L’idée d’union politique de l’Europe de 1980 à 1991

L’Union européenne telle que nous la connaissons est le résultat de décennies de travail collectif et acharné en vue de construire entre ses membres, d’abord au nombre de six, aujourd’hui au nombre de vingt-sept, quelque chose d’unique et d’original tant au niveau économique que politique. Pour tout chercheur passionné, l’histoire de la construction européenne représente un formidable terrain d’investigation. Les approches et les angles d’études sont effectivement multiples. Il n’y a que l’embarra du choix tant en termes de périodes que de thématiques. Mon étude se propose, pour sa part, de retracer l’histoire de la construction politique européenne dans les années 1980 à deux niveaux : celui des pouvoirs et du rôle des institutions communautaires et celui du développement parallèle de la coopération politique. La période faisant l’objet de la présente étude s’inscrit dans le prolongement de mes recherches antérieures. Elle fait suite à mes mémoires de maîtrise et de DEA qui ont respectivement portés sur les années 1970 et la première moitié des années 1980. Passé ces considérations techniques, son choix relève de la richesse de la construction institutionnelle et politique dont elle a fait preuve. Les années 1980 marquent concrètement la volonté de jeter les bases de l’Union politique. On passe à une méthode fonctionnelle plus profonde consistant à aborder de plain-pied ce thème. De même, elles se caractérisent par un autre élément fondamental : la fin de l’érosion et du glissement du pouvoir communautaire vers le pouvoir intergouvernemental commencé au début des années 60. Et, surtout, par deux échéances déterminantes et véritablement symbolique et marquante depuis les traités de Rome : l’Acte unique européen et Maastricht qui posèrent concrètement et successivement des pierres essentielles à l’édification d’une assise politique européenne plus solide. Enfin, de par la richesse de ses réflexions et de ses réalisations, elle apparaît comme une période d’effervescence qui, vue rétrospectivement, contraste fortement avec notre époque et son Europe vacillante dernièrement marquée par la crise grecque.

Une Europe politique en panne ? 

A la fin des années 1970, malgré quelques progrès substantiels, la Communauté européenne n’était toujours pas devenue une véritable entité politique et le grand projet d’Union européenne décidé au sommet de Paris en 1972 était resté lettre morte. La décennie s’achevait dans l’apathie générale, l’objectif suprême de la consolidation unitaire de l’Europe n’étant plus au cœur des préoccupations. Pis, les mécanismes institutionnels apparaissaient de plus en plus condamnés à la paralysie. « Stagnation institutionnelle », « Europe minimaliste » ou encore « pétrification de l’armature institutionnelle » sont autant de termes susceptibles de décrire le contexte ambiant cette fin de décennie où il apparaissait urgent d’aménager les rapports entre les institutions et d’améliorer la capacité de décision des Communautés. Une réalité d’autant plus nécessaire que l’absence de décision concrète dans le domaine politicoinstitutionnel se faisait clairement ressentir, pour perdurer jusqu’à une complète réforme institutionnelle.

A l’aube des années 1980, la situation de la Communauté européenne se caractérisait en effet par un désordre des pouvoirs institutionnels résultant de l’absence de décision politique des Etats membres en matière de réforme des structures communautaires. La faiblesse des institutions était notoire. L’appareil institutionnel était alourdi, plus complexe et moins efficace, le sens des institutions quelque peu dénaturé et les méthodes de fonctionnement s’étaient révélées inadéquates alors que des choix essentiels devaient être faits pour permettre à la Communauté de faire face aux élargissements en vue (Grèce, Espagne, Portugal) susceptibles d’accentuer les dysfonctionnements. Il était donc à craindre qu’une Europe élargie puisse créer de nouveaux problèmes et affaiblir encore plus profondément le fonctionnement des institutions européennes. A dix puis douze, avec des institutions plus lourdes, des intérêts divergents, le fonctionnement de la Communauté risquait de devenir de plus en plus difficile et la prise de décision de plus en plus compliquée. Tout en réservant un accueil favorable aux nouveaux candidats, la Communauté européenne ne se priva d’ailleurs pas de souligner les obstacles que ces adhésions allaient entraîner dans le fonctionnement institutionnel communautaire créé pour six et menacé de paralysie à douze : « L’expérience du passage de six à neuf membres a déjà révélé des difficultés et des insuffisances dans la capacité d’agir et de réagir en commun. La présence de douze membres soumettra les institutions et les procédures de décision à des tensions considérables et exposera la Communauté à des risques de blocage et de dilution, si les conditions pratiques dans lesquelles elle fonctionne ne sont pas améliorées ».

