L’IDENTIFICATION DU RECIT ET LE REGROUPEMENT DE SENS

APERÇU GEOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET CULTUREL

Un proverbe malgache dit : « Le fleuve a donné naissance aux caïmans ; la source a donné naissance au fleuve » . L’enchaînement de ce travail suit cette logique. Les récits oraux sont inclus dans le folklore oral, lequel fait partie intégrante de la tradition. C’est une manière de vivre, de penser, de s’exprimer et de s’affirmer. Le récit est l’aboutissement d’un assemblage complexe formé par des cadres géographique et historique bien définis. Le récit est alors un chaînon qui ne peut être étudié séparément, sinon il devient insensé, incompréhensible tout en perdant sa juste valeur. Aussi est-il nécessaire de jeter un coup d’œil sur la géographie, sur l’histoire, ainsi que sur la culture de la région. Ces notions participeront à l’éclaircissement des différentes analyses des récits.

Contexte géographique 

Le lieu d’enquête est situé entre le 17e et le 18e degré de latitude Sud, le 48e et le 49e degré de longitude Est , dans la région d’Alaotra-Mangoro. La population, en majorité des Sihanaka, se concentre autour du lac Alaotra. Dans l’invocation sacrée ou le joro, le territoire sihanaka se délimite comme suit :

– au sud par la colline d’Anjiro ;
– au nord, par celle d’Ampatakamaroreny, la frontière entre le territoire sihanaka et le territoire tsimihety ;
– à l’est par la colline de Vohibato, dans la région Betsimisaraka ;
– à l’ouest par le village d’Atsanga, dans la partie des Marofotsy, population de la région comprise entre la Haute Mahajamba, la Betsiboka et le massif de Tsaratanàna.

Par son climat chaud et humide, ainsi que ses vastes plaines, la région a une vocation agricole. L’activité économique est surtout centrée sur la riziculture. Cette dernière demande beaucoup de patience et de stabilité, d’où l’idéal de la population : la sédentarité. L’élevage bovin et la pêche continentale y prospèrent également.

Contexte historique 

La population sihanaka est une population issue de l’immigration. Pour ne parler que de l’immigration intérieure, les plus remarquables sont celles des Betsimisaraka, des Tsimihety et des Merina. Les Betsimisaraka ont envahi la région. Ils ont même attaqué cette dernière mais ils étaient vaincus grâce au pouvoir magique de Rasoavintsy, une femme mpañazary .

Les Tsimihety, avant la colonisation, n’avaient pas de rois. Ils ne se fiaient qu’aux mpañazary pour guider le clan. Le fanjakan’ny valoambitelopolo ou les trente-huit tribus étaient dirigées par le mpañazary nommé Rona. À sa mort, d’autres mpañazary le succédèrent, dont Rangotsy et Ratanibe . Ces deux mpañazary sont, par la suite, partis vers la région sihanaka, car Rangotsy, de son côté maternel, est Sihanaka. Quant à Ratanibe, il est Tsimihety, originaire du village d’Ambodihazomany. Tellement les trente-huit tribus ont connu la paix sous son règne que beaucoup de tribus voisines y sont adhérées : les Betsimisaraka, les Sihanaka, les Sakalava . C’est pourquoi les Tsimihety, ainsi que les Sihanaka ont des mpañazary communs. Des Hova venant de l’Imerina s’y sont installés, au début du XIXe siècle, lors de la conquête de Radama I .

La région sihanaka n’a jamais été un royaume mais un patriarcat. Le peuple s’est alors dispersé pour former de petites agglomérations dans des hameaux pour leur sécurité. A la place des rois, les mpañazary guidaient la vie de ce groupe, ils imposaient des interdits, ils conseillaient le peuple qui leur attribuait tout respect . La plupart des villages sont fondés par des mpañazary et possèdent leurs légendes relatives au fondateur. C’est le cas d’Ambatondrazaka, fondé par le mpañazary Razaka et Amboavory, par Rangotsy, etc.

