L’ESSENCE DE LA VÉRITÉ

L’ESSENCE DE LA VÉRITÉ

 « V o m W e s e n d e s G r u n d e s » (1929) : La transcendance et la liberté comme fondement de la possibilité interne de la vérité

En 1929, dans un essai intitulé « Vom Wesen des Grundes » 46, Heidegger reprend la question de la vérité là où le paragraphe 44 d’Être et Temps l’a laissée, et ce dans le cadre d’une recherche de ce qui est communément appelé « fondement » (Grund) ou « raison ». Cette étude présente une « destruction » de certaines thèses propres à l’idéalisme allemand, qui prétendent fonder la définition classique de l’essence de la vérité. Nous avons vu que la tradition philosophique enseigne que la vérité est dans le jugement ou encore dans l’énoncé, et que cette vérité consiste en l’adéquation du jugement à la chose jugée, de la connaissance à son objet. Une telle conception de la vérité laisse cependant échapper l’essentiel, en ce qu’elle ne rend pas compte du fondement même du jugement. En effet, pour que la connaissance puisse s’accorder convenablement à son objet, il faut que ce dernier soit lui-même accessible ; la vérité du jugement, ou plutôt sa prétention à la vérité, se fonde sur cette accessibilité – elle n’est donc pas elle-même cela qui fonde.
45 Ibid., p. 230; tr. fr. p. 169. 46 Wegmarken, [Vom Wesen des Grundes, 1929], GA 9, éd. Par F.-W. von Herrmann, 1976, 2004 ; tr. fr. H. Corbin, « Ce qui fait l’être-essentiel du fondement, ou ‘raison’’ », dans Question I et II, Paris, Gallimard, 1968, pp. 85-158. Nous citons chaque fois la traduction française, et nous donnons la pagination correspondant à cette traduction.Nous avons vu dans Être et Temps en quoi le fondement de la vérité-adéquation réside dans le Dasein : le Dasein, qui tire et maintient l’étant hors du retrait, le rend par le fait même accessible. La conférence de 1929 apporte un éclairage nouveau sur ce problème en montrant que la liberté, comprise au sens de la « transcendance » du Dasein, est le fondement de la possibilité de la vérité. Pour le comprendre, il s’agira de saisir dans son ensemble le mouvement de « Ce qui fait l’êtreessentiel du fondement », en faisant dans un premier temps ressortir comment Heidegger en vient aux questions de la transcendance et de la liberté, puis dans un second temps en examinant, au regard de la question de la vérité, la conception heideggérienne de la transcendance et la détermination de la liberté comme « liberté transcendantale ».

La reconduction de la vérité à son fondement : la distinction entre vérité ontique et vérité
ontologique

