Lien entre la dimension psychique et dimension physique

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Conséquences de l’alcool

D’après l’association « Alcool Assistance » (10) l’alcool donne une triple dépendance, d’abord psychique, puis physique et sociale :
Dépendance psychique.
Elle commence toujours avant la dépendance physique. L’alcool produit des psychotropes qui modifient le psychisme du sujet. Il est au départ source de plaisir, plaisir du groupe, plaisir intérieur, sensation de bien-être, il rend euphorique et permet de vivre dans l’imaginaire. L’alcool est aussi connu comme médicament contre l’anxiété et la dépression, que l’on peut s’offrir en société en toute circonstance. A partir de là commence la « lune de miel » entre le sujet et l’alcool. Les petits tracas du quotidien sont masqués, la communication est améliorée, les tensions psychologiques sont apaisées. Cependant l’alcool ne résout pas les problèmes, il les cache.
Petit à petit, le sujet se retrouve sur une montagne de problèmes qu’il va tenter de cacher en augmentant les doses d’alcool. Cette augmentation va marquer la dépendance physique, avec des conséquences sociales, désintéressement pour l’entourage, désocialisation, dépression nerveuse. Le sujet se bat avec lui-même, pour ne pas voir qu’il EST ce que lui-même pense des alcoolodépendants, des personnes méprisables. C’est le mécanisme du déni.
Dépendance physique.
Après la dépendance psychique, vient la dépendance physique, qui est la perte de liberté du corps à s’abstenir d’alcool. Plus les cellules du corps sont en contact avec l’alcool dans le sang et les milieux extra-cellulaires, plus elles vont s’habituer à vivre dans ce milieu. Cela aboutit à un phénomène de tolérance, qui pousse le sujet à augmenter les doses pour retrouver l’effet recherché. Le cerveau se met alors à fabriquer des endorphines « like » qui vont bloquer les endorphines naturelles du sujet, indispensables à la survie. Le sujet devient alors dépendant aux endorphines « like », donc à l’alcool. Quand il n’a plus d’endorphines « like », il y a un manque, que le sujet va chercher à combler avec l’alcool, en trouvant un prétexte pour se déculpabiliser et pour éviter de se rendre compte de sa dépendance.
Dépendance sociale.
Lorsque la dépendance physique est installée, toutes les instances sociales vont rejeter l’alcoolodépendant. L’entourage sait qu’il l’est, sauf le sujet alcoolodépendant lui-même. Il se sent alors persécuté et l’entourage dupé par des promesses qui ne sont jamais tenues à cause du manque. Les problèmes sociaux vont s’ajouter à la dépendance psychique et physique : le licenciement, des sanctions par la justice qui ne reconnaît pas la dépendance physique. Enfin le corps médical continu de soigner l’alcoolodépendant comme un sujet sain, ce qui aboutit à des prises en charge inadaptées.
Jean Paul Descombey (psychiatre et psychanalyste) explique : « C’est le corps-propre, tout simplement, qui n’est pas ressenti comme appartenant au sujet dans lequel il habite. Il en parle d’ailleurs souvent comme d’un accessoire, certes indispensable, mais encombrant et qui a le mauvais goût, parfois, de « vous lâcher » quand vous en avez besoin. Il n’est ainsi ressenti, bien souvent, que quand il défaille et gêne dans l’activisme. » (11) Pour vérifier ce lien entre dimension psychique et physique, nous avons demandé aux professionnels dans notre pré-enquête si le corps était impacté dans l’alcoolodépendance, comme décrit dans la revue de littérature. Huit personnes sur neuf ont répondu oui.