L’élargissement devait constituer un argument supplémentaire pour résoudre les problèmes institutionnels, renforcer l’organisation et la cohésion internes et améliorer le pouvoir de décision de la Communauté. Si cette dernière voulait se développer correctement, elle allait avoir besoin d’institutions fortes, d’un support institutionnel plus performant, avant-garde de la locomotive du parachèvement de l’intégration politique et capable d’assumer les risques d’alourdissement des mécanismes institutionnels de l’Europe élargie. Ainsi, les seules perspectives d’avenir de la Communauté et de progrès vers l’Union européenne dépendraient de la manière dont les membres appréhenderaient ces enjeux et surmonteraient ces difficultés. Ce n’était donc pas, pour reprendre les termes de Roy Jenkins, président de la Commission, « un avenir facile qui attendait la Communauté », bien au contraire la décennie qui s’annonçait allait être particulièrement difficile et mettre à rude épreuve la solidarité européenne.

Une initiative concernant le fonctionnement et l’évolution des institutions communautaires, et dont l’origine remontait à la fin de la décennie 1970, pouvait être l’occasion d’inaugurer cette précieuse relance du débat politique au début des années 1980 : le rapport des trois Sages sur les problèmes généraux de fonctionnement des institutions communautaires. A ce sujet Roy Jenkins avait déclaré avec une certaine impatience qu’il espérait que cette étude débouche sur des idées pratiques pour améliorer le fonctionnement de la Communauté. En décembre 1978 à Bruxelles, le Conseil européen avait décidé d’instituer un comité des Sages composé de trois personnalités (Barend Biesheuvel, Edmund Dell, Robert Marjolin). Cette initiative avait été proposée par Valéry Giscard d’Estaing : « Il est évident que l’élargissement à douze Etats membres posera des problèmes à la Communauté. (…) Il en posera aussi pour le fonctionnement des institutions conçues pour six pays. J’ai été le premier à le dire et c’est pourquoi j’ai proposé cette réflexion des «Sages». (…). Il faut savoir adapter nos institutions aux réalités objectives ».

A ce moment-là, il excluait cependant toutes modifications de compétences. Il ne fallait pas changer l’équilibre qui existait entre les différentes institutions ou encore faire des propositions exigeant des amendements au traité de Rome. Les Trois devaient se limiter à des suggestions pratiques et des ajustements à apporter au bon fonctionnement des institutions et susceptibles d’être rapidement mis en œuvre : «Les tâches de bon fonctionnement des institutions, dans leurs attributions existantes, me paraissent suffisamment importantes et difficiles pour que l’on aille pas se disperser et s’engluer dans l’inutile débat sur les modifications de ces compétences ».

