La théorie pragmatique de l’explication de Bas van Fraassen

La théorie pragmatique de l’explication de Bas van Fraassen

Le modèle déductif-nomologique de l’explication scientifique tel que défendu par Carl Hempel et le modèle unificationniste soutenu par Michael Friedman et Philip Kitcher

Ce chapitre portera sur deux des modèles de l’explication scientifique les plus influents des dernières décennies, soit le modèle déductif-nomologique et le modèle unificationniste. Le modèle déductif-nomologique de l’explication scientifique a non seulement été le modèle le plus communément accepté au milieu du vingtième siècle (années 1950-1960), mais c’est surtout à partir de la critique de ce modèle que beaucoup d’autres théories de l’explication scientifique ont été développées. Ainsi, il est pratiquement indispensable qu’une présentation de ce modèle soit faite dans un travail portant sur l’explication scientifique, puisque la bonne compréhension de celui-ci fournit une assise solide pour l’étude des théories concurrentes de l’explication scientifique. C’est d’ailleurs sur la base d’une critique du modèle déductif-nomologique que le modèle unificationniste s’est développé.

Il me semble ainsi nécessaire d’aborder ce modèle dans le présent travail étant donné qu’il est non seulement l’un des premiers modèles étayés à concurrencer le modèle déductif-nomologique, mais aussi parce qu’il est issu du même paradigme épistémique que ce dernier, selon lequel une explication prend la forme d’un argument logique valide. Il sera donc plus aisé de comprendre le modèle qui sera exploré dans le deuxième chapitre, qui est fondé dans un tout autre paradigme, après avoir étudié deux modèles certes différents, mais partageant tout de même une conception semblable de l’explication. Pour chacun des deux modèles, il sera d’abord question de les présenter de manière générale et de montrer en quoi consiste une bonne explication scientifique. Par après, dans le cas du modèle déductif-nomologique, nous nous pencherons sur quelques problèmes qui l’affectent, pour ensuite conclure avec une brève synthèse critique. En ce qui concerne le modèle unificationniste, il sera aussi question de quelques difficultés qui lui sont liées, mais il sera d’abord question de montrer en quoi ses défenseurs prétendent offrir une solution aux problèmes présentés par le modèle déductif-nomologique, pour finalement conclure, encore une fois, avec une synthèse critique.

Modèle déductif-nomologique

Présentation générale du modèle Carl G. Hempel (1905-1997), éminent philosophe des sciences du vingtième siècle, est notamment connu pour avoir articulé et défendu un modèle de type déductif-nomologique de l’explication scientifique, conjointement avec, entre autres, Oppenheim et Popper. Avant de plonger dans l’exploration de ce modèle, notons que Hempel, en tant que critique du positivisme logique, a largement contribué au développement du courant plus nuancé qu’est celui de l’empirisme logique et que ses travaux ont eu une influence monumentale qui se fait sentir encore aujourd’hui à travers les développements en philosophie des sciences. L’une des idées les plus fondamentales du modèle déductif-nomologique est qu’une explication scientifique a la forme d’un argument logique, plus précisément d’une déduction. Ainsi, selon ce modèle, une explication scientifique consiste en un explanandum (description linguistique du phénomène qui demande à être expliqué) déduit logiquement à partir d’un explanans, qui est constitué par les prémisses de l’argument déductif qui fournissent l’explication (Hempel, 1965, p.247). Il est toutefois pertinent de noter que le terme « explanandum » peut parfois désigner non pas l’expression désignant le phénomène qu’on cherche à expliquer, mais ledit phénomène lui-même (Fetzer, 2001, p.70).

Évidemment, pour que l’explication scientifique soit acceptable, la déduction doit être valide, et les prémisses formant l’explanans doivent être vraies (Hempel, 1965, p.248), ce qui implique la vérité de la conclusion (l’explanandum). Ce premier aspect du modèle déductif-nomologique, on l’aura deviné, comble la partie déductive du modèle. En ce qui concerne la composante nomologique du modèle, elle est soutenue par l’idée qu’au moins une loi de la nature doit faire partie des prémisses de la déduction de manière essentielle, de sorte que la validité de la déduction de l’explanandum à partir de l’explanans nécessite que la ou les lois soient contenues dans l’explanans (Woodward, 2011). Il est important de préciser qu’il est ici question de lois de la nature générales L1, L2, …, Ln qui ne laissent place à aucune exception, c’est-à-dire de lois strictement universelles. Elles prennent la forme, en langage symbolique, (x)(Ax → Bx). Les autres prémisses faisant partie de l’explanans seront constituées par l’énonciation de circonstances empiriques particulières C1, C2, …, Cn. Ainsi, ces circonstances empiriques particulières, en conjonction avec certaines lois universelles de la nature, impliqueront l’occurrence de l’explanandum E. Une explication scientifique, selon le modèle déductif-nomologique, sera donc un argument déductif de la forme suivante :

Problèmes et difficultés liés au modèle

En premier lieu, le modèle déductif-nomologique de l’explication scientifique, bien qu’il semble assez intuitif à première vue, n’est pas sans poser de difficultés qui ont fait l’objet de nombreuses discussions parmi les philosophes des sciences. L’une d’entre elles est intimement liée à l’une des notions constitutives du modèle, c’est-à-dire celle de loi universelle et générale de la nature. Il ne s’agit pas vraiment ici de remettre en question le statut ontologique des lois de la nature, malgré que cela puisse certainement être pertinent pour l’étude détaillée du modèle déductif-nomologique. Il s’agit plutôt de soulever la question épistémologique, voire sémantique, de la distinction entre une loi générale et universelle de la nature et un simple énoncé général vrai. Une distinction claire entre ces deux types d’énoncés semble nécessaire pour la crédibilité du modèle déductif-nomologique. Selon Hempel, on peut distinguer, parmi les énoncés généraux vrais, les véritables lois et les énoncés qui sont vrais de façon accidentelle (Woodward, 2011).

