L’étude des actions militantes à travers la littérature sur les mouvements sociaux

L’étude des actions militantes à travers la littérature sur les mouvements sociaux

Aux origines de l’étude des mouvements sociaux : la théorie de la mobilisation des ressources

Longtemps l’orphelin de la théorie du comportement collectif et de la sociologie politique, l’analyse des actions militantes a pris une place plus importante en sciences sociales avec la théorie de la mobilisation des ressources (Buechler, 2000). La théorie de la mobilisation des ressources prend appui sur des concepts développés par la sociologie politique et économique (McCarthy et Zald, 1977). Cette sociologie américaine analyse le côté politique (Obershall, 1973 ; Tilly, 1978 ; McAdam, 1982) et le côté entrepreneurial des actions militantes (McCarthy et Zald, 1973 ; 1977). En se différenciant de la psychologie sociale du comportement collectif, cette sociologie américaine analyse trois caractéristiques des mouvements sociaux :
♦ les structures de mobilisation (sous-section 1),
♦ les opportunités politiques (sous-section 2),
♦ et les processus de cadrage (sous-section 3).

Les structures de mobilisation

Les structures de mobilisation sont l’ensemble des « moyens collectifs, informels, mais aussi formels, qui permettent aux gens de se mobiliser et de s’engager dans l’action collective » (McAdam, McCarthy et Zald, 1996, p.3). Le moyen collectif formel étudié par ces chercheurs est le mouvement social (SM – Social Movement). Celui-ci est défini par un ensemble de croyances qui correspond à des préférences en vue d’apporter des changements dans la société (McAdam, McCarthy et Zald, 1996). McCarthy et Zald (1977) insistent sur la nécessité pour les chercheurs de comprendre la structure organisationnelle d’un mouvement social. Ainsi, ils mettent en avant les organisations du mouvement social (SMO – Social Movement Organization), les industries du mouvement social (SMI – Social Movement Industry) et le secteur du mouvement social (SMS – Social Movement Sector) (voir aussi Zald et McCarthy, 1979).

Les organisations du mouvement social regroupent l’ensemble des organisations ayant les mêmes préférences, les mêmes objectifs : « une organisation du mouvement social est une organisation complexe ou formelle, qui identifie ses objectifs avec les préférences d’un mouvement social ou un mouvement opposé et tente de mettre en œuvre ces objectifs » (Zald et McCarthy, 1979, p.2). Ces organisations sont des éléments stables permettant le développement des actions militantes. Nous pouvons alors comparer ces organisations aux différents départements d’une entreprise. Chacune des organisations a une tâche précise, mais l’objectif est le même. Par exemple, l’organisation des droits civiques aux États-Unis est une organisation du mouvement social des droits de l’Homme.

L’ensemble de ces organisations est regroupé en une industrie du mouvement social. La taille de cette industrie du mouvement social conditionne le succès d’un mouvement social (Zald et McCarthy, 1980). Par analogie, les industries du mouvement social correspondent à toutes les entreprises proposant les mêmes produits. Une industrie du mouvement social est composée de plusieurs organisations ayant les mêmes objectifs (Zald et McCarthy, 1979). Par exemple,  l’organisation des droits civiques aux États-Unis et l’organisation afro-américaine des Black Panther font partie de la même industrie. Et enfin, à l’intérieur d’un pays, l’ensemble de ces industries constitue un secteur de mouvement social. Un secteur de mouvement social regroupe des industries antagonistes : « un secteur de mouvement social comprend toutes les industries du mouvement social d’une société, peu importe le mouvement social auquel elles sont attachées » (Zald et McCarthy, 1979, p.2). Par exemple, l’organisation des droits civiques aux États-Unis et l’organisation pour la suprématie des Blancs – le Ku Klux Klan – font partie du même secteur. Nous pouvons penser que les organisations du mouvement social appartenant à une même industrie travaillent en collaboration afin d’atteindre leurs objectifs. Cependant, McAdam, McCarthy et Zald (1996) montrent qu’il peut exister une forme de compétition entre ces organisations du mouvement social. Cette compétition engendre une lutte de pouvoir pour le contrôle des ressources, garantissant le succès ou le déclin de l’organisation (Zald et McCarthy, 1980).

Même si cette compétition ressemble étroitement à celle des entreprises, il arrive plus généralement que ces organisations du mouvement social coopèrent. Ces organisations du mouvement social peuvent avoir des tactiques distinctes, mais complémentaires. Chaque organisation apporte une contribution afin d’atteindre les objectifs du mouvement (Zald et McCarthy, 1987). Cette coopération peut également avoir lieu lorsque plusieurs organisations font face à une pression sociale externe qui menace leur existence. Dans ce sens, elles coopèrent afin de survivre (Zald et McCarthy, 1987). Elles coopèrent aussi lorsque les membres sont multi-engagés. Prenons pour exemple le mouvement social des droits de l’Homme aux États-Unis dans les années 1950. Celui-ci était composé de plusieurs organisations : la Conférence des dirigeants chrétiens du Sud, le Comité de coordination non violent des étudiants, le Congrès pour l’égalité des races, etc. L’ensemble de ces organisations avait le même objectif et formait alors une industrie – le mouvement social des droits civiques (Zald et McCarthy, 1997). À l’opposé, l’organisation pour la suprématie des blancs – le Ku Klux Klan – faisait partie d’une autre industrie de mouvement social. Mais toutes ces organisations constituaient un même secteur de mouvement social aux États-Unis dans les années 1950.

