L’histoire récente des pratiques scripturales 

Notre intérêt pour l’argumentation et son enseignement, plus spécifiquement pour l’efficacité des genres argumentatifs écrits, provient de deux sources. La première, sans doute triviale, renvoie à l’importance accrue de l’argumentation, du discours persuasif dans la sphère publique de nos sociétés et des enjeux de sa maitrise pour les citoyennes et citoyens. La deuxième source n’est autre que notre expérience d’enseignant du français écrit dans différentes institutions du Québec et du Maroc . Durant toutes les années d’enseignement du français écrit, et particulièrement de l’argumentation écrite, nous avons pu observer les énormes difficultés des apprentis scripteurs quand on leur demande de produire des textes persuasifs, autrement dit des textes qui mobilisent des  moyens langagiers pour influencer, convaincre ou persuader le destinataire. Le peu de ressources didactiques pertinentes et accessibles qui traitent de ce sujet, en plus des difficultés inhérentes à la dimension persuasive de l’argumentation, ajoute au désarroi des enseignants devant la tâche de développer les compétences langagières des apprenants à travers l’écriture de textes de genres argumentatifs. Suivant une tradition scolaire qui s’impose en enseignement du français, on a enseigné, et on enseigne encore, la dissertation en pensant travailler l’argumentation à cause, sans doute, d’une part, de la rareté des ressources nécessaires pour travailler d’autres genres et, d’autre part, des représentations du corps enseignant, voire de la société, à propos de l’argumentation, généralement associée au développement du raisonnement rationnel et à l’administration de la preuve. Certes, quelques manuels ou outils didactiques de qualité existent sur le marché, mais leur diffusion n’est pas assez importante et n’a pas réussi à inverser le paradigme éducatif dominant dans les habitus de l’institution scolaire et des enseignants. C’est donc au renouvèlement de l’enseignement de l’argumentation discursive, et de sa didactique, que nous voulons participer quantitativement et qualitativement par notre recherche doctorale et, ce faisant, au soutien à l’expression de la citoyenneté pour laquelle la maitrise des outils du discours argumentatif est l’une des conditions.

LA DIDACTIQUE DE L’ÉCRITURE ET LES CONCEPTUALISATIONS DU
GENRE 

Une séquence didactique dont l’objet est la production de textes d’opinion (TO) nous place d’emblée dans le champ de la didactique de la production écrite et dans celui des conceptualisations des genres textuels qui puisent leurs sources, entre autres, dans la psycholinguistique, l’histoire, la poétique bakhtinienne, la linguistique textuelle et l’analyse de discours. Nous ne projetons pas d’exposer l’entièreté des travaux en didactique de la production écrite, nous désirons plutôt jeter un éclairage sur les théories développées en didactique du français, avec des renvois ponctuels à des disciplines de référence pour la didactique du français.

Des éléments de la didactique de la production écrite 

L’un des principaux objectifs de l’école est de faire en sorte que tous les apprenants s’approprient la culture de l’écrit (Chartrand, 2005). Cet objectif est toujours actuel, quel que soit le cycle de formation, au primaire, au secondaire ou aux cycles supérieurs. Mais la complexité de la production écrite est telle que beaucoup d’individus renoncent ou se découragent rapidement et n’atteignent jamais les niveaux de littératie attendus. C’est particulièrement le cas de l’argumentation écrite qui requiert des opérations complexes et pas simplement l’alignement de flux d’informations (Bereiter et Scardamalia, 1987 ; Golder et Favart, 2003).

L’histoire récente des pratiques scripturales

Les pratiques scripturales n’ont pas toujours été ce qu’elles sont actuellement. De véritables bouleversements sociaux et techniques ont été derrière de nombreux renouveaux, depuis la période scolastique jusqu’à l’ère numérique en passant par l’invention de l’imprimerie (McLuhan, 1967). Cette évolution relève de deux ordres différents : l’idéologie et la technologie. En rendant l’automatisation de l’écriture possible, l’imprimerie a contribué à une plus grande diffusion et en conséquence à une plus grande production. L’écrit a également cessé d’occuper une position secondaire et a commencé à devenir primordial sous l’effet de la pression sociale (Schneuwly, 1995).

