Leucémie aiguës myéloïdes : aspects biologiques et physiopathologie

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Epidémiologie

D’après l’analyse du registre américain des cancers, les LAM représentent environ 25% de toutes les leucémies de l’adulte. Elles restent cependant des maladies très rares, avec une incidence ajustée à l’âge de 3,9 /100 000 habitants/an sur la période de 2007 à 2012, ce qui représente moins de 3 % de la totalité des cancers. Sur la même période, l’incidence est discrètement plus élevée chez les hommes que chez les femmes (4,87/100000 habitants/an contre 3,26 /100000 habitants /an) et augmente avec l’âge. L’âge moyen au diagnostic est de 67 ans aux Etats-Unis 34.

Facteurs étiologiques

Certains facteurs environnementaux favorisant l’apparition des LAM ont été identifiés, comme l’exposition aux radiations ionisantes (radiothérapie ou autres), ou au benzène. L’utilisation de certains produits de chimiothérapie, et notamment des agents alkylants et des inhibiteurs de la topoisomérase II, peut également favoriser le développement secondaire d’une LAM 35–37. Les LAM induites par les traitements sont considérées comme des entités particulières dans la classification de l’OMS 32 .
De plus, certaines pathologies hématologiques, comme les syndromes myélodysplasiques, les néoplasmes myéloprolifératifs, ou les aplasies médullaires, peuvent aussi prédisposer à l’apparition de LAM. Enfin, certains syndromes génétiques congénitaux sont associés à une fréquence plus élevée de LAM, comme par exemple le syndrome de Down (trisomie 21), la maladie de Fanconi, ou le syndrome de Li-Fraumeni 38. Les LAM secondaires aux syndromes myélodysplasiques et les LA associées au syndrome de Down sont des entités à part dans la classification de l’OMS 32.

Traitements et résultats

En l’absence de traitement, les LAM sont d’évolution rapidement défavorable en quelques semaines ou quelques mois, en raison des conséquences des cytopénies (infections sévères et hémorragies).
A l’heure actuelle, les traitements consistent en une ou plusieurs cures de chimiothérapie, associées éventuellement à une intensification thérapeutique de clôture par greffe de CSH allogéniques. Ces traitements intensifs ne peuvent être proposés que chez des sujets sans comorbité majeure, en raison de leurs effets secondaires potentiels.
Le plus souvent, le traitement initial, ou chimiothérapie d’induction de la rémission complète (RC), repose sur l’association d’aracytine pendant 7 jours et d’une anthracycline pendant 3 jours (schéma « 3+7 »), ou sur une variation autour de ce schéma. Il permet d’obtenir une RC, c’est à dire la récupération d’une formule sanguine quasi-normale (plaquette > 100 109/L, PNN > 1 109/L) et d’une moelle normale (richesse normale et absence d’excès de blastes) dans 60-80% des cas environ. Des cures supplémentaires (consolidation de la RC) de chimiothérapie à base d’aracytine sont ensuite proposées 39. Dans les LAM de mauvais pronostic, si un donneur HLA compatible est disponible, et selon l’état général du patient (âge, comorbidités…), une allogreffe de CSH de fin de traitement peut être proposée. Ce dernier traitement est grevé d’une lourde morbidité induite (infections et réaction du greffon contre l’hôte), ainsi que d’une mortalité liée à la procédure de 10 à 20 %, et doit par conséquent être réservé aux seules formes de mauvais pronostic. A l’heure actuelle, les critères pronostiques utilisés pour guider les traitements reposent principalement sur les caractéristiques initiales de la maladie (secondaire ou induite, cytogénétique, biologie moléculaire), et sur la réponse au traitement (obtention de la RC avec une seule cure d’induction, mesure de la maladie résiduelle) 39. Les critères d’indication d’allogreffe de CSH doivent être améliorés afin de réserver cette procédure aux malades qui peuvent réellement en bénéficier. Malgré l’amélioration de la prise en charge globale des patients, le pronostic des LAM reste très sévère, en particulier chez les sujets âgés. En effet, même si la survie globale s’est améliorée dans les années 2000, par rapport aux années 1980, celle-ci reste d’environ 19,5 % à 5 ans et d’environ 17 % à 10 ans, d’après les analyses du registre américain 34 avec un pronostic toujours très défavorable chez les sujets âgés. L’analyse du registre suédois des cancers montre également une survie globale à 10 ans plus élevée dans les populations plus jeunes, aux environs de 47 % pour les patients de moins de 35 ans et qui diminue rapidement avec l’âge : aux environs de 30 % dans la tranche d’âge de 35 à 54 ans, de moins de 20 % pour la tanche 55-64 ans, et de moins de 5 % pour les patients de plus de 65 ans 40.
Le résultat global des traitements laisse à penser qu’une meilleure compréhension des mécanismes de leucémogenèse est indispensable afin de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques plus ciblées, et d’améliorer le pronostic global des malades. Une amélioration des critères de sélection des patients à proposer pour une allogreffe de clôture est également nécessaire.

