils et qui n’accepte pas de lâcher les rênes du ménage et de les passer à sa belle-fille. A la suite de la fuite de cette belle-fille qui la déteste, elle décide de se donner la mort à cause du chagrin qu’elle éprouve de ce que son fils soit allé rejoindre sa femme et ne revient pas à la maison. Durant sa vie, la mère se montre attentionnée envers son fils et semble être agréable envers sa belle-fille. Cependant, après son suicide, les jeunes époux constatent qu’elle a tracé au pinceau sur leur oreiller son testament, un dernier message dans lequel il semble qu’elle rejette subtilement la responsabilité de son suicide sur sa belle-fille. En effet, si l’on en croit la teneur du message en question, c’est bien parce que cette dernière la déteste que la mère se donne la mort. Le fils et son épouse meurent à leur tour en conséquence de ce message, puisqu’ils sont blâmés et mis au ban de la société, ce qui les poussent également au suicide.
Dans cette histoire, la relation entre la mère, son fils et la femme de celui-ci, est particulièrement complexe. C’est d’ailleurs ce qui distingue cette histoire parmi les autres histoires du recueil. Dans un premier temps, Suketarô fait preuve d’une attitude appropriée envers ses parents :
Comme le montre cette citation, le comportement de Suketarô et de sa femme est le caractéristique de l’impiété filiale : bien que par la suite leurs parents essayent de les convaincre de rentrer chez eux, Suketarô ignore leurs recommandations. Lui et son épouse abandonnent leur travail et leur domicile, ne se préoccupent plus de leurs parents. Cela signifie l’abandon complet des obligations filiales. Et comme ils refusent de rentrer chez eux, la société a tôt fait de se persuader que toute cette affaire est en réalité de la faute de la mère, qui doit très certainement persécuter sa bru : « La mère innocente fut taxée de cruauté ». A la suite de cette affaire, la mère décide de se suicider.
On peut dire que c’est une histoire de fils non filial, mais la véritable coupable de meurtre indirect de la mère pourrait être en réalité sa famme, car c’est à partir du moment où sa femme s’enfuit que Suketarô commence à se comporter comme un fils impie.

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Table des matières

REMERCIEMENTS 
TABLE DES MATIERES
Introduction 
I Le dispositif narratif des Vingt parangons d’impiété filiale de notre pays 
1.1 Les apparitions de l’auteur-narrateur
1.2 Les différentes descriptions du merveilleux dans les ouvrages de morale populaire et ceux de Saikaku
1.3 La posture de Saikaku dans la préface de Vingt parangons d’impiété filiale de notre pays
II L’impiété filiale dans la société marchande
2.1 L’« homme ordinaire » dans les cités marchandes de l’ère Genroku ― établissement de la « maison-famille »
2.2 Le motif de la honte et l’argent en tant que cause de l’impiété filiale
2.3 Les interventions de la société
III Les sens cachés des histoires d’impiété filiale 
3.1 Mise en garde contre un amour excessif
3.2 Le succès des enfants non filiaux
Conclusion 
BIBLIOGRAPHIE 

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