L’identité culturelle et l’éducation de l’enfant rom 

Représentation de l’Autre

Il s’agit dans cette partie d’éclaircir d’abord le débat actuel sur le terme « Rom ». Nous montrerons ainsi dans quelle mesure cette appellation est chargée de connotations négatives, ce qui nécessite une justification par rapport à son emploi. Ensuite, nous tenterons de cerner la façon dont la position, le statut et les représentations de la population rom se sont construits par un détour historico-politique. Ce faisant, il sera plus aisé de comprendre la perception des Roms à l’heure actuelle ainsi que leur place dans la société serbe.

Débats terminologiques : la complexité au rendez-vous

Afin d’entamer cette recherche, nous proposons d’abord de nous tourner vers la désignation de cette population qui fait couler beaucoup d’encre. Ceci permettra de nous positionner et d’apporter des précisions sur la dénomination de cette minorité , à savoir les élèves concernés par cette étude. Marco Bordigoni nous rappelle aussi au début de son ouvrage Les Gitans que « toute description d’une réalité débute par le choix des mots nécessaires pour la nommer. Dès cet instant, la complexité est au rendez-vous » (2009 : 9). Il est clair que cette complexité se traduit par une gamme d’appellations telles que Gitans, Roms, Tsiganes, Gens du Voyage, Manouches, etc. ousimplement Roms, en référence à l’appellation globale.
Pour rappel, le terme générique « Roms » est créé par l’Organisation des Nations Unis, puis l’Europe et de nombreuses organisations internationales roms dans les années 60 (Canut & Hobé, 2011 : 9). Autrement dit, il est accepté comme « politiquement correct », « neutre » et c’est celui qui est en usage officiel. Si nous creusons davantage le sujet, nous sommes d’emblée frappée par le caractère réducteur et catégoriel de ce terme. Dans cette perspective, sur le site du Conseil de l’Europe, nous pouvons trouver l’explication suivante : « Le terme ‘Roms’ désigne les Roms, les Sintés (Manouches), les Kalés (Gitans) et les groupes de populations apparentés en Europe, dont les Voyageurs et les branches orientales (Doms, Loms) ; il englobe la grande diversité des groupes concernés, y compris les personnes qui s’auto-identifient comme ‘Tsiganes’ et celles que l’on désigne comme ‘Gens du voyage’ . »
En d’autres termes, cet exonyme met dans le même ensemble des groupes divers existants au sein de ces populations. Par conséquent, il n’est pas surprenant que cette appellation soit déniée par lesspécialistes qui y trouvent une homogénéisation des populations et des individus. Dans cette optique, Canut et Hobé mettent en avant le but d’une telle catégorisation qui est « de masquer une complexité sociale et […] de déshistoriciser un ensemble de populations aux trajectoires et aux pratiques hétérogènes » (2011 : 9). En ce sens, nous pouvons d’ores et déjà parler d’une double catégorisation subie par le peuple rom – à l’intérieur d’une population (relative à l’homogénéisation des individus) et au sein d’un ensemble des populations (réduction à l’essentialisme des groupes entiers). C’est pour cette raison que certains membres de ce peuple ne se reconnaissent pas dans l’appellation « Rom ». Elle n’englobe qu’une partie de ce monde(Bordigoni, 2007 :17-18). L’argument avancé est celui d’un marquage partiel. En d’autres mots, le terme « Roms » désigne le peuple marqué par les cultures slaves et balkaniques. Notre intention n’est pas d’entrer dans les détails. D’après la littérature que nous avons consultée, nous avons pu observer que les chercheurs utilisaient en général le terme « Roms » (Canut & Hobé, 2011 ; Liègeois, 2007 ; Meunier, 2007, 2009 ; Rigolot, 2009, 2010) et « Tsiganes » (Berthier, 1979 ; Liègeois 1997, Reyners 2003).

Un détour historico-politique sur les Roms en Serbie : quel rapport à l’Autre ?

