L’homme et son espace

L’homme et son espace 

Le premier rapport de l’homme à son espace est un rapport animal. Comme le décrit Hall dans La dimension cachée (Hall, 2014), l’homme possède, comme l’animal, des instincts de définition et de défense de son espace. Il forme et construit autour de lui des bulles ou coquilles (Môles, 1972) qui forment son territoire. Si ces zones peuvent être ancrées ou marquées physiquement à travers les murs d’une maison, une clôture entourant le jardin ou encore une serviette de plage posée au sol, elles peuvent aussi être représentées de manière sensitives et parfois inconscientes : « c’est mon quartier » ; « il est entré dans mon espace vital ». Il délimite ainsi son territoire et le protège plus ou moins efficacement (délimitation par un mur, les bords d’un parapluie, le volume d’une conversation téléphonique …).

Dans l’espace public, l’homme est vulnérable. Les espaces personnels qu’il a définis autour de lui risquent d’être bouleversés par la présence d’autrui. L’homme met alors en place des stratégies afin d’accentuer la délimitation de son espace (« faire habitacle », Anne JARRIGEON, 2012) en allant d’une simple utilisation de l’espace à une appropriation plus ou moins forte : appropriation d’un banc par la présence de sacs ou par la création de tags . De manière collective et inconsciente, un consensus se met en place dans l’espace public permettant à chacun de préserver ses «réserves territoriales » et d’éviter les contacts. On observe par exemple ces normes dans les flux de circulation piéton où des files dans un sens et dans l’autre se forment naturellement allant jusqu’à offrir des files « marche rapide » et « marche de croisière » avec des exemples de forte densité.

Ces règles, parfois encouragées par des aménagements, vont jusqu’à définir l’espace avec autant de force que ses caractéristiques physiques. Ainsi certains couloirs de métro pourraient être divisés en deux par la présence d’un mur, tellement le sens de circulation gauche/droite y est respecté. Du côté aménageurs et concepteurs, observer et analyser ses règles constituent donc une base indispensable pour la compréhension du système d’usage de l’espace. Du côté des passants, les règles sont une condition d’utilisation de l’espace et leur apprentissage et connaissance sont essentiels. Ne pas maitriser ces codes, c’est être étranger dans l’espace public.

La maitrise de ces règles passe par une adaptation constante de l’individu aux changements d’espaces de la ville, qu’il vit comme un enchainement d’épreuves aux rythmes, normes et paysages différents (Simmel, 2004). Dans les lieux modernes où la ville change sans cesse de forme, « la notion de différence, la valeur des différences entre les choses sont ressenties comme négligeables » (Eloi Le Mouël, 2012). L’individu minimise ainsi les différences entre espaces et acquière des automatismes qu’il déploiera dans ses interactions avec autrui.

Si la préoccupation première de l’individu est la délimitation et la protection de son espace propre, on s’aperçoit que l’individu influe sur l’espace autant que l’espace le contraint. En effet, l’espace offre des contraintes physiques fortes mais il atteint aussi l’individu de par ses formes, couleurs, changements : il peut successivement guider ou disperser, contraindre ou ouvrir le regard, contenir ou favoriser les opportunités. Cependant l’homme individuellement transforme lui aussi l’espace. Il lui donne parfois des fonctions surprenantes lorsqu’un banc devient un lit, un trottoir se transforme en rampe de skateboard ou un mur en toile, et ancre avec plus ou moins de force son territoire, physiquement ou mentalement, dans l’espace. Il transforme aussi l’espace collectivement en le couvrant d’un système de règles qui définissent son usage avec presque autant de précision que les recommandations matérielles.

Dans les véhicules de transports, l’espace peut se faire rare en raison de la forte densité. Il s’agit alors d’observer comment se manifeste la lutte de l’homme pour son espace dans cet espace clos.

La lutte pour l’espace 

Fort de leur succès, les transports en commun comptent chaque année un peu plus d’usagers sans pour autant augmenter de manière équivalente leur capacité d’accueil. Ces espaces clos, à la fois accessible et isolé, constituent ainsi, le temps de quelques minutes à plusieurs heures, une place provisoire pour ceux qui s’y engouffrent. Des hommes et des femmes s’y retrouvent face à face, parfois serrés les uns contre les autres, sans partager ni activités, ni conversations communes. Même à densité faible, l’appropriation de l’espace semble facilement visible, chacun marquant d’un sac à main ou d’un vêtement son territoire comme on plante un drapeau. Ainsi, à cette micro-échelle, les relations avec l’espace sont fortes, plus ou moins visibles et plus ou moins marquées, mais bien réelles.

