L’identité professionnelle de l’enseignant en classe d’accueil

L’identité professionnelle de l’enseignant en classe d’accueil

L’entretien

Écrire

EM exprime dans son texte les effets bénéfiques et cautérisant de l’écriture. Lors de l’entretien, elle refait à nouveau cette constatation. « Je trouve que la démarche est intéressante. Le texte était clairement prêt en fait, déjà avant que tu ne poses la question. Il y a eu une incubation assez longue en fait entre le moment de la situation elle-même et le moment de l’écriture. Je pourrais dire que ça fait deux ans. De le poser comme ça sous forme de texte, ça lui a donné une forme, ça a circonscrit la situation et la place qu’elle prenait en moi. Et du coup l’écriture a été rapide. »
Pour EM, écrire sans contraintes formelles a permis un travail de tissage (qui se ressent dans le travail stylistique qui prédomine dans son texte), tissage entre les mots, les temps du récit, le rêve et la réalité… « Donc l’écriture, et surtout cette écriture sans contrainte, ça peut être une manière de tisser entre intérieur et extérieur, entre passé et présent. C’est ce que j’ai pu observer plutôt après avoir écrit. »
Écrire pour EM ressemble un peu à un exercice de peintre. On met plusieurs couches, des couches avec les différents moments de la narration qui se superposent, d’autres couches lors des relectures (qui se matérialisent par les parenthèses qui parsèment son récit). « Je lui ai donné le nom de « palimpseste » pour illustrer ce travail par couches et en fait on ne fait rien d’autre que ça en classe d’accueil. Tu as la couche de ce qui se passe en classe, tu as l’écho de ton hypothèse, ça se répond …»

L’écrit professionnel : quel genre d’écrit j’ai choisi et pourquoi ?

EM insiste sur l’importance de la liberté qui lui a été laissée : « Moi j’ai justement apprécié ne pas être dans une forme contrainte qu’on pourrait trouver justement ici à la HEP ou même la version la moins contrainte de ce qu’on pourrait écrire ici. J’ai aimé l’ouverture complète avec toutes les formes que ça pouvait prendre et ça m’aidait en fait à écrire et à faire des liens autour de cette expérience, plus que si j’avais dû faire une analyse de pratique ou une étude de cas, ou des choses qui sont très codifiées. »
Pourquoi n’a-t-elle pas, comme la consigne le demandait, raconté un moment face aux élèves ? Elle s’explique : « En classe d’accueil, ce qui est important ce ne sont pas les moments où nous sommes en face des élèves. Ça, ça se passe bien. C’est dans un espace temps ramassé. Mais c’est tout le reste !»

Les particularités de l’enseignant de classe d’accueil ?

Un positionnement difficile à trouver

Pour un enseignant de classe d’accueil, les limites ne sont pas aisées à placer. « Tu as parlé à un moment donné d’accueillir les possibles. Est-ce qu’on est aussi là pour tout accueillir quoi ? Où sont nos limites à nous comme enseignants, les moments où ça surgit et on laisse que ça surgisse, les moments où ce n’est juste pas possible ? Je trouve que notre positionnement n’est pas évident à trouver. C’est mouvant, il y a des moments de notre carrière ou de l’année où ok, l’élève qui fond en larme, qui se décompose , qui est complètement fracturé, je peux lui taper l’épaule et lui faire un entretien, et puis je prends acte, et puis une autre fois, un élève qui va juste griffonner un truc (elle fait ici référence au récit de CH), ou qui aura un comportement bizarre ça va m’atteindre mais d’une manière … Être bien dans ses baskets c’est exactement ça et c’est dur de savoir quand est-ce que tu es assez bien , comment tu fais pour être bien, où sont les limites ?»

Un cadrage trop inexistant

L’enseignant de classe d’accueil doit sans arrêt sortir de ses domaines de compétences, mais est-il apte à le faire ?
« À un moment donné faire avec les moyens du bord, sortir en permanence de nos domaines de compétences, parfois c’est un peu aussi une culture qui m’agace. Enfin je pense que c’est hyper important d’avoir aussi comme tu dis ce côté où on bricole, mais d’avoir quand même un minimum de cadre, un minimum de cap. S’il y avait plus de lien avec l’école obligatoire, une meilleure connaissance mutuelle, ça permettrait aussi de donner un contenant ou une direction plus cohérente à la classe d’accueil. »

