L’hésitation entre le rationnel et l’irrationnel

L’hésitation entre le rationnel et l’irrationnel

La majorité des théoriciens affirment que le fantastique est un genre ambigu. C’est le cas d’Irène Bessière qui pense, dans son Récit fantastique que les écrits fantastiques […] passent pour être l’indice d’une libération de l’esprit, ainsi que pour une des meilleures manifestations de la contre -culture.

Ainsi le discours fantastique serait celui de la « contreculture » parce qu’il permet de faire du statut de l’homme dans la société et des progrès scientifiques des objets de réflexion. La littérature fantastique est donc marginale parce qu’elle aborde des thèmes qu’on n’a pas l’habitude d’évoquer dans les récits.

Dans son étude, Bessière souligne l’ambiguïté du genre fantastique qui, tout en étant libre de critiquer les institutions religieuses et politiques, doit aussi recourir au surnaturel pour éviter la censure. Ainsi retrouvons-nous la liberté d’expression d’un côté et la peur de l’autorité de l’autre .En d’autres termes, ce qui caractérise la littérature fantastique, ce n’est pas seulement la place donnée à des personnages hors du commun dans un univers réaliste, c’est surtout leur ambiguïté tout autant que celle du discours fantastique.

LE FANTASTIQUE FRANÇAIS AU XIXÈME SIÈCLE

L’essor du fantastique

Le genre fantastique est ambigu, les théoriciens tentent de le définir tout en étudiant ses particularités et en retraçant ses origines. Malgré certaines réticences, Jacques Finné se résout à situer l’apparition du fantastique vers 1764 avec Le Château d’Otrante de H.Walpole  , intégrant ainsi le roman gothique dans ce genre. Par ailleurs, Jean Fabre déclare que le fantastique apparaît vers 1800. Quant à Irène Bessière, elle affirme que ce genre littéraire est né à une époque où « l’actualité [était] tenue pour totalement problématique  ». Pour elle, la genèse du fantastique correspond à une période où des mentalités différentes se sont affrontées. Tout comme Bessière, Jean -Luc Steinmetz soutient que le fantastique « semble apparaître à un moment précis de l’histoire des mentalités. Il e st lié à un état de savoir, une forme de curiosité et à ce que Michel Foucault nomme très justement une épistémé » . Selon Steinmetz, c’est l’ensemble des connaissances propres à une société et à une époque donnée qui a fait émerger le fantastique dans la littérature. Dès lors, nous pouvons affirmer que la divergence des points de vue concernant la genèse de ce genre littéraire renvoie à sa nature fuyante et à son ambiguïté. Joël Malrieu dit à ce propos : « Si l’on demande à un individu cultivé de définir le genre tragique, il répondra par un certain nombre de propositions qui rendront plus ou moins compte de ce genre littéraire. Si l’on demande au même individu ce qu’est le genre fantastique, nul doute que ses réponses seront plus approximatives et embarrassées […] La tragédie avait son Aristote. Le fantastique ne l’a pas. Il ne possède ni théoricien, ni œuvre in vitro qui pourrait servir de référence absolue » . Dans cette citation l’auteur compare la tragédie avec le fantastique afin de rendre compte de l’aspect insaisissable de ce dernier. De surcroît, comme la plupart des théoriciens, Joël Malrieu établit un rapprochement entre la traduction des contes d’Hoffmann et l’apparition du fantastique frança is. Il déclare ainsi : qu’ « En 1929, année de parution en français des Contes fantastiques d’Hoffmann, Jules Janin sonne le glas du roman gothique en publiant une parodie du genre : L’Ane mort ou la femme guillotinée » . Malrieu soutient qu’au moment où le genre gothique vit une période de déclin, le fantastique connaît un véritable succès. Pourtant, ce genre qui en était encore à ses débuts, doit beaucoup  au gothique. De plus, le fantastique correspond aux nouvelles préoccupations des Européens, des préo ccupations sociales, philosophiques, artistiques et même scientifiques.

Des raisons d’ordre esthétique et commercial

En 1829, Loève-Veimars, un juif exilé en France, traduit les Fantasiestücke de E.T.A. Hoffmann et les publie sous le titre de Contes fantastique s. Si le public allemand n’a pas manifesté un grand intérêt à l’égard de cet auteur, sa découverte, en France, a eu un retentissement considérable. Les traductions des contes de Loève-Veimars se succèdent à un rythme qui reflète une véritable admiration : les écrivains et les lecteurs se laissent imprégner par ce monde nouveau que leur révèle le prestigieux  auteur fantastique allemand.

Hoffmann a connu un succès considérable parce qu’il ét ait perçu comme un auteur de fantaisies. Ce mot emprunté au vocabulaire de la peinture et de la musique désigne en littérature un mélange de pièces construites sans règles. Le Littré en donne la définition suivante : « Terme de peinture. Ouvrage où l’on a suivi son caprice et son imagination en s’affranchissant des règles. Des arabesques sont des fantaisies. […] Terme de musique. Réunions d’airs pris selon le caprice du compositeur, et liés entre eux par des transitions ou ritournelles » .