Leucémie aiguës myéloïdes : aspects biologiques et physiopathologie

Données classiques et classification des LAM

Les LAM sont des maladies très hétérogènes sur le plan biologique, au niveau cytologique, cytogénétique et moléculaire. Plusieurs classifications des LAM ont été proposées. D’abord purement descriptives, elles ont été améliorées par la meilleure connaissance de la physiopathologie et des caractéristiques cytogénétiques et moléculaires des maladies.

Aspects cytologiques

La première classification internationale des LAM ou classification franco-américaine et britannique (FAB) 41 était purement cytologique, puis a été précisée par la cytométrie en flux dans des cas particuliers. Selon le niveau où se situe le blocage de maturation, les cellules malades seront plus ou moins différenciées dans une lignée particulière, myéloïde (LAM 0 à LAM 3), myélo-monocytaire (LAM 4 et LAM 5), érythroïde (LAM 6) ou mégacaryocytaire (LAM 7). Cette classification est résumée dans le tableau 1.

Biologie moléculaire : événements « classiques »

Dans les années 1990-2000, un certain nombre d’anomalies moléculaires récurrentes ont été identifiées dans les LAM, et en particulier en cas de caryotype normal. Leurs conséquences fonctionnelles sont variables. Le plus souvent, une valeur pronostique a été associée à ces mutations.

Mutations de la fms-like protéine kinase 3

La fms-like protéine kinase 3 (FLT3) est une protéine transmembranaire à activité tyrosine kinase 46,47 normalement exprimée au niveau des progéniteurs hématopoïétiques immatures. Il s’agit du récepteur au ligand de FLT3 48, pouvant être également exprimé dans les cellules leucémiques 49. Son activation conduit à une cascade de phosphorylations intra-cytoplasmiques, aboutissant à une prolifération cellulaire accrue, et à une résistance à l’apoptose 50.
De nombreuses études à partir de lignées cellulaires de LAM ont démontré que la présence de duplications en tandem du domaine juxta-membranaire (FLT3-ITD) conduisent à une activation constitutive de FLT3 et des voies de prolifération sous-jacentes 51. Cette anomalie est retrouvée chez 20 à 30 % des patients atteints de LAM et associée à un pronostic défavorable 39,52,54. D’autres mutations conduisant à une activation constitutive de FLT3 ont été décrites. On compte parmi elles les mutations du domaine tyrosine kinase (FLT3-TKD), ou d’autres domaines  fonctionnels 55,56.

Mutations de la nucléophosmine

La nucléophosmine (NPM1) est une protéine chaperon, de localisation préférentiellement nucléaire, capable de faire la navette entre le cytoplasme et le noyau des cellules. Elle joue un rôle dans la régulation de la transcription, et assure le transport et l’assemblage des particules pré-ribosomales dans le cytoplasme. NPM1 agit également comme contrôle de la voie de la protéine p53 57. Plusieurs types de mutations de NPM1, localisées au niveau de l’exon 12 58,59, ont été identifiés chez les patients atteints de LAM. Elles ont toutes comme conséquence l’accumulation intra cytoplasmique de la protéine 58, et la perte de sa fonction normale, par défaut de localisation nucléaire. Ces mutations ont également un impact sur les capacités de différenciation cellulaire 60,61 et les molécules induisant la différenciation (Acide tout trans rétinoïque et trioxyde d’Arsenic) semblent avoir une action en cas de présence de ces mutations 62. Elles sont retrouvées dans environ 25 % de l’ensemble des LAM 59, et dans 40 à 60 % des LAM à caryotype normal. Le pronostic associée à ces mutation est globalement favorable en l’absence de FLT3-ITD 39,52,58.