Prendre place 

Individuellement, le passager cherche là encore à préserver son espace et marquer son territoire. Dans le véhicule de transport où l’espace est mobile, la « lutte des places » (Michel Lussault, 2009) se fait autour des appuis : barre, siège, mur, coin … La place, qu’elle soit contre un mur ou sur un siège prévu à cet effet, a deux fonctions. La première vis à assurer une relative immobilité au sein d’un lieu mobile. Les appuis permettent une accroche, un soutien ou un support afin d’éviter la chute. La deuxième fonction est symbolique. En effet, dans cet espace mobile et provisoire, la place joue un rôle d’ancrage au lieu (Jean-Baptiste Frétigny, 2012). Elle devient donc représentative de la position du passager : l’appropriation d’un siège aura plus de valeur que celle d’une barre ou d’un bout de mur. Le choix de la place est donc un élément fort de l’utilisation, de l’appropriation, voire de l’identification au lieu (« C’est ma place »). Le passager déploie d’ailleurs une multitude de stratégies pour s’octroyer une place dans le véhicule. Certains habitués négocient leur place avant d’entrer dans le véhicule en scrutant les places assises ; avant même l’arrivée du véhicule en apprenant par cœur l’emplacement des portes d’entrée sur le quai ; et parfois bien en amont en choisissant une station plus haut sur la ligne pour augmenter les chances d’obtenir une place libre. A première vue, le combat semble se faire entre places assises et debout : rapprochement vers les sièges dans l’espoir d’en voir se libérer un, utilisation des strapontins, etc.

Prendre de la place

Si le choix des places repose principalement sur la notion de confort, il peut aussi s’agir d’un choix « stratégique » : place à proximité d’une fenêtre, dans un coin, près de la porte d’entrée quand la sortie est proche … En effet, les « meilleures » places seront souvent celles qui offrent une meilleure assise et donc celles qui ont bénéficié d’une réflexion en termes d’aménagement mais aussi celles qui permettront de préserver le maximum d’espace en cas de forte densité. Dans le RER parisien par exemple, il n’est pas rare de voir des usagers s’installer dans les escaliers ou sur les supports bagages en cas d’affluence élevée.

Tant que la densité est faible, la règle est celle de la « motilité coopérative » (Stéphane Tonnelat, 2012), c’est-à-dire l’évitement des conflits sous le fonctionnement « premier arrivé, premier servi ». Une fois leur emplacement acquis, les passagers peuvent alors étendre leur « prétention territoriale » par le biais d’objet ou de leur corps. Cependant, lorsque le véhicule se remplit, certaines règles viennent s’imposer à l’usage de l’espace : le règlement du transport (« ne pas utiliser les strapontins en cas de forte affluence » …) ainsi qu’une serviabilité civile (laisser sa place assise aux personnes âgées …). Dans ce cas, les stratégies de « prise de place » se font plus subtiles et plus discrètes : positionnement de sacs autour d’une barre pour en réduire l’accès, position du corps pour imposer le recul …

Compétence transport

Ces stratégies pour l’espace sont souvent particulièrement maitriser par les habitués du transport qui, comme vu plus haut, vont jusqu’à prévoir à l’avance des façons d’optimiser leur chance d’obtenir une place assise. En plus de leur assurer une position particulière au sein du véhicule, cette connaissance dans le détail du fonctionnement du transport leur procure une sensation d’identification au lieu (« mon siège c’est celui du troisième rang, près de la fenêtre »). Aujourd’hui, ses habitués tendent à diminuer au profit de passagers occasionnels qui sont de plus en plus demandeurs d’outils (TIC) leur permettant de maitriser leur mobilité.

Dans le sens inverse, l’ignorance de certaines règles et normes au sein du véhicule peut exclure certaines personnes qui perçoivent le lieu comme complexe et austère. Dans la ville de Porto par exemple, les personnes âgées préfèrent en majorité le bus au métro, pourtant plus confortable et parfois plus approprié pour certains types de trajets. En effet, l’affluence forte et l’absence d’un contact direct avec le chauffeur qui peut s’adapter à leur difficulté de circuler rend hostile le métro à leur yeux. Si ces règles, soit définies par le système de transport, soit établies de manière collective, ont un rôle de régulation et de gestion de l’espace, d’autres normes modèrent les interactions au sein du véhicule.

L’ « être passager » 

Goffman, dans ses recherches sur la proxémie (distances sociales, rapport de l’homme à son espace), présente la vie comme une pièce de théâtre où chaque individu serait un acteur : l’homme apprend à maitriser un ensemble de rituels qu’il déploiera dans ses interactions afin de donner une impression de normalité. Dans l’espace clos du lieu mobile, il s’est en effet développé une société éphémère, bousculée par le va-et-vient constant des passagers, où ces rites sont omniprésents et la normalité vise à « être passager ».

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Table des matières

INTRODUCTION
ETAT DE L’ART
1. L’homme et son espace
2. La lutte pour l’espace
2.1. Prendre place
2.2. Prendre de la place
2.3. Compétence transport
3. L’ « être passager »
3.1. Consensus temporaire
3.2. La force des émotions faibles (S. Tonnelat et M. Aranguren, 2013)
3.3. Paradoxe de l’ordre social
4. Engagements privés, coproduction d’une confiance collective
5. Les barres d’appui
METHODE
6. Outil
7. Population
ANALYSE DES RESULTATS
1. Des barres « mieux que d’autres »
2. Une question de densité
3. Des facteurs propres aux passagers
4. Fermeture de l’espace
5. Notion de contact
DISCUSSION
1. Engagement relatif et protocole social
2. La barre d’appui, une ressource ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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