L’étude d’un recueil pour embrasser le concept de poésie

La poésie pour la jeunesse

Au matin
Les soeurs Nelle s’en vont
En bulles de savon.
Elle sont six jumelles.
Et, retour du Maroc,
Rentrent au chant du coq
Six Nelle.
Jacques Charpentreau, Poésies en jeu, Les éditions ouvrières, coll. « Enfance heureuse », 1981.
Pendant longtemps la poésie a été abordée, dans le contexte scolaire, comme un réservoir de beaux textes patrimoniaux permettant aux écoliers de se familiariser avec des auteurs classiques et l’art du langage. Ce n’est que très récemment qu’une offre éditoriale de poésie à destination de la jeunesse s’est développée, dans le sillage de la littérature de jeunesse romanesque (récits et albums), entrée officiellement dans les programmes du Ministère de l’éducation nationale dans les années quatre-vingt-dix.
Initialement puisée aux sources patrimoniales des grands textes, la poésie à destination des enfants était présentée, à partir des années soixante-dix, dans des anthologies. Selon Christine Boutevin, ces dernières ont longtemps été représentatives du genre. S’inscrivant dans une longue histoire, rattachée aux besoins de l’école, elles étaient le fruit de pionniers de la poésie pour les enfants qui, à cette époque, étaient aussi pour beaucoup des enseignants (Jean-Hugues Malineau, Jacques Charpentreau…). Ces poètes ont transmis une représentation de la poésie en lien avec l’école, et pour Régis Lefort il s’agissait déjà d’une façon différente d’envisager la poésie :
Ces anthologies donnaient une certaine unité aux textes sélectionnés (thème, époque, style) et pour Jacques Charpentreau, elles pouvaient faire connaître, grâce à des poètes célèbres, de jeunes auteurs inconnus, organisant la rencontre de la poésie contemporaine d’alors avec de jeunes lecteurs. « Elle n’est peut-être pas le salut de l’édition poétique pour la jeunesse, mais elle est l’un des meilleurs moyens de diffusion de la poésie. » Ces poètes pédagogues proposaient une approche de la poésie renouant, si l’on peut dire, avec les idées de Félix Pécaut, rappelées par Francis Marcoin. Felix Pécaut, à la fin XIXème siècle est le rédacteur d’une notice sur la poésie dans le Dictionnaire de Pédagogie et d’Instruction primaire de Ferdinand Buisson. Il y défend l’idée selon laquelle la poésie, particulièrement la poésie pour la jeunesse, celle qui devrait être proposée à l’école, représente un pouvoir d’émancipation des enfants du peuple, qu’elle est partie prenante dans l’avènement de la démocratie. Cette idée ne sera pas inscrite aux programmes scolaires de l’époque, supplantée par une approche plus « moraliste ». C’est donc un retour aux aspirations initiales qui est prônée par ses enseignantspoètes dans les années soixante-dix.
A partir du milieu des années quatre-vingt, selon Régis Lefort, « on commence à sortir du tout anthologique pour entrer dans une ère de véritable création 31», avec l’essor de petites maisons d’éditions, notamment Cheyne éditeur et sa collection « Poèmes pour grandir », qui consacrent leurs publications à la poésie pour la jeunesse, en mettant à l’honneur des poètes sans objectifs pédagogiques aussi affichés que les pionniers et qui comme Jean-Pierre Siméon revendiquent le fait de ne pas affadir leur poésie sous le seul prétexte qu’elle s’adresse à des enfants :
Ces petits éditeurs exigeants (Le Dé bleu, La Renarde Rouge, Memo, Møtus…) sont à l’initiative d’un véritable renouveau, une mutation dans l’offre de poésie pour la jeunesse, dans laquelle les poètes ne « s’accroupissent » pas au niveau des enfants en proposant des textes un peu niais, mais au contraire, des textes poétiques, porteurs de valeurs ou susceptibles de faire naître chez eux des interrogations. Cette ligne éditoriale ne s’est pas démentie jusqu’à nos jours. Mehdi met du rouge à lèvres de David Dumortier (aux éditions Cheyne, 2006) en est un bon exemple. Il est question dans ce recueil d’un petit garçon différents des autres, qui affiche sans complexes préférer les poupées et le rose. David Dumortier y traite de l’intolérance et des difficultés à vivre et suivre sa voie. Ainsi ces poètes, qui écrivent pour la jeunesse, n’associent pas systématiquement la poésie à la rêverie ou à la contemplation de la nature mais proposent alors aux enfants un regard sur la société ou sur la complexité du monde, par exemple :