Une formation incomplète

« Tu accueilles de façon plus individuelle des souffrances, des poids émotionnels et tout ça, et puis on est là pour ça. En même temps on n’est pas formé pour ça. »
Des marches de manoeuvre insuffisantes
Que peut mettre en place un enseignant de classe d’accueil face à un élève qui va mal ? Selon EM, la plupart des actions qu’il peut faire sont très réduites et ne sont souvent que des coups d’épée dans l’eau. Faire appel par exemple au psychologue scolaire :
« Et quand bien même le psychologue scolaire est disponible, qu’est-ce que ça signifie pour cet élève à ce moment-là d’avoir le biais de la parole ? Parfois en français ou en anglais, pas forcément en langue maternelle, ou alors avec interprète, mais du coup, il y a un interprète, et il vient d’où et machin … C’est plus ou moins la seule aide qu’on propose à part L’AS : « ben voilà une carte repas pour que tu puisses un peu manger. » Est-ce qu’il ne faudrait pas juste une maman, des choses qui soient du chant, des contes, je ne sais pas, qui soient complètement d’autres entrées que celles que l’on propose. Mais nous on est toujours un peu du même versant. »

Un enseignant engagé

« Je me demande si la caractéristique des profs d’accueil dans la structure de l’OPTI, et ailleurs, ce n’est pas justement, être grande gueule, être impliqué, être positionné politiquement, être impliqué émotionnellement. Est-ce que ce ne sont pas les caractéristiques transversales justement aux profs d’accueil. Alors est-ce que ça vient d’eux, est-ce que ça vient de ce qu’ils vivent en classe ? Justement est-ce que ça vient de cette culture professionnelle ? »

Identité professionnelle et écriture ?

L’identité apparait lorsqu’EM exprime ce qu’elle a ressenti en lisant les textes des trois autres enseignants.
« J’allais dire « on s’en prend plein la gueule », mais pas du tout, c’est beaucoup plus bas ! (rires) ; Vraiment, la part émotionnelle, l’implication … et moi je me demande si c’est lié aux gens qu’on a en face de nous, à notre culture professionnelle, à notre établissement, nos collègues. Est-ce que c’est vraiment le cas partout, est ce que ce n’est vraiment pas le cas dans les classes pas d’accueil, classes régulières ? »
EM relie oralité et écriture, l’un n’allant pas sans l’autre selon elle. Le discours oral seul se perd, et n’a pas d’efficacité concrète. L’écrit fixe, fige, mais ne prend tout son sens qu’au moment où l’on partage cet écrit. «Moi, ce que j’observe sur mon établissement, c’est la capacité à ventiler, brasser, répéter, s’épancher oralement, parce qu’on en a besoin. Mais les supervisions que j’ai pu faire, n’évoluent pas en fait, ne permettent pas une évolution. Les échanges de pratique un peu plus à ce que j’ai vu dans mon établissement, car tout à coup on se retrouve avec des choses un peu moins générales, un peu plus concrètes. L’écriture prend ça à contre-pied, parce que tout à coup on fixe, tout à coup c’est figé dans le temps. Donc moi je trouve ça intéressant par rapport à la complémentarité. L’écriture, je pense que c’est un support de discussion, d’argumentations plus intéressantes que l’oral. »

L’entretien

Écrire

Ce texte a été écrit juste après que LH ait quitté les classes d’accueil (aujourd’hui, elle donne des cours d’aide individualisée au CREAL). Dans ce moment de transition vers la retraite, LH a ressenti le besoin de faire le point, et cet écrit s’est inscrit en plein dans ce processus déjà en marche.
« Étant presque à la retraite, je prépare cette sortie et donc ai réfléchi à ces année. J’étais donc dans cette démarche-là, voir ce qui est important, ce qui reste. Écrire, je trouve que ça permet cette mise à distance, l’analyse des choses, une meilleure compréhension, quelque chose qui structure … je le ressens comme ça. Ça permet d’y voir plus clair je trouve. »

Les particularités de l’enseignant de classe d’accueil ?