Mutations de la « CAAT/enhancer binding protein alpha »

La CAAT/enhancer binding protein alpha (CEBP) est un FT, qui joue un rôle essentiel dans la maturation finale de la lignée granulocytaire 63,64 (figure 2). Sa délétion, dans des modèles murins, conduit à l’absence totale de granuleux matures 65. Des mutations dans un des trois domaines actifs de CEBPA (domaine leucine zipper, ou domaines trans-activateurs TAD1 et TAD2), conduisant à une perte d’activité, ont été décrites chez environ 10 % à 15 % des patients atteints de LAM 66,67 et dans 8 à 20 % des LAM à cytogénétique normale 39,52,68. Elles ont été associées, particulièrement en cas de perte des 2 allèles normaux, à un pronostic favorable 69,70.

Classification 2008 de l’OMS

La classification des tumeurs hématopoïétiques établies en 2008 par l’OMS récapitule l’ensemble des données physiopathologiques et pronostiques connues lors de sa publication, au niveau cytologique, cytogénétique et moléculaire. Elle reste la classification de référence à l’heure actuelle 32. Cette classification est résumée dans le tableau 3.

De nouvelles classes de mutations

Depuis une dizaine d’années, l’essor des techniques de séquençage à haut débit a permis, par l’étude du génome entier ou de l’exome des LAM, la découverte de nombreuses mutations impliquant divers gènes. De nombreuses études fonctionnelles complémentaires ont permis de préciser la fonction des différents gènes impliqués quand elle n’était pas connue, et ont permis d’identifier les rôles prépondérants des régulateurs de l’épigénétique et des composants de la machinerie d’épissage dans les LAM. L’étude exhaustive du génome de 200 cas de LAM de novo par le Cancer Genome Atlas Research Network propose de regrouper les mutations en 8 classes fonctionnelles d’événements, complétant le spectre génétique déjà décrit 71. Ces 8 classes de mutations sont résumées dans la figure 3. Toutes les fonctions cellulaires des différents gènes ne sont pas connues, et certains gènes peuvent en fait partager différentes fonctions.

Régulateurs de la méthylation de l’ADN

La dérégulation des mécanismes épigénétiques joue un rôle majeur dans la physiopathologie des LAM, en contrôlant de manière réversible le niveau d’expression de nombreux gènes impliqués dans l’hématopoïèse 21,72. La méthylation et les modifications post méthylation des cytosines au niveau des ilots CpG de l’ADN est un des mécanismes principaux de cette régulation. Dans les LAM, les mutations des régulateurs de la méthylation, comprennent principalement les mutations de la DNA-méthyl-transférase 3a (DNMT3A) ou d’autres méthyl-transférases, de TET2 (ou d’autres membres de la famille TET) et, par voie indirecte, des isocitrate-déshydrogénases (IDH1 et IDH2). Le rôle de ces différents acteurs dans la régulation des méthyl-cytosines est résumé dans la figure 4.
DNMT3A est une méthyl-transférase dont la fonction principale est d’ajouter un groupement méthyle aux cytosines des ilots CpG de l’ADN. Les mutations de DNMT3A ont été identifiées par étude du génome entier et sont présentes dans environ 20% des LAM. Elles peuvent affecter une grande partie du gène DNMT3A, même si les mutations du résidu R882 sont de loin les plus fréquentes 73. Ces mutations entrainent une diminution des capacités catalytiques de l’enzyme et de ses capacités de liaison à l’ADN 74,75. En cas de mutation, la quantité globale de 5-méthylcytosine (5mC) n’est pas modifiée, mais des profils spécifiques de méthylation et d’expression génique 73 (notamment surexpression de HOXA et HOXB) ont été mis en évidence 76,77. In vivo dans des modèles murins, la diminution d’expression de DNMT3A dans les CSH conduit à une expansion progressive de leur nombre 78. Les mutations de DNMT3A sont à ce jour un des seuls événement dont le caractère pré-leucémique a été formellement démontré 79 (voir paragraphe C.4).

