L’hybridation, de nouvelles formes cinématographiques amenées par les dernières technologies dans l’esthétique des films

L’hybridation au cinéma est un vaste sujet. La recherche entreprise dans le cadre de cette thèse ne prétend nullement épuiser le sujet, pour la simple raison que celui-ci se renouvelle quasi continument et qu’un travail en profondeur qui voudrait « coller à l’actualité » se révèlerait rapidement obsolète. Il nous a semblé plus productif de concentrer notre attention sur des cinéastes-artistes qui décloisonnent leur medium pour s’ouvrir à d’autres champs de la création. Des cinéastes-artistes qui assument de confronter leurs expériences à d’autres arts.

L’étude des passerelles qui se multiplient au fil de leurs créations permet de cerner les mécanismes qui concourent à l’abolition progressive des frontières entre les média. Toutefois, il nous a paru nécessaire, pour approfondir cette recherche, de ne pas nous borner à scruter ces seules œuvres mais aussi de nous en référer aux pionniers avant-gardistes des années 1920 qui ont posé les bases de l’hybridation.

Connivence des membres de l’équipe du film avec la BD

Enki Bilal, une œuvre hybride 

Enki Bilal [Enes Bilalovic] est dessinateur de bande dessinée, scénariste et également réalisateur de cinéma. Il est né le 7 octobre 1951 à Belgrade, dans l’ex République Fédérale Socialiste de Yougoslavie, d’un père bosniaque, ancien tailleur du Maréchal Tito, et d’une mère tchèque. Il passe les dix premières années de sa vie dans cette capitale meurtrie par la guerre. Son univers graphique a pris source dans les mutilations et les délabrements de sa ville natale.

Dans La revue, entretien diffusée sur Arte en septembre 2001, il affirme :

Ce sont des bribes d’enfance que j’ai, des bribes Belgradoises d’abord… des bribes de moments de la ville de Belgrade qui était une ville meurtrie, une ville qui ne s’était pas relevée de la guerre, de la deuxième guerre mondiale, qui ne se relèvera pas jusqu’à ce que la prochaine guerre nous tombe dessus. Les bombes de l’Otan avec tout ce qui a précédé bien sûr… Donc c’est une ville qui semble destinée à ne jamais se remettre, à se réparer, s’autoréparer, qui vit presque dans un confort du délabrement. Mais en même temps, ça peut être très stimulant, très beau, très enrichissant le délabrement. Dès mon enfance, cela me convenait très bien, car c’était une ville où la nature existait, où les saisons existaient. Et où l’enfance pouvait s’épanouir, où on pouvait jouer… Donc, c’est des souvenirs à la fois attendrissants et en même temps […] assez sélectifs, assez sélectionnés. Je crois que j’ai une mémoire sélective.

Cette citation nous permet de comprendre d’où sont issus les univers graphiques et chaotiques de l’auteur. On découvre d’où vient l’inspiration des espaces urbains dans ses dessins et dans sa filmographie [immeubles, rues, voitures, moyens de transport]. Lors des interviews, Enki Bilal soutient toujours que ses personnages sont des antihéros.

Il se définit comme un raconteur d’histoires :

Je ne suis pas historien, mais j’ai pris l’histoire ‘en pleine gueule’ sans le vouloir ! Quand on est dans un pays où l’histoire est si brutale et si violente, on côtoie le héros de cette histoire. Je ne dis pas que c’est un personnage que je croisais dans les rues de Belgrade. Non ! Ce serait faux, mais qu’il était omniprésent. Il n’était pas loin et il était présent aussi par ses actes héroïques qu’il continuait à faire, qui lui servait d’ailleurs de ciment. C’est comme ça qu’il a réussi à cimenter et à faire que ce pays tout à fait bâtard à la sortie de la guerre puisse devenir un pays qui a duré quelques décennies. […] Cela fait partie d’une culture accidentelle. Donc, quand on devient ‘raconteur d’histoires’, c’est un terme que j’aime assez bien… raconteur d’histoires c’est un paramètre qui devient inévitable mais qui est très loin peut-être des paramètres plus tranquilles de la France où la dimension géopolitique n’a pas la même place. Donc, le bagage n’est pas tout à fait identique pour celui qui naît à Paris et celui qui naît à Belgrade.

