Les trains sous l’eau prennent ils encore des passagers ?

Itinéraires

   Le paquet de réglisse aux trois quarts plein gît dans la poubelle de la cuisine. En dessous, une boîte de muffins commerciaux, le pot de ketchup vert, un sac de fromage en grains. Vides. Un travail d’osre. Elle est assise à la table de la cuisine, immobile, le regard fixe. Le mieux serait de respirer lentement, de tenter de prévenir une autre crise. Elle calcule. Dresse mentalement l’ inventaire des dégâts. Elle se lève brusquement, ouvre les armoires sous l’évier. Attrape la bouteille d’eau de Javel, la vide dans la poubelle. Au moins, elle ne terminera pas la réglisse. Elle sort dans I’automne, pieds nus, pour jeter le sac, mais rentre aussitôt. L’hiver approche, il y aura bientôt de la neige. Elle tousse. La maison vide ne lui renvoie pas d’écho. Même le chat reste couché sur sa chaise, endormi. Elle verse de la nourriture sèche dans son bol, en espérant le réveiller. L’odeur lui donne un haut le cæur qu’elle ne peut réprimer. Elle court vers la salle de bain. Elle vomit. Actionne la chasse. Ouvre la porte de la pharmacie, évitant ainsi de se croiser dans le miroir. Se rince la bouche avec du désinfectant. Le soleil perce à travers les rideaux. Elle ouvre les yeux, tend une main pour déprogrammer le réveil matin avant qu’il ne sonne. Dès qu’elle s’extirpe des couvertures, le poil se dresse sur ses bras maigres. Elle atlrape un chandail de laine dans une pile de vêtements pêle-mêle et I’enfile par-dessus son pyjama. Se rend à la cuisine, avale un veffe d’eau tiède en regardant par la fenêtre. Le thermomètre indique moins quatre degrés. Ses parents dorment encore. Elle leur écrit un mot : << partie courir, rentre bientôt >, et retourne dans sa chambre mettre un pantalon de jogging et des bas. Elle garde le haut du pyjama, caché sous l’épais chandail. Ramasse au passage, sur sa table de chevet, un calepin. Y note la date et I’heure avant de le glisser dans sa poche. Elle choisit d’emprunter le chemin qui passe derrière l’église et conduit à la mer. Cinq kilomètres, si elle coupe à travers champs. Avec son frère aîné. elle a tracé des itinéraires en mesurant les distances avec I’odomètre de leurs vélos. L’aller-retour au centre communautaire, six kilomètres et demi. À la station-service, à peine plus de deux. Au bureau de poste, par le raccourci, trois kilomètres; en faisant un détour le long de la rivière, quatre et trois quarts. Déjà cinq ans de cela. Bruno eu le temps de s’en aller, mais elle, elle parcourt encore les mêmes sentiers, jour aprèsjour. Parfois, pour se distraire, elle s’imagine traverser dans une seconde ligne de vie. Une autre existence, avec un double d’elle-même aux choix et atx expériences differentes. Et si elle avait proposé à son frère d’étendre leur entreprise à tout le village? Puis, à la région, et au pays? Bruno await accepté. Ils auraient parcouru des milliers de kilomètres. Tout cartographié : les montagnes, les cours d’eau, mais aussi les bâtiments et les jardins communautaires. Ils ne seraient revenus au village qu’après avoir visité chaque recoin de chaque route, sur chaque continent (voir rapport-gratuit.com).

