L’IDEE D’UNE PHILOSOPHIE BANTOUE CHEZ TEMPELS

La notion de l’être

   Djibril Samb dans le vocabulaire des philosophes africains déclare : « Etre, en français comme en grec (…), peut correspondre à un verbal ou à un substantif. Comme verbal, il peut avoir soit un sens dit absolu ou prédicatif, soit un sens relatif ou copulatif » Cette définition de Samb englobe à la fois le substantif et le verbal. Mais celle qui attire le plus notre attention demeure évidemment le versant substantif, l’être. Ce dernier a une connotation particulière dans la philosophie bantoue de Tempels. En plus de cela, le concept de l’être occupe une place majeure dans le système tempelsien. Nous pouvons dire qu’elle constitue la pierre angulaire, celle sur laquelle est bâtie sa philosophie. Cependant, il faut procéder par un éclaircissement de taille. De ce fait, Tempels dans son exposé, introduit deux traditions différentes et opposées quant à leur conception de l’être. La première est la tradition européenne héritière, en ce sens, de la Grèce antique. Dans cette perspective, l’être est vu comme quelque chose de stable. Autrement dit, il dispose de toutes ses facultés, de son essence. Le côté statique est l’apanage de la conception occidentale. Tempels le confirme à ces propos : « Sa métaphysique a été basée sur un concept fondamental plutôt statique de l’être (…)» La seconde est la philosophie bantoue qui conçoit autrement son approche, de l’être, différente de celle statique de la tradition occidentale. C’est l’aspect dynamique ou mouvant des êtres qui caractérise la philosophie bantoue. Il donne de la valeur et de la consistance ou non aux êtres. Telle est d’après Tempels la conception de l’être. « Dans l’interprétation de la même réalité la pensée primitive reçoit sa nuance propre de l’accent qu’elle met sur l’aspect dynamique des êtres ; tandis que la pensée scientifique de l’Occident semble mettre l’accent sur l’aspect statique des choses ». La philosophie bantoue et celle occidentale d’après Tempels, divergent radicalement sur la nature de l’être. Cette situation aura des conséquences sur les différentes déclinaisons que vont prendre l’une et l’autre ainsi que le sens de leur contenu. En effet, force est de constater que toute la philosophie bantoue tourne principalement autour de cette ontologie. C’est à partir de cette réalité que le père missionnaire assoit sa doctrine, sa thèse. Au demeurant, il est urgent de se pencher sur le contenu de cette ontologie, dit autrement la définition tempelsienne de l’être. Cela nous amènera naturellement à se poser la question suivante : qu’est -ce que l’être dans la philosophie bantoue de Tempels ? Cette interrogation est capitale si l’on veut trouver les clefs de la thèse de Tempels. C’est la clef de voûte, la porte d’un système philosophique. Ainsi, en réponse à cette question le père missionnaire déclare : « Pour éviter toute confusion et afin que le lecteur européen se garde de considérer la force comme un accident, je préfère m’en tenir provisoirement à la formule : pour les bantous l’être est la chose qui est force ». La force est ce qui donne du sens à l’être. Dans la philosophie bantoue l’être n’est rien sans la force. Il existe donc une union spéciale entre ces deux concepts. Nous pouvons comparer cela à la relation qui existe entre le corps et à l’âme. L’un est indispensable à l’autre, mieux l’un ne peut pas aller sans l’autre. La force et l’être sont régis par ce lien identique de consubstantialité sur fond de nécessité le tout formant à la base une sorte de système philosophique. Il est vrai qu’il y a l’être d’abord avant la force, mais cela ne veut pas dire que l’être est plus significatif que la force. La force dans cette optique habite l’être, et le met en mouvement. La force est à l’origine de l’action, c’est l’énergie vitale qui dynamise l’être. En effet, nous n’allons