Mutations de TET2

La fonction principale de TET2 est de convertir les 5mC en 5-hydroxyméthylcytosine (5hmC) 80,81. Les 5hmC vont bloquer les interactions entre l’ADN et certaines protéines de liaison à l’ADN méthylé et qui entrainent normalement une diminution d’expression génique 82. L’enrichissement en 5hmC dans des sites de régulation de la transcription et notamment sur des sites enhancers peut également être associé à une régulation de la transcription génique 83– 85. L’accumulation de 5hmC peut conduire également à une déméthylation passive de l’ADN, car la méthyl-transférase DNMT1 ne peut pas reconnaitre les 5hmC 86, ou à une déméthylation active par la voie AID-APOBEC 87. Enfin les enzymes de la famille TET peuvent également convertir la 5hmC en 5-formyl-cytosine et en 5-carboxyl-cytosine, qui peuvent elles-mêmes être reconverties en cytosine déméthylées 88. Les mutations de TET2 ont été décrites dans environ 15% des pathologies myéloïdes 89 et dans 7 à 20% des LAM. Elles entrainent une perte de l’activité catalytique normale de l’enzyme, ce qui aboutit globalement à une diminution de 5hmC, à une accumulation de 5mC et à une dérégulation du niveau de méthylation de l’ADN 90. Dans des modèles murins, la déplétion en Tet2 dans les CSH conduit à une augmentation des capacités de repopulation hématopoïétiques post greffe, à une augmentation du nombre de CSH et à un biais de différenciation vers la lignée myélo-monocytaire 91–95.

Mutations d’IDH1 et d’IDH2

Les isocitrate déshydrogénases (IDH) sont des enzymes impliquées dans le métabolisme énergétique (cycle de Krebs), qui convertissent l’isocitrate en-ceto-glutarate (CG). Des mutations dans IDH1 et IDH2 ont été identifiées dans plusieurs types de cancers dont les LAM 96,97 par séquençage du génome entier, avec principalement des mutations des résidus R132 d’IDH1, et des résidus R140 ou R172 d’IDH2 . Ces mutations conduisent à une modification de l’activité catabolique normale des IDH, et induisent la production néomorphique de 2-hydroxyglutarate de type D (2HG) 98. La déplétion enCG, qui est un cofacteur indispensable à l’activité des protéines TET, va entrainer des altérations épigénétiques en partie comparables à celles des mutations de TET2, et la production de 2HG des anomalies de méthylation des histones, aboutissant à un blocage de différenciation cellulaire 99,100. Ces mutations pourraient également jouer sur d’autres voies enzymatiques et métaboliques impliquées dans la leucémogenèse.

Modificateurs de la chromatine

Le deuxième grand mécanisme de régulation de l’épigénétique implique les modifications de structure de la chromatine et les modifications des histones. De nombreuses protéines impliquées dans ces modifications peuvent être mutées dans les LAM, et changer la structure de la chromatine, avec pour conséquence des profils particuliers d’expression génique. Dans cette classe, on peut citer notamment les membres du complexe Polycomb PRC2 (notamment EZH2), ASXL1, MLL ou ses partenaires.

Mutations d’EZH2 et des complexes polycombs

Les complexes polycombs sont des répresseurs transcriptionnels jouant un rôle fondamental dans la différenciation cellulaire. Ils sont organisés en 2 complexes PRC1 et PRC2 101. Le complexe PRC2 est constitué des protéines EZH1 ou EZH2, EED, SUZ12 et RBAP4. Des mutations de ces différents composants ont été décrites dans les LAM, mais les mutations d’EZH2 sont largement majoritaires, mêmes si elles restent rares. EZH2 est une H3K27 méthyl-transférase. Les mutations d’EZH2 peuvent entrainer un gain de fonction enzymatique observé dans les pathologies lymphoïdes, ou une perte de fonction enzymatique observée dans les pathologies myéloïdes, et changent l’état de méthylation d’H3K27, avec des conséquences précises au niveau cellulaire encore mal connues 102–104. La diminution isolée de l’expression d’EZH2 n’entraine pas d’altération des CSH 105, mais des anomalies des lymphocytes B, tandis que la diminution d’expression d’autres membres du complexe PRC2 comme EED entraine une augmentation des capacités d’auto-renouvellement des CSH 106. La surexpression d’Ezh2 dans des précurseurs hématopoïétiques peut induire un phénotype de syndrome myéloprolifératif dans des modèles murins 107. Les mutations du complexe PRC1 n’ont pas été rapportées à ce jour dans les LAM.