Il y a donc un lien entre la littérature, la peinture et la musique qui enchante les romantiques parce qu’il exprime la possibilité de s’insurger contre la tradition et les règles de composition. C’est ainsi qu’un écrivain comme Théophile Gautier parvient à faire de l’écriture une aventure picturale et de ses récits de véritables toiles. En d’autres termes, puisque le romantisme se révolte contre les formes traditionnelles, nous pouvons comprendre la faveur avec laquelle furent accueillies les Fantaisies d’Hoffmann. Joël Malrieu affirme que ces textes signifient pour les écrivains « irrégularité » et pour le public « surnaturel » . Il suffirait de se reporter à ce que disait Gautier de l’auteur allemand du fantastique pour comprendre l’ampleur de son succès : « Ses contes étaient lus par tout le monde. La portière et la grande dame, l’artiste et l’épicier en ont été contents » .

Des raisons d’ordre socioculturel

Le fantastique n’en correspondait pas moins à une nécessité profonde, car il reflétait les transformations que venait de vivre la France plus que les autres pays occidentaux : la génération de 1830 était inquiète et déçue. C’est ainsi qu’on assistait à «l’effondrement de toutes les anciennes certitudes concernant la nature de l’homme et sa place dans le monde » . Dès lors, les rapports que chaque individu entretenait avec les autres et avec Dieu devinrent problématiques puisque le statut de l’homme était ambigu et que la société n’était plus capable de le prendre en charge. Le peuple français était donc désemparé car Louis XVIII n’était pas parvenus à concilier la restauration des valeurs traditionnelles de l’ancien Régime et les exigences de l’esprit nouveau. De plus, après la révolution de 1830, la monarchie de Louis-Philippe n’avait pas réussi à trouver un équilibre entre l’ordre social et le libéralisme. La bourgeoisie, qui tenait en main les leviers de commande, développa un capitalisme commercial très protectionniste. Aussi créa -t-elle une société matérialiste dont le cœur ne bat que par la valeur marchande.

L’ambiguïté et la diversité des théories du fantastique

Le sentiment de l’étrange
Tout en hésitant à définir le fantastique à cause de son aspect insaisissable, Louis Vax parvient à présenter quelques caractéristiques de ce genre littéraire. Il affirme que le conte fantastique se distingue par le sujet qu’il aborde dans la mesure où il rapporte un fait divers insolite. De surcroît, Vax soutient que la participation du lecteur est une condition nécessaire, voire même essentielle : « Pas de littérature fantastique si le lecteur n’est pas entraîné dans l’aventure du héros-victime […] Le fantastique exige la participation », dit-il. Et il ajoute plus loin : « Le conte fantastique normal exige une participation affective à une situation angoissante. Plus de barrière entre personnage et lecteur ! ». Toutefois, si le héros éprouve une certaine terreur à cause de l’insolite auquel il est confronté, le lecteur connaît le sentiment de l’étrange. C’est ainsi que ce lecteur se montre plus objectif et plus distant que le protagoniste. Quant à Todo rov, il affirme que « le fantastique implique (…) l’existence d’un événement étrange, qui provoque une hésitation chez le lecteur et le héros (…) » . Ce théoricien semble donc privilégier l’hésitation du lecteur tout autant que celle du protagoniste pl utôt que le sentiment de l’étrange.

Par ailleurs, ce théoricien affirme que le conte fantastique se distingue par une irruption brusque de l’inexplicable dans la vie ordinaire. Cette intrusion cause le dérèglement du quotidien. Or, cette rupture incite le héros, et par conséquent, le lecteur à connaître une impression d’étrangeté. Ce qui veut dire que « le récit fantastique … aime nous présenter, habitant le monde réel où nous sommes, des hommes comme nous, placés soudainement en présence de l’inexplicabl e » .