Contextes culturels 

La population accorde une grande importance aux croyances ancestrales. La signification du terme « zañahary » est multiple. En premier lieu, il signifie dieu créateur, ensuite les ancêtres, puis le soleil et la lune, le ciel et la terre, le zébu, le miel et enfin le riz. Les Sihanaka ont aussi une conception fataliste de la vie. Rien n’est laissé au hasard, tout dépend du anjara, « la part », du lahatra, « l’ordre cosmique ». Le tody et le tsiny sont conçus comme étant les chocs en retour provoqués par des fautes commises à l’encontre des ancêtres et des génies. La vie d’un individu dépend de son destin. D’où le rôle inévitable du devin guérisseur, le redresseur et le correcteur de destin pour rétablir l’ordre selon la « volonté » humaine. Dans la région, les tabous y sont encore strictement respectés par peur de ces chocs en retour et par respect des zañahary. Les lieux de cultes sont généralement les lieux gardant les traces matérielles d’un mpañazary fondateur et protecteur.

LA MÉTHODE D’ENQUÊTE

L’enquête est une étape essentielle de la recherche parce que la pertinence du travail en dépend. C’est une voie presque obligatoire dans tous les travaux de recherche sur l’oralité et l’anthropologie. Elle consiste à entraîner le chercheur sur un terrain choisi afin d’observer, d’enregistrer les réalités et de rassembler des données, d’une manière sélective, en fonction du sujet étudié. Notre enquête avait pour buts de collecter tous les récits concernant les mpañazary, ainsi que tous les sujets les concernant. Elle consiste à inciter les informateurs à la narration et à exposer le maximum d’informations sur les mpañazary. La recherche sur le terrain est une tâche qui exige une méthode bien adaptée. La méthode de collecte qualitative nous semblait la mieux appropriée à notre thème . Elle permet de saisir les enchaînements logiques des informations, tandis que la méthode quantitative se préoccupe de la mesure. La première se ramifie en deux branches souvent interdépendantes que sont l’observation et l’entretien. Elle est utilisée en science sociale dans le but de collecter plus d’informations tout en respectant le caractère flexible et changeant de la société.

La méthode d’observation 

La méthode d’observation fait partie intégrante des processus de production de données. Elle consiste à observer des faits réels, tels qu’ils se présentent dans la vie quotidienne. Le chercheur enregistre d’une manière « précise et systématique », objectivement, « les activités auxquelles se livrent les gens dans leur cadre normal ». Néanmoins, la nature de l’enquête varie selon l’angle d’observation à savoir l’enquête longitudinale, où l’observation se fait à longs termes et l’enquête transversale qui s’effectue dans une période courte bien précise. C’est cette dernière que nous avons adoptée. Il faut aussi préciser que l’observation n’a pas été participative. C’était une observation neutre et tout en prenant notre distance pour mieux observer et ne pas se laisser émousser par les habitudes et notre appartenance au groupe ethnique.

La méthode d’entretien 

Malgré les présentations faites au début de la rencontre, nous étions obligée de nous plier aux interminables questions sur notre ascendance. Les villageois se réfèrent à la généalogie pour identifier une personne. La question posée est du genre : de quel village êtes-vous originaire ? Cette question exige implicitement des réponses bien déterminées contenant l’origine, les noms des aïeux, des parents. Faire partie de la famille élargie des informateurs est un atout. Les villageois se montrent confiants pour livrer des informations. Pour l’entretien, nous avons opté pour la méthode « de face-à-face » pour être en relation directe avec l’informateur et faciliter l’enregistrement. La technique choisie est l’entretien libre. Ce qui nous a permis de diriger l’entretien tout en laissant libre cours à la narration.

Fiche d’enquête 

Avant d’entamer l’enquête proprement dite, nous avons établi une fiche d’enquête pour gérer les données recueillies.

Certes, les questionnaires font partie du plan d’enquête, ils sont même obligatoires et la méthodologie les conseille vivement. Pourtant, d’après notre expérience, les questionnaires préétablis avec les phrases ordonnées et systématiques, conformes au milieu intellectuel semblent compliqués pour les villageois. Ils ne font que limiter leur inspiration et bouleverser l’ordre du récit. Parfois, ils risquent d’éloigner le narrateur du sujet. Cela est causé par le fait que le narrateur se croit face à un examen. Il se trouve ainsi dans une situation non décontractée, où le récit n’est plus une activité ludique mais une obligation. Les questionnaires peuvent aussi effrayer le narrateur. Tant il se sent limité et s’attend à être jugé que finalement, il a peur d’élargir le sujet, de livrer d’autres informations importantes pouvant toutefois enrichir le corpus. Alors, il est préférable de laisser le narrateur parler à sa guise. Les questionnaires préétablis sont réservés à la fin de l’entretien pour combler les lacunes et pour l’aider à repérer les points flous à éclaircir.