•Les rabougris, de David Dumortier évoque une lutte des classes métaphorique. (Ces gens qui sont des arbres, chez Cheyne, coll. « Poèmes pour grandir »),
•Le Clochard, de Gabriel Cousin dépeint les exclus (Poèmes d’un grand-père pour de grands enfants, chez Saint-Germain-des-Prés, coll. « L’enfant de la poésie »),
•Une des grandes dit…, de Colette Touillier met en évidence le thème social d’égalité des sexes, sur fond de grève (C’est papa qui conduit le train, paru aux éditions L’idée bleue, coll. « Le Farfadet bleu »).
Nous pourrions encore citer, C’est corbeau de Jean-Pascal Dubost (Cheyne, 1998), qui aborde la question grave de la mort, ou encore Le rap des rats de Michel Besnier (Møtus, 1999) derrière lequel se dissimulent les laissés-pour-compte de la société. Sans jamais tomber dans le drame, ces poètes abordent ces thématiques avec une certaine fantaisie. Brossant un panorama critique de l’offre éditoriale, Régis Lefort évoque, outre les anthologies et la création poétique contemporaine, les comptines et ce qu’il nomme le texteimage.
Ce chercheur ne prend pas la peine de justifier l’appartenance des comptines au genre poétique. Il semblerait que ces dernières, sans constituer de véritables poèmes, aient droit de cité dans l’édition de poésie pour la jeunesse, comme le précise Jocelyne Giasson :
Arrêtons-nous un instant sur ces catégories. Voici ce qui, selon nous, semble correspondre à l’album, au recueil illustré et au texte-image défendu par Régis Lefort. L’album de littérature de jeunesse est en constante mutation et sa définition a évolué depuis 2008, entre genre, forme et support. Actuellement, l’album se définit autant par la présence du texte et de l’illustration que par leur interaction, il peut aussi parfois se penser comme un mode d’expression artistique. L’histoire y est racontée à travers le discours verbal, le discours iconographique et35. Jocelyne Giasson. Les textes littéraires à l’école. De Boeck Éducation, 2014 (2e édition), p.199 l’interaction des deux (iconotexte), mais parfois à travers le support matériel lui-même (parti pris graphique, format, papier, travail éditorial…). A la lumière de cette actualisation, nous retiendrons, que la frontière avec le texte-image n’est donc pas si nette pour certains albums. Notons au passage, que ces contours de l’album, déjà flous en 1995, participent à la difficulté de définir la poésie pour la jeunesse38. Retenons néanmoins que les jeux typographiques, la mise en page, même s’ils influencent la lecture du poème, ne constituent pas l’objet poétique.
L’illustration pourrait même n’avoir parfois qu’un rôle décoratif, qui rend plus attirant les poèmes perçus comme « intimidants». Le recueil illustré peut se comprendre comme un livre dans lequel les poèmes, qui sont tous a priori du même auteur, sont accompagnés par les images, qui ont leurs identités propres. Elles invitent le lecteur à la découverte des textes, proposent une certaine esthétique qui met en scène la poésie du poète. Le texte-image se veut pour sa part, plus qu’une mise en image. Il s’agit d’une image poétique d’ensemble. La poésie y « sculpte l’espace 40», à la fois graphiquement et textuellement (importance des blancs par exemple). Les illustrations peuvent créer une continuité, se prolongeant d’une page à l’autre, en un « seul souffle » ou bien entourer les mots du texte et s’en faire « l’écorce et l’écho». Ce sont des supports dans lesquels l’illustration ne se contente pas de dénoter ou reproduire des fragments textuels, mais dialogue avec le poème et participe à l’essence poétique du livre. Selon Régis Lefort Album de poésies de Nouchca (Magnard jeunesse, 2005) ou C’est moi de Jean-François Manier (Cheyne, 1994) entreraient dans cette catégorie.
