L’héritage iconographique des encyclopédies et ouvrages d’histoire naturelle dans les albums contemporains pour enfants

Dans la masse d’albums pour enfants qui sont publiés chaque année, mis en vente dans les librairies et les salons, consultables dans les médiathèques, on peut remarquer un certain nombre d’ouvrages soigneusement illustrés, qui nous rappellent les encyclopédies du « temps passé », les ouvrages de vulgarisation scientifique du XIXème siècle ou encore les planches des premiers Larousse illustré. Il existe en effet tout un patrimoine éditorial qui par sa richesse scientifique et iconographique, peut fournir une source d’inspiration à des auteurs et illustrateurs de jeunesse, dont un des rôles essentiels est de donner à voir le monde dans toute sa diversité, à destination du jeune public. Les éditeurs peuvent aussi s’emparer de ce patrimoine qui offre des atouts commerciaux, les livres ainsi produits présentant une qualité graphique et une dimension nostalgique susceptibles de toucher le public.

L’étymologie montre que le terme « encyclopédie » provient d’une expression grecque, « évoquant à la fois le cercle – kuklos – des connaissances et la transmission du savoir à l’enfance – paideia», expression reprise par Quintilien pour former un mot latin passé dans les langues modernes au XVIème siècle. Dans la notion d’encyclopédie, il y a dès l’origine une volonté pédagogique à destination de l’enfance. Autre élément de définition qui nous importe : « Alors que le  » dictionnaire  » est enfermé dans les structures d’une langue et de son lexique, l’encyclopédie est ouverte sur le monde.»

Par cette ouverture sur le monde, de nombreuses encyclopédies anciennes, à l’instar de l’Encyclopédie d e Diderot et d’Alembert et de l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke, sont, dans leurs intentions, très proches des ouvrages d’ « histoire naturelle » : englobant différentes disciplines qui ne sont pas encore bien distinctes les unes des autres (biologie, géologie, minéralogie, paléontologie, botanique, zoologie…), l’histoire naturelle aux XVIII ème et XIXème siècles donne lieu à de nombreuses publications ayant pour ambition de recenser le plus exhaustivement et méthodiquement possible les connaissances scientifiques de leur époque  . C’est pourquoi nous les considérerons, avec les encyclopédies, comme un ensemble de même nature.

L’historien du livre Martyn Lyons évoque d’autres idéaux chez les encyclopédistes : «faire tenir tout le savoir du monde en un seul livre », instruire le grand public, populariser le savoir scientifique . Cet inventaire des connaissances se fait par des descriptions minutieuses, des classements et des regroupements, mais aussi par leur représentation iconographique. Encore complexes et coûteuses au XVIIIè m e siècle, les techniques d’illustration se démocratisent au XIXème siècle, donnant lieu plus fréquemment à des planches alternant avec le texte, et surtout à des représentations en couleur. Ainsi les productions encyclopédiques auxquelles nous nous réfèrerons (en particulier l’Encyclopédie de Diderot e t d’Alembert, le Larousse illustré, le Musée Deyrolle) sont fondées sur une importante iconographie organisée sous-forme de planches ou de recueils de planches gravées représentant toutes sortes de sujets et motifs : animaux, végétaux, minéraux, costumes, instruments et objets de la vie quotidienne, le tout mis en page de manière fonctionnelle mais aussi souvent esthétique.

Ces documents font désormais partie du patrimoine. Ils sont le reflet et le témoignage d’une époque. On ne peut guère les consulter qu’en bibliothèque, à l’occasion d’expositions ou sous-forme de reproductions. Et pourtant ils imprègnent notre mémoire collective de façon plus ou moins forte. À ce titre, notre postulat est qu’une partie de la production éditoriale contemporaine s’inspire de ce patrimoine livresque et iconographique. Cette inspiration peut prendre diverses formes : réédition, hommage (en l’occurence, une publication en l’honneur d’un auteur marquant), réutilisation de techniques d’illustration, de modèles de mise en page, de gammes chromatiques, sinon à l’identique du moins dans une certaine continuité visuelle entre passé et présent.

Décrire le savoir universel : une longue histoire

Selon le lexicographe Alain Rey, le « projet encyclopédique » occidental remonte à l’Antiquité. Les premières démarches visant à inscrire tout le savoir du monde dans un seul livre apparaissent dans la civilisation romaine, avec le De re rustica de Varron ou encore l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien. Le christianisme médiéval a également engendré des œuvres à vocation encyclopédique, telle les Étymologies sur l’origine de certaines choses d’Isidore de Séville. C’est surtout à la Renaissance qu’une véritable réflexion autour de la transmission des connaissances se met en place, avec la pensée de philosophes tels Francis Bacon et Comenius . Au XVIIème siècle apparaissent les premiers ouvrages portant le terme « Encyclopædia » dans leur titre. Mais c’est au XVIIIème siècle que l’idée d’encyclopédie donne naissance à un type de livre bien particulier, caractérisé par un contenu présentant l’ensemble des connaissances humaines en général ou dans un domaine, des intentions didactiques ainsi qu’une véritable politique éditoriale.

C’est par ce XVIIIème siècle que nous commencerons notre présentation de quelques productions encyclopédiques, en mettant l’accent sur le recours à l’image et à l’illustration comme moyens de transmission du savoir : l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, le Larousse illustré, les flores et herbiers, le Musée Deyrolle constitueront nos exemples de référence, avec lesquels nous ferons par la suite des comparaisons dans le corpus d’albums étudiés. Nous tenterons ensuite de cerner plusieurs aspects révélateurs de l’intérêt porté par les créateurs, écrivains et artistes, à la matière encyclopédique. Comment et pourquoi celle-ci peut-elle constituer une source d’inspiration ? Comment intervient le goût des listes ? Puis nous commencerons à nous pencher sur le corpus, en explorant les intentions et l’approche encyclopédiques des albums, au travers de l’organisation interne et des renseignements fournis par le paratexte : témoignages des auteurs-illustrateurs eux-mêmes, éléments de péritexte (titre, préface, dédicace, bibliographie) .