pas jusqu’à dire que l’être est passif, mais force est de constater que dans la philosophie bantoue, la force joue quand même un rôle beaucoup plus déterminant sur l’être. Nous illustrons ce passage par ces propos : « La force est inséparablement liée à l’être et c’est pourquoi ces deux notions demeurent liées dans leur définition de l’être. Ceci doit être reçu comme base de la philosophie bantoue. C’est un minimum qu’il faut admettre sous peine de ne pas comprendre la philosophie bantoue. ». Il est dit que toute chose à un commencement, et c’est cela que nous venons de citer constitue le socle de la philosophie bantoue. Quelqu’un qui chercherait à comprendre cette philosophie, devait impérativement commencer par comprendre la notion de l’être-force car le reste en découle. La suite se rapproche davantage à une sorte de déduction. Cependant, il y a des choses à clarifier, à mettre à point parce que ça fait l’originalité de Tempels. Et en cela cet éclaircissement ne peut pas être des moindres. Il s’agit de la relation existant entre être et force ou mieux de la fonction que joue la force dans ce registre. Par exemple quand j’affirme que l’être est force. Cette affirmation est une évidence dans la philosophie bantoue, c’est une nécessité car la force détermine l’être. Ces propos pouvaient sonner autrement si l’on se plaçait dans le contexte occidental. Vue de cette façon, la force ne peut être qu’un accident, un simple attribut de l’être. Alors que dans la philosophie bantoue la force est dans la plénitude. Elle joue un rôle moteur. La force est par essence et non par accident dans la philosophie bantoue. « Nous, occidentaux, voyons dans la force un attribut de l’être, et nous avons élaboré une notion de l’être dégagé de la notion de force ». Au demeurant, il paraît important de revenir sur le principe de dynamisme. Car qui dit dynamisme dit évolution, changement. C’est la raison pour laquelle l’être n’est pas stable du point de vue de la force. En d’autres termes, la force vitale peut se renforcer ou diminuer. Mais comment une force se renforce-t-elle ? Djibril Samb déclare : « Toute force peut se renforcer ou s’affaiblir ; non pas simplement dans ses qualités ou facultés (comme dans l’ontologie occidentale), mais dans sa nature même-car l’être se renforce en tant qu’être ».Samb a raison ici de de clarifier sa position. Car avec la conception bantoue des choses, le décalage ontologique devient très significatif. Ce n’est pas une augmentation ou une diminution de la force du point de vue physique. Les bantous voient autre qu’un renforcement ou une diminution de masse musculaire. Leur vision est beaucoup plus ample que cela. Elle a attrait à une profondeur qui, même si elle naturelle, va au-delà de ce que l’Occident sûr de lui-même, conçoit autrement. Par-delà l’éclairage de Samb, nous voudrons encore, une fois de plus, mettre le doigt sur l’univers ontologique des Bantous, un univers pas comme celui occidental. Car il existe dans cette conception un certain nombre de clarifications à faire. Cette opération est cruciale pour comprendre l’ontologie bantoue. En effet, il existe des précisions, des hiérarchisations en l’homme bantou. Ces hiérarchisations sont à prendre au sérieux pour ne pas altérer le sens de l’ontologie bantoue. Car chacune de ce que nous pouvons appeler ces stades ontologiques, a un sens bien défini. Cela fait la spécificité de l’ontologie bantoue par rapport à celle occidentale obnubilée par la dualité du corps et de l’âme. De même la conception de l’homme chez les Bantous obéit à des critères : « Comment parler en langage indigène de l’âme de l’homme ? Sauf sous l’influence européenne, les bantous ne s’expriment pas de la sorte. Eux distinguent en l’homme le corps, l’ombre, le souffle (signe de la vie)… et l’homme lui-même. Les apparences sensibles sont périssables et ne sont nullement