Sur le plan pédagogique, le passage de la pédagogie Freinet aux textes libres et au mouvement des ateliers d’écriture a favorisé l’introduction de nouvelles pratiques et a largement contribué à valoriser l’élève en tant que scripteur et l’écriture en tant qu’activité communicationnelle (Oriol-Boyer, Bilous 2013). Les initiatives de quelques chercheurs en matière de production de textes littéraires se voulaient de permettre aux scripteurs de développer des compétences qui seraient réinvesties pour la production de divers genres textuels ainsi que pour la réécriture (Oriol-Boyer, 1990, 1994).

Mais si le renouveau de la didactique de l’écrit et des théories qui s’y rattachent est largement admis, il y a dix ans, Reuter relativisait leur impact en remarquant que les modèles anciens demeuraient encore dominants dans les pratiques scolaires : l’enseignement de l’écrit se basait encore sur des pratiques principalement répétitives de genres scolaires, on considérait encore que les exercices de conjugaison et d’orthographe contribuaient directement à la maitrise de l’écriture (Reuter, 1996). Aujourd’hui encore, les modèles anciens persistent (Chartrand et Lord, 2013), la didactique de l’écriture n’est donc pas encore arrivée à révolutionner les pratiques ni à bouleverser l’ordre ancien de façon significative. Certains seraient tentés d’attribuer la responsabilité de cette situation, ou de ce qui semble être une quasi-stagnation, à l’enseignant; d’autres blâmeraient les théoriciens, d’autres encore les prescripteurs et la doxa qui les influence. Une pareille polémique ne saurait être utile pour les apprenants qui sont les premiers concernés.

Les rapports de l’écriture avec l’oral et la lecture 

Par rapport à l’oral, il est une époque où l’écrit fut un thème mineur dans les recherches linguistiques (Barré-De Miniac, 1995). Cette situation a changé et nous sommes passés à une époque où l’écrit revient en force en tant qu’objet de recherche. Le développement des recherches sur l’écriture et sa didactique peut sans doute s’expliquer par un certain nombre de changements, dont celui de la conception des rapports entre l’écrit et l’oral. Entre les deux pratiques, il est question de rupture et le passage d’un mode de communication à un autre, correspond à une sorte de mutation langagière. Dabène met en garde contre les modèles de transition nourris par l’illusion d’homogénéité (Dabène, 1996). Le passage de l’écrit à l’oral nécessite une réorganisation du système de production langagière dans son ensemble. Ce point de vue largement répandu maintenant traduit la pensée de Vygotski pour qui « le langage écrit permet à l’enfant d’accéder au plan abstrait le plus élevé du langage, réorganisant par là même le système psychique antérieur du langage oral » (Vygotsky, 1997 : 339). Une rupture est nécessaire pour accéder à l’écrit. L’écrit et l’oral correspondent donc à deux compétences différentes. Si la pratique scripturale passe nécessairement par son appropriation en grande partie à l’école, l’exercice de l’oral est une activité qui se développe d’abord en milieu naturel, sans apprentissage explicite systématique. Dans le cas des écrits argumentés, le débat oral semble être un vecteur de l’apprentissage de l’argumentation écrite (Delcambre, 1996).

Certaines questions relatives à l’écriture ne peuvent être évoquées sans référence à la lecture. Ces deux pratiques sont tellement liées que des chercheurs comme Pearson et Thierry proposent pour les formaliser un processus identique : planification, positionnement, contrôle, révision, etc. En outre, dans l’acte d’écriture, le lecteur est toujours présent et l’écrit est une sorte de médium entre scripteur et lecteur. La conséquence des nombreux liens entre les deux pratiques en est qu’un modèle d’écriture devrait inclure le lecteur en tant que destinataire. Pourtant les relations entre les deux pratiques n’étaient pas toujours aussi évidentes telles qu’elles le sont aujourd’hui; leur évolution dans l’histoire trace deux parcours différents. Selon Barré-De Miniac, les années soixante-dix étaient les années de la lecture, alors que l’intérêt des chercheurs pour l’écriture ne se manifestera que tardivement (Barré-De-Maniac, 1995). En remontant plus loin dans l’histoire, on note que l’ordre des priorités dans les écoles primaires a lui aussi été bouleversé entre le XVIe et le XIXe siècle : on est passé d’un ordre dans lequel la lecture devrait précéder l’écriture à un ordre dans lequel la simultanéité entre les deux pratiques est recommandée, voire un ordre où la production devient un support à la compréhension et non l’inverse (Dolz, 1993).