Lien entre la dimension psychique et dimension physique

Nous avons expliqué plus haut que les alcoolodépendants cherchaient à oublier leurs problèmes psychiques par l’alcool. Pourtant, la dépendance physique s’installe et les dégâts corporels deviennent visibles.
Nous avons demandé aux professionnels de quelle manière le corps pouvait être impacté. La pré enquête nous informe que le corps est le « siège de tension internes en lien avec un mal être ». Le sujet va donc se remplir d’alcool pour atténuer les tensions, le trop plein d’angoisse ou de tristesse et provoquer la détérioration des fonctions organiques (neurologiques, digestives, motrices, cognitives) lorsque la consommation devient chronique. De plus, « la sensation de manque qui résulte de l’état de dépendance se vit psychiquement mais aussi à travers des sensations physiques. » Le corps est le lieu de remplissage qui traduit un manque lié à la dépendance. « Il est le siège de l’expression visible de la pathologie », d’après les résultats de la pré enquête.
Pour éviter de se confronter à la dépendance, les personnes alcoolodépendantes en viennent à négliger leur corps, à l’anesthésier, pour ne pas entrer en confrontation avec le psychisme. Ce lien corps / esprit porte le nom d’unité somato-psychique (12) : « soma » signifie « corps » et « psyché » signifie tout ce qui est relatif à l’esprit. Elle regroupe les trois modes de vie fondamentaux de l’être humain :
• La vie sensorielle et motrice, ou vie de relation. Elle permet les échanges de sensations et d’actions avec le monde extérieur, c’est donc le support des échanges sociaux.
• La vie neuro-végétative et neuroendocrine.
• La vie psychique.
Ces trois vies sont intimement liées, elles forment un complexe et fonctionnent en symbiose. Cependant, dans l’alcoolodépendance, elles sont éclatées, la vie psychique est mise de côté et la vie de relation est biaisée par la consommation d’alcool, qui altère les fonctions sensorielles et motrices.
Cela dit nous pouvons nous demander en quoi cette unité somato-psychique est importante ? Pourquoi en avons-nous besoin ?
Toute la vie d’un sujet (sensorielles, motrice, neurovégétative et psychique) est conditionnée par le fonctionnement de son système nerveux central. Il reçoit les informations venues de l’extérieur et de l’intérieur, pour ensuite donner les ordres nécessaires pour s’adapter au milieu environnemental. Les trois modes de vie fondamentaux doivent se manifester de façon adaptée pour garantir un bon équilibre de vie. Ils doivent de plus se manifester les uns par rapport aux autres, c’est pourquoi nous parlons d’unité. Par exemple, la vie psychique ne peut pas se manifester correctement si la vie de relation, permettant les échanges avec l’extérieur, est biaisée, délaissée ou malmenée.

Ergothérapie et alcoolodépendance

La prise en charge des personnes alcoolodépendantes doit prendre en compte la complexité de la maladie, avec une unité somato-psychique altérée et un manque d’insight qui empêche l’entrée dans le processus de changement.
Les alcoolodépendants rencontrent des obstacles psychologiques importants, en effet la stigmatisation, le fait de se reconnaître malade et dépendant peut se révéler très compliqué. De plus, l’accès aux soins n’est pas adapté. Jean Paul Descombey donne deux raisons à cela : le déficit majeur d’accès aux soins des patients alcoolodépendants et la difficulté de traiter le sujet lorsqu’il accède enfin aux soins. Il est donc important de comprendre cette complexité et la notion multifactoriel de la maladie pour une prise en charge plus adaptée. En effet, la place du patient alcoolique dans un modèle de soins classique pose question, notamment sur la relation soignant-soigné, le levier important que représente le corps et le compromis difficile entre l’accueil, le soin et l’exigence de la prise en charge.
Pour être efficace, la prise en charge doit donc être globale. L’ergothérapie et son approche globale prend en compte la personne, son histoire, sa singularité dans la maladie, elle doit comprendre ses obstacles psychologiques à l’abstinence et ses obstacles par rapport au traitement lui-même. Nous parlons plus précisément d’approche holistique. Cette approche propose de considérer chaque personne dans sa globalité, comme être vivant dans un environnement singulier aussi bien à l’intérieur (psychisme, corps) qu’à l’extérieur (vie sociale, professionnelle, environnement matériel) la compréhension de ses interactions est la spécificité de l’ergothérapie.
« L’ergothérapie s’appuie sur une vision holistique où l’individu est considéré en tant qu’être global. La personne est considérée comme un tout intégré dont aucune fonction ne peut être isolée, mais où chacune de ces fonctions constitue l’un des éléments de l’ensemble. » (22)
L’ergothérapie prend sa place dans la prise en soin de l’alcoolodépendance par son approche globale dite holistique, en considérant la personne dans son intégralité.