ce que nous entendons par l’âme : ce par quoi nous sommes hommes, notre moi qui subsiste après la mort, lorsque le corps et l’ombre auront disparu ». Sur ce point, se référer à Kagamé pourra être d’un grand apport. Car on ne peut pas parler de philosophie bantoue sans pour autant parler d’Alexis Kagamé dont la contribution de taille continue d’éclairer les spécialistes à la matière. Ce fin connaisseur d’Aristote et philosophe de formation, réduit les dix catégories de l’être en quatre . Cet effort de réduction n’est pas un choix hasardeux. Il obéit bien à une logique pédagogique. L’auteur de la philosophie bantoue de l’être s’est davantage appuyé sur cet aspect. Mieux, il va plus loin que Tempels dans la mesure où il est bantou lui-même. Donc, il a une meilleure connaissance du terrain et de la réalité dans cette aire géographique plus ou moins homogène. De ce fait, Kagamé ne s’oppose pas complétement à Tempels en ce sens. Mais toujours est-il que leurs méthodes d’approche du problème bantou sont différentes. Kagamé pour des raisons de prudence commence par une approche linguistique de la zone en question, interroge le support de cette langue et sa capacité abstractive. Ainsi, il se peut qu’il y’ait même des différences d’après Kagamé dans cet espace bantoue. Mais malgré quelques différences qui peuvent avoir sur ce point, le noyau dur de la culture et de la conception de l’être demeurent le même. Cela se matérialise par le caractère quasi général du radical Ntu dans pratiquement tout le vocabulaire bantou. Sur ce commun accord on déclare : « L’homme est un animal supérieur formé d’un double principe vital dont il importe de déterminer la nature : le principe vital, à savoir l’ombre propre, l’animalité et le principe d’intelligence ».

De la logique métaphysique des Bantous vers l’universalité de la pensée

   Chaque chose suit un ordre de pensée, une logique bien claire, sinon il n’y aurait pas de cohérence ni de consistance. C’est la raison pour laquelle, nous avons pris la peine de s’intéresser à la logique métaphysique des bantous. C’est un point essentiel qu’il ne faut pas omettre car il nous permettra de mieux comprendre les deux points ou sections développés cidessus. Nous pouvons dire comme en mathématiques que ces sections baignent entièrement dans ce grand ensemble. Ce dernier constitue leur caisse à résonnance. La notion de l’être et de la hiérarchisation des forces sont inclues dans la logique métaphysique, des bantous qui n’est rien d’autre que leur philosophie : est une pensée structurante. C’est cette métaphysique qui est la base des comportements et appréhensions des bantous sur l’univers et la société. C’est donc un point central, crucial dans la mesure où il est le commencement de leur vision du monde et la matérialisation de cette vision en termes social. Autrement dit, la logique métaphysique est le début et la fin de la philosophie bantoue parce que c’est avec cette notion qu’un pareil cadre de vie fut élaboré, organisé et traduit socialement sous forme de sagessequi guide au quotidien les bantous. Tempels le traduit en ces termes : « La métaphysique considérée comme discipline méthodique et la sagesse humaine, que l’on désigne comme¨ conception du monde¨, considèrent ou embrassent les réalités qu’on retrouvent dans tout l’univers ». Ainsi, nous pouvons dès à présent constater l’étendue et la dimension de la métaphysique bantoue. Cette dernière comme l’a si bien dit Tempels est une méthode à grande échelle dont la prétention n’a pas de limites. Les tentacules de la logique métaphysique des bantous se déploient, petit à petit, sans rien laisser au hasard afin d’être la base explicative de tout leur univers. En d’autres termes, il ne y’aurait pas une manifestation de l’univers qui ne puisse être rapportée à cette dimension. C’est leur philosophie en quelque sorte. Dans ce sens, peu