L’écriture dans le contexte de formation 

L’écrit dans le contexte de formation est aussi un écrit de type social, mais d’un type particulier. Le contexte de communication et les finalités de ces derniers ne peuvent être comparés aux autres écrits sociaux. Dans la majorité des cas, les situations de communication sont simulées et le produit final est sanctionné par une évaluation. Les milieux de formation (l’école et l’université), en véhiculant certains modèles, font comme si d’autres pratiques n’existaient pas. Dans le cas du texte argumentatif, la dissertation a longtemps été le genre dominant; elle était le modèle de l’écrit argumenté. Le plan dialectique était à la fois un plan passepartout et un gage de rationalité, croirait-on. Au Québec, depuis 20 ans, le modèle encore dominant relève d’un plan prédéterminé qui exclut d’autres types de structuration; on est encore dans la mystique du plan (Genette, 1987). Un autre exemple de l’écart entre les pratiques scolaires et les pratiques sociales de l’écrit est celui de la domination du modèle littéraire et l’absence quasi totale de certains types d’écrits pourtant fréquents dans la société. L’intérêt de la didactique pour les « mauvais genres », pour les genres journalistiques tels que le texte d’opinion est relativement récent.

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Table des matières

Introduction 
Partie I : Les coordonnées de la recherche
Chapitre 1. La problématique de la recherche
1.1. La pertinence du choix du sujet : l’argumentation discursive
1.1.1. La pertinence sociopolitique du sujet
1.1.2. La pertinence du sujet à l’ère numérique
1.1.3. La pertinence didactique
1.2. L’enseignement de l’argumentation
1.2.1. Les déficits des programmes de formation à l’argumentation
1.2.2. L’efficacité argumentative comme axe organisateur de l’enseignement de
l’argumentation
1.3. Nos questions de recherche
Chapitre 2. Le cadre théorique et conceptuel de l’argumentation 
2.1. Le champ de l’argumentation
2.1.1. La Nouvelle rhétorique
2.1.2. L’argumentation chez Toulmin
2.1.3. L’analyse de discours en milieu francophone et anglo-saxon
2.1.4. La pragmadialectique : l’École d’Amsterdam
2.1.5. L’argumentation dans la langue
2.2. Les principaux aspects de l’argumentation discursive
2.2.1. L’auditoire ou le destinataire
2.2.2. Les stratégies argumentatives
2.2.3. La polyphonie
2.2.4. Les arguments
2.3. Vers une définition de l’efficacité argumentative
2.3.1. Quelques dénominations de l’efficacité dans différents champs théoriques
2.3.2. Un modèle explicatif de l’efficacité du langage
2.3.3. L’efficacité dans la rhétorique gréco-romaine
2.3.4. L’efficacité argumentative dans la Nouvelle rhétorique
2.3.5. L’efficacité argumentative chez Toulmin
2.3.6. L’efficacité argumentative dans les courants de l’analyse du discours (AD)
2.3.7. L’efficacité argumentative dans l’argumentation dans la langue
2.3.8. L’efficacité argumentative dans le courant de la nouvelle dialectique
2.3.9. Vers une définition intégrée de l’efficacité argumentative
Chapitre 3. La didactique de l’écriture et les conceptualisations du genre 
3.1. Des éléments de la didactique de la production écrite
3.1.1. L’histoire récente des pratiques scripturales
3.1.2. Les rapports de l’écriture avec l’oral et la lecture
3.1.3. La dimension sociale de l’écrit
3.1.4. L’écriture dans le contexte de formation
3.2. Divers modèles et approches de l’écriture
3.2.1. Les approches psycholinguistiques et psychocognitives
3.2.2. Les approches anthropologique et historique
3.2.3. L’approche génétique
3.2.4. L’apport de Vygotski
3.3. Les conceptualisations des genres textuels
3.3.1. Le concept de genre et le modèle du genre en didactique du français
3.3.2. Notre définition du genre appelé texte d’opinion
3.3.3. La description des genres à caractère argumentatif chez Chartrand et ses collaborateurs
3.3.4. Notre définition du texte d’opinion
Chapitre 4. Les études sur l’argumentation discursive en didactique du français de 1990 à 2015 
4.1. Le pôle de l’objet
4.1.1. Le texte argumentatif comme objet didactique