LH, lors d’interventions qui viennent appuyer les réflexions des autres participants, nous livre à son tour les questionnements qui ont parsemé ses années d’enseignement. Si cela n’apparait pas dans son texte, elle exprime lors de l’entretien les doutes et les douleurs que peut ressentir un enseignant en classe d’accueil.
La première douleur exprimée est de ne pouvoir agir tel qu’on le souhaiterait. « Ça nous met en face de la complexité de tout ce qu’on ne maitrise pas. »
Elle parle du cas d’Even, la jeune fille dont parle le texte d’EM et qui lui rappelle bon nombre de cas similaires qu’elle a elle-même portés :
« Voilà oui, cette fille qu’on sentait en danger, en fait nous autres occidentaux proposons des moyens dérisoires, c’est-à-dire rendez-vous chez le psychologue une ou deux fois par semaine. Oui quand on est dans un état de crise et d’urgence. Ce texte m’a beaucoup touché bien sûr. Il a évoqué des élèves qui étaient en foyer par exemple, qui dépérissaient, qui perdaient le sommeil, qui n’avaient plus d’appétit, qui ne comprenaient rien aux règles qu’on avait posées, et on les porte, on les porte en sachant qu’ils ont besoin d’une réaction urgente, d’une aide urgente et puis voilà , on n’arrive pas à joindre les personnes … »
Elle oppose ici le monde occidental à « l’autre monde », et regrette la pauvreté dans les actions que l’on peut mettre en oeuvre face à la personne en souffrance.
Mais très vite LH revient à son optimisme, et, reprenant le texte d’EM, considère que malgré tout, l’enseignant a une part positive à jouer dans le cours de vie de son élève.
«Moi je pense au texte d’EM, il faut consentir à cette part d’inconfort et de tout ce qui tourne dans la tête et qui est douloureux parfois. Il faut consentir à ça pour arriver au bout. Continuer à se poser des questions, à se demander « Comment je fais ? Je construis le pont …(rires) »
Elle cite ensuite le cas d’un de ses élèves en grande souffrance :
« C’est vrai, c’est des souffrances existentielles souvent. Moi je me souviens d’un afghan qui avait une soeur à Genève et lui il était en foyer EVAM, à 60 km. Il était seul à mourir, il ne comprenait vraiment pas pourquoi il ne pouvait pas vivre avec sa soeur et sa tante et c’est vrai que c’était très très inquiétant …On s’était mis à quelques-uns et on avait soutenu son cas et quelque temps après effectivement, ils avaient accepté d’entrer en matière et il avait pu rejoindre sa soeur à Genève. Voilà »
L’enseignant de classe d’accueil, selon ce que nous présente elliptiquement LH, est donc une personne militante, qui se doit d’entrer en action pour aider ses élèves les plus en souffrance, au moins quand c’est possible …
Elle note d’ailleurs que dès son arrivée en Suisse, on lui a présenté le prof de classe d’accueil comme une personne « singulière ».
«Mon doyen m’a présenté ça comme ça quand je suis arrivée de France «Oh tu verras, ces gens-là c’est quand même beaucoup de profils atypiques.»

La classe d’accueil c’est quoi ?

La classe d’accueil, c’est d’abord un lieu où l’humain est roi : « Chez nous, je trouve que l’humain et le relationnel est amplifié par le parcours des élèves, leur passé fracturé, leur avenir incertain, la charge émotionnelle est plus forte. »
« Je me souviens, on avait une fois une journée de formation avec un émérite psychiatre. Il avait entendu un peu des récits de vie des élèves et il avait dit « Mais c’est des situations d’urgence, de crise, de souffrance. » Il était impressionné par notre côtoiement, enfin ce n’est pas tous les jours bien sûr. Mais alors là il était vraiment surpris, il découvrait la vérité.
Mais c’est aussi un lieu de labeur, où il est important d’aider les élèves à réussir. EM pensait que le manque de cadre dans l’enseignement était un élément de plus qui déséquilibrait l’enseignant de classe d’accueil. LH au contraire, a dû, les dernières années d’enseignement, préparer ses élèves aux examens de fin de scolarité, et a trouvé cette contrainte de programme dure à porter.