Après l’échec cuisant du rapport Tindemans sur l’Union européenne en 1976 ( ), pourtant volontairement modéré, il s’agissait d’aller vers le minimum vital. D’ailleurs, Valéry Giscard d’Estaing, qui torpilla lui-même ce texte, estimait que les temps n’étaient pas mûrs pour faire de grandes choses. Dans les faits, la fin de son mandat approchait et il espérait sa réélection pour entreprendre un grand projet politique dont il serait l’instigateur. La mission de ce comité était donc de réfléchir aux adaptations des mécanismes et des procédures des institutions qui étaient nécessaires pour assurer, sur la base et dans le respect des traités, y compris de leurs systèmes institutionnels, le fonctionnement harmonieux des Communautés et les progrès dans la voie de l’Union européenne. Au terme de ses travaux et après plusieurs mois de conversations avec les autorités politiques de tous les Etats membres ainsi qu’avec les responsables de chacune des institutions communautaires, le comité des Trois remit officiellement au Conseil européen des 29-30 novembre 1979 à Dublin son « rapport sur les institutions européennes ». Celui-ci confia alors aux ministres des Affaires étrangères des Neuf le soin de l’étudier en vue de sa prochaine réunion.

La tâche principale du rapport consistant au maintien et à la consolidation de l’acquis communautaire, il suggérait, dans le résumé qui l’accompagnait, « des moyens concrets d’améliorer le fonctionnement pratique de chacune d’entre elles ». Les limites de l’exercice tracé, il précisait ensuite que ces « améliorations concrètes » à apporter à l’activité des institutions communautaires devaient permettre l’entrée de nouveaux membres « dans une Communauté plus dynamique, plus efficace et mieux préparée à les recevoir ».

La tentative avortée du Parlement européen du projet de traité d’Union européenne 

Si au sommet de Paris en décembre 1972 la nécessité d’établir une Union politique avait poussé les gouvernements des Neuf à vouloir « transformer avant de la décennie et dans le respect absolu des traités déjà souscris, l’ensemble des relations entre les Etats membres en une Union européenne », ceux-ci ne purent concrétiser le projet souscrit. L’Europe politique des années 1970 s’était achevée incomplète, les gouvernements ne pouvant se mettre d’accord sur la nature et sur les structures de l’édifice politique à bâtir. Comment alors faire émerger le rêve de fédération européenne dans un ensemble dont la réalité fondamentale demeurait éloigné de cet idéal ? Telle allait être la réflexion du Parlement européen en ce début de décennie. Celui-ci, qui disposait depuis son élection directe les 7 et 10 juin 1979 d’une nouvelle légitimité, allait s’attacher, sous l’impulsion d’Altiero Spinelli (fondateur du mouvement fédéraliste européen et fervent défenseur d’une Communauté politique de type fédérale), à jouer un rôle politique plus prépondérant dans les affaires communautaires afin de faire progresser l’unité européenne. Il allait progressivement prendre conscience de la nécessité d’une réforme d’ensemble et ainsi élaborer, parallèlement à l’initiative germano-italienne, un projet nettement plus ambitieux, résultat du putsch démocratique qui se tramait à cette l’époque. En effet, désireux de se démarquer des initiatives gouvernementales, il allait proposer, sans mandat des gouvernements, un projet de traité instituant une Union européenne plus connu sous le nom de projet Spinelli, du nom de son instigateur. Le Parlement européen allait donc se prévaloir de l’autorité politique que lui conférait sa nouvelle légitimité démocratique pour jouer pleinement le rôle d’assemblée constituante. Il s’agissait, à l’avenir, de prendre le problème à un niveau beaucoup plus haut que celui des réformes de détails tentées par les gouvernements. Trois acteurs principaux eurent un rôle déterminant dans la promotion et l’élaboration du projet : Altiero Spinelli, le club du Crocodile et le Parlement européen et sa commission institutionnelle. On peut à présent se demander : quels furent la genèse, le contenu et l’originalité du projet parlementaire de traité d’Union européenne ? Et, finalement, quelle en fut l’issue et les possibles répercussions ?