importe l’appellation de vision du monde que le père missionnaire n’apprécie pas réellement lorsqu’il s’agit de sa philosophie. L’essentiel en est que, cette conception a durablement marqué l’esprit, les comportements et le mode de vie des bantous. Dans cette logique d’idées, on ne peut pas concevoir un comportement qui puisse dépasser cette notion de métaphysique. C’est elle qui cadre et circonscrit tout dans l’univers bantou. D’une autre manière, Tempels se révolte contre la restriction définitionnelle et la tendance jalouse de l’occident qui a du mal à accepter ce qui n’est pas de lui, comme étant quelque chose de véridique et de possible. Car restreindre cette définition, c’est dénigrer les autres dans leur pensée et se constituer comme l’unique être capable de créer et de penser. C’est ça le danger de l’européocentrisme que Tempels a soigneusement évité. De ce fait, pour connaître l’univers, il est nécessaire de s’ouvrir le plus largement possible. Cette situation est nécessaire pour acquérir de l’expérience afin de poursuivre des travaux scientifiques et philosophiques. L’ouverture et l’acceptation de l’autre n’est rien d’autre que ce qu’on appelle l’universel. Cet universel ne se construit pas en écartant les autres mais en les associant dans la perspective d’une analyse globale. Cette dernière est la métaphysique. Elle est universelle. Elle n’est pas parcellaire. C’est pourquoi, ce n’est que lorsqu’elle est objective qu’elle sera susceptible de s’intéresser à l’ensemble du réel. Donc, la définition de Tempels s’inscrit dans l’universel qui prend effectivement en compte la réalité bantoue. Il faut noter que l’universel n’est pas l’apanage d’un seul. C’est une convergence d’idées, de vécus ou d’expériences partagées. C’est un lieu où il ne devrait pas y avoir le moindre rapport de force. Car là où est présent ce phénomène de rapport de force, les bases sont faussées. Dans ce cas la vérité ne sera pas prise dans son intégralité et plusieurs réalités de taille seront passées sous silence ou complétement négligées. Cette négligence est bien réelle et n’est pas sans victimes. Ceux qui ont le plus souffert de cette situation restent évidemment les gens de couleurs sujets à la domination pendant l’ère coloniale. Et coller cette situation à notre sujet n’est rien d’autre que revenir sur la situation de ces bantous que Tempels évoque ici : « Celui qui prétend que les primitifs ne possèdent point de système de pensée, les rejette d’office de la classe des hommes(…) ». Le mérite de Tempels c’est d’avoir initié un processus qui a permis d’ouvrir les yeux à bon nombre de penseurs non seulement africains mais au-delà de nos frontières et plus particulièrement en Occident. Cette attitude est à l’origine d’un changement de mentalité exceptionnel à l’endroit du Bantou et du Nègre de manière générale. En effet, il faut comprendre qu’il n’est pas facile de bouger les lignes. Un public longtemps habitué à un certain discours ne change pas d’un moment à l’autre. Mais à force d’évolution vers le changement, le chemin vers l’universel finit par se dégager. Au demeurant, on ne peut pas instituer l’universel sans pour autant parler de respect. La métaphysique dans la vision tempelsienne s’intéresse à tout c’est la raison pour laquelle elle est totale et ne peut pas être parcellaire. Mais pour quelle raison Tempels apporte-il une définition englobante ? La réponse, à cette question capitale, ne peut pas être prompte car elle comporte une problématique dans l’œuvre de Tempels, mieux ce problème a beaucoup inspiré le père missionnaire. Pour des raisons de prudence, je ne parlerai pas d’une tentative de réhabilitation, mais ayant profondément considéré le travail tempelsien, il faut reconnaître dans une certaine mesure une forme d’objectivité dans sa façon de dénoncer certains préjugés sur le Nègre. Ces préjugés sont consciemment