« Vom Wesen des Grundes » s’ouvre avec une reprise de la destruction de la conception traditionnelle de l’essence de la vérité comme adéquation, en le posant cette fois sous la perspective du problème du fondement. Dans la tradition métaphysique, le « fondement » est pensé à partir du « principe de raison » (Satz vom Grund), tel qu’on le retrouve chez Leibniz dans le traité des Primae Veritates. Le principe de raison, – qui soutient que « rien n’est sans raison » et conséquemment que « tout ce qui est a une raison » – « tire son origine de l’essence de la vérité », c’est-à-dire de la mise en relation de deux réalités sur la base d’un fondement en raison duquel elles peuvent être en relation.48 Il faut donc appréhender le problème du fondement à partir de la question de l’essence de la vérité, et demander quel est le fondement de la vérité propositionnelle :
La concordance du nexus avec l’existant, et par suite son propre accord, ne rendent point comme tels, en premier lieu, l’étant accessible. Il faut plutôt que celui-ci soit déjà manifesté comme « ce dont » est possible une détermination prédicative ; il faut donc qu’il le soit avant cette prédication et pour elle. Pour être possible, la prédication doit avoir son siège dans un acte de manifestation qui n’ait point lui-même un caractère prédicatif. La vérité de la proposition est enracinée dans une vérité (une mise à découvert) plus haute en origine, dans un état manifeste de l’étant qui est anté-prédicatif, et que nous appellerons vérité ontique.Comme dans Être et Temps, Heidegger reconduit ici la vérité de la proposition à une vérité plus haute en origine, à savoir celle de la manifestation de l’étant. Toutefois, le texte de 1929 est marqué par l’utilisation d’une nouvelle terminologie, signe d’un mouvement dans la pensée de Heidegger. La vérité plus haute en origine de la manifestation de l’étant est appelée « vérité ontique ». La vérité ontique vient désigner à la fois la vérité comme être-découvert (lorsqu’il est question de la vérité de l’étant subsistant ; i.e. les choses matérielles) et la vérité comme êtredécouvrant (lorsqu’il est question de la vérité du Dasein, en tant qu’il est l’étant qui a le pouvoir de découvrir et de dévoiler). Autrement dit, en tant que telle, la vérité ontique renvoie au « phénomène de la vérité » révélé par l’analyse de la vérité en 1927.
La vérité ontique n’est cependant pas la vérité la plus haute en origine : elle est en effet fondée dans ce que Heidegger appelle la « vérité ontologique », soit la compréhension d’être dans laquelle le Dasein se meut toujours nécessairement et à partir de laquelle il découvre l’étant qui lui fait encontre : « C’est seulement parce que l’être est dévoilé qu’il devient possible à l’étant de se manifester. Ce dévoilement, entendu comme vérité sur l’être, tel est ce que nous désignons du nom de vérité ontologique. »50 Ainsi, en tant que dévoilement de l’être dans lequel la révélation de l’étant par l’homme peut avoir lieu, la vérité ontologique apparait comme le fondement de la vérité ontique.
La vérité de la proposition présuppose donc la « vérité de l’étant », qui elle présuppose la « vérité de l’être ». La vérité ontique et la vérité ontologique sont intimement liées, en tant que la vérité de l’être est toujours la vérité de l’être de l’étant; de même, la vérité de l’étant implique toujours le dévoilement préalable de son être. Vérité ontique et vérité ontologique sont donc liées sur le fond de la différence entre l’être et l’étant, ce que Heidegger nomme « différence ontologique »51. Pour Heidegger, le retour à l’essence d’origine de la vérité dépend de l’ « éclosion » de cette différence.52 Cette éclosion est la marque distinctive du Dasein, en tant qu’il est capable de différencier entre l’être et l’étant. Ce « pouvoir-différencier » apparaît ainsi comme le fondement de la différence ontologique; c’est ce pouvoir que Heidegger désigne sous le nom de transcendance du Dasein. En conséquence, le problème de la transcendance doit être compris comme le problème de la possibilité interne de la vérité53, dans la mesure où sans elle, aucune différence ne pourrait être faite entre l’être et l’étant.

La question de la transcendance

En posant les bases du problème de la transcendance dans la différenciation entre l’être et l’étant, Heidegger va à contre-courant de la tradition métaphysique. Celle-ci comprend la transcendance au sens d’un « dépassement » de l’homme, hors de ses propres limites, vers un être « transcendant ». La transcendance se présente ainsi sous la forme d’une « ascension » vers un domaine d’être plus élevé. Cette ascension consiste par exemple pour l’homme à échapper à sa finitude en rejoignant un être parfait et infini54, qui serait la cause ou le fondement de l’étant fini. Heidegger, pour sa part, conserve l’idée d’un dépassement dans sa conception de la transcendance. Or celui-ci ne prend plus la forme d’une ascension vers la « cause » de l’étant qui se trouve par-delà l’étant, mais plutôt celle d’une descente au fondement même de la finitude caractéristique de l’homme. Comme le résume Pierre Thévenaz : « Il ne s’agira plus pour le philosophe de regarder ailleurs, de fuir vers l’au-delà, vers l’extérieur et le supérieur, mais de revenir vers l’intérieur et vers l’en-deçà. La démarche du dépassement s’annonce toujours comme une conversion, mais cette fois-ci, dans le sens d’un retour, d’une régression vers l’original et le fondement : métaphysique à rebours ou sorte de transdescendance. »La question est dès lors de savoir quelle forme prend ce dépassement vers « l’intérieur et l’endeçà ». Heidegger souligne pour commencer que l’idée même de « dépassement » permet déjà d’y distinguer trois éléments : un acte de dépasser, ce qui est dépassé, et ce vers quoi s’effectue le dépassement.56 Ces éléments forment le cadre dans lequel se déploie l’analyse de la transcendance dans « Vom Wesen des Grundes ».