La motivation au changement

Les personnes alcoolodépendantes sont souvent sujettes à l’ambivalence : elle se définit comme l’existence de sentiments et d’attitudes contradictoires qui entraînent une situation d’indécision. En effet, le patient est partagé entre l’idée d’arrêter l’alcool en raison des inconvénients et la nécessité de maintenir ce comportement lié aux avantages qu’il procure (Miller & Rollnick, 2006).
Selon la littérature scientifique, la motivation est une composante essentielle dans la prise en charge globale des personnes dépendantes aux substances. (Lukasiewicz et al., 2006 ; Malet, 2007 ; Csillik & Le Merdy, 2007 ; Miller & Rollnick, 2006.(26).
La motivation a été conceptualisé par Prochaska et DiClemente dans leur modèle transthéorique des changements de comportements. Il décrit six étapes sous la forme d’une roue.
Les différentes étapes :
Précontemplation : la personne ne se rend pas encore compte de son trouble, elle n’envisage pas de changer de comportement, (déni).
Contemplation : la personne se rend compte des effets de l’alcool. C’est le temps de la balance décisionnelle où la personne commence à envisager un changement.
(Nous pouvons replacer le concept d’unité somato-psychique au moment de la précontemplation et de la contemplation, ainsi que le concept d’Insight, dans le réinvestissement du corps et la prise de conscience du trouble.)
Détermination : la personne décide de commencer un traitement et veut passer à l’étape supérieure.
Action : la personne s’engage dans une réflexion et un changement de ses habitudes quotidiennes. C’est l’étape la plus difficile, où la personne doit se sentir accompagnée et valorisée.
Maintenance : c’est la phase de prévention de la rechute. La personne identifie les risques potentiels de rechute et élabore des stratégies pour les éviter.
Chute ou rechute : cette phase est possible et peut s’avérer nécessaire à l’aboutissement du processus vers une sortie permanente. Le professionnel devra alors être patient et tolérant.
L’entrée dans le processus de motivation au changement se produit pendant la précontemplation, avec une sortie possible lors de la détermination si le patient n’est pas prêt, ou lors du maintien de l’abstinence (maintenance), quand la rechute est évitée. Sinon le cycle reprend à nouveau avec le stade de la précontemplation.

Modèle de l’Occupation Humaine (MOH)

En ergothérapie, la motivation se retrouve dans un modèle appelé le modèle de l’occupation humaine de Gary Kielhofner, traduit par Marie-Chantal Morel-Bracq. (31)
Ce modèle est divisé en trois axes selon Gary Kielhofner : tout d’abord l’Être, avec trois composantes :
– La volition : la motivation et le processus aboutissant au choix des activités, par la conscience de ses capacités, le sentiment d’efficacité, les valeurs et intérêts personnels.
– L’habituation : organiser et simplifier la vie quotidienne selon une routine et des habitudes de vie (habitudes et rôles liées à la société et à la culture), dans le but d’y consacrer le moins d’énergie possible.
– Les capacités de rendement : qui permettent l’action. (Systèmes organiques dans leurs aspects objectifs, mais aussi et surtout dans leurs aspects subjectifs correspondant à la sensation et au vécu de la personne, relatifs au concept d’unité somato-psychique)
Ses trois composantes sont interdépendantes et inséparables de l’environnement humain et matériel qui apporte des opportunités, des ressources, des exigences et des contraintes.
Ces composantes agissent simultanément sur les actions, les pensées et les émotions.
Le deuxième axe s’appelle L’Agir, prenant en compte trois composantes :
– La participation : implication dans des activités signifiantes ou significatives, engagement dans un processus de changement.
– Le rendement : la satisfaction de la personne dans ses activités quotidiennes, du chemin parcouru dans son processus de changement.
– Les habiletés : capacités à trouver des stratégies, à s’organiser et à s’adapter.

Déroulement de l’enquête

Nous allons commencer par tester notre outil de recherche. Pour cela, nous allons le faire passer à un ergothérapeute qui connaît le sujet pour être sûr de la pertinence de nos questions et de la bonne compréhension afin de le corriger si besoin.
Le premier entretien aura lieu au domicile de l’ergothérapeute, par simplicité et pour bénéficier de tout le temps dont nous aurons besoin.
Les deux autres entretiens auront lieu par téléphone, à cause d’une distance kilométrique trop élevée.
Nous procéderons à un entretien semi-directif, avec une question inaugurale, puis des questions de relance, au fil de la discussion, selon une certaine validation de réponse. (33) Pour cela, trois critères complémentaires vont nous permettre de réguler l’entretien :
– Vérité : est-ce que ce qui est dit est vrai ?
– Précision : est-ce que ce qui est dit est détaillé ?
– Complétude : est-ce que tout a été rapporté ? (33)
Les entretiens se feront selon des principes éthiques : le « respect de la personne et du rôle professionnel » (33), la confidentialité et l’anonymat et la demande de permission pour enregistrer l’entretien, afin de pouvoir le retranscrire intégralement.