Bien que notre objet de recherche ne porte pas sur l’histoire des Roms en Serbie, il convient de faire un petit détour par celle-ci. Ainsi, nous serons en mesure de mieux comprendre la façon dont les relations se sont tissées entre ces deux populations, serbe et rom, et de saisir leur position et leur statut actuels. Afin d’y parvenir, nous allons nous référer principalement à deux ouvrages en langue serbe (Jakšić et Bašić 2005 ; Radovanović et Knežević, 2014). Soulignons égalementque nous avons fait la traduction du serbe vers le français.
Les premières données sur la présence des Roms sur le territoire de la Serbie datent du Moyen Âge. On parle des Tsiganes forgerons qui travaillent dans les locaux des forteresses. En tant que bons artisans militaires, ils occupent une position privilégiée au sein de la société. Ceci nous renvoie au fait que leur statut, ainsi que leur image, n’étaient pas alors dépréciés. Ensuite, lors des conquêtes ottomanes, les Turques notent de plus grands groupements de ce peuple dispersés sur l’ensemble du territoire serbe (Radovanović et Knežević, 2014 : 20). Donc, nous remarquons que, déjà à cette époque-là, le trait saillant de la distribution géographique des Roms est la dispersion territoriale (cf. carte de l’annexe 1, p.93). Celle-ci rendra plus difficile la jouissance de leurs droits à l’heure actuelle. Mais nous reviendrons sur ce point dans la partie suivante.
Au XIXe siècle, on assiste aux migrations de Roms provenant des pays voisins de Serbie.
Ainsi, ils viennent de la Roumanie, de la Bosnie et de la Bulgarie, ce qui confirme une diversité et une hétérogénéité existantes au sein de cette population. Cette période se révèle très importante pour les Roms dans le domaine des droits. Tout d’abord, suite à leur participation à la PremièreInsurrection serbe (1804), ils bénéficient du même statut que les Serbes. Cela signifie le droit à la liberté, à la terre, à l’égalité devant le tribunal, à la confession religieuse et au respect des mœurs de leur culture et de leur tradition (Jaksić et Bašić, 2005 : 20). À cet égard, Radovanović et Knežević mettent en avant l’idée que cet acte d’égalité juridique s’avère comme « un acte de réussite sociale et de civilisation » [notre traduction] (2014 : 22). De même, un peu plus tard, l’égalité des Roms avec les autres citoyens de Serbie est proclamée par la Constitution de Sretenje de 1835 (la première Constitution serbe), mais aussi par le Code civil serbe de 1844. Nous pourrions dire que la reconnaissance officielle des droits de ce peuple et de leur égalité avec d’autres citoyens est en partie précurseur de la loi actuelle sur la Protection des droits et des libertés des minorités nationales (2002). De ce fait, il n’est pas surprenant que lesdits auteurs parlent d’ « un acte de réussite sociale et de civilisation » (Ibidem). Il ne faut également pas perdre de vue le fait que cela se passe au XIX e siècle.
L’ancrage de leur position dans la société, entamée à cette époque-là, continue de se renforcer au siècle suivant, précisément jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Des organisations diverses telles que les associations, la société de chanteurs, le club de foot, etc. témoignent de leur statut social, de leur implication et de leur présence dans la société (Jakšić et Bašić, 2005 : 23).
Néanmoins, il est à remarquer que les rapports des non-Roms à l’égard des Roms ainsi que leur perception dans la société étaient plus inégales et hostiles à plusieurs niveaux au cours du XX e siècle. Attardons-nous d’abord sur le niveau le plus haut à savoir le niveau étatique.
Après la Seconde Guerre mondiale, le régime social établi en Yougoslavie proclamait l’égalité de tous – des nations (narodi) ainsi que des nationalités (narodnosti) . Étant donné que la population rom n’avait pas de statut de « narodnosti », elle ne pouvait pas jouir de mêmes droits que les autres nationalités (Acković, 1992). Autrement dit, les catégories privilégiées par la Constitution étaient les nations et les nationalités. De là, nous voyons que la notion d’égalité était cantonnée à ladite Constitution et que les citoyens subissaient un « traitement » inégal dans un pays qui mettait en avant « la fraternité et l’égalité ». Un exemple suffira à étayer cette affirmation.
Nonobstant le fait que la politique favorisait le maintien de toutes les langues dans le pays et la possibilité pour les différentes nationalités d’être scolarisées dans leur langue maternelle, les Roms sont exceptés de ce cas. Ils sont éduqués dans la langue majoritaire, ce qui implique une politique assimilationniste à l’égard de cette communauté.
En effet, dans le statut de « narodnosti » qui pourrait être attribué aux Roms, certains hommes politiques voyaient le premier pas vers la solution du « problème » des Roms (Jakšić et Bašić, 2005 : 26). Le problème, permettons-nous de le dire, éternel et actuel, en Serbie ainsi qu’en Europe, touche en priorité le domaine socio-économique. Ainsi, une population hétérogène, au statut économique et social différents, est catégorisée, sans prendre en considération l’aspect culturel, comme « un problème social » à résoudre, à savoir « la plus pauvre », « la moins scolarisée », « la plus défavorisée » en enchaînant les qualitatifs négatifs au superlatif. Enrevanche, certains auteurs indiquent qu’à l’époque de la Yougoslavie, les Roms ont renforcé leur position sociale. Ils soulignent particulièrement que « le régime social de la Yougoslavie était propice au processus de l’extraction du cadre de la vie rigide et traditionnelle » [notre soulignement et traduction] (Radovanović et Knežević, 2014 : 24). Il est donc évident que la population est perçue comme « attardée » et qu’il fallait l’assimiler au « norme nationale, valeurabsolue, des majoritaires » (Juteau, 2015 :108).
Ajoutons encore un aspect non-négligeable éclaircissant l’appréhension de l’altérité en Serbie tout au long du siècle précédent.