Synthèse et mise en perspective
En décrivant un mouvement social en plusieurs organisations, industries et secteurs, la théorie de la mobilisation des ressources met en exergue les caractéristiques organisationnelles des mouvements sociaux. Suivant la théorie de la mobilisation des ressources, nous pouvons imaginer qu’il existe un seul mouvement social anticonsumériste. Ce mouvement social est composé de plusieurs organisations du mouvement social. Nous pouvons citer comme organisations : les Objecteurs de Croissance ; les Déboulonneurs ; et l’Église de la Très Sainte Consommation. Le cinquième chapitre explique plus précisément les caractéristiques de ce mouvement social anticonsumériste.

Les opportunités politiques

La deuxième caractéristique analysée par les chercheurs de la théorie de la mobilisation des ressources concerne les processus politiques. Ces chercheurs s’intéressent à comprendre les opportunités et les contraintes politiques favorisant le développement des mouvements sociaux (McAdam, McCarthy et Zald, 1996). Ainsi, la théorie de la mobilisation des ressources relie les mouvements sociaux aux systèmes politiques. Ces chercheurs définissent l’État comme étant l’ennemi principal des mouvements sociaux (McAdam, 1996 ; McAdam, McCarthy et Zald, 1996 ; Tilly, 2004). Une action militante est liée à un mouvement social lorsque son objectif est d’apporter des changements dans la politique de l’État. Les structures politiques de la société sont considérées comme étant essentielles dans l’émergence et le développement d’un mouvement social. Au contraire, la culture est présentée comme étant secondaire dans l’analyse des actions militantes (McAdam, McCarthy et Zald, 1996). Le développement d’actions militantes est alors conditionné par des opportunités dans la structure institutionnelle étatique (Tilly, 1978 ; 2004) .

Quatre opportunités politiques permettent à un mouvement social de se développer dans une société. La première est l’accès au système politique (Tarrow, 1996). C’est la possibilité pour un mouvement social de participer à la vie et au débat politique (McAdam, McCarthy et Zald, 1996). L’accès au système politique, variant selon l’arène politique (Kitschelt, 1986), ne doit être ni total ni impossible (Eisinger, 1973). Par exemple, il sera plus facile pour un mouvement social d’avoir accès à la vie politique d’une ville qu’à celle d’un pays. La deuxième opportunité est l’instabilité des alignements politiques (Tarrow, 1996). Lorsqu’il y a une instabilité politique, les mouvements sociaux peuvent plus facilement influencer le système politique. Par exemple, lors d’une instabilité, les partis politiques conventionnels peuvent chercher le soutien de ces mouvements. La troisième opportunité est la possibilité d’avoir des alliés d’influence (Tarrow, 1996). Il est indispensable pour un mouvement social de faire appel à des acteurs politiques afin d’être efficace (Kitschelt, 1986). Ces alliés politiques aident le mouvement à avoir accès à certaines arènes politiques.

Enfin, la quatrième opportunité politique apparaît lors d’une division des élites au pouvoir (Tarrow, 1996). La contestation, créée par les actions militantes, engendre des discordances au sein des acteurs de pouvoir. Certains acteurs peuvent récupérer la contestation afin d’augmenter leur pouvoir. De plus, ces opportunités politiques ont un caractère international (Tarrow, 1996). À l’instar des multinationales, les mouvements sociaux ne sont plus géographiquement limités. On assiste à des coopérations entre les membres d’un même mouvement, mais de pays différents. Ces mouvements sociaux sont de plus en plus organisés de façon transnationale afin de répondre aux attentes de tous leurs membres. Par conséquent, les opportunités politiques d’un mouvement ne peuvent être analysées convenablement au regard du système politique d’un seul État (Keck et Sikkink, 1998 ; Tarrow, 1998). Il existe, aujourd’hui, des mouvements sociaux transnationaux et des opportunités politiques transnationales (Tarrow, 1998). La lutte au sein d’un État est transposée par les mouvements sociaux nationaux dans une structure politique transnationale (Keck et Sikkink, 1998). Dans cette structure transnationale, il existe des opportunités politiques plus favorables à l’atteinte des objectifs du mouvement (Tarrow, 1998). Autrement dit, la globalisation est responsable de la diminution des opportunités politiques nationales au profit des opportunités politiques transnationales. Cependant, les mouvements sociaux ont comme objectif d’apporter des changements politiques à l’échelle nationale. L’utilisation d’une structure politique transnationale n’est qu’un soutien pour amener les acteurs nationaux à modifier le système politique national. Il est à noter que certains auteurs mettent en avant la dimension culturelle des opportunités politiques. En effet, Gamson et Meyer (1996) différencient les opportunités à caractère institutionnel d’une part et ceux à caractère culturel d’autre part. La dimension culturelle des opportunités politiques regroupe des éléments comme la légitimité, le discours public, la classe sociale, etc. Cependant, cette dimension culturelle des opportunités politiques ne fait pas consensus au sein des tenants de la théorie de la mobilisation des ressources. Par exemple, McAdam (1996) ne prend en compte que l’aspect politique des opportunités.