Choix des outils de traitement des données

Vermersch explique que l’entretien vise à la mise en mot de l’action a postériori, dans plusieurs axes : l’action elle-même, la dimension vécue, la dimension procédurale, la dimension implicite et préréfléchie de l’action et la source privilégiée d’information qu’elle représente. Nous sommes susceptibles d’interroger tout cela, par nos questions de relance.
Ainsi, pour traiter nos résultats de la manière la plus cohérente possible, nous allons commencer par une brève présentation des ergothérapeutes interrogés, pour les situer dans leur pratique. Nous noterons l’année de leur diplôme, leurs années d’expérience, et leurs différents domaines de pratique.
Ensuite nous procéderons à une analyse des différentes réponses de manière transversale, par des tableaux pour chaque concept.
Nous comparerons et analyserons les réponses des ergothérapeutes, pour ensuite tenter d’aller plus loin dans notre matrice conceptuelle, en proposant un autre questionnement, que nous développerons à la fin de la partie Discussion.

Pour aller au-delà de la matrice conceptuelle

Finalement, ces différentes réponses nous amènent à pousser notre matrice conceptuelle un peu plus loin. Reprenons nos concepts, en ajoutant les paramètres, ici en gras, évoqués par les ergothérapeutes :
– A l’unité somato-psychique s’ajouterait la personne, avec son histoire de vie, sa structure psychique et son mécanisme de dépendance, qui aiderait à comprendre les interactions avec la substance
– Le niveau d’Insight.
– L’étape dans le processus de changement.
– Ancré dans le modèle du MOH avec les notions d’être, d’agir et de devenir.
– Tout cela serait contenu dans un cadre, que nous pourrions appeler cadre thérapeutique en ergothérapie, incluant l’alliance thérapeutique, la médiation thérapeutique, la verbalisation, la mise en lien et le sens, inscrit dans le temps, avec des modalités de groupe ou en individuel
– Sur lequel l’ergothérapeute viendrait appliquer ses connaissances en alcoologie, sa pratique et son analyse de l’activité, pour favoriser l’être, dans la découverte de soi, un agir créateur dans des sensations de plaisir et la nécessité que la personne devienne actrice, pour aller vers un devenir constructif et non destructeur.
Pour établir notre matrice conceptuelle, nous avions décrit un processus plutôt linéaire, en mettant en lien nos concepts. Cependant, il apparaitrait que les connexions soient plus complexes, nécessitant une verbalisation constante et des aller-retours entre la phase du processus, le niveau d’Insight et l’unité somato-psychique.
En effet l’humain, ici la personne alcoolodépendante, peut-il se résoudre à un processus linéaire ? Ne serait-il pas finalement une sorte de système complexe, fait du corps comme refuge de l’être, donc de l’unité somato-psychique, où pourrait se jouer le processus de changement ? Jean Paul Descombey parlait déjà de complexité de la maladie, mais nous n’avions pas mis en parallèle la complexité de l’être humain, et c’est peut-être parce que l’être humain est complexe, que la maladie l’est aussi.
Par les approches corporelles, ce système serait donc remis en mouvement, dans une dynamique propre à chacun. Eric Lowen, dans une conférence sur la complexité humaine (Respect de la complexité humaine et de la globalité humaine) explique que « L’être humain est corps mais ne se réduit pas qu’à la matérialité, la physiologie ou la biologie de son corps. L’espèce humaine est caractérisée par une complexité infiniment plus vaste. L’être humain est aussi émotions, sentiments, pensées, réflexions, souvenirs, imaginations, désirs, conscience… tous enfantés par le corps matériel. » (34). L’humain est fait d’une multitude de connexions, qui font la spécificité de chacun. Et même si la pathologie reste la même, chaque personne l’inscrit dans une vie différente. Le fait de redonner du sens et recréer le lien entre toutes les parties de la personne, dans une idée de réunification, par une approche corporelle supportée par un cadre thérapeutique en ergothérapie et subordonnée par le modèle de l’occupation humaine, offrirait un nouvel axe de réflexion, avec une vision plus globale de la personne, comme un système où toutes les composantes influeraient les unes sur les autres et non comme un processus linéaire, évoqué plus haut. Ces résultats donnent l’idée d’une interconnexion entre les différents concepts, l’un ne venant pas forcément après l’autre, mais évoluant en symbiose, dans le système complexe qu’est l’être humain. Edgard Morin, sociologue et théoricien de la complexité explique : « Je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus de connaître le tout sans connaître les parties. ».
Nous pouvons déjà remarquer l’évolution de notre matrice conceptuelle, qui inclurait la complexité comme « liant » de tous les concepts évoqués et que le cadre en ergothérapie soutiendrait. Il replacerait la personne dans une réalité concrète, laisserait la liberté d’expression, tout en contenant les éventuels débordements qui pourraient être angoissants pout la personne. Et pour que le cadre soit solide, cette complexité aurait besoin d’être analysé. En effet, Jean Paul Descombey explique que les alcoolodépendants ont une grande difficulté à accéder aux soins et que la pathologie est parfois mal comprise. Madame B parle dans son entretien de la nécessité de se former à l’alcoologie plus qu’à l’activité elle-même, (E2. L.284-285) car les alcoolodépendants sont des personnes « difficiles à accompagner, qui peuvent susciter beaucoup de contre-transferts négatifs, qui sont beaucoup dans l’agir ou dans le passage à l’acte ou dans la recherche du cadre et des limites et c’est justement hyper important de comprendre tous ces leviers pour pouvoir un positionnement juste. » (E2. L.287-291)
D’après les ergothérapeutes interrogés ces leviers seraient de l’ordre de l’approche corporelle, de la verbalisation des sensations, de la mise en lien, mais pourraient aussi être par des modalités différentes, en individuel ou en groupe et en pluridisciplinaire, mais nous pourrions certainement être plus précis dans une nouvelle recherche sur ce cadre thérapeutique au service du processus de changement chez les alcoolodépendants.
Pour réfléchir à ces nouvelles thématiques, qui sont la complexité de l’humain par rapport à celle de la pathologie et l’intérêt du cadre thérapeutique en ergothérapie, nous allons interpréter les données dans la prochaine partie en reprenant chaque concept et en les confrontant aux résultats, afin de trouver les axes de réflexion possibles.