La visite des lieux 

Les lieux visités sont les villages, dont l’histoire a un rapport avec un ou des mpañazary.

Village 1 : Amboavory, une localité incluse dans le district d’Amparafaravola, au Nord-Ouest du lac Alaotra. But : Obtenir des informations sur le mpañazary Rangotsy, dont l’histoire est liée à celle du village, ainsi qu’aux mœurs. Il y a déposé une pierre sacrée appelée « Arivolahitsimatindraiandro », Mille-hommes-ne-meurent pas-en-unjour, pour protéger le village des catastrophes naturelles et empêcher l’invasion des Etrangers, surtout les Blancs durant la colonisation jusqu’à présent. Résultats : Dans ce village, nous avons recueilli une histoire globale sur les mpañazary, des informations incomplètes sur Rangotsy, dont l’histoire est mal connue et quelques témoignages sur l’existence du village invisible d’Andrebabe.

Village 2 : Vohimena, une localité situé à 40 km d’Amboavory, du côté Nord-Est du lac Alaotra. But : Visiter Andranofotsy, un endroit où une énorme pierre a été érigée par le mpañazary Ramarovola lui-même. Ce lieu est dit Ambatonandriamarovola, Pierre-d’Andriamarovola. Non loin de là est levée une autre pierre, plus petite, appelée Ambatonamboa, Pierre-de-chien. Résultat : Ce village nous a fourni des récits sur Ramarovola, ainsi que sur Andrebabe, en plusieurs versions. Nous avons pu également prendre des photographies. Tout cela a enrichi notre corpus.

Village 3 : Andrebakely, village au Sud de Vohimena, au Nord-Est du lac. But : Nous avons jugé primordiale cette visite, car elle renferme un lieu de culte des habitants d’Andrebabe, le village invisible qui incite tant de curiosi- tés. Dans ce lieu de culte nommé doany, le mpañazary Ratanibe a érigé une pierre. Le lieu est propre et au centre se dresse la pierre, protégé par des haies vives. Des hasina y poussent un peu partout. Ce village est le détenteur de l’histoire d’Andrebabe. D’après l’histoire, avant la venue des colons, les habitants d’Andrebabe habitaient ce village et jusqu’à présent, une sorte de lien familial existe entre eux.

Résultats : Les habitants y sont encore très exigeants au respect du fady (tabou) et restent méfiants envers les visiteurs étrangers. De ce fait, nous n’avons pas eu beaucoup d’informations sur Andrebabe à part les prises de photos, grâce à l’autorisation du maire du village qui a eu l’amabilité de nous raconter l’implantation de la pierre sacrée. Ces photos sont à nos yeux des preuves authentiques.

Village 4 : Espérant avoir plus d’informations, nous sommes allées à Andrebabesoa, un petit village édifié sur une colline, une dizaine de toits. Il est relativement isolé, car elle n’est accessible qu’à pied. But : Rencontrer un responsable d’un doany ou un lieu de culte, conçu par la mpañazary Rasoa. Résultat : C’est là que nous avons photographié le doany ou un lieu de culte du mpañazary Rasoa, mal connue et dont le récit se perd dans l’oubli.

Village 5 : Betambako, un quartier dans la commune rurale de Tanambe, à 20 km au sud d’Amboavory.

But : Nous nous sommes rendue à ce lieu dans le but de collecter encore plus de détails sur la vie des mpañazary. A Betambako, une femme d’une quarantaine d’années est possédée par plusieurs Esprits de mpañazary qui se succèdent lors des transes répétées durant une séance, à la phase croissante de la lune. Une personne de notre connaissance nous a conduite sur le lieu. Du- rant l’incantation, nous avons pu faire des échanges discursifs avec Rajirika, un Esprit de mpañazary, le troisième fils de Ramarovola. Il nous a rapporté les détails de souvenirs qui ont marqué sa vie et celle de son père Ramarovola, lors de son vivant. Il a aussi tracé ses liens familiaux, une sorte de généalogie.