Nous percevons, à travers la contribution de ce chercheur, que de nos jours, les différents acteurs de la filière éditoriale (poètes, illustrateurs et éditeurs) de la poésie pour la jeunesse, oeuvrent pour proposer aux enfants des ouvrages de qualité, au niveau des textes, des illustrations ou de l’objet lui-même. Par ailleurs, soulignons que cette offre éditoriale a trouvé un appui grâce aux recommandations ministérielles, qui inscrivent sur leurs listes de référence beaucoup de ces ouvrages. En 2018, date de parution de la dernière de ces listes, nous comptabilisons trente-cinq ouvrages relevant du genre poésie pour le cycle 3 et trente-quatre pour le cycle 2. Dans les références poésie pour le cycle 3, deux livres relèvent de la catégorie des oeuvres patrimoniales (Cent-onze Haïku de Bashô et Histoires naturelles de Jules Renard), dix ouvrages sont répertoriés comme classiques, et correspondent aux anthologies (dévolues à une thématique, une époque ou un « grand poète classique ») et donc les 23 livres restant sont des recueils de poésies pour la jeunesse, plutôt contemporains. Ces propositions, relatives à l’offre de poésies, mettent en avant, de façon implicite, une conception de la poésie et de ses vertus éducatives qui s’écarte des pratiques plus anciennes fondées sur la récitation. La poésie a souffert des représentations qui l’associaient à une forme de mièvrerie sans lien avec la réalité. Dans cette partie, nous avons insisté sur le désir de la production contemporaine de briser cette conception. Après ce tour d’horizon nous constatons que la poésie pour la jeunesse se fait donc une petite place dans les corpus scolaires au moyen des anthologies, privilégiant les auteurs classiques, sous forme d’albums et de beaux livres en couleur, cartonnés, qui rassemblent comptines ou poèmes ou encore sous forme de recueils d’auteurs contemporains écrivant pour la jeunesse. Néanmoins, ne nous y trompons pas, cette place est marginale (10 %) car les récits et albums narratifs constituent l’essentiel de ces listes de références. Ce mode particulier d’expression créative de la pensée, des rapports de soi au monde, qu’incarne la poésie, est proposé désormais aux enfants à travers d’authentiques poèmes, d’époques, de genres, de formes et de tons variés, avec, il est vrai, une importance accordée à la poésie contemporaine.
La poésie pour la jeunesse, dont il a été question ici, s’inscrit dans le support du livre, mais précisons pour finir, que la poésie pour la jeunesse a également pu bénéficier ces dernières années d’une plus grande visibilité, portée par d’autres supports et renouant avec la tradition de l’oralité, grâce notamment aux manifestations comme le Printemps des poètes ou même via l’internet. Avec la révolution de l’imprimerie, la littérature s’est développée grâce au support livre et la lecture de la poésie est, le plus souvent, une lecture intériorisée, mais de nouvelles entreprises propulsent la poésie contemporaine dans de multiples directions créatrices : poésie sonore, performance, spectacles poétiques, poèmes flash, si bien que les supports se sont renouvelés. La poésie va aussi à la rencontre des enfants dans des manifestations organisées par les lieux culturels comme les médiathèques.
Cependant, s’il importe désormais de créer et de diffuser des œuvres poétiques et esthétiques exigeantes, nous verrons les difficultés éventuelles que cela peut poser dans le cadre scolaire. Autrement dit, si la source de poésie pour les écoliers se modifie rapidement depuis quelques années, qu’en est-il de son enseignement ?