Enfant, Enki Bilal découvre l’univers cinématographique. Il joue dans un film où son personnage dessine à la craie sur les trottoirs. Il s’agit d’une confrontation entre deux bandes rivales d’enfants. Pendant la sortie de son film Immortal [ad vitam] (2004) lors d’une rencontre avec le public d’une FNAC, Enki Bilal raconte que, très jeune, il fréquente le cinéma de Belgrade. Il y découvre des films de propagandes et des westerns américains.

En ce qui concerne la bande dessinée, il se souvient du super-héros américain Donald Duck de Walt Disney. C’est un personnage qu’il aime beaucoup. Les Serbo-Croates l’appelaient Paya Pata. C’était un supplément pour enfant de Politica, le journal du parti de Tito.

A Belgrade, juste avant de venir en France, Frère Jacques lui évoque la première chanson et les premiers mots qu’il a appris de la langue française, phonétiquement. En 1960, Enki Bilal annonce à son institutrice qu’il va rejoindre son père à Paris. Le régime en place « interdisait » aux familles yougoslaves de s’exiler. L’administration reproche à son père de ne pas être rentré de France depuis longtemps. Le secret de famille est de rigueur. Heureusement, l’institutrice est intéressée par l’appartement des Bilalovic et son mari occupe un poste qui leur permet d’accélérer le départ de la famille.

La même année, il arrive en France. À l’âge de dix ans, il réside avec sa famille à Paris. Là, il doit apprendre le français. Il découvre la langue française en même temps que la bande dessinée.

La découverte de la bande dessinée lui donne envie de dessiner. Il dévore Pilote. Ce journal, consacré à la bande dessinée, a été créé en 1959 par René Goscinny, Albert Uderzo et Jean-Michel Charlier, sous l’égide de la maison Dargaud. Bilal essaye de comprendre comment fonctionne le dessin. Ensuite, c’est le cinéma qui devient la source de son inspiration. Il affirme que le parallèle entre la bande dessinée et le cinéma existe, même s’il y a de grandes différences dans les moyens d’expression. Il souligne également que la bande dessinée comme le cinéma, c’est l’imaginaire. Il ajoute que le cinéma, c’est l’envie de raconter par l’image et le son ; c’est aussi de se confronter à la technique et de la gérer au mieux.

En 1971, après un court passage à l’école des Beaux-Arts, Enki Bilal commence à dessiner et propose ses dessins à la rédaction de Pilote. C’est un échec. Mais, la même année, il gagne un concours organisé par Pilote.

De 1971 à 1974, il publie ses premières BD constituées de plusieurs histoires courtes. En 1972, il publie aux éditions Minoustchine L’appel des étoiles, plus connu sous le nom : Le bol maudit. C’est une bande dessinée en noir et blanc. Il y rend hommage et fait référence au cinéaste Stanley Kubrick. Cette œuvre est également inspirée de ses lectures de romans de science-fiction dont Philipe K. Dick, H.P. Lovecraft, Roger Zelazny.

Entré au journal Pilote, il fait la rencontre du scénariste de Valérian, Pierre Christin, avec lequel il entretiendra une longue et fructueuse collaboration. Il publie son premier album aux éditions Dargaud : La Croisière des oubliés (1975). C’est une première édition sur un scénario de Pierre Christin.

Un personnage atypique 

Au terme de son parcours, nous avons découvert en Enki Bilal, un artiste pluridisciplinaire, même s’il est classé avant tout comme auteur de bandes dessinées. En effet son œuvre touche, outre la bande dessinée, l’illustration, les objets, les arts vivants et le cinéma. Il est, par sa production, un auteur typiquement hybride. Il l’est aussi par ses origines balkaniques et sa double culture.

Avec son long métrage, Immortal [ad vitam] (2004), Enki Bilal est amené à découvrir la 3D. Il se confronte à un univers inconnu de lui au départ. Il constate que finalement les arts numériques sont très coûteux pour un résultat pas toujours convaincant, malgré sa prétention à une meilleure reproduction du réel. Il prône toujours la prééminence de l’humain sur la machine. Enki Bilal reste très créatif, se pose des questions face au monde dans lequel il vit. Il se remet sans cesse en question dans sa démarche face à l’humanité. Tous ces éléments nous ont permis de mieux comprendre les actes de création qui ont conduit l’auteur vers un film hybride comme Immortal, comme il le définit lui-même.

Etude Comparative d’Immortal et de la BD La Trilogie Nikopol

Sophie Bernard, coordinatrice de production du film Immortal explique comment l’adaptation proche de la BD se concrétise pour être adaptée au cinéma d’une manière libre : « Tout est passé par le dessin, on ne pouvait pas lancer ce film sans passer par le crayon et la gomme et c’est Enki qui a absolument tout dessiné  ».