CF

Son récit : Il s’appelait Filip

À la première lecture de ce récit, on peut se dire qu’enfin l’un des quatre « scripteurs » a suivi la consigne donnée : « votre récit, rédigé à la première personne, raconte un moment de classe face aux élèves ». On voit en effet CF, dans sa classe, dans un plaidoyer pour le respect de l’altérité, puis assis à côté d’un élève, et l’aidant à façonner son dessin. Mais on sent très vite que ce texte part plus loin, que nous nous éloignons à nouveau de la simple évocation d’un moment en classe marquant, et que l’emprunte qu’il laissera en nous sera plus tenace.
Il y a en premier l’écriture, le travail stylistique : des phrases courtes, simples, qui se répondent et se font écho. Le jeu avec les temps, le présent dans une présentation concise de l’élève, le passé composé en contraste avec le retour du présent lorsque CF est face à l’élève, et enfin l’imparfait dans l’avant dernière phrase qui reprenant le début du texte semble clore l’histoire. Tout ceci est extrêmement construit, travaillé, décidé, et l’on sent que l’on ne rentrera dans le fond de ce texte que si l’on se laisse entrainer vraiment dans cette écriture particulière qui recèle des non-dits et l’ouvre sur l’universalité.
CF a choisi de nous parler d’un élève en particulier, Filip. Le portrait qu’il nous en fait est rempli d’éléments qui semblent se contredire. « D’un naturel plutôt calme / Il n’hésite pas à vouloir se battre. Il est très intelligent et il travaille bien en classe / Il a fait d’un garçon d’une autre classe sa tête de turc. Parce que celui-ci est très efféminé. »
On sent que Filip est un enfant difficile à cerner. « C’est un garçon plutôt sombre, rarement souriant», l’élève qui reste un peu mystérieux. Peut-être est-ce ce mystère qui attache CF à cet élève en particulier et par deux fois il le répète dans son paragraphe introductif : « Je l’aime bien. »

Un récit exemplaire ?

Si ce récit est exemplaire, il est exemplaire de deux attitudes distinctes de CF face aux élèves, ou plutôt face à un élève. Il décrit ainsi deux rôles de l’enseignant peut-être complémentaires mais complètement différents, rôles certainement jamais définis dans un cahier des charges de l’enseignant de classe d’accueil (si ce cahier des charges existait…). Le premier rôle est celui de l’enseignant qui donne des limites relationnelles dans la nouvelle culture qui aujourd’hui est celle dans laquelle l’élève doit vivre. L’homophobie dans le pays de Filip est peut-être tolérée, voire revendiquée, mais absolument inacceptable dans notre culture. Ces ajustements sont aussi une des missions du prof de classe d’accueil. CF, en colère face à l’attitude homophobe de Filip, choisit pourtant de ne pas le punir, mais plutôt de faire sentir dans un discours plus général sa colère et sa profonde déception. CF semble vouloir faire entendre son message sans rompre le lien avec cet élève, pour qui, on le sait déjà, il a de l’estime. Et ce lien en effet deviendra fondamental dans la deuxième partie du texte. CF, assis à côté de Filip, l’aide à exprimer au mieux ce qu’il souhaite sur son dessin, et finalement lui permet de rendre réaliste un très beau paysage de guerre. « Je l’aide à bien dessiner le feu, à bien dessiner la fumée, à bien dessiner des avions, à bien dessiner la guerre.»
Nous assistons à un moment d’accompagnement silencieux des traumatismes de l’élève, le partage d’un moment de vie crucial, terrible et donc caché, qui peut expliquer qui est aujourd’hui Flip.
Y-a-t-il un lien entre ces deux moments distincts ? Chaque lecteur pourra en construire un ou pas. Ces deux moments sont en tout cas imbriqués dans la phrase : « Filip, homophobe à quinze ans, me dessine la guerre, et je ne sais pas quoi dire, je ne sais, cette fois, pas quelle colère hurler.» Il y a donc un moment de cris et de fureur : « Je parle fort. Très fort ». Et un moment où la parole est en trop : « Et moi je ne sais pas quoi dire », répété deux fois.

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Table des matières

1. Introduction 
2. Problématique 
3. Eléments contextuels : La classe d’accueil
3.1 Contexte historique et objectifs
3.2 L’identité professionnelle de l’enseignant en classe d’accueil
4. Cadre théorique 
4.1 Interrogations sur le processus d’écriture
4.2 L’écrit professionnel
4.3 Écriture et identité professionnelle
5. Méthodologie 
5.1 Les étapes de la démarche
5.2 Les données récoltées
5.3 Analyse des textes et de l’entretien
6. Analyse des textes et de l’entretien 
6.1 AF
6.2 EM
6.3 LH
6.4 CF
7. Analyse générale 
7.1 Quelle écriture ?
7.2 Une identité professionnelle à construire
8. Conclusion 
Bibliographie 
Annexes

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