Résultats : Cette visite se différencie des autres sur plusieurs angles. L’informateur qui est à la fois le narrateur n’est pas un personnage ordinaire. C’est un Esprit en possession d’un corps humain qui a raconté sa vie. Les récits recueillis lors de cette séance de possession ressemble à une autobiographie. Nous avons rassemblé des textes du joro, invocation sacrée : deux textes oraux et inédits, un d’une personne lucide et l’autre par un Esprit possesseur, Rajirika mentionné ci-dessus. Ce qui a un impact sur le contenu des deux textes. C’est dans ce quartier que nous avons bouclé nos visites de villages. Beaucoup de mpañazary sont encore mal connus, d’autres restent éminents. Les plus connus sont Ramarovola et Ratanibe, dont les informations sont plus complètes et de synthèse. C’est la raison pour laquelle nous orientons notre étude sur ces deux mpañazary.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LE TERRAIN ET LES METHODES
I.1 APERÇU GEOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET CULTUREL
I.1.1 Contexte géographique
I.1.2 Contexte historique
I.1.3 Contextes culturels
I.2 LA MÉTHODE D’ENQUÊTE
I.2.1 La méthode d’observation
I.2.2 La méthode d’entretien
I.2.3 Fiche d’enquête
I.2.4 La visite des lieux
I.2.5 La collecte des faits
I.2.5.1 Les informateurs et les narrateurs
I.2.5.2 Les matériaux
I.2.5.3 L’enregistrement sonores des récits
I.2.5.4 Les prises de photographies
I.3 LES PROBLÈMES D’ENQUÊTE
I.4 LE CORPUS ET LA TRANSCRIPTION
I.4.1 Le corpus
I.4.2 La transcription
I.5 PROBLÈMES DE TRANSCRIPTION ET DE TRADUCTION
I.5.1 Les limites de la transcription
I.5.1.1 Les mots incompréhensibles
I.5.1.2 Les modifications, les sélections
I.5.1.3 La perte de vitalité
I.5.2 Problèmes de traduction
I.5.2.1 Les différences du fond culturel
I.5.2.2 Les noms propres
I.5.2.3 Les mots sans équivalence
I.5.2.4 La distorsion du sens
I.6 LA MÉTHODE D’APPROCHE : LE STRUCTURALISME
I.6.1 L’approche structurale du récit
I.6.2 Choix de la méthode
DEUXIEME PARTIE : L’IDENTIFICATION DU RECIT ET LE REGROUPEMENT DE SENS
II.1 IDENTIFICATION DES RÉCITS
II.1.1 Le genre : Légende
II.1.1.1 L’objectivation ou la vertu en acte
II.1.1.2 La disposition mentale ou l’imitation
II.1.1.3 Le phénomène de langage
II.1.1.4 L’ambiguïté des formes dans le récit
II.1.2 Le mode : fantastique
II.1.2.1 La bi-dimentionnalité
II.1.2.2 L’antinomie
II.1.2.3 La réticence du narrateur
II.1.2.4 L’effet fantastique
II.2 L’ANALYSE STRUCTURALE DES RÉCITS
II.2.1 La recherche au niveau des grosses unités constitutives du récit S
II.2.2 La recherche au niveau de chaque colonne
II.2.3 La recherche au niveau de l’ensemble des colonnes du récit S
TROISIEME PARTIE : LES SIGNIFICATIONS DU RECIT
III.1 LA PREMIERE SIGNIFICATION DU RECIT
III.1.1 Le mpañazary
III.1.1.1 Une personne normale, naturelle
III.1.1.2 L’incarnation du fantastique
III.1.1.3 Un chef clanique
III.1.1.4 Un médiateur
III.1.1.5 Le mpañazary n’est pas un devin
III.1.1.6 Le pouvoir naturel ou provoqué du mpañazary
III.1.2 La pierre
III.1.2.1 Le centre du monde
III.1.2.2 Les étapes cosmiques
III.1.2.3 Un lieu sacré
III.1.2.3 Les fady ou les interdits
III.1.1.4 Les morarivo
III.1.1.5 Les narrateurs
III.2 LA DEUXIEME SIGNIFICATION DU RECIT
III.2.1 Une nostalgie de l’origine
III.2.2 La faiblesse de la société
III.2.3 Les sagesses sociales
III.2.4 La société matérialiste
III.2.5 Un système de deux communications
III.2.6 La conception de la mort
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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