En effet on voit que l’équipe de designers, avant de commencer le film, passe d’abord par un story-board dessiné par la main de l’auteur. Cela rappelle les frères Andy et Larry Wachowski qui, pour présenter leur projet de film à la Warner Bros, l’ont réalisé sous forme de bandes dessinées, plus exactement sous forme de story board dessiné en 2D, ce que nous verrons dans la partie qui leur est consacrée.

A propos de ce story-board en 2D, Enki Bilal déclare : « La 1ère couche a été le storyboard 2D. J’ai du faire 1500 dessins pour faire une première masse narrative qui figure le film 2D. Le cinéma c’est facile, cela va à une vitesse, c’est un plan en 12 secondes  ».

Le film est donc le résultat de toutes ces planches dessinées auparavant. Initialement, la technologie reste au service du dessin. Lors d’une réunion avec les designers d’Enki Bilal, ceux-ci expliquent comment ils sont passés du story-board [dessin 2D] au montage cinéma : On passait des réunions entières où il [Enki Bilal] dessinait. Après, les personnes qui travaillaient sur des machines exécutaient ses dessins à l’intérieur des machines ; tiraient comme une photocopie, un document papier, et Enki retravaillait dessus et redessinait, remodifiait ce qu’il y avait à modifier et cela s’est fait plus tard. Tous, le story-board, ses dessins et les leurs, sont destinés à figurer dans un montage qui se regardera dans un écran à déroulement cinématographique.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
FILIATION AVEC LA BD
A. ENKI BILAL : ADAPTATION D’UNE TRILOGIE DE BD AU CINEMA, DE LA TRILOGIE NIKOPOL A IMMORTAL
[AD VITAM]
1. Connivence des membres de l’équipe du film avec la BD
1.1 Enki Bilal, une œuvre hybride
1.1.1 Un personnage atypique
1.2 Etude Comparative d’Immortal et de la BD La Trilogie Nikopol
1.3 Définition de la Science-Fiction
1.4 Rendez-vous au cinéma
1.5 La Production synthétique
I.A.2 Bilan
B. ANDY ET LARRY WACHOWSKI
ADAPTATION DE BD EN UNE TRILOGIE CINEMATOGRAPHIQUE – LE BULLET TIME
1. Connivence des membres de l’équipe du film avec la BD
1.1 Clive Barker, artiste, cinéaste hors-normes
1.2 Steve Shroce, de la planche de BD sur papier au story-board polyester
1.3 Geof Darrow, serénité, folie
1.4 Owen Paterson, l’imaginaire bois et carton pâte
1.5 John Gaeta, le temps figé, le binaire
1.6 Bilan
2. Jules-Etienne Marey et Edweard Muybridge précurseurs du bullet time
2.1 Le temps impur
2.3 La gymnastique, un sport mécanique
2.4 Un ranch à Palo Alto
2.5 Bilan
3. Michel Gondry le bullet time du vidéo-clip au spot publicitaire
3.1 Définition du vidéo-clip
3.2 Le clonage des protagonistes et la boucle dans le vidéo-clip
3.3 L’objet motif et sa multiplication
3.4 Première expérience du bullet time dans le vidéo clip.
3.4.1 Analyse de séquence du clip Like a rolling stone
Bilan
3.4.2 Analyses de séquence du spot publicitaire Smarienberg
Première analyse
Bilan
Deuxième analyse
Bilan
4. La trilogie Matrix et le bullet time
4.1 Les étapes du projet de la trilogie
4.1.1 De la BD au cinéma, de Bound à Matrix
4.1.2 Les prémisses de l’effet bullet time
Intention avortée de créer un effet cartoon
Rencontre du mouvement et de l’effet arrêté
4.2 Définition de l’effet bullet time
4.3 Les quatre plans de Matrix utilisant l’effet bullet time
4.4 Explication de l’effet
4.4.1 Deux analyses du bullet time dans Matrix
Première analyse : Séquence du bullet time dans la station de métro [DVD Chapitre : 33 à 34]
Bilan
