Les troubles cognitifs dans la schizophrenie

LES TROUBLES COGNITIFS DANS LA SCHIZOPHRENIE 

La schizophrénie est une maladie mentale qui affecterait entre 0,3 et 0,7% de la population à un moment donné de la vie (Van Os & Kapur, 2009). En 2011, selon l’OMS, elle touche 24 millions de personnes à travers le monde et le nombre de nouveaux cas par an dans une population donnée a été estimé à 15,2 pour 100 000 habitants par an (McGrath et al., 2008). Il s’agit d’une maladie chronique dont l’évolution est marquée par une perte plus ou moins importante de l’intégration dans la vie quotidienne. Ce handicap responsable d’une marginalisation est d’autant plus préoccupant que la schizophrénie touche une population jeune. Elle se caractérise par un syndrome délirant parfois marqué par la présence d’hallucinations, par un syndrome dissociatif défini comme une désorganisation psychomotrice, par un retrait autistique caractérisé par un repli social, mais également par des troubles cognitifs. Ces derniers se traduisent sur le plan clinique par des difficultés attentionnelles, de concentration, d’apprentissage, de mémorisation et des difficultés à manipuler les raisonnements abstraits (Thomas, 2009).

Altération hétérogène des fonctions cognitives

Le modèle neurocognitif de la schizophrénie : un concept récent ?
Il est aujourd’hui largement admis que la schizophrénie peut être définie comme un trouble neurobiologique accompagné de déficits neurocognitifs (Dickinson et al., 2007; Keshavan et al., 2008; Schaefer et al., 2013). Or, ce modèle a connu une lente évolution .

Kraeplin a été le premier à évoquer une conception neurobiologique de ce trouble, qu’il nommait alors « dementia praecox ». Cependant, dans son édition de 1913, il admettait aussi l’hypothèse que cette maladie puisse être aussi bien d’origine biologique que d’origine psychosociale. L’évocation d’une cause multi-factorielle de la schizophrénie était alors une anticipation des modèles neuro-développementaux actuels. Ses travaux l’ont amené à suggérer que certaines régions cérébrales seraient préférentiellement atteintes par la maladie, pouvant expliquer le dysfonctionnement de mécanismes psychiques. A partir de ces remarques, il acceptait que la « dementia praecox » puisse avoir comme trouble ce que nous appellerions aujourd’hui trouble des fonctions exécutives. Malgré ces premières hypothèses d’un modèle neurobiologique de la schizophrénie, le XXème siècle est en grande partie marqué par une opposition entre les modèles psychogène (ou fonctionnel) et biologique (ou organique) de la schizophrénie. Goldstein, un des précurseurs de la neuropsychologie et de l’utilisation de tests psychométriques, ne défendait pas, dans ses premiers écrits en 1938, les origines neurobiologiques, mais plutôt psychologiques, de ce qu’il décrivait comme une déficience « des comportements abstraits » (Bolles & Goldstein, 1938). C’est à la fin du XXème siècle, que la neuropsychologie a commencé à s’affirmer, en définissant la schizophrénie comme un trouble du cerveau, permettant d’éloigner peu à peu les modèles purement psychogènes de la schizophrénie et des autres maladies mentales (Levin  et al., 1989). Frith parle de schizophrénie en tant que pathologie de la méta-représentation. II propose ainsi un modèle neuropsychologique dans lequel les manifestations cliniques décrites dans la schizophrénie seraient les conséquences de mécanismes cognitifs déficitaires témoins d’un mauvais fonctionnement de certaines régions du cerveau (Frith et al., 1992). Il regroupe les manifestations cliniques en 3 syndromes : les troubles du langage et de la communication, les hallucinations et les délires, les troubles du comportement, et explique chacun de ces syndromes par une altération des fonctions cognitives. Par exemple, il classe la symptomatologie négative parmi les troubles du comportement et l’explique par un défaut d’initiation volontaire, secondaire à un mauvais fonctionnement du Système Attentionnel de Supervision, décrit par Shallice en 1988 (Shallice, 1988). Les patients ne seraient ainsi plus capables de bloquer les réponses à des stimuli non pertinents expliquant l’incohérence et la chute de performances attentionnelles (Frith, 1992). Ces descriptions ont été complétées par Andreasen et al. en 1998, qui proposent un modèle de « dysmétrie cognitive » (Andreasen et al., 1998). Ce modèle se base sur l’intervention de différents facteurs étiologiques (psychologiques, génétiques, viraux, …) ayant une influence sur le développement du cerveau (organisation neuronale, apoptose, genèse de synapses, …) et entraînant une rupture anatomique et fonctionnelle des connexions et de l’activité neuronale. Ainsi, l’hétérogénéité symptomatologique de la maladie serait secondaire à un trouble cognitif commun porté par des altérations des circuits neuronaux. Il précise ainsi que cette dysconnectivité neuronale (reliant des fonctions cognitives de haut et de bas niveau) touchant la boucle régulatrice reliant le cortex cérébral au cervelet via le thalamus (circuit cortico-cérébello-thalamo-cortical) provoquerait un déficit des principales fonctions cognitives.