La poésie à l’école et son enseignement

Il pleut
là-haut dans la nuit
on lave la lumière
Werner Lambersky, Komboloï, Le dé bleu, 1985
La poésie est présente à l’école depuis fort longtemps, mais ce n’est qu’à partir des années soixante-dix qu’elle a vraiment été prise en compte comme telle par les programmes scolaires (depuis le plan de rénovation de l’enseignement du français de 1971, dit plan « Rouchette », suivi des IO de 1972). Dans ce contexte, le mot poésie remplace celui de récitation et ce changement de terminologie est révélateur d’un nouvel état d’esprit, hérité de mai 68.
Bénéficiant aujourd’hui encore d’attention, elle figure dans un corpus sur les listes de références recommandées par le Ministère de l’Éducation Nationale. Nous aborderons dans cette partie de l’approche de la poésie dans programmes et leurs documents d’accompagnement, ainsi que les travaux de recherche en didactique ayant trait à son enseignement.
Intéressons-nous en premier lieu, avec Francis Marcoin et Marie-Claire et Serge Martin, à l’évolution de la poésie dans le contexte scolaire et les programmes de l’école élémentaire. Initialement, la poésie se présente à l’école sous la forme de récitations, depuis la création de l’école républicaine, à la fin du XIXème siècle, jusqu’à la massification scolaire de la décennie soixante. Durant cette période, la poésie dans la classe est cantonnée à la lecture à voix haute ou à la diction de textes en vers. Elle est « au service d’un encadrement autoritaire. »
Les instructions officielles de la décennie soixante-dix (décembre 1972, mars 1977, juillet 1978, juillet 1980) consacrent la poésie comme un vecteur important de l’éducation. Les activités recommandées permettent aux élèves d’exprimer leurs ressentis. La création poétique y trouve aussi une place aux côtés des autres types de productions d’écrits…jusqu’à faire oublier les affres de la récitation, « jugée nocive » pour une relation durable entre les enfants et la poésie.50 Néanmoins pour les Martin cette consécration n’est pas totale, car aucun outil n’est mis à disposition des enseignants pour mettre en oeuvre ces préconisations ministérielles, qui ont donc pu rester à l’état théorique. Au fil des recommandations et notamment jusqu’à celles de mai 1985, la poésie a aussi pu être retirée de l’enseignement de français (partie « lecture et récitation ») pour être reléguée, même avec son cortège de bonnes pratiques, en fin de programme, pour y constituer « un agrément aux programmes, un moment de poésie. » Il convient toutefois de noter, que cette approche de la poésie a bénéficié du formidable engouement des enseignants-poètes évoqués plus avant, qui lui sont contemporains. En effet, si les réflexions et suggestions des programmes des années soixante-dix n’étaient pas accompagnées d’instruments pédagogiques, quelques-uns de ces pionniers, comme Jean- Hugues Malineau, Jacques Charpentreau ou encore Georges Jean ont su profiter de la brèche pour promouvoir « les trésors de la poésie française », dans leurs anthologies et proposer un modèle poétique à l’institution scolaire. Relayé par la mode des ateliers d’écriture, ce modèle se verra consacré dans un certain nombre de manuels, dont celui de Bernard Séménadisse Création poétique (Bordas), très fréquemment utilisé pour conduire les activités d’écriture poétique. Le choix des thématiques poétiques et le modèle d’activités feront alors corps dans cette conception de la poésie proche de l’affectivité enfantine, dans laquelle est mise en avant le « pouvoir imaginant des mots 53» et dans laquelle est mis en scène l’enfant poète.
Au cours de la décade 1985-1995, la poésie, comme le constatent Marie-Claire et Serge Martin, se voit confier, dans les programmes, des objectifs utilitaires de maîtrise de la langue.
Ces auteurs notent aussi que d’autres secteurs artistiques, théâtre, musique, danse et arts plastiques, lui livrent une « redoutable concurrence », et il n’est toujours pas fait mention des démarches à adopter pour son enseignement, si bien que la présence de la poésie à l’école, reste confrontée « aux dures réalités du terrain, c’est-à-dire aux traditions professionnelles, aux formations insuffisantes, à la polyvalence du métier… » Avec les programmes de 2002, apparaissent les grands principes du socle commun de compétence et de culture, se développent les documents d’accompagnement édités par le CNDP (Scérén) et les listes de références sont élaborées. La poésie regagne le giron de la discipline du français et prend place dans des situations d’apprentissage liées aux « dire, lire et écrire ». La représentation dominante des années antérieures, dans laquelle « l’accent est mis sur le déblocage de l’imaginaire par l’intermédiaire du jeu plutôt que sur de véritables apprentissages » et dans laquelle règne le mythe de l’enfant poète, s’efface un peu face aux constats suivants :
Nous constatons donc que le statut de la poésie a quelque peu changé dans les programmes en vigueur par rapport à leurs versions antérieures. La poésie est d’une part approchée de façon plus rigoureuse, avec une proposition de définition et d’autre part, constitutive du panel de diversité des textes à offrir aux enfants. Elle acquiert un caractère indispensable, pour qui voudrait suivre scrupuleusement les recommandations officielles. De surcroît, elle figure à elle seule une entrée thématique des enjeux éducatifs majeurs. Dès lors, nous sommes en droit d’interroger les outils didactiques qui s’offrent à l’enseignant pour la mise en oeuvre de ces instructions officielles. Refermons donc cette partie avec les apports de la recherche universitaire.
En 2011, Francis Marcoin observe que « la forme sous laquelle apparaît la poésie, dès l’école maternelle, reste le plus souvent celle d’une feuille collée dans un cahier, illustrée d’un dessin d’enfant. ». Plus généralement, nous sommes passé en quelques années d’une conception à une autre : un enseignement de la poésie, délirant dans un imaginaire débridé s’est substitué à un enseignement trop rationnel, sans se donner le temps de la réflexion. C’est ce qui nous semble correspondre au commentaire de Serge Martin quand il affirme que « les programmes montrent des faiblesses rédhibitoires et la tradition professionnelle a toujours obligé chacun à réitérer des choix naturalisés sans que puisse être pensée la configuration d’ensemble dans toute sa complexité. 74» Ce chercheur d’ajouter, que beaucoup d’enseignants sont pris « dans le tourniquet des contradictions, résolus par un refus de la réflexion qui passe soit par des discours passionnels, soit par des discours autoritaires 75», ce à quoi nous ajoutons, après interprétation de ses dires, que ces contradictions sont parfois aussi résolues par l’évitement. Partant, comment sortir de l’impasse de l’instrumentalisation de la chose poétique, de l’acculturation à des fins idéologiques, du « parangon du beau formel et moral », de la dissection rationnelle du poème ou de la stratégie d’évitement ? De nombreux enseignants ne doutent peut-être pas que la poésie puisse être utile à l’école, servir les objectifs éducatifs à long terme, ou être un support aux apprentissages, mais ils sont peut-être démunis pour la pratiquer en classe, sans tomber dans les travers énumérés plus tôt. On notera avec Francis Marcoin qu’il n’existe guère d’autre modèle, sous-entendu celui des textes courts, isolés, qui répondent aux contraintes de la classe, auquel se référer…et les besoins « criants en didactique de la littérature pour enseigner la poésie » ne sont plus à démontrer pour Nathalie Rannou et Christine Boutevin :