DISCUSSION DES DONNEES

Interprétation des résultats :

Il est tout d’abord intéressant de s’interroger sur le sens que chacun peut donner des approches corporelles. Pour les trois ergothérapeutes interrogés, ce sont plus que des activités directement basées sur l’activité du corps, comme la relaxation par exemple. Ce sont « toutes les activités qui mettent en jeu le corps » d’après madame A et madame B, ce qui offre de très larges possibilités d’activités et un grand champ d’action. Une approche corporelle peut donc être sous la forme d’une médiation corporelle, comme l’expression corporelle, ou d’une média-tion mettant en jeu les mouvements du corps comme l’argile. L’objectif principal d’une ap-proche corporelle est de permettre à la personne de ressentir des sensations et émotions, qui seront amenées à la conscience par le biais de la verbalisation.
Nous pouvons maintenant reprendre nos différents concepts que nous avons trouvé dans la revue de littérature par rapport à l’approche corporelle, selon notre axe de réflexion.
Concernant l’unité somato-psychique que nous avions décrite, il apparaît que ce concept soit très important dans la prise en charge des personnes alcoolodépendantes. En effet, elles n’ont plus accès à leur psychisme, elles ne ressentent plus leur corps et remplissent ce vide sensoriel par l’alcool : « le corps est le refuge de l’être » d’après madame A. L’alcool leur per-met de ressentir des sensations, mais aussi de se couper de leur psychisme.
Les trois ergothérapeutes expliquent que l’alcoolodépendant est confronté à une grande difficulté de verbalisation des affects et des sensations : « très grande difficulté à la verbalisa-tion des affects, sujet à l’asomatognosie, l’anosognosie » (E2. L. 24-27). L’approche corporelle va alors permettre d’habiter le corps de nouveau, sans alcool, en recréant le lien entre le mou-vement et la sensation. Madame B parle d’unification du corps et de l’esprit. Madame C ex-plique que l’approche corporelle va allier l’esprit, l’imaginaire et le mouvement.
L’unité somato-psychique est un concept qu’il faut avoir en tête pour comprendre les mécanismes de l’alcoolodépendance. Il permet de se rendre compte du lien qui unit le corps à l’esprit et il est indispensable à chaque être humain pour vivre et s’épanouir de manière équili-brée. Les ergothérapeutes doivent le prendre en compte, ainsi que les autres professions qui peuvent avoir à travailler avec des approches corporelles sur la réunification du corps par exemple.
L’approche corporelle va aussi permettre de rétablir le lien de causalité entre ce que je fais et ce que cela procure au corps. En effet, les sensations procurées par l’alcool sont destruc-trices. C’est pourquoi ce concept d’unité somato-psychique peut être mis en corrélation avec le concept d’Insight, ou de conscience du trouble. Comme les personnes se coupent de leur psy-chisme, elles n’ont pas conscience de leur maladie et de l’effet destructeur de leurs actions. Nous parlons de déni. Les approches corporelles sont intéressantes pour aider et accompagner les personnes à ressentir de nouveau leur corps, les amener à découvrir qui elles sont et com-ment elles fonctionnent dans le but de réinvestir ce corps, mais aussi de se rendre compte de leur trouble pour madame A et B, ou alors au moins de se rendre compte du mal-être et de ce qu’il se passe lorsqu’on fait une action pour madame C.
L’Insight n’est pas un concept connu par tous les ergothérapeutes sous cette appellation, en revanche cette conscience du trouble est primordiale dans l’alcoolodépendance mais aussi dans les autres pathologies psychiatriques. Finalement, l’ergothérapeute, mais aussi les autres professions peuvent rencontrer une conscience du trouble absente ou altérée et doivent adapter leur prise en charge en conséquence.
L’approche corporelle peut être un levier pour lever le déni et favoriser l’Insight. En revanche, elle nécessite un accompagnement de l’ergothérapeute. En effet, ces phases dite de précontemplation et de contemplation dans le cycle de Prochaska peuvent être désagréables. La découverte de soi dans l’ici et maintenant peut être une épreuve difficile, le fait d’être ramené à une réalité aussi, c’est pourquoi il est important d’accompagner la personne dans cette dé-marche. Madame A explique que le corps devient une porte d’entrée pour accéder à l’être, l’approche corporelle permet de se recentrer sur soi, d’apaiser certaines tensions, de prendre conscience de certains troubles et de certaines capacités, de prendre conscience de soi. Et c’est la verbalisation qui pourra permettre de faire émerger un discours changement et donc de passer à l’étape suivante dans le processus de changement.