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Table des matières

RÉSUMÉ
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
PARTIE I : LA THÈSE DE HEIDEGGER SUR L’ESSENCE DE LA VÉRITÉ
CHAPITRE I : LES ORIGINES DE LA THÈSE DE HEIDEGGER SUR L’ESSENCE DE LA VÉRITÉ DANS S EIN UND Z EIT (1927) ET « V OM W ESEN DES G RUNDES » (1929)
A. Être et Temps : la destruction du concept traditionnel de vérité
1.1. Premier mouvement : la définition classique de la vérité et sa « destruction »
1.2. De saint Thomas à Husserl : de la vérité-adéquation à la vérité comme être-découvrant
1.3. De Husserl à Aristote : les origines grecques de la vérité-découvrement
1.4. Le phénomène le plus originaire de la vérité
2. Second mouvement : comment la vérité plus originaire fonde par voie de dérivation le concept traditionnel de vérité
3. La fin du paragraphe 44 d’Être et Temps : vérité, être et Dasein
B. « Vom Wesen des Grundes » (1929) : La transcendance et la liberté comme fondement de la possibilité interne de la vérité
1. La reconduction de la vérité à son fondement : la distinction entre vérité ontique et vérité ontologique
2. La question de la transcendance
3. La liberté transcendantale comme « liberté-jetée » ou « nécessité comprise »
4. Le fondement (Grund) du principe de raison : l’abîme (Ab-grund) de l’être de l’homme
5. L’essence du fondement et la question de l’essence de la vérité
CHAPITRE II : « V OM W ESEN DER W AHRHEIT » (1930)
A. La méditation sur l’essence originaire de la vérité
1.1. La liberté comme essence de la vérité. (§§ 1-3)
1.2. Une nouvelle détermination de la liberté (§§4-9)
2. La coappartenance et la co-originarité de la vérité et de la non-vérité
3. La non-vérité comme « secret » (das Geheimnis)
4. La non-vérité comme errance : la trame de fond de l’existence humaine
B. Vérité, non-vérité et histoire
1. Le questionnement authentiquement philosophique comme origine de l’histoire
2. Le fil d’Ariane de l’histoire de la métaphysique : l’oubli de l’être. Le dépassement de la métaphysique.
3. Vérité, non-vérité et histoire : une coappartenance essentielle
PARTIE II : LE DÉVELOPPEMENT DE LA THÈSE SUR L’ESSENCE DE LA VÉRITÉ AU FIL D’UNE INTERPRÉTATION CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE PLATONICIENNE
CHAPITRE III : LA QUESTION DE L’ESSENCE DE LA VÉRITÉ DANS LES INTERPRÉTATIONS HEIDEGGÉRIENNES DE L’ALLÉGORIE DE LA CAVERNE
A. Platon, l’essence de la vérité et l’histoire
1. La différence de perspective qui distingue les interprétations heideggériennes de Platon
2. Le double-rôle de Platon dans l’histoire de la pensée
3. Le problème interprétatif que pose la différence entre les diverses interprétations de Platon
B. L’interprétation heideggérienne de l’allégorie de la caverne dans les cours sur l’essence de la vérité (WS 1931-32; WS 1933-34)
1. Distinction et relation entre le thème explicite et le thème implicite principal de l’allégorie ; interprétation de la phrase introductive du mythe (514a1)
2.1. Le premier stade : le règne des ombres
2.2. Le deuxième stade : le règne du feu
2.3. Le troisième stade : la libération [vers la lumière]
2.3.1. Heidegger et la détermination platonicienne de l’être comme « idea » : le nouveau départ pour le problème de l’Idée