L’étendue des troubles cognitifs dans la schizophrénie :

Comme nous l’avons vu, l’intérêt pour les troubles cognitifs dans la schizophrénie s’est largement accru ces dernières années avec l’essor des neurosciences. L’altération des fonctions cognitives occupe ainsi une place centrale lorsqu’on se réfère aux descriptions concernant la schizophrénie. On ne retrouve cependant pas les troubles cognitifs dans les critères diagnostiques actuels de la schizophrénie, ils sont absents de la CIM-10 et sont uniquement mentionnés dans les « caractéristiques et troubles associés » dans le DSM IV (American Psychiatric Association, 1994). De même, l’altération cognitive n’a pas été retenue dans les symptômes centraux de la schizophrénie dans le DSM V (American Psychiatric Association, 2013). Cette absence au sein des critères diagnostiques peut paraître surprenante car, même si un certain nombre de patients conservent des performances normales, les troubles cognitifs sont fréquents et sévères dans la schizophrénie. Une méta-analyse montre que 61 à 78% des patients présentaient des scores inférieurs à la médiane des sujets contrôles sur l’ensemble des tests cognitifs (Heinrichs & Zakzanis, 1998). Au vu de l’étendue de la littérature sur les troubles cognitifs dans la schizophrénie, plusieurs méta-analyses ont pu être réalisées. Parmi elles, certaines rapportent les résultats d’études comparant les performances entre des sujets sains et des patients atteints de schizophrénie lors de tests neuropsychologiques (Dickinson et al., 2007; Fioravanti et al., 2005; MesholamGately et al., 2009; Schaefer et al., 2013). Ces méta-analyses mettent en évidence que la schizophrénie est caractérisée par des déficits neurocognitifs pour la plupart des grands domaines cognitifs. Ainsi, les travaux de Dickinson et al., en 2007, rassemblent plusieurs mesures neurocognitives réalisées chez des patients atteints de schizophrénie. L’objectif de cette méta-analyse était de comparer la rapidité de traitement de l’information, à différentes mesures neurocognitives. Il est mis en évidence un effet significatif dans des domaines comme la mémoire épisodique, la mémoire de travail, le fonctionnement exécutif, l’attention sélective, la vitesse motrice, la fluence verbale, l’intelligence verbale et la résolution de problèmes perceptifs. La taille d’effet de Cohen est pour l’ensemble de ces mesures de d=0,98, soit un large effet ( Cohen, 1988), avec une variation des tailles d’effet entre 0,59 et 1,57. La taille de l’effet pour l’ensemble des mesures cognitives a été confirmée par une autre méta-analyse (d=1,02), reprenant les études sur une période de 2006 à 2012 (Schaefer et al., 2013) corroborant ainsi l’hypothèse d’un trouble cognitif généralisé.