Pour faire le lien avec le Modèle de l’Occupation Humaine que nous avons décrit, le fait de redevenir sujet de soi-même ou d’unifier son corps à son esprit peut être mis en corrélation avec la notion d’Être, qui regroupe la volition (la motivation), l’habituation (organisation des habitudes de vie) et les capacités de rendement (sensations et vécu de la personne qui vont permettre l’action). Ces trois composantes, avec l’environnement (qui apporte les opportunités, les ressources, les exigences et les contraintes qui peuvent avoir un impact important sur la personne et sur ses activités), affectent simultanément les actions, les pensées et les émotions. Cette idée nous emmène naturellement vers une notion de complexité que nous développerons plus tard dans les perspectives de recherche, notamment la question du cadre thérapeutique. L’Être prend donc en compte l’unité-somato-psychique et le concept d’Insight comme nous l’avions expliqué.
Après la contemplation, la phase suivante dans le cycle de Prochaska se nomme l’action. Madame B explique que les alcoolodépendants ont déjà l’agir, mais c’est un agir destructeur. Cette phase doit donc permettre à la personne de transformer son agir destructeur en agir créa-teur. Faire des éléments désagréables quelque chose de positif qui vont permettre à la personne de favoriser sa motivation au changement. Cet agir doit permettre l’engagement dans le proces-sus de changement et l’approche corporelle peut le favoriser selon les ergothérapeutes. En effet, selon MC. Morel-Bracq : « l’agir permet de développer son identité et ses compétences » cet agir se décrit selon trois composantes : les habiletés, la participation et le rendement. L’ap-proche corporelle pourrait permettre de favoriser le rendement en rendant la personne actrice dans le processus et la satisfaction pourra être majorée par le plaisir qui pourra en jaillir. Les habiletés pourront aussi être favorisées dans une idée de se servir des approches corporelles pour trouver des stratégies de compensation contre la consommation d’alcool. En ce qui con-cerne le devenir, nous n’avons pas souhaité le questionner car nous voulions rester sur l’idée d’une entrée dans le processus. Cependant, les résultats nous donnent quelques hypothèses. Selon MC Morel-Bracq, l’agir permet de développer son identité et ses compétences et donc, permet l’adaptation à l’environnement. Nous pouvons donc prétendre que les approches corpo-relles pourraient permettre une meilleure adaptation à l’environnement par la conscience de soi. En faisant des allers et retours entre ce que je fais et ce que cela fait dans mon corps et mon esprit.
Finalement, l’utilisation de ce modèle nous aura aidé à faire le lien entre les concepts d’unité somato-psychique, d’Insight et de motivation au changement, comme nous l’avions évoqué dans le schéma de notre axe de réflexion. Le Modèle de l’Occupation Humaine est un modèle intéressant pour les ergothérapeutes afin de mieux comprendre l’importance et le pro-cessus de l’engagement humain dans l’activité. Il s’accorde parfaitement avec le cycle de Pro-chaska qui permet aux ergothérapeutes, mais aussi les autres professionnels, de situer la per-sonne dans le processus afin de proposer une prise en soin la plus pertinente possible. La pluri-disciplinarité et le partage des informations est importante pour que chaque professionnel s’ac-corde en fonction de la phase du processus dans laquelle se trouve la personne.
Pour conclure cette analyse, les concepts évoqués en amont lors de la revue de littérature semblent convenir à la question des approches corporelles en ergothérapie auprès des personnes alcoolodépendantes. Ils ont tendance à rejoindre les éléments recueillis lors des entretiens et font partis des fondements de la pratique en alcoologie. L’ergothérapeute peut tout à fait s’en saisir pour sa pratique dans ce domaine.