Miroirs

   Marie-Eve ouvre les yeux, sans pourtant arriver à voir tout de suite, aveuglée par la lumière vive du soleil. Tout autour semble trop blanc, trop cru. Elle ne reconnaît pas I’endroit. On l’y a laissée nue. Un frisson la traverse. Il n’y a pas de vent, mais I’air est frais et sa peau couverte de sueur. Elle se redresse sur les coudes. Crache à côté d’elle, pour chasser de sa bouche le goût acide d’un reflux gastrique. Lentement, ses yeux s’adaptent à l’éclairage. Elle distingue les contours d’une large barricade qui l’encercle. Une sorte de carton-pâte blanchi à la chaux. Haute de presque deux mètres. Marie-Ève se lève, regarde autour. Il ne semble y avoir qu’une seule sortie, derrière elle. Un espace à peine plus large qu’une porte, percé dans le mur. Ses membres sont douloureux, son cou bouge péniblement. Ses paumes sont striées d’égratignures. Le sol de terre battue est jonché de gravier et de brindilles. Elle s’avance vers l’ouvertute. De I’autre côté. un couloir. Elle cherche ses clefs d’appartement dans ses poches et dans son sac. Revient sur ses pas, arpente le trottoir. Sans succès. Elle fouille dans son sac une nouvelle fois. Pousse un juron bien sonore. Sur le trottoir d’en face, un homme se retourne vers elle et la dévisage. Marie-Ève lui envoie un sourire forcé qui frôle la grimace, hésite un moment, puis se résigne à se rendre chez Claudia, où elle garde sa clef de secours. De son cellulaire, elle appelle un taxi. Le chauffeur lui est étrangement familier. Il I’a peut-être déjà reconduite, plus tard dans la nuit, à la fermeture d’un bar du centre-ville. Elle donne l’adresse. L’homme n’engage pas la conversation. Elle a probablement oublié ses clefs chez Hugo, ce matin. Il les trouvera et les posera sur le bord du comptoir, à côté du bol de fruits où elle a volé une banane en partant. Il attendra qu’elle vienne les chercher. Quand il comprendra qu’elle n’a jamais eu f intention de le revoir, elle aura déjà changé les semrres de son appartement. Chaque coup de bqss drum la frappe au corps. Dans l’éclairage inéaliste des btacklights, elle se dirige vers la piste de danse. Claudia est assise à une table avec un homme de dix ans son aîné, un Anglais au front déjà un peu dégami. Elle vient de le rencontrer. I1 lui offre à boire, même si /es bières ici sont pas aussi bons que les nôtres qu’ on brew dans I’Angleterre. Sur la piste étroite, les corps se touchent, les yeux lorgnent les décolletés et les cuisses exposées. Marie-Ève sent la chaleur d’un torse contre ses omoplates. Elle recule à peine, sans arêter de danser. Une main frôle sa taille. Marie-Ève se retoume face à l’homme. Mi-vingtaine, carré d’épaules, peut-être cinq pieds dix, cinq pieds onze. Il dit quelque chose. Pointe une table libre. Marie-Ève entend mal, la musique est trop forte. Il faut lire sur ses lèvres veux-tu aller t’asseoir? Elle acquiesce. I1 s’appelle Frédérick. Il offre une pinte. Il affirme avoir obtenu l’emploi pour lequel il avait postulé. Une firme d’avocats. Difficile d’entrer. Un bon salaire. De quoi fêter. Il offre une seconde pinte. Il la trouve jolie. C’est quoi, déjà, cette chanson-là? Il joue distraitement avec son sous-verre, la complimente au sujet de ses cheveux. Il commande des shooters. Claudia annonce qu’elle s’en va, montre la porte, où l’Anglais l’attend. Frédérick cherche ses mots. Manque d’assurance, pour un avocat. I1 n’a pas I’habitude d’inviter des femmes chez lui. Marie-Ève sourit gentiment devant sa maladresse. Elle lui propose de partir aussi. Frédérick accepte, visiblement soulagé qu’elle ait pris les devants. Son appartement est à quelques blocs à peine, au deuxième étage. Marie Ève met du temps à monter, coince sans cesse son talon aiguille dans les caneaux métalliques de I’escalier colimaçon. Frédérick lui tient la main, I’aide à reprendre son équilibre. À I’intérieur, il lui ofhe un cafe, une autre bière, un porto, peut-être, ou plutôt un verre d’eau, un jus, une crème de menthe? Elle refuse. Ivre, elle attrape sa chemise, le tire vers lui,I’embrasse dans le cou. Lui chuchote à I’oreille ce dont elle a envie. Excité, Frédérick la soulève et appuie son dos contre la porte d’entrée. Marie-Ève enseffe sa taille avec ses jambes.