Méthodologie

Dans ce deuxième volet, nous rendons compte des choix opérés pour répondre à la problématique, en explicitant la mise en oeuvre d’une séquence de littérature destinée aux élèves d’une classe de CM2. Nous aborderons également les raisons de notre adoption d’un recueil de poèmes pour la jeunesse, Ces gens qui sont des arbres de David Dumortier. Enfin nous présentons, avant l’analyse, le protocole qui lui servira de trame.

Explicitation de la démarche

La bonne fille
Et chaque nuit, la merveilleuse enfant du geôlier se promenait toute nue dans les cellules et donnait du plaisir à tous les prisonniers. Quel pain d’amour avec le cruchon, la gamelle. Ineffable chaleur, on t’a bien reconnue va ! Ô poésie, ô fleur de cadenas.
Géo Norge, La langue verte, Gallimard, 1954.
Nous nous intéressons aux façons d’amener les enfants à découvrir et lire de la poésie de façon autonome. En gardant à l’esprit nos lectures des analyses sur les conceptions de la poésie à l’école, nous percevons que le modèle fondé sur la nostalgie de l’enfance des poètes a fait long feu et que certains enfants éprouvent une défiance à l’égard de la poésie, surtout si les conditions de la rencontre sont mal fixées par le professeur. Les données scientifiques, évoquées plus avant, nous incitent donc à réfléchir sur les protocoles à mettre en oeuvre pour que l’enfant s’approprie au mieux la poésie.
Nous avons vu l’opportunité de faire coïncider un recueil contemporain de poésie pour la jeunesse, tiré de la liste de référence, avec une des pistes didactiques proposée par l’approche renouvelée d’enseignement de la poésie. De ce fait nous voulions tester l’hypothèse de Jean- Pierre Siméon, selon laquelle la lecture d’un recueil de poésie permet de faire évoluer la représentation des élèves sur ce genre littéraire. Conformément aux idées que nous nous sommes fait, à la suite à nos lectures à propos de la poésie pour la jeunesse, nous avons choisi une oeuvre présentant un intérêt éditorial (format, encre verte…), des illustrations et un univers porteur de valeurs. Les poèmes qui le constituent sont en prose. Ils sont écrits par David Dumortier, un auteur contemporain, qui se déplace régulièrement dans les classes pour rencontrer les enfants.
Dans le cadre de ce travail, nous avons élaboré une séquence de littérature autour de ce recueil. Les élèves y ont produit des traces que nous soumettrons à l’analyse. Pour cela, nous envisageons de regarder les productions d’un panel d’élèves représentatif de l’hétérogénéité du niveau de la classe. Même si nous ne connaissons pas très bien le niveau des élèves, nous avons choisi les travaux de deux enfants, que nous savons en difficulté scolaire : Jad, qui un est élève souvent absent et Zoé, une enfant qui ne participe pas à la vie du groupe classe et ne parle jamais. Nous regarderons également les productions de deux élèves en réussite, Léa et Clémence, ainsi que celles de deux autres élèves représentatif du niveau de la classe (Romy et Gabriel). Soit un groupe de six élèves dont quatre sont des filles. La séquence était bornée par deux questionnaires, visant à diagnostiquer la perception que se font les enfants de la poésie, avant et après le travail sur le recueil. Nous souhaitions également à travers les questions proposées recueillir l’état des connaissances des élèves sur la poésie et l’intérêt qu’ils y portent.