D’autres travaux se sont focalisés sur la présence de troubles cognitifs chez des patients présentant un premier épisode psychotique (Mesholam-Gately et al., 2009). Les résultats révélaient des tailles d’effet allant de 0,64 à 1,20 (soit d’un effet moyen à un effet large) et ceux pour des domaines comme la mémoire verbale immédiate et la vitesse de traitement de l’information. Il est important de préciser que ces résultats sont de même ordre de grandeur que ceux constatés dans les méta-analyses s’intéressant à des patients plus avancés dans la maladie.

Lien entre profil neuropsychologique et intensité des troubles

Si les troubles cognitifs sont fréquents dans la schizophrénie, peut-on en conclure que tous les patients atteints de schizophrénie ont des déficits cognitifs ? Des études récentes montrent que certains patients auraient un profil neuropsychologique normal. Ainsi Palmer et al., en 2009, montrent que 27,5% des patients, testés par des procédures d’évaluation clinique validées, ont un profil neuropsychologique normal (Palmer et al., 1997). De même Kremen et al. montrent, en utilisant des procédures semblables, que 22,7% des patients sont dans les limites de la normale sur le plan neuropsychologique (Kremen et al., 2000) .

Cependant, certains auteurs critiquent la notion de « profil psychologique normal » en affirmant que ceci n’est pas synonyme de « profil psychologique non affecté » (Kremen et al., 2000). Ces remarques ont pour point de départ quelques études montrant que les patients peuvent avoir des meilleures performances à des tests cognitifs que les sujets sains (Wilk et al., 2005). Il est alors suggéré que ces patients aient pu subir un déclin des fonctions cognitives qui, dans un premier temps, étaient d’un niveau supérieur. Ainsi, au regard de ces profils, des associations entre la sévérité des troubles cognitifs et les symptômes psychopathologiques ont été recherchées. Il apparaît que cette association soit faible mais significative en ce qui concerne les symptômes négatifs, et qu’elle soit non significative en ce qui concerne les symptômes positifs (Palmer et al., 2009; Dominguez et al., 2009). Ceci permet de conclure que la présence de troubles cognitifs n’est pas une simple conséquence de l’intensité de la maladie et ainsi que l’hétérogénéité des troubles cognitifs ne peut être expliquée par cette variable. Dans ce sens, Schaefer et al ne trouvent pas de lien entre les troubles cognitifs et les mesures de symptômes (Schaefer et al., 2013). Ils mettent néanmoins en évidence, que les études avec un haut pourcentage d’hommes rapportent des tailles d’effet plus larges. Même si la taille d’effet pour l’ensemble des troubles cognitifs semble stable sur les 30 dernières années, il existe une hétérogénéité entre les résultats des différentes études (Fioravanti et al., 2005). Cette méta-analyse regroupant 113 publications confirme cette hétérogénéité en mettant en avant des disparités concernant les caractéristiques des patients recrutés et la variabilité des tableaux cliniques de la schizophrénie. Face à ces résultats, certains auteurs ont tenté de définir des sous-groupes de patients en fonction de leur profil neuropsychologique (Allen et al., 1998; Goldstein et al., 1998; Heinrichs & Awad, 1993; Seaton et al., 1999). Or, la constitution de ces sous-groupes est remise en question par le fait qu’il n’existe pas de critères communs concernant le recrutement des patients au sein de toutes les études.