L’image dans la transmission des connaissances

La tradition encyclopédique

Le XVIIIème siècle est marqué par plusieurs œuvres incontournables. En Grande Bretagne paraît une première Cyclopaedia (E. Chambers, 1728). En France, la plus connue est l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers mise en ordre par Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, dont la publication s’étale de 1751 à 1772 et aboutit à une somme de 17 tomes de texte, 11 volumes de planches et 5 de suppléments. Citons également la moins célèbre Encyclopédie méthodique lancée par Charles-Joseph Panckoucke, oeuvre pourtant monumentale (210 volumes dont 53 tomes de planches) qui avait pour objectif d’améliorer et de compléter le travail de Diderot et d’Alembert.

L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers 

C’est le grand ouvrage du siècle des Lumières, innovant et fondateur sur de nombreux aspects. À l’origine le projet de Diderot et d’Alembert vise deux objectifs : […] comme Encyclopédie, il doit exposer, autant qu’il est possible, l’ordre et l’enchaînement des connaissances humaines ; comme Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, il doit contenir sur chaque science et sur chaque art, soit libéral, soit mécanique, des principes généraux qui en sont la base, et les détails les plus essentiels qui en font le corps et la substance.»

Les auteurs souhaitent rassembler toutes les connaissances éparses de leur époque, en faire le bilan, en faisant la part belle aux techniques et aux métiers. S’y ajoute une dimension philosophique caractéristique de l’époque des Lumières, l’Encyclopédie devant refléter l’histoire des progrès de l’esprit humain en lutte contre l’ignorance. L’ouvrage se veut également didactique, d’où le choix d’un ordre alphabétique associé à de nombreux renvois, et le rôle donné au planches. Autre innovation pour l’époque, l’ouvrage est collectif, rédigé par des spécialistes de chaque domaine. Les illustrations sont rassemblées dans des volumes de «planches», les articles de texte étant le cas échéant assortis d’une mention renvoyant le lecteur au volume de planches adéquat. Les planches de l’Encyclopédie, sont – nous y reviendrons – très structurées et respectent un modèle récurrent qui assure une grande homogénéité à l’ensemble. Les auteurs sont conscients de l’importance de l’image pour la compréhension des textes par le lecteur, d’autant plus quand il s’agit de décrire des techniques, ce qu’ils appellent les « arts » : « Mais le peu d’habitude qu’on a et d’écrire et de lire des écrits sur les arts rend les choses difficiles à expliquer d’une manière intelligible. De là naît le besoin de figures […] Un coup d’oeil sur l’objet ou sur sa représentation en dit plus qu’une page de discours.» […] « L’objet est saisi par l’image à trois niveaux » : s’il nous est livré présenté en soi, isolé de tout contexte, il nous est aussi livré « naturalisé » par son insertion dans une grande scène vivante (c’est ce qu’on appelle la vignette) et mêlé à d’autres objets, auxquels il est relié génétiquement, lorsque l’image nous livre le trajet qui va de la matière brute à l’objet fini. » .

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Table des matières

Introduction
1. Décrire le savoir universel : une longue histoire
1.1 L’image dans la transmission des connaissances
1.1.1 La tradition encyclopédique
L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers
Le Larousse illustré
1.1.2 L’illustration naturaliste
Les flores
Les herbiers
1.1.3 L’image pédagogique
Le Musée Deyrolle
Les images d’Épinal
1.2 Une source d’inspiration pour l’album de jeunesse ?
1.2.1 Images et lectures d’enfance : une matière artistique
1.2.2 Goût des listes et collections en littérature de jeunesse
1.2.3 Intentions auctoriales et dimension encyclopédique dans le corpus
Presque tout : une métaphore de l’encyclopédie
Lumières : l’hommage à l’oeuvre des encyclopédistes
La mémoire de l’éléphant : miscellanées plus qu’encyclopédie
La tradition éditoriale dans L’imagier Deyrolle
Animalium, une encyclopédie dans un musée
La petite flore des bois d’Europe, entre herbier et flore
2. Entre héritage et création : les procédés du « retour aux sources »
2.1 Éléments d’intericonicité
2.1.1 Les écorchés
2.1.2 L’arbre phylogénétique ou arbre de la vie
2.1.3 Les vêtements et costumes
2.1.4 Les plantes
2.1.5 Les animaux : l’exemple du papillon
2.2 Nouvelles techniques, nouveaux graphismes
2.2.1 La gravure revisitée
2.2.2 Une gamme chromatique élaborée : les exemples de La petite flore des bois
d’Europe et d’Animalium
2.3 L’élégance de la planche au service de l’album pour enfants
2.3.1 Mises en page et légendages
Premier cas : mise en page sans renvoi
Second cas : mise en page avec renvois
2.3.2 L’effet spectaculaire
3. Des albums à la portée des enfants ?
3.1 Le double lectorat
3.2 Les effets de lecture
3.2.1 L’effet-nostalgie
3.2.2 Curiosité et appropriation du monde
3.2.3 Jeu et humour : l’effet ludique
3.3 Des albums difficiles d’accès ?
3.4 La transmission du savoir
3.4.1 L’utilisation pédagogique
3.4.2 Braconnage, feuilletage et butinage
Conclusion
Bibliographie

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