dirigés vers une catégorie sociale asservie ayant complétement cédé sur le plan politique. Malgré quelques changements occasionnés par le second conflit mondial finissant, la tendance resta stable dans son ensemble avec son lot de préjugés et de mauvaises considérations sur les autochtones. Autrement dit, ces fluctuations étaient en grande partie formelles. Leurs teneurs n’avaient pas forcément le fond pour mettre à bas le système du mépris. Donc, il faut reconnaître que les choses ne sont jamais acquises d’avance pour les pionniers. Ainsi, il n’est pas facile de convaincre l’ignorant, comme dans la philosophie platonicienne, l’ignorant croit savoir alors qu’il en est rien. Ensuite de cela, il est porté par une sorte d’orgueil et de suffisance qui l’empêchent de chercher la vérité. Telle est l’attitude de l’occidental vis-à-vis des autres. En effet beaucoup se sont contentés de critiquer l’œuvre du père missionnaire sans pour autant prendre le recul nécessaire qui leur permettrait d’en déceler des choses intéressantes. La philosophie bantoue est un appel vers l’universel et non une ligne de démarcation entre l’Occidental et le Bantou vus comme des créatures complétements opposées. C’est la métaphysique de l’humanisation. Cela veut dire que c’est une alternative pour voir autrement l’humanité. L’effort d’admettre la diversité et le respect de la différence en constituent la locomotive. Tout ce système de dénigrement, d’exploitation de domination et de supériorité a bel et bien un nom : c’est l’européocentrisme occidental. Ce sentiment a longtemps habité la conscience occidentale caractérisée dans une certaine mesure par l’arrogance qui sous-tend une supériorité raciale et un égoïsme qui ont terni à bien des égards les critères d’objectivité non seulement du citoyen, mais plus grave celui de l’homme éclairé c’est-à-dire l’intellectuel, le scientifique. Ces gens sont tombés dans ce qu’ils combattent. N’est-ce pas là une contradiction manifeste ? Le souci universaliste de Tempels a transcendé ces discours dont il est urgent de les décrire dans les lignes qui vont suivre. Cette perspective nous permettra de débusquer et de mettre à nue le procédé européocentriste de manière brève. La première incarnation de l’européocentrisme peut être décelée d’abord dans la conclusion des thèses ethnologiques et ensuite dans le discours de certains philosophes de renom.

Les manifestations de la sagesse bantoue

   Ayant abordé assez largement l’importance de la philosophie bantoue, il paraît important de l’examiner en l’approchant de près, pour en décrire quelques manifestations importantes à prendre en considération. Car la sagesse constitue une fois de plus l’incarnation de la connaissance des bantous. Ainsi, est donc sage celui qui connaît véritablement cette philosophie des forces qui dicte la conduite des Bantous. Cette sagesse d’après le père missionnaire est à la portée de tout Bantou même s’il est important de relativiser un peu en ce sens. En effet, la maîtrise parfaite de cette sagesse n’est pas donnée à tout le monde, mais il n’est pas permis aussi à l’homme bantou de l’ignorer complétement. Tout homme dans cette perspective est appelé à connaître au moins l’essentiel de ce système de vie pour s’épanouir convenablement dans la société. Vue la dimension de cette sagesse avec ces différentes implications, l’ignorance totale n’est pas excusable. En effet, se mettre dans une pareille position c’est marcher dans les ténèbres. Cela reviendrait aussi pour cet homme à se condamner et à subir des considérations négatives au niveau social. Le minimum d’intelligence de cette philosophie est un art de vivre. Ce dernier est crucial pour l’harmonie de chaque citoyen. Car il implique le respect de la vie, des valeurs et des citoyens. Tempels à propos de cette philosophie postule : « Elle explique les mobiles humais, raisonnables