Le statut de minorité nationale : oui, mais comment ?

Au début du XXIe siècle, la Serbie a adhéré aux Nations Unies (2000), au Conseil de l’Europe (2003) ainsi qu’aux autres organisations internationales. Ce faisant, elle s’est engagée en faveur de la protection des droits des minorités nationales conformément aux actes conçus par lesdits organismes – comme la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses ou linguistiques, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1992 ; la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (1995) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1992) du Conseil de l’Europe. Dès lors, outre les minorités traditionnelles (allemands, hongrois, slovaques, roumains, etc.), chaque groupe ethnique jouit officiellement du statut de minorité nationale. En d’autres termes, la population rom est reconnue en tant que minorité nationale depuis 2002. Attardons-nous un instant sur la notion de minorité nationale. Qui désigne-t-elle et sur quels critères un groupe peut-il être considéré comme minorité nationale ? Gossiaux souligne l’absence d’une définition générale et acceptée de cette notion dans les textes cités ci -dessus et cela a suscité un vif débat en la matière (2002 : 198). Par contre, ces concepteurs se justifient par l’impossibilité de recouvrir toutes les situations existantes en une définition. Au demeurant, il s’ensuit que tous les membres ont établi leur propre définition afin de reconnaître un groupe minoritaire au sein de leur territoire. Dans cette logique, la Serbie explicite cette notion en termes juridiques dans l’article 2 de la Loi sur la protection des droits et des libertés des minorités de la République de Serbie (2002) :
« Au sein de cette loi, est considéré comme minorité nationale tout groupe de citoyens de la République fédérale de Yougoslavie étant en nombre significatif, et bien que représentant une minorité sur le territoire de la République fédérative de Yougoslavie, appartenant à un groupe de résidents ayant une longue et forte relation avec le territoire de la République fédérale deYougoslavie et possèdent des caractéristiques telles que la langue, la culture, l’appartenance nationale ou ethnique, la nationalité ou la confession religieuse, qui la différencie de la majorité de population, et dont les membres ont le souci de consolider collectivement leur identité commune, y compris leur culture, leur tradition, leur langue et leur religion »[notre traduction].
Nous pouvons remarquer que les critères à partir desquels une minorité nationale est déterminée sont les suivants : la langue, la culture, l’appartenance nationale et ethnique, la nationalité et la confession religieuse. En effet, le critère numérique demeure assez flou.
La reconnaissance d’un groupe en tant que minorité implique la jouissance de ses droits ainsi que leur respect par l’État. Pourtant, nous constatons un décalage significatif entre la pratiqueet la « théorie » qui touchent particulièrement la minorité rom. Ainsi, la Serbie a établi le critère numérique à partir duquel lesdits droits sont en vigueur. En ce sens que pour jouir d’un droit, il est prescrit un nombre minimal de membres de la minorité présents sur le territoire local. Compte tenu de la dispersion territoriale des Roms sur l’ensemble du pays, due aux facteurs historiques, politiques, économiques, etc., lesdits droits sont en partie applicables sur cette minorité (cf. carte de l’annexe 1, p.93). Il est possible de cerner le phénomène en se penchant sur le droit à l’éducation dans la langue maternelle. Ainsi, l’enseignement en langue maternelle peut s’effectuer seulement au cas où quinze élèves au minimum s’inscriraient en première année . Cependant, à notre connaissance, aucune école n’assure l’éducation en langue romani. En dépit du nombre d’élèves suffisant dans certaines écoles, se pose le problème du manque d’enseignants d’origine roms ainsi que du manque de matériel pédagogique.