Mutations d’ASXL1

Les mutations d’ASXL1 se produisent dans 5 à 17% des LAM 39,71. La fonction précise d’ASXL1 dans l’hématopoïèse est mal connue. ASXL1 est capable d’interactions directes avec le complexe PRC2 et est impliqué dans la régulation de la tri-méthylation d’H3K27. Les profils d’expression génique en cas de d’expression d’ASXL1 mutant dans des cellules hématopoïétiques partagent des caractéristiques communes avec les profils d’expression observés en cas de remaniement de MLL, avec notamment des modifications d’expression des gènes HOX. Dans des modèles murins, la co-transfection de mutants d’Asxl1 et de Nras dans des cellules hématopoïétiques conduit à un phénotype de syndrome myéloprolifératif d’apparition plus précoce qu’en cas de transfection isolée de Nras muté 108. Après expression d’un transcrit tronqué d’ASXL1 et en coopération avec BAP1, les capacités de prolifération cellulaire in vitro de cellules hématopoïétiques augmentent, avec un biais vers la différenciation myéloïde, et des capacités accrue de formation de CFU-GM en culture 109. La perte d’expression d’Asxl1 dans les CSH dans des modèles murins entraine un phénotype mimant la myélodysplasie, et aboutit à une diminution des capacités d’auto-renouvellent des CSH. L’association avec la perte de fonction de Tet2 restaure les capacités d’auto-renouvellement des CSH, et entraine également un phénotype de myélodysplasie 110.

Mutations et remaniement de MLL

Les anomalies impliquant MLL sont très fréquentes dans les LAM 39. Il peut s’agir de translocations  chromosomiques impliquant MLL et différents partenaires (10-15% des LAM) ou de duplications partielles en tandem (environ 5% des LAM). MLL comprend un domaine avec une activité H3K4 histone méthyl-transférase, et peut interagir également avec de très nombreux autres partenaires 111. Les translocations impliquant MLL entrainent la perte de ce domaine fonctionnel. Les produits de fusion impliquant MLL vont de plus être capables de recruter la protéine DOTL1, qui comprend des fonctions de méthylation d’H3K79, ce qui aboutit également à des modifications de structure de la chromatine. Les profils d’expression génique secondaire au remaniement de MLL comprennent notamment une dérégulation des gènes HOX 112,113. Au niveau fonctionnel, l’acquisition de transcrit de fusion impliquant MLL dans des progéniteurs hématopoïétiques myéloïdes différenciés entraine une ré-acquisition de capacité d’auto-renouvellement. L’expression de transcrits impliquant MLL dans des progéniteurs CD34+ humains dérivés de sang de cordon ombilical va aboutir, après xénogreffe à des souris immunodéprimées, à une hématopoïèse multi-lignées, avec une augmentation des capacités de prolifération par rapport aux CD34+ normaux 114.

Anomalies des facteurs de transcription myéloïdes et fusions les impliquant

De nombreux FT impliqués dans la différenciation myéloïde ou dans la répression de la différenciation vers les autres lignées peuvent être mutés ou remaniés dans les LAM. Les remaniements principaux impliquent le core-binding factor, qui comprend les translocations impliquant RUNX1 et CBF. Beaucoup d’autres FT peuvent potentiellement être mutés, et aboutir à un blocage de la maturation des cellules leucémiques par perte de fonction.

Translocations avec anomalies du core binding factor

Le core-binding factor (CBF) est un FT hétérodimérique constitué de 2 sous-unités RUNX1 et CBF. A l’état normal, RUNX1 est capable de liaison à l’ADN. CBF potentialise cette capacité de liaison. Ce complexe de transcription est nécessaire à l’établissement de l’hématopoïèse pendant la vie foetale. La perte isolée d’une des 2 sous unités entraine une létalité in utero par défaut d’hématopoïèse définitive 115–118.
La translocation t(8;21)(q22;q22), souvent observée dans les LAM2, entraine une fusion des gènes RUNX1 et RUNX1T1. L’inversion péricentrique du chromosome 16, inv(16) (p13.1q22), associée aux LAM4 avec anomalies des éosinophiles, entraine la fusion des gènes CBF et MYH11. Ces deux événements vont entrainer des anomalies de fonctionnement du complexe CBF, ainsi que de multiples conséquences au niveau cellulaire 119.
Les deux transcrits entrainent d’importantes modifications au niveau épigénétique. En effet, des profils particuliers de méthylation de l’ADN ont été observés en cas de LAM à CBF 120–122. RUNX1-RUNX1T1 est capable de recruter des histone-déacétylases ainsi que DNMT1, et d’entrainer la répression transcriptionnelle de plusieurs cibles impliquées dans l’hématopoïèse 123,124. MYH11 est également capable d’interaction avec des histone-déacétylases, et peut entrainer une répression transcriptionnelle 125,126.
En dehors de la dérégulation épigénétique, les 2 transcrits peuvent réguler l’expression de nombreux gènes par interaction directe ou indirecte avec leurs cibles. Ainsi, ils vont entrainer une diminution d’expression de FT essentiels de la granulopoïèse comme PU.1 127, CEBPA 128, GATA1 129, et d’une partie des protéines E (E2A, E2-2, HEB). L’expression de plusieurs gènes suppresseurs de tumeur va également être dérégulée par ces transcrits de fusion : RUNX1-RUNX1T1 réprime la transcription de p14 (ARF) 130 et de NF1 131, et CBFB-MYH11 celle de p15 (INK45B) 132. La transcription de BCL2, anti-apoptotique majeur, est par ailleurs activée par RUNX1-RUNX1T1 133. De plus, de nombreux gènes impliqués dans des voies de signalisation sont surexprimés dans les LAM CBF, conduisant à l’activation aberrante du signal, notamment la voie NOTCH (surexpression de JAG1) 134, la voie Wnt 135 ou la voie NF-KB 136. Enfin ces transcrits semblent déréguler l’expression de miRNA impliqués dans l’hématopoïèse (miRNA-223 ou autres) 122,137.