de toutes les coutumes bantoues, elle livre les normes générales de la conservation et de l’épanouissement de la personne. Ceci ne veut pas dire que chaque ¨muntu¨ est à même de décliner les dix vérités cardinales de sa philosophie de vie, mais il n’en est pas moins vrai que le ¨muntu¨ qui paraît ignorer les antiques normes de la sagesse bantoue, se fera traiter de ¨kidima¨ par ses frères, c’est-à-dire de sous-homme, d’homme à l’esprit insuffisant (…). Le¨muntu¨ normal possède sa philosophie, il reconnaît la nature dynamique, il sait l’accroissement des êtres et leurs influences ontologiques (…) ». L’idée tempelsienne de la sagesse bantoue se rapporte au langage juridique qui ne tolère pas l’ignorance effective de la loi. Ainsi, la philosophie bantoue aussi traite un pareil homme comme ne disposant pas suffisamment de ces capacités intellectuelles ou spirituelles. Sa qualité d’homme en demeure aussi affectée. IL faut également élucider un aspect de taille dans la philosophie bantoue qui ne se ramène pas exclusivement aux sciences naturelles connues des bantous. En effet, une manifestation distinctive existe. En effet, les sciences naturelles ne sont pas confondues avec les connaissances philosophiques. Nous sommes tentés de dire que dans cette perspective, les sciences naturelles relèveraient de l’apparent c’est-à-dire du visible et les connaissances philosophiques appelant à la profondeur font partie du caché. Les connaissances philosophiques ne sautent pas à première vue sur le naturel. Cette situation implique une connaissance parfaite des êtres pour pouvoir déceler cet état de fait. A propos de cette distinction Tempels déclare : «Il est pourtant des êtres qui sont connus d’après leur nature propre. Ainsi qu’il a été dit déjà ci-dessus, les Bantous distinguent dans les êtres visibles l’apparence extérieure et l’être lui-même, la force invisible ou la nature invisible ». Ce phénomène par extension n’est pas seulement bantoue, mais on l’observe presque dans toute l’Afrique noire. De ce fait, les êtres étant naturels ont en eux quelque chose de spécial qui fait la différence. Cette chose qui ne relève pas parfois du visible représente la connaissance philosophique. C’est grâce à la connaissance philosophique qu’on peut mesurer la portée ou la teneur de la force vitale dans un être-force. Mais en des termes plus précis, le père missionnaire appelle cette teneur le nœud vital que les balubas désignent par ¨ Kijimba¨. Et d’après le missionnaire belge : « La force vitale peut être condensée, nouée et peut s’extérioriser dans ce que nous pourrons nommer un nœud vital ou un centre vital. Ce nœud, ce centre vital, ce ¨signe¨ ou cette manifestation particulière de la force vitale est nommée ¨kijimba¨ par les balubas ». La sagesse bantoue verse dans donc dans l’apprivoisement de cette « kijimba » pour des raisons utilitaires, de précisions et de pratiques. La manifestation de cette sagesse donc n’est pas seulement une abstraction détachée de la réalité. La sagesse est profondément ancrée dans le vécu des bantous. En cela, ils y voient une sorte de loi générale devant régir leurs comportements et améliorer leurs conditions d’existence. La vie reste fortement liée à la force vitale et le souci de la renforcer. C’est la raison pour laquelle le « kijimba » a une importance capitale dans la logique de ce renforcement. La sagesse dans cette circonstance ne s’intéresse pas entièrement à tout le corps de la créature inférieure, mais son ingéniosité réside dans sa capacité pragmatique et directe pour plus d’efficacité. Le père missionnaire le certifie à ces termes :« Il est donc fort naturel,-du point de vue du Noir-, que quiconque veut s’approprier la force vitale d’un être inférieur ou en faire usage , essaye de se procurer un ensemble de ¨kijimba¨ qui signifie et matérialise ce lien entre cet être et lui-même ».