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Table des matières

INTRODUCTION
SECTION BIBLIOGRAPHIQUE
1. LES TROUBLES COGNITIFS DANS LA SCHIZOPHRENIE
1.1. Altération hétérogène des fonctions cognitives
a. Le modèle neurocognitif de la schizophrénie : un concept récent ?
b. L’étendue des troubles cognitifs dans la schizophrénie
c. Lien entre profil neuropsychologique et intensité des troubles
d. Evolution des troubles cognitifs dans la schizophrénie
e. Prise en charge des troubles cognitifs
f. Conséquences des troubles cognitifs sur le fonctionnement quotidien
g. Le problème du déficit cognitif généralisé
1.2. Le concept de saillance
1.3. Sélection de l’information pertinente dans la schizophrénie
a. Modèles théoriques
b. Modèles expérimentaux : le paradigme de recherche visuelle
c. Distractibilité et schizophrénie lors de tâches de recherche visuelle
d. L’apparition soudaine d’une d’information
2. L’EXPLORATION VISUELLE
2.1. Que voit-on ?
2.2. Que mesure l’oculomètre ?
2.3. Exploration visuelle et enregistrement des mouvements oculaires
2.4. Comment se définit une stratégie d’exploration ?
2.5. Enregistrement de mouvements oculaires lors de taches comportementales ?
2.6. Anomalies de l’exploration visuelle dans la schizophrénie ?
3. LA CECITE AU CHANGEMENT
3.1. Définition du paradigme de cécité au changement
3.2. Théories explicatives
3.3. Facteurs expérimentaux modulant l’effet
3.4. Intérêt du paradigme
4. PROBLEMATIQUE ET OBJECTIFS DE LA SECTION EXPERIMENTALE
4.1. Mesure de l’impact des saillances cognitive et émotionnelle sur l’exploration visuelle dans des conditions proches des conditions écologiques
4.2. Montrer l’intérêt d’une mesure explicite et implicite des réponses
SECTION EXPERIMENTALE
ETUDE 1 : IMPACT DE FACTEURS EXPERIMENTAUX MODULANT L’EFFET DE CECITE AU CHANGEMENT
EXPERIENCE 1 : Influence de l’amplitude des changements sur la cécité au changement chez des sujets sains
1. INTRODUCTION
2. METHODE
3. RESULTATS
4. DISCUSSION
EXPERIENCE 2 : Influence de l’impact émotionnel des changements sur la cécité au changement chez des sujets sains
1. INTRODUCTION
2. METHODE
3. RESULTATS
4. DISCUSSION
ETUDE 2 : IMPACT DE LA SAILLANCE COGNITIVE SUR L’EXPLORATION VISUELLE DANS LA SCHIZOPHRENIE
1. INTRODUCTION
2. METHODE
3. RESULTATS
4. DISCUSSION
ETUDE 3 : IMPACT DE LA SAILLANCE EMOTIONNELLE SUR L’EXPLORATION VISUELLE DANS LA SCHIZOPHRENIE
1. INTRODUCTION
2. METHODE
3. RESULTATS
4. DISCUSSION
DISCUSSION GENERALE
Synthèse des recherches effectuées
Limites des recherches effectuées
Implications théoriques
Une surprenante dissociation de résultats en condition neutre
Cette dissociation résiste-t-elle à une charge émotionnelle ?
Un temps de réponse moteur plus long : un biais décisionnel ? Un effet du traitement?
Un déficit d’accès à la conscience ?
Quelles explications donner aux anomalies de l’exploration visuelle ?
Perspectives
Quel est l’impact de la saillance émotionnelle et cognitive dans l’état de stress post traumatique ?
Résultat d’une étude préliminaire.
Quelles sont les particularités d’exploration visuelle de patients atteints d’autres pathologies
psychiatriques comme les troubles thymiques ou les troubles envahissants du développement ?
Est-il possible d’apporter une preuve anatomo-fonctionnelle des structures impliquées
dans le déficit du traitement de l’information pertinente ou émotionnelle ?
Serait-il possible de proposer un paradigme expérimental se rapprochant
davantage des conditions naturelles d’exploration ?
Quelles pistes d’intervention thérapeutique peuvent apporter ces résultats en pratique clinique ?
CONCLUSION
REFERENCES
ANNEXES

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