L’HISTOIRE SCOLAIRE SOUDANAISE DE FIN D’EMPIRE

« L’élève n’est pas un tableau noir sur lequel on écrit des informations. Il n’est pas non plus une cruche d’eau dans laquelle on déverse des connaissances. Il est un être humain actif dont le corps et l’esprit grandissent à condition de recevoir une bonne nourriture mentale, physique et spirituelle. »

C’est ainsi que le ministère de l’éducation du Soudan colonial (1899-1956) recommandait aux enseignants des écoles élémentaires d’envisager leurs élèves au début des années 1950. La tentative de répandre de nouvelles conceptions didactico-pédagogiques parmi les enseignants s’inscrivait dans un vaste projet de réformes entamé au Soudan avant la Seconde Guerre mondiale. L’un des objectifs premiers était de transformer les programmes, les approches didactiques et les pratiques pédagogiques de l’enseignement élémentaire soudanais.

A l’instar des autres disciplines scolaires, l’histoire était visée par les réformes. Elle fut repensée en profondeur pendant et après la guerre, dans un contexte politique particulièrement tendu. En effet, alors même que l’Empire britannique était sérieusement ébranlé par la perte du joyau de la couronne, l’Inde (1947), le Soudan faisait l’objet d’âpres négociations entre la Grande-Bretagne et l’Egypte, qui se partageaient officiellement le gouvernement du pays depuis un demi-siècle. Les nationalistes soudanais, organisés depuis peu en partis politiques, constituaient désormais des acteurs avec lesquels la Grande-Bretagne et l’Egypte devaient compter. Du côté de l’Empire, le principe – parfois théorique – d’un retrait britannique était acquis mais non encore le calendrier des décolonisations. Du côté du Soudan, l’incertitude planait lourdement sur l’avenir politique du pays : s’acheminait-on vers un Etat soudanais indépendant ou vers une union soudano-égyptienne ? A quand le départ des Britanniques ?

A l’heure où le futur immédiat du Soudan anglo-égyptien et de l’Empire britannique était tout sauf prévisible, les éducateurs coloniaux du Soudan procédèrent à l’élaboration de nouveaux programmes et manuels d’histoire. C’est cette nouvelle histoire scolaire soudanaise, conçue dans les années critiques de ce que nous appellerons l’« ébranlement colonial » (1945- 1950) , que cette recherche se propose d’explorer. A cet effet nous avons construit une problématique en deux volets.

Le Soudan anglo-égyptien 

Le Soudan anglo-égyptien (1899-1956) a fait l’objet d’un nombre relativement faible d’études historiques. Sa marginalité au sein de la recherche académique s’explique par une combinaison de facteurs géopolitiques, culturels, historiques et linguistiques. Tout d’abord, la position charnière du pays entre le Moyen-Orient arabe et l’Afrique sub-saharienne l’a plus souvent exclu qu’inclus dans ces entités construites. Sa qualité d’espace frontière entre l’Afrique anglophone et l’Afrique arabophone n’a pas non plus aidé à le caser dans un ensemble régional plus large . Ensuite, l’anomalie légale que constituait le régime du Condominium (gouvernement théoriquement partagé entre deux puissances) et le fait que le Soudan ait été placé sous la tutelle du Foreign Office (FO) plutôt que du Colonial Office (CO) ont contribué à l’exclure des travaux historiques consacrés à l’Empire colonial britannique. Le Soudan présente un autre « désavantage » sur le plan historiographique, celui de ne pas avoir été la cible d’un mouvement de colonisation important en provenance de la métropole. Les Britanniques, Italiens et Américains qui s’y installèrent en petit nombre durant la première moitié du XXe siècle étaient essentiellement des fonctionnaires coloniaux ou des missionnaires. C’est ainsi que le Soudan, contrairement au Kenya par exemple, a suscité un intérêt limité dans l’ex-métropole britannique, tant dans la production littéraire et cinématographique « populaire » que dans l’univers académique. En ce qui concerne la production universitaire francophone sur le Soudan, elle est extrêmement restreinte du fait d’un handicap culturel et linguistique qui s’ajoute aux facteurs susmentionnés. Le Soudan ayant été administré par la Grande-Bretagne (et l’Egypte théoriquement), il a toujours figuré au bas de la liste des priorités de la recherche française et plus largement francophone.

Trois générations d’historiens 

Esquissons à présent l’ébauche d’une sociologie des historiens qui se sont tout de même intéressés au Soudan anglo-égyptien. La première génération d’historiens à explorer le sujet dans les années 1950-1970 faisait majoritairement partie de l’intelligentsia nord-soudanaise formée au Gordon Memorial College (GMC) de Khartoum et dans les universités britanniques, en particulier à Oxford. On pense à Mekki Abbas, Mekki Shibeika, Beshir Mohammed Said, Gaafar Muhammad Ali Bakheit, Muddathir Abd al-Rahim et Mohamed Omer Beshir . Il faut également mentionner le cas peu ordinaire de Lawrence A. Fabunmi, Nigérian formé à l’Université de Londres . Leurs travaux s’attachaient à retracer une histoire politique du Soudan anglo-égyptien en privilégiant tantôt les relations anglo-égyptiennes (Abbas, Fabunmi), tantôt les politiques britanniques au Soudan (Shibeika), tantôt le développement du nationalisme soudanais (Bakheit, Abd al-Rahim, Beshir), tantôt le conflit entre le Nord et le Sud-Soudan (Beshir).