Deuxième analyse : séquence du bullet time sur la tour Matrix [DVD Chapitre : 30 à 31]
Bilan
4.5 Les limites du bullet time
I.B.5 Bilan
DEUXIEME PARTIE
UN CORPS HYBRIDE, ENTRE MACHINE ET ORGANIQUE
A. L’ABSENCE DU CORPS DE L’ACTEUR OU LA DESINCARNATION
1. Immortal, d’Enki Bilal : le corps
1.1 Organique, humain
1.2 Evolution d’une mutante, extra-terrestre, Jill
1.3 Et Porc-Epic était allé se pendre
1.4 L’acteur réel
1.5 Technique
1.6 Protagonistes synthétiques
2. La trilogie Matrix
2.1 Historique de la capture des mouvements
2.2 Les différents types
2.2.1 Optique
2.2.2 Mécanique
2.2.3 Inertiel
2.2.4 Magnétique
2.3 La réplique des humains
2.3.1 Final Fantasy (2001), d’Hironobu Sakaguchi et Motonori Sakakibara
2.3.2 De l’humain aux protagonistes virtuels
3. Kairo, de Kiyoshi Kurosawa.
3.1 La trace
3.2 La zone interdite
3.3 Les entités et la technologie
3.4 L’incommunication
II.A.4 Bilan
B. UN CORPS BIOMECANIQUE
1. Fondement littéraire de la cyberculture : Neuromancien, de William Gibson
1.1 La cyberculture
1.2 Création de mondes virtuels
1.2.1 Chronologie des outils de la R.V.
1.2.2 De la R.V. à la vie professionnelle
1.2.3 De la R.V. à la vie privée
1.2.4 De la R.V. à la vie publique
1.3 Neuromancien [Neuromancer]
2. Matrix, Larry et Andy Wachowski héritage de la cyberculture
2.1 La trilogie Matrix et Neuromancien
2.2 La trilogie Matrix et Le Conte du Graal
2.3 Le corps biomécanique
3. eXistenZ, de David Cronenberg, mise en réseau du corps
3.1 L’atelier des expérimentations
3.3 Le corps mis en réseau
3.4 De la peinture à la chair
II.B.4 Bilan
C. L’INFLUENCE DES COURANTS ARTISTIQUES
1. Le Body-Art : les Autrichiens et Crash de David Cronenberg
1.1 Expanded Cinema
1.2 La vidéo performance et les Actionnistes viennois
1.2.1 Formes d’expressions
La performance
1.2.2 Signes d’expression
Les scarifications
Les tatouages
2. L’artiste Orlan : l’Art Charnel et Videodrome de David Cronenberg
2.1 L’exposition du corps
2.2 Opérations-chirurgicales-performances
2.3 Orlan cinéma
2.4 Self-hybridation
II.C.3 Bilan
TROISIEME PARTIE
DERNIÈRES ESTHÉTIQUES AMENÉES PAR LA TECHNOLOGIE
A. REPRISE D’UNE ESTHETIQUE HERITEE DU JEU VIDEO
1. eXistenZ, de David Cronenberg
1.1 Forme narrative
1.2 Passage/transition
2. Matrix, de Larry et Andy Wachowsky
2.1 Le jeu vidéo et la trilogie Matrix
2.2 L’entreprise du jeu Enter The Matrix
2.3 Convergences du jeu et de la saga Matrix
2.4 Caractéristiques pour le joueur
2.5 Les rapports film – jeu vidéo
III.A. 3 Bilan
B. REPRISE D’UNE ESTHETIQUE HERITEE D’INTERNET
1. Kairo, de Kiyoshi Kurosawa, la webcam dans le film de fiction
1.1 La fonction scopique
1.1.1 Le voyeurisme
1.1.2 L’auto-filmage : l’exhibitionnisme
1.2 La caméra de surveillance
1.3 L’esthétique des pulsions meurtrières
III.B.2 Bilan
C. LE DECOR ABSTRAIT OU LA DEMATERIALISATION DE L’ESPACE PARCOURU DANS LE RECIT
1. Le décor métaphorique : Metropolis et Matrix
[Pouvoir/contre-pouvoir, dématérialisation de l’espace, l’élu.]
1.1 Metropolis
1.1.1 Définitions et origines de la sérialité
1.1.2 Metropolis
2.2 Le motif de la ville dans l’œuvre de Fritz Lang
2.2.1 La ville : trois niveaux
2.2.2 La mort rôde : les bas fonds
2.2.3 Une ville symbolique et irréelle
3.3 Metropolis : ville imaginaire née en studio
3.3.1 Une ville totale
3.3.2 Les maquettes
3.3.3 Les SFX
4.4 La ville expressionniste
4.4.1 Définition de l’expressionnisme
4.4.2 Les films de ce courant
4.4.3 L’appartenance de Metropolis à ce courant
III.C.5 Bilan
CONCLUSION

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