Foyer sur la réglementation en matière d’éducation

À l’arrivée du régime démocratique au pouvoir en Serbie, des changements dans plusieurs domaines ont été mis en œuvre. Dans cette optique, la réforme de l’éducation est entreprise. Elle vise la modernisation de l’éducation et pour y aboutir, il fallait établir un cadre juridique et stratégique qui permettrait une éducation plus efficace et juste pour tous sans exception. Dans ce sens, elle esquisse son objectif principal – accroître la qualité de l’éducation pour tous les élèves, particulièrement pour ceux issus des milieux défavorisés. Cela entraîne un engagement du pays pour la promotion de l’éducation au sein de la minorité rom.
La « question » de la scolarisation des enfants roms est traitée dans les documents généraux de la République de Serbie ainsi que dans les documents stratégiques spécifiques. Dans cette perspective, nous allons passer en revue, de manière synthétique, tous les documents, des plus généraux aux plus spécifiques, relatifs à ce sujet.
Le document le plus général, qui réglemente toutes les activités éducatives, est la Loi de base du système éducatif de 2009 avec les modifications effectuées en 2013 . Il est utile de mentionner, tout d’abord, que cette loi s’inscrit dans un nouveau cycle de réformes de l’éducation entamée en 2001. Notons aussi que les Lois sur l’éducation préscolaire, primaire, secondaire et universitaire reprennent les grandes lignes de la Loi sur les fondements du système d’éducation.
Ainsi, dans l’article 3 de la présente loi, nous pouvons déjà constater les objectifs principaux sur lesquels l’éducation est fondée. Il indique que tous les citoyens de la République de Serbie, quelle que soit leur origine, ont un droit égal d’accès à l’éducation et à une éducation de qualité. Afin d’y parvenir, l’État a entrepris des mesures particulières, notamment pour stimuler plus grand nombre d’enfants roms à la scolarisation. L’objectif de cette mesure est très clair – une amélioration du statut social et économique de la minorité rom par l’éducation. C’est exactement en cela qu’il rejoint celui de l’Union européenne. En ce sens, la loi facilite l’inscription à l’école primaire, particulièrement des enfants issus des milieux défavorisés (en l’occurrence des enfants roms).

Profil des enseignants

Le collectif d’enseignants à l’école est composé d’institutrices (à l’école élémentaire) et deprofesseurs (au collège). En général, ils sont tous âgés, bientôt à la retraite. La plupart d’entre eux travaillent dans cet établissement depuis environ quinze/vingt ans. Mais suite aux circonstances évoquées précédemment, ils se sont trouvés dans un contexte qu’ils n’ont pas choisi. C’est pourquoi nous pouvons comprendre leur nostalgie et leur chagrin. L’école était autrefois excellente, jouissant d’une bonne réputation. Pourtant, à l’heure actuelle, les enseignants expriment des difficultés à atteindre « la réussite » avec les élèves. Cette représentation provoque leur découragement et leur démoralisation, ce qui est bien démontré par les propos de la directrice.

À la poursuite des représentations et des difficultés à l’école

Nous nous attacherons ici à mettre en évidence des instruments dont nous nous sommes servie pour la récolte des données. Dans cette logique, nous expliciterons d’abord les choix opérés, les difficultés ou au contraire les facilités lors des prises de contact avec nos enquêtés. Ensuite, nous présenterons le déroulement de l’enquête et justifierons nos choix méthodologiques.