Louis Vax met de l’avant le sentiment de l’étrange dans son essai. Aussi exploite-t-il l’ambiguïté dans sa définition du fantastique. Il la présente comme étant « quelque chose de louche, d’équivoque et d’inquiétant dans l’air ». L’ambiguïté est un processus employé afin d’« entretenir le suspense chez le lecteur ». Ce dernier éprouve alors le besoin de lire rapidement le reste du conte en espérant trouver, en fin de parcours, des réponses aux questions qui le hantent. Il cherche une explication adéquate au dérèglement de l’ordinaire et demeure confronté au vide. C’est ce vide qui donne au récit sa dimension ambiguë. Autrement dit, l’ambiguïté concerne la nature des êtres plus qu’elle ne concerne l’attitude de celui qui demeure incapable de décider entre le normal et le mystérieux. Louis Vax déclare à ce propos : « C’est la définition même de l’ambiguïté fantastique considérée comme impossibilité de trancher entre réalité et illusion, mystère et mystification, nature et surnature qui n’est pas satisfaisante ». Pour lui, l’ambiguïté n’implique ni l’hésitation ni l’indécision. Ce sont les êtres « [participant] à la fois de la vie et de la mort, de l’être et du néant » qui rendent le récit ambigu. Leur nature « équivoque » nous inquiète parce que leur appartenance est loin d’être claire. L’ambiguïté est donc synonyme d’ambivalence. Elle concerne l’identité des personnages composés de deux aspects antithétiques et contradictoires. C’est le caractère insolite des êtres fantastiques qui leur confère un caractère hybride et qui donne lieu au sentiment de l’étrange.

L’hésitation entre le rationnel et l’irrationnel

Tzvetan Todorov semble aller dans le même sens que Vax lorsqu’il déclare : « Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides, ni vampires se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier ». D’après Todorov trois conditions sont essentielles : en premier lieu, le lecteur doit participer au monde des personnages. Il doit se montrer réticent, hésitant, incap able de décider entre le rationnel et le surnaturel. En second lieu, l’hésitation peut provenir du personnage. Mais, cette condition est optionnelle, même si elle est présente dans la plupart des textes fantastiques. En dernier lieu, le lecteur ne doit acc epter ni l’interprétation « poétique » ni l’interprétation « allégorique » . Cette condition est incluse dans le texte lui-même par l’intermédiaire du lecteur implicite.

CONCLUSION

Dans un premier temps, nous avons abordé les théories du fantastique. Mais, le principal problème qu i s’est dressé devant nous remonte au fait que les chercheurs eux-mêmes ne sont pas parvenus à définir le fantastique ni même à retracer ses origines de manière exhaustive. Les différents points de vue auxquels nous étions confrontés nous ont amené s à considérer l’ambiguïté comme étant une particularité essentielle de ce genre littéraire. Ainsi, avons-nous choisi d’évoquer dans la première partie la théorie de Joël Malrieu, qui établit un rapprochement entre la traduction des contes d’Hoffmann et la genèse du fantastique français, pour démontrer que cette littérature est née suite à des erreurs de traduction. Aussi avons-nous constaté qu’avec le succès qu’a connu l’écrivain allemand, le mot fantastique qui avait le sens d’« insensé », d’« irréel » est devenu le synonyme d’« insolite » ou d’« extraordinaire ». Mais, cela ne le rendait pas plus précis puisque son contenu sémantique demeura flou, d’où son ambiguïté. Par ailleurs, nous avons remarqué que l’émergence du fantastique français correspondait à cette période où on a assisté au développement des sciences occultes et humaines. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, nous avons constaté que l’on ne peut s’empêcher, en littérature fantastique, de se poser des questions concernant l’homme et son rapport au monde tout comme les sciences qui étaient encore à leur début. Ce qui veut dire que l’ambiguïté fantastique ne fait que traduire la complexité de la réalité puisqu’elle remet en question la frontière séparant la raison de la folie, le vrai du vraisemblable, la réalité de la fiction et même la vie diurne de la vie nocturne.

 

 

 

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Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE 1 : LE FANTASTIQUE FRANÇAIS AU XIXÈME SIÈCLE 
1.1. L’essor du fantastique
1.1.1. Des raisons d’ordre esthétique et commercial
1.1.2. Des raisons d’ordre socioculturel
1.2. L’ambiguïté et la diversité des théories du fantastique :
1.2.1. Le sentiment de l’étrange
1.2.2. L’hésitation entre le rationnel et l’irrationnel
1.2.3. L’ambiguïté, phénomène incontournable
1.2.4. Entre le vraisemblable et l’invraisemblable
1.2.5. Le lecteur entre le naturel et le surnaturel
1.2.6. L’ambiguïté du temps et de l’espace
1.2.7. L’effet de l’œuvre fantastique sur le lecteur
CHAPITRE 2 : ÉTUDE DE L’AMBIGUÏTE DANS « LA MORTE AMOUREUSE » ET DANS « ARRIA MARCELLA »
2.1. L’ambiguïté narrative disjonctive dans « La Morte amoureuse »
2.1.1. Clarimonde : le vampire féminin
2.1.2. Romuald : du dédoublement à l’ambiguïté
2.1.3. Le dédoublement des cadres de références
2.2. Étude de l’ambiguïté narrative polysémique dans « Arria Marcella »
2.2.1. L’étrangeté de la réalité
2.2.2. La vraisemblance du rêve :
2.2.3. L’interférence du rêve et de la réalité :
2.3. L’Art, la Mort et la Beauté : Le désir de Pygmalion inverse dans
l’œuvre de Théophile Gautier :
CONCLUSION

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