Par exemple, l’énoncé « Tous les joueurs de hockey de la ligue nationale mesurent au moins 1,70m » est un énoncé général accidentellement vrai, alors que l’énoncé « Tout métal, lorsque chauffé, se dilate, toute chose étant égale par ailleurs » est une loi physique de la nature. C’est à l’aide de ce genre d’exemple3 qu’Hempel tente d’appuyer son intuition. Ainsi, le deuxième énoncé, en tant que loi, pourrait être utilisé pour expliquer pourquoi tel ou tel morceau de métal augmente de volume s’il est chauffé, alors que le premier énoncé ne pourrait pas être utilisé pour expliquer pourquoi le joueur de hockey Daniel Brière mesure au moins 1,70m. Malgré que ce genre d’exemple nous fasse percevoir assez intuitivement une distinction entre une loi et un énoncé accidentellement vrai, on est en droit de revendiquer une distinction conceptuelle plus rigoureuse entre les deux types d’énoncés. Or, Hempel reconnaissait la légitimité de la requête, mais n’a jamais été en mesure de fournir une distinction claire et précise entre une loi de la nature et une généralisation accidentellement vraie, affirmant que la notion de loi est « hautement récalcitrante » (Hempel, 1965, p.338).

À ce sujet, une remarque semble s’imposer : il faut noter que le problème de la définition conceptuelle de la notion de loi, encore aujourd’hui, n’a pas reçu de solution généralement acceptée. Il serait donc ingrat d’accuser Hempel d’avoir esquivé ce problème et d’ainsi rejeter son modèle déductif-nomologique. Peut-être que le fait pour certains énoncés d’être quasi unanimement reconnus comme étant des lois de la nature est suffisant pour l’utilisation adéquate de la notion de loi impliquée dans ce modèle. Cependant, il ne faudrait tout de même pas minimiser le problème; en l’absence d’une définition rigoureuse de la notion de loi, l’une des idées au coeur du modèle déductif-nomologique reste sans fondement solide, et cela est certainement une raison qui devrait pousser les tenants de ce modèle, bien que peu nombreux de nos jours, à fournir une clarification du concept de loi de la nature.

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Table des matières

Résumé
Table des matières
Remerciements
Introduction
I.Le modèle déductif-nomologique de l’explication scientifique tel que défendu par Carl Hempel et le modèle unificationniste soutenu par Michael Friedman et Philip Kitcher
1.1 Introduction
1.2 Modèle déductif-nomologique
1.2.1 Présentation générale du modèle
1.2.2 Problèmes et difficultés liés au modèle
1.2.3 Conclusion : synthèse critique
1.3 Modèle unificationniste
1.3.1 Friedman et les fondements du modèle unificationniste
1.3.2 Développement du modèle unificationniste par Kitcher
1.3.3 Solutions aux difficultés du modèle DN
1.3.4 Difficultés du modèle unificationniste
1.3.5 Synthèse critique
II.Le modèle causal mécanique de l’explication scientifique défendu par Wesley Salmon
2.1 Introduction
2.2 Présentation générale du modèle causal mécanique
2.3 Processus causaux et interactions causales
2.4 L’explication scientifique selon le modèle causal mécanique
2.5 Difficultés du modèle causal mécanique
2.5.1 Le problème de la pertinence causale
2.5.2 Le modèle causal mécanique, les systèmes complexes et la physique quantique
2.6 Synthèse critique
III.L’empirisme constructif de Bas van Fraassen
3.1 Introduction
3.2 Remarques préalables
3.3 Définition et caractérisation de l’empirisme constructif
3.3.1 Thèse du réalisme scientifique
3.3.2 Thèse de l’empirisme constructif et la notion d’adéquation empirique
3.3.3 Observabilité
3.4 Objection de Ladyman: observabilité et réalisme modal
3.5 Synthèse critique
IV.La théorie pragmatique de l’explication de Bas van Fraassen
4.1 Introduction
4.2 Considérations générales à propos des théories pragmatiques de l’explication
4.3 La théorie pragmatique de l’explication de van Fraassen: une théorie des questions-pourquoi
4.3.1 Mise en contexte : l’explication et les théories scientifiques
4.3.2 Importance du contexte dans les relations causales et les questions-pourquoi
4.3.3 L’explication selon van Fraassen: une théorie des questions-pourquoi
4.4 La théorie de l’explication de van Fraassen au sein de l’empirisme constructif
Conclusion
Bibliographie

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