Recueil de données et constitution du corpus d’étude

Rappelons tout d’abord que l’objectif de notre recherche est de saisir les difficultés et les écueils auxquels les élèves roms ainsi que les enseignants sont confrontés à l’école. Pour y arriver, nous avons envisagé de recueillir les représentations des élèves, des enseignants et de l’école par nos enquêtés. Cette méthode nous a permis à la fois de cerner les représentations qui circulent dans le milieu scolaire, les rapports intersubjectifs et de ressortir les difficultés qui en découlent. Dans cette optique, afin de collecter nos données, nous nous sommes inspirée des travaux issus de la psychologie sociale sur la notion de représentation. Par ailleurs, il convient maintenant de convoquer de manière synthétique nos références théoriques pour expliciter après la manière dont nous avons recueilli et constitué notre corpus.
Pour Jodelet, « représenter ou se représenter correspond à un acte de pensée par lequel un sujet se rapporte à un objet. Celui-ci peut être une personne, une chose, un événement matériel, psychique ou social, un phénomène naturel, une idée, une théorie, etc. Il peut être aussi bien réel qu’imaginaire ou mythique, mais il est toujours requis. Il n’y a pas de représentations sans objet » (1993 : 22-24). Dans cette conception, nous remarquons clairement la dialectique entre le sujet et l’objet, l’intérieur et l’extérieur. C’est aussi dans cette perspective que Moscovici not e que « le sujet et l’objet ne sont pas foncièrement distincts » (1969 : 9). Mais dans quel sens ?
En clair, disons que si un individu ou un groupe émet une opinion à propos d’un objet, cette opinion devient son élément constitutif. Ainsi, on perçoit cet objet à travers notre système d’évaluation et de valeur tout en dépendant du contexte social, historique et idéologique. De la sorte, il est toujours en connexion étroite avec le sujet. Il n’existe pas en lui-même, mais toujours pour le sujet ou par rapport à lui. Il devient d’une certaine façon le prolongement de notre comportement, de nos attitudes ou des normes auxquelles nous nous référons (Abric, 2016 : 16).
En ce sens, le sujet et l’objet sont intimement liés. Dans cette perspective, les représentations présentent, de manière générale, des ensembles d’opinions, d’informations et de croyances associées à un objet donné (Abric, 2016 : 25).
La collecte de représentations (des élèves, des enseignants, de l’école) a nécessité l’inclusion de tous les acteurs de l’institution scolaire dans l’enquête – les enseignants, les élèves et la directrice. Pour y aboutir, nous avons privilégié l’entretien en tant que méthode la plus propice et ceci à deux niveaux – comme méthode principale (avec les enseignants et les élèves) et complémentaire (celui conduit avec la directrice). Il est à noter que chaque acteur de cette étude était soumis à une modalité différente d’entretien. Mais nous reviendrons sur ce point dans la section suivante. En bref, notre corpus d’étude est constitué d’entretiens enregistrés que nous avons retranscrits (cf. annexes 2, 3 et 4).
L’entretien en tant que mode d’enquête nous a permis d’entrer en contact avec les sujets et les groupes. En ce sens, nous étions en mesure de mieux observer les enquêtés et de faire émerger les représentations de la manière la plus discrète possible. C’est pourquoi la relation enquêteurenquêté s’est établie sur le mode compréhensif. Ainsi, ce type d’enquête a provoqué un grand intérêt chez les enquêtés. Ils étaient en mesure d’exprimer leurs sentiments, leurs émotions, leurs problèmes, de se faire écouter et de raconter leur perception sur le sujet en question.
Il n’est pas anodin de rendre compte de la manière dont nous avons établi le contact avec l’école, plus précisément avec la directrice, dans le but d’effectuer cette recherche et les difficultés auxquelles nous nous sommes confrontée.