Nuance entre Muntu et Individu

  Dans la philosophie bantoue, les concepts peuvent se ressembler, mais ils n’ont pas la même signification. C’est cette relation qui équivaut entre les concepts de Muntu et de l’individu ou nom. Le Muntu est la traduction de l’homme dans le cadre général. En effet, il constitue l’écorce extérieure protégeant l’intimité de l’individu. Dans ce cas de figure, nous sommes naturellement portés à stipuler que la notion d’individu est incluse dans celle du Muntu. L’individu est la particularité du Muntu la plus radicale. La notion d’individu est en rapport étroit avec l’intimité, elle recèle des informations plus confidentielles et difficiles à percer. L’individu est l’empreinte digitale de la personne. Cependant, il ne faut se mettre dans la peau de l’Occident pour analyser ce concept d’individu, mais du point de vue de l’ontologie des Bantous. L’individualité en Occident est un mode de vie, une sorte d’organisation sociale voire même une mentalité. Ici, dans la logique tempelsienne, l’individu n’est rien d’autre qu’une extension de la notion de personne ou Muntu. Ceci étant dit, la nuance entre les deux notions apparaît de mieux en en mieux quand on examine à la loupe les modalités de leurs manifestions. Je veux nommer par-là, leurs natures respectives qui se situent entre généralité et particularité. En effet, la généralité se contente de décrire les grandes lignes, sans pour autant entrer au fond des choses. A cet égard, elle est plus abstraite et moins concise qu’une particularité pouvait l’être. Je ne stipule pas que le Muntu est une abstraction, mais il est moins intime que la notion de l’individu. Ce dernier, synonyme de la particularité que nous avons théorisée tantôt, parle davantage en termes concrets. De ce fait, l’individu n’est pas l’homme de manière générale, l’espèce ou le genre. C’est l’homme concret, l’individu déterminé, qu’on ignore de l’extérieur. Le missionnaire belge à ce propos déclare : « Le for intérieur du prochain demeure secret pour son ami le plus le plus intime ». Il ressort de cette assertion que la notion d’individu paraît plus complexe que celui du Muntu dans la mesure où elle plonge davantage dans les profondeurs psychologiques pourtant difficiles à sonder, mais aussi à déchiffrer. Ainsi un nouveau terme décisif va faire la différence entre les deux concepts. Il s’agit de la nomination. Tempels déclare « Le nom n’est pas une simple étiquette, c’est la réalité même de l’individu ». Dans cette posture, est-il possible d’évoquer la notion de l’individu sans pour autant parler du nom ? La réponse à cette question est comprise dans l’assertion qui la précède. Les choses demeurent dans la généralité ou même dans l’anonymat tant qu’on ne les a pas explicitement nommées. Autrement dit, la nomination fait la particularité de la notion d’individu. L’acte de nommer est fondamental dans le processus épistémologique, c’est-à-dire le domaine propre à la connaissance. La nomination rime avec le discernement des choses qui nous environnent. Sans elle, il sera difficile voire même impossible d’avoir un jugement parfait sur la réalité. Ainsi, nous pouvons affirmer que tout ce qui est connu est nommé. L’homme ne peut pas connaître ce qu’il n’est pas en mesure de désigner par un nom. Cette attitude reviendrait à dépasser les limites de son langage, ce qui est une chose impossible. En fin de compte, nommer c’est connaître, se rapprocher d’avantage de l’intimité qui fait la particularité de l’individu. Ceci étant dit, il est à signifier que l’importance du nom est à inscrire une fois de plus sous l’angle de la force vitale quand on parle de philosophie bantoue. En effet, suivant ce système ontologique, le nom caractéristique de l’individu a tout son sens. Ici, il ne s’agit pas de nommer pour le plaisir de le faire. Des distinctions très importantes sont à observer lorsqu’il s’agit des noms qu’un homme peut recevoir au cours de sa vie. C’est noms n’ont pas la même importance ni le degré d’intensité. Nous avons constaté que certains sont liés à la nature intime de l’individu alors que d’autres se révèlent comme des noms de circonstances. Le missionnaire belge à cet état de fait, remarque : « Le ¨muntu¨ peut