Réponse à l’objet de recherche

Pour répondre à l’objet de recherche : « En quoi des approches corporelles en ergothérapie auprès de personnes alcoolodépendantes pourraient-elles favoriser l’entrée dans un processus de changement ? », je cherchais à mettre en évidence :
Tour d’abord le fait que les alcoolodépendants ont bel et bien une unité somato-psychique altérée et que cela avait un impact sur la motivation au changement. Effectivement, d’après les ergothérapeutes interrogés, le lien entre le corps et l’esprit est rompu. Cela explique une conscience du trouble floue voire absente. Les ergothérapeutes peuvent l’évaluer au moyen d’entretien motivationnel ou par une observation clinique de l’état des patients, qui répond à la Compétence 1 du référentiel de compétences en ergothérapie (36) :
« Evaluer une situation et élaborer un diagnostic ergothérapique. » :
– Identifier les besoins et les attentes liés à la situation ou au risque de handicap d’’une personne et de son entourage ou d’’un groupe de personnes, dans un environnement médical, professionnel, éducatif ou social.
– Intégrer et appliquer les connaissances pertinentes émergeant des sciences biomédicales, des sciences humaines, des sciences de l’’activité humaine et des technologies, en relation avec les théories de l’’activité et de la participation.
– Conduire un entretien visant au recueil d’’informations.
– Choisir et maîtriser les instruments de mesure, les méthodes, les moments et les lieux appropriés pour mener les évaluations en ergothérapie en fonction des modèles d’’intervention.
– Évaluer les intégrités, les lésions, les limitations d’’activité et les restrictions de participation des personnes ou des groupes de personnes, en prenant en compte les âges, les pathologies, les environnements humains et matériels et les habitudes de vie.
– Identifier les éléments facilitants ou faisant obstacle à l’indépendance et à l’’autonomie, liés à la personne et à son environnement humain et matériel.
– Repérer et analyser les comportements et situations à risque pour la santé.
– Élaborer et formuler un diagnostic ergothérapique prenant en compte la complexité de la situation de handicap. (36)
Ensuite, je cherchais à savoir si les approches corporelles pouvaient avoir un rôle à jouer dans cette réunification du corps et la prise de conscience du trouble.
Cette évaluation va donc permettre à l’ergothérapeute de se rendre compte du niveau d’Insight de la personne alcoolodépendante et de la situer dans la cycle de Prochaska, afin de construire un processus d’intervention en lien avec les composantes du modèle de l’occupation humaine : favoriser l’être de la personne, au moyen d’approches différentes et notamment les approches corporelles. Celles-ci vont pouvoir rétablir le lien corps-esprit par la découverte de sensations et émotions, mais aussi ramener la personne vers un agir créateur, en l’aidant à donner du sens et faire le lien entre la notion de plaisir et l’abstinence. Pour cela, l’ergothérapeute se sert de la Compétence 2 du référentiel :
« Concevoir et conduire un projet d’intervention en ergothérapie d’aménagement de l’environnement » en particulier dans les champs suivants :
– Analyser les éléments de la prescription médicale, le cas échéant, et du diagnostic ergothérapique en sélectionnant les éléments utiles à l’’intervention ergothérapique.
– Choisir un modèle d’’intervention ergothérapique et sélectionner des techniques pertinentes afin de satisfaire les besoins d’’activité et de santé des individus et des populations.
– Formuler des objectifs et identifier des activités significatives, adaptés au projet de vie de la personne et au contexte, en collaboration étroite avec la personne ou le groupe de personnes selon les principes d’’une pratique centrée sur la personne.
– Identifier les composantes physiques, sensorielles, psychiques, cognitives, psychosociales et environnementales de l’’activité.
– Élaborer un programme personnalisé d’’intervention ergothérapique en exploitant le potentiel thérapeutique de l’’activité signifiante et significative au travers de l’’analyse et de la synthèse de l’’activité. (36)
L’approche corporelle pourra aider le patient à favoriser son Insight, réunifier son corps et son esprit et à faire jaillir un agir créateur pour avancer dans le processus et sur le chemin de l’abstinence. Pour cela, l’ergothérapeute a développé la Compétence 3 du référentiel :
« Mettre en oeuvre et conduire des activités de soins, de rééducation, de réadaptation, de réinsertion et de réhabilitation psychosociale en ergothérapie. » Notamment :
– Adapter l’’activité en fonction des capacités et des réactions de la personne, du contexte et des exigences requises pour l’’accomplissement de l’’activité.
– Mettre en place et adapter le cadre thérapeutique en fonction de la situation et des réactions de la personne ou du groupe de personnes.
– Mettre en oeuvre les techniques en ergothérapie en vue de maintenir et améliorer les gestes fonctionnels :
• Techniques d’’entrainement articulaire, musculaire, sensitif et sensoriel .
• Techniques de réafférentation proprioceptive, d’’intégration motrice, cognitivo- sensorielle et relationnelle, de facilitation neuromotrice, techniques cognitivo- comportementales et de stimulation cognitive .
• Techniques de guidance et d’’accompagnement .
• Techniques de compensation et de remédiation
– Identifier les facteurs et mettre en oeuvre les stratégies favorisant l’’engagement des personnes dans l’’activité et l’’amélioration de leur autonomie.
– Accompagner la personne dans le transfert de ses acquis fonctionnels et cognitifs dans son contexte de vie par des mises en situation écologique.
– Conduire une relation d’’aide thérapeutique comme base du processus d’’intervention en ergothérapie.
– Animer et conduire des groupes selon différentes techniques, analyser la dynamique relationnelle dans le groupe ou dans le système familial, professionnel, éducatif et social.
– Faciliter et recueillir l’’expression de la personne sur ses conflits internes lors de mises en situation d’’activité. (36)