Pièces détachées

   Les cheveux bruns. Rien d’acajou ou de châtain, mais brun presque noir, chocolat. Pour qu’on veuille y goûter. Roxane, penchée sur sa toile, trace le bord d’une lèvre rose et délicate, une oreille, un sourcil. Le bébé parfait. Sa main, d’abord malhabile, a appris avec les semaines. À chaque nouveau portrait, l’enfant devient plus beau, plus pur; il dépasse peu à peu le réelo rappelle un ange. Roxane n’a pas quitté la pièce depuis six jours. Elle a terminé la boîte de Honeycomb la veille au matin et depuis, elle jeûne. Sa création l’hypnotise. Un mobile coloré composé de petits avions de bois joue et rejoue une comptine de La mélodie du bonheur. Les paroles sont imprégnées dans I’esprit de Roxane, et s’échappent d’entre ses lèvres sans qu’elle s’en aperçoive. Do, le do, il a bon dos, ré, rayon de soleil d’or… Sa chanson s’interrompt: dans la pièce d’à côté, le téléphone sonne. Un coup, puis deux, puis trois. Roxane s’est figée. La sonnerie s’arrête enfin. Les minutes s’écoulent dans le quasi-silence. Seul le mobile laisse échapper sa comptine. L’acrylique cornmence à sécher au bout du pinceau. C’était peut-être Vincent, qui voulait des nouvelles? Peu importe, Roxane ne répondra pas. Elle ferme les yeux, inspire pour se calmer. Sa main blanche glisse sur la table de travail, à côté d’elle, pour trouver le bocal d’eau tiède où elle a I’habitude de rincer ses pinceaux. L’instrument touche la surface dans un clapotis presque inaudible. Vincent… Elle ne lui a pas parlé depuis déjà plus de deux mois. Elle a d’abord cru que c’étalt le coup de I’impulsion, qu’il finirait par lui pardonner. Mais jamais il n’a reparu. Tant pis. Roxane se lève, replace son banc. Elle pose la toile inachevée avec les autres. Le bébé pafiart, en pièces détachées. Ici, sur un tableau, une main solide qui agrippe un petit doig! là, sur un autre, un visage de poupon aux joues douces et chaudes. Vincent aurait fini par l’aimer, cet enfant. Au lieu de ça, il a préféré… Roxane sort une toile vierge et de nouveaux pinceaux. Tente une fois encore de lui donner forme. Ça se peut pas, un bébé parfait. La ritournelle de Vincent qu’on croirait préenregistrée. Un bébë, ça pisse, ça te vomit dessus, pis après ça chiale pour avoir ton héritage avant le temps. Je vis bien sans ça. Roxane qui pleure, explique, détoume, invente. L’obstination sans faille de I’homme. Elle se revoit. Elle se réveille avec le soleil qui entre dans la chambre. C’est un samedi, elle est en congé. Elle a trente ans ce matin. Vincent a oublié, il ne pense qu’à faire I’amour avec elle. Déjà, sa main s’aventure sur le corps de Roxane, caresse son sein, sa cuisse. Elle gémit un peu, feint d’y prendre plaisir. Quand il se lève pour se doucher, elle reste étendue dans le lit, l’écoute chantonner à travers le bruit de I’eau qui coule. Il met du temps. Roxane se lève, prépare le déjeuner. En sortant pour aller travailler, Vincent s’arrête un instant et se retourne, l’air désolé :
– I’ai failli oublier. .. Bonne Ëte, mon amour. On fttera ça à soir. Roxane regarde àlatélé, toute seule, les dessins animés destinés aux enfants. Trente ans. Elle n’arrive pas à détacher son regard des publicités de jouets, des personnages animés et des couleurs vives qui emplissent l’écran. Elle s’est versé un verre de lait. Mange les biscuits Oréo directement de la boîte, toujours devant les dessins animés. Un lion et une girafe se sont aventurés hors du zoo et cachés chez un petit garçon. I1 faut les aider à prendre un bateau pour retourner chez eux. Roxane est hypnotisée. Elle a sorti d’un tiroir de la table de nuit tous les paquets de condoms. Un à un, dans un coin, ou sous un angle plus discret, elle les perce avec une aiguille. À h télé, le petit garçon dit au revoir à ses nouveaux amis. Roxane replace son matériel de couture dans le haut de I’armoire, saisit son étui à cosmétiques, où elle garde ses anowlants. De l’ongle, elle appuie sur le petit compartiment de la journée, pour en sortir le contraceptif, qu’elle pose dans le creux de sa main gauche. Un nouveau film commence sur le canal pour enfants. Roxane lève le son. Elle se rend à la cuisine, laisse tomber dans l’évier la pilule bleutée, I’arrose d’eau tiède. Avec un sourire, elle tire la porte du réfrigérateur, se ressert un veffe de lait, sort des æufs. Pour faire un gâteau. I1 y a bien plus que son anniversaire à fêter.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
INTRODUCTION GÉNÉRALE
VOLET CRÉATION
LES TRAINS SOUS L’EAU PRENNENT ILS ENCORE DES PASSAGERS?
VOLET RÉFLEXION
INTRODUCTION
CHAPITRE UN : ESPACES EN MORCEAUX
CHAPITRE DEUX : FRAGMENTATION FORMELLE ET SILENCES
CHAPITRE TROIS : RETOUR SUR LA CNÉATTON
CONCLUSION DU MEMO

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