Mutations d’autres facteurs de transcriptions

Des mutations de nombreux autres facteurs de transcription impliqués dans l’hématopoïèse ont été décrites dans les LAM. Les conséquences fonctionnelles de ces mutations ne sont pas toujours connues, mais sont globalement associées à un blocage de maturation dans les cellules mutées. Parmi ces mutations, les plus fréquentes concernent RUNX1 138,139 et CEBPA (cf paragraphe C.1.c.3). Des mutations de GATA2 ou d’autres facteurs de transcription ont également été décrites 71.

Mutations de gènes suppresseurs de tumeur Mutations de TP53

L’importance de la protéine p53 dans la carcinogenèse est bien connue. P53 est inactivée dans plus de la moitié des cancers chez l’homme, et la perte germinale d’une des copies de TP53 (Syndrome de Li-Fraumeni) prédispose à de multiples cancers. TP53 est mutée dans 5 à 10 % des LAM. Ces mutations sont associées aux LAM induites et à une cytogénétique complexe 71,151. De nombreuses voies métaboliques sont contrôlées par p53. Son activation se produit en réponse à divers stress cellulaires (dommages dans l’ADN, hypoxie, stress oxydatif, déplétion en ribonucléotides, etc…). Elle peut induire un arrêt du cycle cellulaire, l’engagement vers la sénescence et l’apoptose, mais également le recrutement de protéines de réparation de l’ADN et le contrôle de l’autophagie. P53 est également impliquée dans la régulation de l’auto-renouvellement, et dans le maintien des cellules souches 152,153. P53 agit en partie comme un facteur de transcription. La plupart des mutations de TP53 se produisent dans les domaines de liaison à l’ADN, et induisent une perte de fonction de la protéine, aboutissant à une accumulation d’événements génétiques dans les cellules par absence de déclenchement de signal d’apoptose secondairement à ces lésions.