2.3.2. L’interprétation heideggérienne de l’analogie du Soleil (République, VI, 506-511) et le caractère aporétique de l’Idée du Bien.
2.4. Le quatrième stade de l’allégorie : le retour aux ombres après l’accoutumance à la lumière
2.5. Récapitulation de l’interprétation de l’allégorie de la caverne dans les cours sur l’essence de la vérité entre 1931 et 1934
C. L’interprétation heideggérienne de l’allégorie de la caverne dans « La doctrine de Platon sur la vérité » (1940)
1. La transformation de la paideia
2. La transformation de l’idea
3. La transformation de l’idea tou agathou
4. Résumé des différences entre les cours (1931-1934) et l’essai (1940)
D. Explication des différences entre les interprétations heideggériennes de l’allégorie de la caverne et mise au jour de leur complémentarité
1.Motif des différences de l’interprétation de 1940
2. La complémentarité des lectures heideggériennes de l’allégorie de la caverne
CHAPITRE IV : HEIDEGGER ET LA QUESTION DE L’ESSENCE DE LA NON-VÉRITÉ DANS LE T HÉÉTÈTE ET LE « MYTHE D’ER » DE PLATON
A. L’interprétation heideggérienne du Théétète : la détermination négative de l’essence de la non-vérité en tant que « pseudos »
1. Les raisons et l’objectif de l’interprétation du Théétète
2.1. La question directrice du Théétète de Platon
2.2. La réponse implicite à la question directrice du Théétète dans la discussion au sujet de la perception
2.2.1. La double-détermination de la psyché
2.2.2. L’aspiration à l’être comme fondement du rapport de l’homme à l’étant
3. L’apparition du problème de la non-vérité dans le Théétète de Platon dans le cadre de l’analyse du phénomène de la « pseudes doxa »
3.1. La recherche préliminaire : le caractère aporétique de la « pseudes doxa »
3.2. La recherche principale : l’essence de la doxa comme « bifurcation »
3.3. La conclusion de l’interprétation heideggérienne du Théétète : le chemin de Platon vers l’essence de la non-vérité
B. L’interprétation heideggérienne du « mythe d’Er » ( République, X, 614 b – 621 b) : la détermination positive du problème de la non-vérité en tant que « léthé »
1. La réinterprétation de « to pseudos » dans le cours sur Parménide de 1942
2.1. Analyse préliminaire de la « léthé » : une lecture de Pindare
2.2. Remarques sur le contexte du « mythe d’Er » : la « polis » et la « dikaiosunè »
3.1. L’interprétation du « mythe d’Er ». Remarque sur la méthode de Heidegger
3.2. La lecture du mythe d’Er (I) : psyché et daimonion (République, X, 614 b-c)
3.3. La lecture du mythe d’Er (II) : anamnèsis et phronèsis (République, X, 621 a-c)
3.3.1. La plaine de la léthé : un lieu éminemment démonique
3.3.2. La consommation de l’eau du Sans-Souci : le signe de l’intimité de l’homme et de la nonvérité
3.3.3.1. La responsabilité de l’homme de sauvegarder l’alèthéia en conservant la léthé : anamnèsis
3.3.3.2. La phronèsis et la philosophie : de la « recherche » à l’« accueil » de la vérité
C. Retour sur l’évolution de la pensée de Heidegger
CONCLUSION
HEIDEGGER ET PLATON, LA VÉRITÉ ET LA PHILOSOPHIE
1. Rappel des résultats de la recherche
2. La pratique philosophique et la question de l’interprétation
BIBLIOGRAPHIE

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