Choix d’un recueil

Les pluies neuves sont intérieures
Jean-Claude Renard, Toutes les îles sont secrètes, Le Seuil, 1984.
Notre choix s’est donc porté sur le recueil Ces gens qui sont des arbres, de David Dumortier, parce qu’il nous semble d’une part, se situer dans la logique de la poésie contemporaine, évoquée précédemment, et d’autre part nous le pensons, bien qu’il soit un recueil, proche d’un texte-images, cher à Régis Lefort ; c’est-à-dire un objet poétique dans lequel la prose du David Dumortier, les illustrations de Martine Melinette ainsi que le soin apporté à l’édition, constituent l’essence poétique du recueil. Le lexique est accessible. Les poèmes sont courts. Ces deux éléments permettent, nous semble-t-il, une approche personnelle autonome. Il peut être un support pour des activités d’arts visuels. Cet ensemble cohérent nous permet de tester des hypothèses pour répondre à notre problématique. Les hypothèses posées étaient : le recueil de poésie fait évoluer la représentation que les élèves se font de la poésie, d’une part et les élèves deviennent des lecteurs autonomes de poésie en s’appropriant une oeuvre de poésie contemporaine pour la jeunesse d’autre part. Il était important pour nous, afin de répondre à celle-ci, de choisir une oeuvre à destination de la jeunesse qui représente à la fois la création contemporaine et peut-être une conception éloignée de celle que se font les enfants de l’art poétique. Il nous importait aussi de donner une unité à la séquence et de parcourir l’oeuvre en un temps raisonnable. Ainsi, tenant compte à la fois de la mise à l’épreuve de la mémoire et de la patience des enfants ainsi que du temps imparti, nous avons résolu d’utiliser un recueil plutôt court.
Le travail littéraire sur la séquence proposée autour de Ces gens qui sont des arbres, tente de participer à la construction des compétences décrites dans l’entrée de Culture littéraire et artistique « Imaginer, dire et célébrer le monde », et les poèmes choisis dans Ces gens qui sont des arbres plongent les élèves dans la poésie contemporaine, en dehors de leurs pratiques habituelles. Nous espérons qu’ils les conduisent à s’interroger sur la nature du langage poétique. Par ailleurs, dans certains textes du recueil la poésie devient une arme pour dénoncer les injustices de notre monde. L’arbre rabougri, isolé y est un porte-voix des souffrances humaines. En cela, certains poèmes répondent à l’entrée de Culture littéraire et artistique « la morale en question » et justifient la construction de compétences autour de l’interprétation des textes littéraires.