Reprenons l’exemple de l’organisation des droits civiques aux États-Unis. Martin Luther King, l’un des symboles de cette organisation, s’est entretenu à de nombreuses reprises avec le Président Johnson. Ainsi, le leader du mouvement social avait accès au système politique en place. De plus, la médiatisation autour de King offrait une visibilité pour cette organisation militante. Ainsi, la lutte militante pour les droits civiques gagnait en popularité dans le monde. À la fois l’accès au système politique et la médiatisation mondiale ont joué un rôle essentiel dans le développement de cette organisation militante.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 : L’étude des actions militantes à travers la littérature sur les mouvements sociaux
Section 1. Aux origines de l’étude des mouvements sociaux : la théorie de la mobilisation des ressources
Sous-Section 1. Les structures de mobilisation
Sous-Section 2. Les opportunités politiques
Sous-Section 3. Les processus de cadrage
Section 2. L’impact culturel des actions militantes : la théorie des nouveaux mouvements sociaux
Sous-Section 1. Les nouveaux mouvements sociaux au cœur des sociétés postindustrielles : l’approche de Touraine
Sous-Section 2. Les nouveaux mouvements sociaux comme rempart face à la colonisation : l’approche d’Habermas
Sous-Section 3. Les nouveaux mouvements sociaux comme identité collective : l’approche de Melucci
Sous-section 4. Le point commun de ces trois approches
Section 3. Une interprétation des actions militantes par la « théorie contreculturelle »
Sous-Section 1. Les mouvements contre-culturels : une relation de récupération avec la culture marchande
Sous-Section 2. Les mouvements contre-culturels : une relation d’anti-structure avec la culture dominante
Sous-Section 3. Les mouvements contre-culturels : une relation de support avec la culture dominante
Section 4. Les mouvements sociaux : une analyse sous l’angle de la consommation
Sous-Section 1. La construction d’une identité collective au sein des mouvements de consommateurs
Sous-Section 2. La résistance au sein des mouvements de consommateurs
Sous-Section 3. L’idéologie au sein des mouvements de consommateurs
Conclusion du premier chapitre
Chapitre 2 : L’étude des actions militantes à travers le débat agence-structure
Section 1. Les actions militantes « encadrées » par le Marché
Sous-Section 1. Des institutions structurant les actions militantes
Sous-Section 2. Des schèmes marchands structurant les actions militantes
Sous-Section 3. Le Marché, un espace de positions structurant les actions militantes
Section 2. La créativité et la réflexivité comme source d’émancipation du Marché
Sous-Section 1. L’agence des militants : une « capacité créative »
Sous-Section 2. L’agence des militants : une « pratique réflexive »
Conclusion du deuxième chapitre
Chapitre 3 : Une compréhension de la coordination des individus par la théorie des conventions
Section 1. Définition d’une convention
Sous-Section 1. L’approche stratégique des conventions
Sous-Section 2. L’approche interprétative des conventions
Section 2. Le modèle des cités : un ensemble de conventions coordonnant les actions des individus
Sous-Section 1. Les caractéristiques des huit conventions
Sous-Section 2. La naissance de « disputes » entre les différentes conventions et la remise en cause de l’épreuve
Sous-Section 3. Les compromis pour le bien commun
Conclusion du troisième chapitre
Chapitre 4 : Positionnement épistémologique
Section 1. Un positionnement interprétativiste
Sous-section 1. Présentation du paradigme interprétativiste
Sous-section 2. Développement de l’approche interprétative en marketing
Section 2. Une approche épistémologique inspirée par la sociologie pragmatique de la critique
Sous-Section 1. La connaissance dans une approche critique
Sous-Section 2. La connaissance dans une approche pragmatique de la critique
Conclusion du quatrième chapitre
Chapitre 5 : Méthodologie de la recherche
Section 1. Une approche ethnographique comme première source de compréhension
Sous-section 1. Les fondements théoriques de notre méthodologie ethnographique
Sous-section 2. L’approche ethnographique en marketing
Sous-section 3. Notre immersion au sein d’un mouvement social anticonsumériste
Section 2. Une approche phénoménologique
Sous-section 1. Les fondements théoriques de l’entretien phénoménologique
Sous- Section 2. L’entretien phénoménologique en marketing
Sous-section 3. Le déroulement de nos entretiens
Section 3. Construction de notre échantillon
Sous-section 1. De la population à l’échantillon
Sous-section 2. La description de l’échantillon
Conclusion du cinquième chapitre
Conclusion générale

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