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Table des matières

1 INTRODUCTION 
1.1 Contexte
1.1.1 Utilité sociale et intérêt professionnel
1.2 Questionnement
1.3 Thème général
1.4 Problématique pratique
1.4.1 L’alcoolo-dépendance
La dépendance
Le diagnostic
Les différents usages
1.4.2 Conséquences de l’alcool
Dépendance psychique
Dépendance physique
Dépendance sociale
1.4.3 Lien entre la dimension psychique et dimension physique
1.4.4 Le déni
1.4.5 Parcours de soin
Cures
Postcures
Unité somato-psychique et processus décisionnel
Emotions et rechutes
1.4.6 La motivation au changement
1.4.7 Motivation au changement et unité somato-psychique
1.4.8 L’Insight et la conscience du trouble
1.4.9 Ergothérapie et alcoolodépendance
1.5 Problématique théorique
1.5.1 La prise en soin en ergothérapie
1.5.2 La motivation au changement
1.5.3 L’Insight
1.5.4 Modèle de l’Occupation Humaine (MOH)
1.5.5 Objet de recherche
2 MATERIEL ET METHODE 
2.1 Méthode choisie
2.2 Population interrogée
2.3 Construction de l’outil
2.4 Déroulement de l’enquête
2.5 Choix des outils de traitement des données
3 RESULTATS
3.1 Présentation des ergothérapeutes interrogés
3.2 Analyse transversale des données
3.3 Pour aller au-delà de la matrice conceptuelle
4 DISCUSSION DES DONNEES
4.1 Interprétation des résultats :
4.2 Réponse à l’objet de recherche
4.3 Discussion autour des résultats et critique du dispositif de recherche
4.4 Propositions et transférabilité pour la pratique professionnelle
4.5 Apport, intérêts et limites des résultats pour la pratique professionnelle et perspectives de recherche à partir des résultats
BIBLIOGRAPHIE

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