La directrice

L’entretien mené avec la directrice a visé à compléter les représentations recueillies auprès des élèves et des enseignants. En ce sens, il nous permettra de procéder à leur analyse plus fine et de révéler les points convergents et divergents. De cette manière, nous serons en mesure d’examiner de plus près les difficultés rencontrées à l’école par les élèves, mais aussi par les enseignants et la directrice.
Dans cette perspective, nous avons abordé, par le biais d’entretien demi-structuré, les thématiques relatives à l’école, aux élèves et aux enseignants. Les questions lancées à notre interlocutrice étaient assez ouvertes et lui ont permis de choisir « la porte d’entrée » dans la thématique abordée (cf. guide d’entretien en annexe 3, p.116)
À travers ce chapitre, nous avons pu cerner de plus près la complexité du terrain dans lequel notre recherche se situe. L’imbrication intime des éléments tels que pratiques ségrégationnistes à l’extérieur et à l’intérieur de l’école, la perception de l’élève rom comme indésirable, la démotivation et la démoralisation des enseignants, etc. sont annonciateurs, en partie, des représentations, des difficultés et des obstacles existant dans le milieu scolaire. Nous imaginons aisément que les représentations émises par nos interlocuteurs forment un tout complexe dont il faut prudemment dénouer les fils dans le chapitre suivant. Rappelons aussi que le corpus d’étude, qui sera analysé plus tard, est constitué de données recueillies par le biais d’entretiens. Selon le profil de nos enquêtés, nous avons utilisé les différentes modalités : des entretiens non directifs, des entretiens collectifs et un semi-directif.

« Le bagage familial » de l’enfant rom à l’école

Les représentations des élèves et les relations à l’école seront influencées, en partie, par le bagage familial que l’enfant porte avec lui. Il s’agit donc d’un ensemble de formes et de règles culturelles – les valeurs, les façons de penser et les normes de son groupe d’appartenance qu’il a intériorisées. Ce système de repères permet à l’enfant d’organiser une grande partie de son comportement (Perrefort, 2001 : 11-12). De ce fait, pour comprendre ce qui se passe à l’école, les difficultés auxquelles les élèves, mais aussi les enseignants sont confrontés, il nous semble important de nous tourner d’abord vers la famille. Cette approche est largement soutenue par le s spécialistes des Roms étudiant, notamment, la question de l’éducation scolaire (Liégeois, 1997, 2007 ; Reyners, 2003 ; Meunier, 2007). Formoso (1986) et Berthier (1979) en particulier se basent sur l’éducation et la socialisation de l’enfant rom au sein du milieu familial pour expliquer la diversité qui en ressort.
Par ailleurs, nous nous attacherons dans cette partie à mettre en lumière les points essentiels de l’identité culturelle ainsi qu’à dresser les caractéristiques de la socialisation et de l’éducation de l’enfant telle qu’elle s’effectue dans la famille/société rom. Ensuite, la perspective précédente sera conjuguée et complétée avec les rapports des Roms vis-à-vis de l’école en nous référant aupoint de vue des romologues.