Associations mutationnelles et ontogénèse des LAM

Les techniques récentes de séquençage, en plus de décrire de multiples mutations dans les LAM, ont permis d’étudier les associations des différents événements génétiques entre eux. Ainsi, dans les LAM de novo, des associations récurrentes, ou au contraire des exclusions quasi systématiques d’événements ont été rapportées 39,71. Ceci suggère une ontogénie particulière de ces LAM, car la probabilité que ces associations récurrentes soient liées au hasard est extrêmement faible. Par exemple, dans de nombreux cas, on retrouve une association entre mutation de FLT3, de NPM1 et de DNMT3A, ou une association entre les mutations de KIT et la présence de transcrit MYH11-CBF ou RUNX1-RUNX1T1, ou entre les mutations de TP53 et la présence d’un caryotype complexe. Au contraire, il existe une quasi-exclusion entre les transcrits de fusion impliquant MLL, RUNX1-RUNX1T1 et MYH11-CBFB et les mutations de DNMT3A ou de NPM1, ou entre les mutations de RUNX1 et celles de TP53, de FLT3 et de NPM1. Ces profils d’association ou d’exclusion de mutation suggèrent des voies différentes d’ontogenèse et des sous-catégories particulières de LAM.
Dans une étude comparative entre 93 LAM secondaires et 180 LAM de novo, il a été démontré que les mutations de la machinerie d’épissage (SRSF2, SF3B1, U2AF1, ZRSR2), ou d’ASXL1, EZH2, BCOR et STAG2 se produisent quasi exclusivement dans les LAM secondaires. De même, les mutations de NPM1, les translocations impliquant le CBF et les réarrangements de MLL se produisent surtout dans les LAM de novo. Les LAM avec mutations de TP53 (de novo ou secondaires) semblent former une troisième entité, comprenant peu d’autres mutations, mais de nombreux événements chromosomiques. Ces résultats suggèrent donc 3 ontogénies distinctes dans les LAM. L’étude complémentaire de 101 cas de LAM induite retrouve également ces 3 ontogénies, suggérant que les LAM induites ne forment pas vraiment une entité séparée, mais qu’elles peuvent se rattacher aux 3 entités précédemment décrites d’un point de vue génétique, avec une émergence des clones leucémiques favorisée par l’exposition aux cytotoxiques ou aux radiations ionisantes 151.
Au bilan, de très nombreuses anomalies chromosomiques et génétiques ont été décrites ces dernières années dans les LAM. Leurs conséquences fonctionnelles sont variables et ont été regroupées en 8 catégories. Des profils d’association particuliers entre ces mutations suggèrent l’existence de plusieurs voies d’ontogénie différentes.

Phylogénie et dynamique clonale dans les LAM

L’identification de ces nombreux types de mutations a conduit à explorer l’architecture clonale globale des LAM. L’étude des variations des mutations entre diagnostic et rechute a permis de comprendre partiellement les mécanismes conduisant à la rechute, et de démontrer dans un certain nombre de cas, l’existence d’un clone fondateur des LAM, dont la persistance pourrait être à l’origine des rechutes. Les études génomiques séquentielles dans le temps comparant chez un même sujet des échantillons de myélodysplasie et de LAM secondaire, ou des échantillons en l’absence de pathologie hématologique et au diagnostic de LAM ont permis d’identifier en partie la chronologie d’apparition de certaines mutations, et à introduire la notion d’hématopoïèse clonale pré-leucémique.

Phylogénie clonale des LAM et étude des rechutes

La phylogénie clonale des LAM de novo et l’évolution clonale à la rechute ont été partiellement décrites après séquencage du génome entier chez 7 patients à caryotype normal et une LA promyélocytaire 159. L’étude des fréquences de variants (VAF) des différentes mutations a permis de mettre en évidence la co-existence au diagnostic de LAM, de multiples sous-clones, dérivant tous d’un même clone fondateur et porteurs d’anomalies communes (figure 5). Ce clone fondateur peut résister au traitement, et être à l’origine de la rechute : soit de nouvelles mutations se produisent après traitement dans le clone fondateur, ce qui conduit à l’émergence d’un nouveau sous-clone dominant en rechute, soit un des sous-clones présent au diagnostic est sélectionné pendant le traitement, et devient majoritaire à la rechute. Dans les 8 cas décrits, le clone fondateur restait détectable en rechute, démontrant sa résistance aux traitements. Dans cette première étude de grande ampleur, les anomalies génétiques détectées en rechute pouvaient appartenir à toutes les classes de mutation.

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Table des matières

Introduction
A- Généralités sur l’hématopoïèse
A.1- Cellules souches hématopoïétiques
A.2- Différenciation hématopoïétique
A.3- Régulation de la différenciation cellulaire
A.4- Niche hématopoïétique
B- Leucémies aigues myéloïdes : généralités
B.1- Définition
B.2- Epidémiologie
B.3- Facteurs étiologiques
B.4- Traitements et résultats
C- Leucémie aiguës myéloïdes : aspects biologiques et physiopathologie
C.1- Données classiques et classification des LAM
C.2- Données moléculaires récentes
C.3- Phylogénie et dynamique clonale dans les LAM
C.4- Evénements précoces et marqueurs de cellules souches pré-leucémiques
C.5- Formes familiales de LAM et prédispositions génétique
C.6- Mesure de la maladie résiduelle
D- Objectifs et problématiques du travail
Résultats : Article 1
Article 1 : Données supplémentaires
Article 1 : Commentaires
Résultats : Article 2
Article 2 : Commentaires
Données complémentaires
A- Phylogénie clonale des LAM de l’enfant
B- Mesure de la maladie résiduelle en NGS
Discussion et Conclusion
Bibliographie

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