Elus pour la première fois au suffrage universel direct en juin 1979, les nouveaux représentants du Parlement européen allaient très vite éprouver une certaine frustration à ne disposer que de compétences principalement consultatives sauf dans le domaine budgétaire. Bien que raffermi dans sa légitimité et son autorité, le Parlement était resté la moins influente des institutions, sorte de grand parloir qui ne décidait rien et incapable de constituer un contrepoids au pouvoir de la Commission et, surtout, du Conseil. Sans fonction législative réelle et donc sans responsabilité propre dans le domaine politique qui en auraient fait un vrai parlement démocratique au service d’une identité commune, il apparaissait toujours comme une institution impuissante politiquement et donc insignifiante. Ainsi, il existait une lacune démocratique dans la répartition des pouvoirs. Le système institutionnel chargé d’élaborer les politiques communes continuait de former une architecture complexe à dominante technocratique et bureaucratique échappant à tout contrôle parlementaire. La pratique institutionnelle de la Communauté ressortant essentiellement d’une vision intergouvernementale, le débat sur les pouvoirs du Parlement était de fait appelé à s’amplifier. Le nouveau mode de scrutin n’avait pas répondu aux espoirs qu’il avait suscité, n’ayant ni favorisé l’évolution vers la supranationalité ni apporté de souffle nouveau, mais révélé un peu plus le déséquilibre des institutions communautaires. Ces facteurs poussèrent le Parlement à rechercher sa vocation et à développer son rôle dans le système communautaire. On allait ainsi assister à un réveil de l’organe parlementaire qui comptait désormais devenir « une force politique nouvelle » en s’attaquant « aux problèmes les plus importants de la Communauté européenne ». Son objectif obsessionnel serait d’être enfin reconnu comme un Parlement au sens plein du terme et donc de sortir de son image de germe politique. Pour ce faire, il se concentra en premier lieu sur le budget, domaine dans lequel il avait un mot décisif à dire. Le 14 décembre 1979, par un acte inattendu, il rejeta à une très forte majorité le projet de budget : « Il l’a fait [être une force politique] dès le premier débat budgétaire, qui a eu lieu à l’automne dernier, pour l’examen du projet de budget 1980 …cet épisode illustre le fait que le nouveau Parlement est décidé à se faire entendre en utilisant tous les moyens que lui confèrent les traités ».

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Table des matières

Introduction
Première partie : Le sursaut décisif de la première moitie des années 1980 : Un interlude nécessaire et décisif à Maastricht
Section 1 : L’idée d’Europe politique entre illusion et désillusion (1980- 1984)
Chapitre I – Une Europe politique en panne ?
Chapitre II – La tentative avortée du Parlement européen du projet de traité d’Union européenne
Section 2 : Le réveil européen (1984-1986)
Chapitre III – Vers une relance politico-institutionnelle de la Communauté européenne
Chapitre IV – L’Acte unique européen : une étape capitale dans la voie de l’unification politique
Section 3 : La coopération politique européenne : bilan et perspectives après quinze années de pratique informelle
Chapitre V – Le long chemin vers une reconnaissance officielle d’un processus d’intégration politique informel
Chapitre VI – L’action de la coopération politique européenne sur la scène internationale
Deuxième partie : De l’Acte unique au traité de Maastricht : Vers un modus vivendi des stratégies de l’intégration politique
Section 4 : Après l’Acte unique : la quête d’une nouvelle synergie du triangle institutionnel communautaire
Chapitre VII – La bataille pour l’union politique
Chapitre VIII – La grande négociation et les efforts renouvelés d’unification politique et de redéfinition de l’architecture institutionnelle
Chapitre IX – Maastricht : un choc politique du point de vue des institutions communautaires ? (Analyse du traité sous l’angle communautaire)
Section 5 : De la CPE à la PESC : un saut qualitatif ?
Chapitre X – Après l’Acte : peut-on aller plus loin ?
Chapitre XI – Vers l’élaboration d’une nouvelle conception du rôle politique de l’Europe sur la scène internationale à travers la Conférence intergouvernementale
Chapitre XII – La politique étrangère et de sécurité commune (Analyse du second pilier du traité de Maastricht)
Conclusion
Index
Sources et bibliographie

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