A cette époque, les ex-fonctionnaires britanniques du Condominium s’intéressaient plutôt à l’histoire soudanaise du XIXe siècle , hormis Lilian P. Sanderson, qui entama des recherches académiques sur l’enseignement féminin soudanais alors qu’elle exerçait elle-même dans ce champ en tant que directrice de l’école secondaire pour filles de Khartoum (1958-1962) .

Les années 1970-1990 virent l’émergence d’une seconde génération de chercheurs, dont les origines et les affiliations institutionnelles étaient beaucoup plus diversifiées que celles de la génération précédente. Les Soudanais qui explorèrent la période du Condominium à cette époque comprenaient non seulement des Nordistes, mais également des Sudistes, dont Raphael K. Badal, Dunstan M. Wai, Bona Malwal, Lazarus L. Mawut, et Francis M. Deng . Sans surprise, les travaux des historiens soudanais reflétaient largement les clivages politiques et idéologiques qui accompagnaient la guerre civile entre le Nord et le Sud-Soudan. Alors que de nombreux Nordistes se consacrèrent à l’étude du nationalisme soudanais, donc à une histoire presque exclusivement nord-soudanaise , leurs collègues sudistes se tournèrent naturellement vers le Sud-Soudan sous le régime du Condominium. Certains historiens nordistes se focalisèrent sur d’autres thématiques que le nationalisme, notamment sur l’histoire économique et démographique du Soudan anglo-égyptien, l’histoire de la presse, les connexions culturelles entre le Soudan et l’Egypte, ainsi que l’histoire des politiques coloniales britanniques dans la région des monts Nouba (Sud-Kordofan) .

Les historiens britanniques du Soudan anglo-égyptien émergèrent dans ces années-là. Martin W. Daly, Robert O. Collins, Douglas H. Johnson, James A. Mangan, Anthony H. M. Kirk-Greene, Tim Niblock et Peter Woodward en sont les figures les plus importantes. L’ouvrage de Daly en deux volumes est devenu depuis lors une référence de base sur le Soudan anglo-égyptien . Les travaux de Collins et Johnson font autorité sur le Sud-Soudan durant cette période. Plusieurs chercheurs britanniques s’intéressèrent tout naturellement aux administrateurs britanniques du Soudan, abordant le Sudan Political Service (SPS) dans une perspective sociologique. Niblock et Woodward appliquèrent à l’histoire contemporaine du Soudan, y compris au Condominium, les modèles et théories des sciences politiques développés dans les années 1980. Les historiens de l’autre ex-puissance coloniale, l’Egypte, produisirent également des travaux sur le Soudan anglo-égyptien dans les années 1970-1980. Ceux que nous avons recensés traitent de la première moitié du Condominium (1899-1924).

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Table des matières

Introduction
A. Terminologie
B. Sources
C. Possibilités et limites de la recherche
Etat de la recherche
A. Le Soudan anglo-égyptien
B. L’Empire britannique dans sa phase finale
C. Impérialisme et savoirs scientifiques
D. L’éducation en contexte colonial
E. Manuels scolaires
F. Apport de la thèse
1ÈRE PARTIE : SITUER L’OBJET
1. Le Soudan anglo-égyptien : une anomalie légale dans l’Empire britannique
A. Racines historiques (1820-1898)
B. Un régime colonial bicéphale : le Condominium anglo-égyptien (1899-1956)
C. Vers la décolonisation, du Graduates Congress à la 1ère guerre civile (1938-1958)
2. De l’éducation pour l’Empire à l’éducation contre l’Empire
A. La révolution éducative dans l’Afrique coloniale britannique (1900-1960)
B. L’éducation dans le Soudan anglo-égyptien (1902-1957)
2E PARTIE : L’HISTOIRE SCOLAIRE SOUDANAISE DE FIN D’EMPIRE
3. La réforme de l’histoire scolaire soudanaise à l’heure de l’ébranlement colonial
A. L’univers des leçons d’histoire élémentaire par le prisme des manuels
B. Le nouveau programme d’histoire élémentaire
4. Le contenu des enseignements prescrits, de l’histoire à l’éducation civique
A. Une triple identité épistémologique
B. Représentations du passé
C. Systèmes de valeurs
5. Un processus éducatif planifié dans les moindres détails
A. L’enseignant face à et au sein de la classe
B. Narration et cognition au service de la transmission
C. Les élèves en situation d’apprentissage
D. Le processus éducatif sous le regard de l’inspecteur
3E PARTIE : PERSPECTIVES DIACHRONIQUES ET SYNCHRONIQUES
6. L’histoire scolaire au Soudan et dans l’Empire
A. Une rupture dans l’histoire de l’enseignement de l’histoire au Soudan ?
B. Histoires scolaires d’après-guerre : convergences et divergences 334
7. Une fois l’indépendance acquise
A. Une décolonisation partielle de l’histoire
B. Les absents de l’histoire deviennent sujets d’histoire
Conclusion
A. Zooming in : l’histoire scolaire soudanaise à l’heure de l’ébranlement colonial
B. Zooming out : le Soudan anglo-égyptien et l'(ex-)Empire britannique
C. Perspectives postcoloniales
D. Le Soudan anglo-égyptien, un terrain à explorer et à réexplorer

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