4.1.2. Des tentatives pour caractériser l’argumentation écrite
4.1.3. Un modèle systémique du discours argumentatif
4.1.4. Les travaux sur des composants de l’argumentation
4.2. Le pôle de l’enseignant
4.2.1. L’analyse du travail de l’enseignant
4.2.2. Une recherche sur la formation des enseignants à l’enseignement de genres
argumentatifs
4.3. Le pôle des apprenants
4.3.1. Les approches psychocognitives de l’argumentation
4.3.2. Les difficultés et les contraintes des discours argumentatifs
4.3.3. La culture des apprenants et l’argumentation
4.4. La didactisation de l’efficacité argumentative dans la perspective de l’élaboration de
notre séquence didactique
Chapitre 5. L’argumentation et l’efficacité argumentative dans des manuels pour
l’enseignement du français 
5.1. Les manuels : des objets complexes aux multiples dimensions
5.1.1. Qu’est-ce qu’un manuel?
5.1.2. Le manuel : un outil didactique et pédagogique
5.1.3. Les dimensions politique, économique et idéologique du manuel
5.1.4. Le manuel soumis à des grilles d’analyse hétéroclites
5. 2. L’analyse des contenus argumentatifs dans les manuels de français
5.2.1. Activités textuelles, 9e (AT)
5.2.2. Apprendre à argumenter (AA)
5.2.3. S’exprimer en français. Séquences didactiques pour l’oral et pour l’écrit (SEF)
5.2.4. Écrire pour convaincre (EC)
5.2.5. Paragraphes, pratiques de rédaction (PRR)
5.2.6. Transmission 5 (TR5)
Partie II. La méthode de recherche et la séquence didactique
Chapitre 6. La méthode de recherche 
6.1. La méthode de recherche : l’ingénierie didactique
6.1.1. Le concept d’ingénierie didactique et ses implications
6.1.2. Le réseau de concepts constitutifs de l’ingénierie didactique
6.2. Le concept de séquence didactique
6.2.1. Différentes définitions en didactique du français L1 et L2
6.2.2. Le contexte de l’émergence du concept de la séquence didactique
6.2.3. La séquence dans l’ingénierie didactique
6.2.4. Un modèle de séquence didactique exemplaire
6.2.5. Les implications de l’approche par séquence didactique
6.3. Le devis de recherche
6.3.1. La démarche d’élaboration et la démarche de la séquence didactique
6.3.2. Le schéma expérimental de la séquence didactique
6.4. Les outils de la séquence didactique
6.4.1. Les grilles d’évaluation
6.4.2. Les types de consignes et leurs fonctions dans la séquence
6.4.3. Les consignes provisoires
6.4.4. La consigne du prétest
6.4.5. La consigne du posttest
6.5. Le cadre institutionnel de l’expérimentation de notre séquence didactique
6.5.1. Le programme institutionnel
6.5.2. Le cours FLS4061 dans l’économie du programme
6.5.3. Les conditions objectives de l’expérimentation
6.5.4. Le profil des étudiants inscrits au cours FLS4061
6.5.5. La place de la séquence didactique dans le cours FLS4061
6.6. L’analyse des productions du prétest
6.6.1. La situation de communication
6.6.2. Les paramètres et les indices énonciatifs
6.6.3. La qualité de l’argumentation
Chapitre 7. La séquence didactique et son expérimentation en milieu institutionnel 
7.1. Les ateliers de la séquence
7.1.1. Séance 1 : L’inscription de la situation de communication dans un texte
7.1.2. Séance 2 : Quelques aspects de la planification de l’argumentation
7.1.3. Séance 3 : L’objection et la réfutation
7.1.4. Séance 4 : La polyphonie et la contreargumentation
7.2. Le déroulement de la séquence didactique
7.2.1. Le prétest
7.2.2. Séance 1 : L’inscription de la situation de communication dans un texte
7.2.3. Séance 2 : Quelques aspects de la planification de l’argumentation
7.2.4. Séance 3 : La réfutation
7.2.5. Séance 4 : La polyphonie et la contreargumentation
7.2.6. Le posttest
Chapitre 8. Les résultats de l’expérimentation de la séquence didactique
8.1. L’analyse des productions du posttest
8.1.1. La situation de communication
8.1.2. Les paramètres et les indices énonciatifs
8.1.3. La qualité de l’argumentation
8.2. Les réglages de la séquence didactique
8.2.1. Les réglages suite au déroulement des ateliers
8.2.2. Les réglages suite à l’analyse du posttest
Conclusion

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