avoir plusieurs noms. Chez les balubas il y a généralement trois sortes de noms. On distingue d’abord le ¨Dijina dya munda¨, qui est, comme disent les balubas, le nom intérieur, le nom de vie ou le nom d’être, ce nom ne se perd jamais, un deuxième nom est celui qui est donné à l’occasion d’un accroissement de force, tel serait le nom de circoncision, le nom de chef ou le nom de sorcier reçu à l’initiation, à l’investiture ou à l’occasion de la possession par l’esprit (…) ». Au demeurant, parmi tous ces noms, un seul constitue véritablement celui d’essence c’est-àdire lié intrinsèquement à la notion d’individu. C’est celui qui définit la notion de l’individualité. Cette dernière est la chose qui fait connaître le Muntu l’être d’intelligence dans l’espace clanique que nous évoquerons plus tard. L’être d’intelligence c’est-à-dire l’homme se dévoile entièrement dans la société à travers l’individualité ontologique de cet être. Mais dans la philosophie bantoue, cet individu, porteur d’un nom, est profondément ancré dans le système ontologique de la hiérarchisation des forces. En effet, l’individu dans sa configuration n’est pas une somme chaotique exempte d’affiliation. C’est la raison pour laquelle, il s’inscrit dans un processus tenant en compte à la fois son passé et son avenir. Le missionnaire belge confirme : « Tout homme, tout individu constitue un chaînon dans la chaîne des forces vitales, un chaînon vivant, actif et passif, rattaché par le haut à l’enchaînement de sa lignée ascendante et soutenant sous lui la lignée de sa descendance(…) ».65 Le constant découlant de cette assertion est évident. L’individu ne peut pas sortir de cette trajectoire suivant la stratification des forces au sujet desquelles les anciens fondateurs de la société font partie. Ce riche héritage a donc une influence considérable sur le présent de l’individu dans la société. Cependant, suivant l’ontologie des Bantous et de ce que nous avons précédemment évoqué, le nom ou l’individu est indissociable de l’environnement clanique. Mais avant de tirer en longueur, il est nécessaire d’examiner et de considérer la définition et le sens que Tempels octroie au vocable clan : « Car, qu’est-ce que le clan ? C’est l’ensemble des individus spécifiés qui le constituent ; c’est l’ensemble des noms intérieurs, commencé par les fondateurs du clan(…) ». C’est uniquement dans cette perspective définitionnelle qu’on peut se placer pour comprendre le système de nomination des Bantous. Ainsi, le clan constitue le socle à partir duquel les anciens c’est-à-dire les fondateurs impriment leurs marques et leurs présences.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ONTOLOGIE, PHILOSOPHIE ET ETHIQUE DES BANTOUS
CHAPITRE I : L’ONTOLOGIE DES BANTOUS
Section 1 : La notion de l’être
Section 2 : La hiérarchisation des forces dans le système ontologique des Bantous
Section 3 : De la logique métaphysique des Bantous vers l’universalité de la pensée
CHAPITRE II : LA PHILOSOPHIE DE LA SAGESSE OU LA SAGESSE COMME PHILOSOPHIE
Section 1 : L’importance de la sagesse dans le monde bantou
Section 2 : Les manifestations de la sagesse bantoue
Section 3 : Philosophie bantoue et rationalité
CHAPITRE III : DE LA DOCTRINE DU MUNTU VERS L’ÉTHIQUE DES BANTOUS 
Section 1 : La spécificité du Muntu
Section 2 : Nuance entre Muntu et Individu
Section 3 : La philosophie morale ou éthique des Bantous
DEUXIEME PARTIE : LA CRITIQUE DE L’ETHNOPHILOSOPHIE
CHAPITRE I : LES LIMITES DE LA PHILOSOPHIE BANTOUE
Section 1 : Une philosophie implicite ou hybride
Section 2 : L’absence de la dimension critique
Section 3 : Le paradoxe d’une philosophie sans philosophes
CHAPITRE 2 : LES FACTEURS BLOQUANTS DE L’ETHNOPHILOSOPHIE 
Section 1 : Une philosophie comme vision d’un monde collectif
Section 2 : Le problème de l’enfermement identitaire
Section 3 : Les impasses idéologiques de l’ethnophilosophie
CHAPITRE III : LES DESTINATAIRES DE LA PHILOSOPHIE BANTOUE
Section 1 : Une philosophie au service de l’église
Section 2 : La finalité politique de la philosophie bantoue
Section 3 : Pour une nouvelle problématique de la philosophie africaine
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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