Analyse du recueil

Ce recueil invite le lecteur à pénétrer dans un jardin et à rencontrer les mots de David Dumortier qui dépeignent tour à tour des arbres et les gens qui les plantent, les fréquentent ou les accompagnent. Le propos est énigmatique et le lecteur ne sait dire au premier abord qui sont les arbres et qui sont les gens. Il semble guidé par une voix qui raconte une histoire, par petits bouts, dans une succession de portraits. Apparaît au fil des détours empruntés, une dualité constante appliquée aussi bien aux arbres qu’aux gens, qui sont enracinés ou déracinés, rabougris ou dressés, en groupes ou solitaires. Avec humour, David Dumortier décrit les simples gens, à travers des images originales ou des expressions créées de toutes pièces offrant des comparaisons cocasses ou loufoques. Ainsi, à « L’automne » « les arbres se déperruquent ». Le poète mélange également les procédés stylistiques et les tons pour créer parfois à l’aide de jeux de mots des pensées profondes : « L’arbre de rien », mine de rien, « s’il n’existait pas, il n’y aurait pas l’ombre d’un arbre. » Dans « Promenade en forêt », par exemple, le ton ironique est utilisé pour marquer le contraste entre la jungle urbaine et la quiétude du milieu forestier : « Une sortie en forêt, c’est désagréable : on bute toujours sur une souche et on avance lentement dans l’embouteillage des arbres. »
La thématique traversant le recueil est un élément récurrent de l’oeuvre de David Dumortier qui touche à l’altérité, incarnée par dualité dont il est question ci-dessus. Le poète s’interroge sur la normalité et la divergence91 La dissemblance jusqu’à l’exclusion entraîne la solitude. Celle-ci se vit dans la tristesse, comme le « Saule », qui pour cela pleure. « Les hôtesses » végétales qui agrémentent « les halls d’hôtels » et les « grands boulevards » sont « tristes et malheureu(ses) ». Et que dire des « (Les) pauvres arbres » « qui ont toujours faim et soif » et « attendent dans le coin froid des églises ». La solitude peut aussi se vivre dans la colère rebelle. Ainsi « on connaît les intentions » de « L’arbre seul ». « Il a l’esprit de reconquête ». « Les rabougris », quant à eux sont « retranchés », « au fin fond des campagnes », « en forme de guérilla contre tout le monde. » Ils en veulent à la terre entière d’avoir « été nourri(s) sur une terre pauvre ». Ils portent encore « des plaies mal refermées. »
La normalité, pour David Dumortier n’est peut-être qu’une illusion. N’existant pas, elle ne peut justifier le rejet de la différence, que le poète dénonce. La normalité cache, chez « Monsieur Durand », « une originalité connue par un petit nombre d’amis ». Elle est d’une simplicité frugale, « pleine de saveurs » dans « Pommes ». Au fond, on ne la voit pas, car « il n’y a que les gens bien implantés et les déracinés qui font parler d’eux. ». « Les gens » ordinaires, sont comme les « Cerisiers », ils n’ont pas tous « belle réputation », mais sans eux, « il n’y aurait pas l’ombre d’un arbre », ni « d’enfants dans les branches à la saison des fruits. ».
En ce qui concerne l’aspect éditorial, le recueil est cartonné, facile à prendre en main. Le papier glacé et les illustrations hautes en couleurs en font un support agréable. L’organisation calligraphique et le vert de la police textuelle dénote le souci du détail, qui apporte un supplément qualitatif. Les illustrations amènent selon nous une dimension symbolique en utilisant les feuilles du bottin : l’anonymat et le nombre, représentés par la litanie des noms alignés sur le papier gris de l’annuaire contrastent avec les taches de couleur vive, représentant de façon abstraite qui un soleil, qui le corps d’un oiseau, qui « Monsieur Durand », sortis pour la circonstance de la foule des gens.

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Table des matières

Introduction
1 La poésie, des origines grecques à l’école d’aujourd’hui
1.1 La poésie, un genre littéraire
2 La poésie pour la jeunesse
2.1 La poésie à l’école et son enseignement
3 Méthodologie
3.1 Explicitation de la démarche
3.2 Choix d’un recueil
3.2.1 Analyse du recueil
3.3 La séquence mise en oeuvre dans la classe
4 L’étude d’un recueil pour embrasser le concept de poésie
4.1 D’un questionnaire à l’autre
4.1.1 Connaissances sur la poésie
4.1.2 Conception de la poésie
4.2 Impact de la séquence sur la représentation des élèves
4.3 Les lectures
4.4 Les productions d’écrits
5 Conclusion

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