L’identité culturelle et l’éducation de l’enfant rom

Comme nous l’avons déjà évoqué dans le premier chapitre, la société rom est marquée par une hétérogénéité de groupes, ce qui implique une diversité culturelle et de pratiques. De ce fait, nous ne pouvons pas parler de l’identité culturelle unificatrice d’une société disparate, pas plus que d’un groupe. Il en va de même pour l’éducation des enfants dont les pratiques diffèrent d’une famille à l’autre. Mais en dépassant cette diversité, les auteurs sont unanimes sur le fait qu’un modèle commun se dégage au sein de la société rom, modèle qui est en mesure de rendre plus clair leur altérité (Liégeois, 1997, 2007 ; Berthier, 1979 ; Reyners, 2003 ; Formoso, 1986).
L’identité des Roms s’inscrit dans celle d’un groupe, ce qui efface l’existence de chaque individu et l’individualité au sein de cette société. Ce qui compte, c’est l’appartenance au groupe par laquelle l’individu est reconnu. En ce sens, notons le point fort qui en ressort – la cohésion qui est d’abord au niveau familial (un ensemble de cohérence, de continuité et de sécurité) pour englober celle du groupe. Cette unité conforte davantage la frontière entre deux mondes – celui des Roms et celui des non-Roms. Ainsi, son rôle primordial est la préservation de la culture et de la différence à savoir de l’identité « rom ». Et voilà le point convergent englobant tout un ensemble de groupes hétérogènes : une grande volonté de se distinguer des « gadjé ». Dans cette perspective, Liégeois met en exergue l’aspect essentiel de l’identité rom qui « se construit pourune part essentielle dans la différence » (1997 : 54).
En effet, la figure principale dominant cette société et assurant la sauvegarde de la culture, la préservation de la tradition et de la distinction de l’Autre, c’est l’Enfant. Il prend une place et un statut particulier. Et nous verrons que, dès sa naissance et tout au long de son enfance, il se prépare en filigrane à devenir un membre du groupe qui sera soumis aux règles et aux interdits de ce dernier. Les relations qu’il établit avec sa famille puis avec son groupe, l’attachement fort qui s’ensuit, auront un double objectif : le renforcement de l’appartenance à son groupe d’une part, et de l’autre, l’opposition au monde des « gadjé ». Ainsi, la cohésion de la société est permanente.
Dans cette optique, l’éducation des enfants est un acte collectif dans la famille auquel participent toutes les générations présentes dans la vie enfantine. L’aspect primordial de la pédagogie « rom » est une éducation à l’autonomie. En d’autres termes, les enfants acquièrent les pratiques sociales et économiques de manière implicite, en imitant leurs grands-parents, leurs parents et leur fratrie. Ils apprennent vite et participent dans les devoirs et tâches à l’intérieur du groupe d’après leur appartenance sexuelle : les filles à ceux des femmes et les garçons à ceux des hommes. De ce fait, la transmission des connaissances est un processus circulaire où l’enfant jouit d’un double rôle : celui de l’éduqué et de l’éducateur de sa fratrie. Par conséquent, nous remarquons que l’acte éducatif se déroule en immersion, dans un contexte bien précis, par la pratique, les tâches réelles et la participation.

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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I – ROM, L’AUTRE PAR EXCELLENCE
1. Représentation de l’Autre
1.1. Débats terminologiques : la complexité au rendez-vous
1.2. Un détour historico-politique sur les Roms en Serbie : quel rapport à l’Autre ?
2. Roms en Serbie à l’heure actuelle
2.1. La réalité des Roms : la minorité la plus défavorisée
2.2. Le statut de minorité nationale : oui, mais comment ?
3. Éducation : le point sombre dans la réalité rom
3.1. Quelques constats sur l’éducation des Roms
3.2. Foyer sur la réglementation en matière d’éducation
CHAPITRE II – VERS L’ÉCOLE
1. Contexte du terrain de recherche
1.1. École « rom »
2.2. Profil des enseignants
2. À la poursuite des représentations et des difficultés à l’école
2.1. Recueil de données et constitution du corpus d’étude
2.2. Choix des outils méthodologiques
CHAPITRE III – L’ÉLÈVE ROM FACE À L’ÉCOLE : L’ÉCOLE FACE À L’ÉLÈVE ROM 
1. « Le bagage familial » de l’enfant rom à l’école
1.1. L’identité culturelle et l’éducation de l’enfant rom
1.2. Le rapport des Roms à l’école
2. Le malaise des enseignants ou les difficultés des élèves ?
2.1. Les élèves roms – « matériel » qui ne conduit pas à la réussite
2.2. Les enfants roms appliqués en classe, mais
3. Les voix des élèves
3.1. École : nécessité fondamentale pour l’avenir
3.2. Images des enseignants – reflet des images des élèves
CHAPITRE IV – VERS LA LEVÉE DES BLOCAGES 
1. Comment faire bouger les lignes ?
1.1. Re-connaissance des parents/des élèves roms
1.2. Ancrage relationnel école-famille
2. Dépassement des difficultés : exploitation du capital culturel de l’élève
2.1. Vers de nouvelles pratiques en classe
2.2. Langue romani : point d’appui pour l’apprentissage du serbe
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE 
ANNEXES
Annexe 1 : Cartes et document relatif à la structure de l’école
Annexe 2 : Corpus – enseignants
Annexe 3 : Corpus – directrice
Annexe 4 : Corpus – élèves

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