Les sites de déguerpissements forcés à Dakar de 1914 à 1970

La rapidité avec laquelle les villes grandissaient et la population urbaine augmentait était un phénomène dans les pays sous-développés, d’autant que c’était la ville qui cristallisait la volonté de progrès et qui préparait, en réalité, le processus de développement. Dans les pays du Tiers Monde, la croissance urbaine, qui était encore loin d’être stoppée, appelait des réponses de la part des pouvoirs publics, sous forme de logements, d’équipements et d’infrastructures de communication impliquant des opérations d’aménagement.

L’éradication des bidonvilles s’accompagnait pour la première fois de l’aménagement de nouvelles zones pour accueillir les populations déguerpies. Cet ensemble d’actions qui était en train de transformer radicalement les paysages urbains, tant dans les centres villes qu’en périphérie, attestait de la vitalité de l’aménagement urbain ainsi que de l’importance de l’urbanisme comme outil d’une politique publique de la ville. Ces actions ont été impulsées par les pouvoirs publics, puis engageaient des investissements considérables de la part de l’Etat et s’inscrivaient dans le cadre d’une planification spatiale mobilisant une multitude d’acteurs, d’habitants, d’entreprises…auxquels étaient venus s’ajouter des bailleurs de fonds internationaux.

A l’instar des villes ouest-africaines, Dakar capitale du Sénégal, déjà lieu de convergence des populations de l’AOF à l’époque coloniale, avait connu une urbanisation très rapide après la seconde guerre mondiale et ce, jusqu’à l’accession du pays à la souveraineté internationale en 1960. Cette forte pression démographique dans certains quartiers périphériques de Dakar et un processus d’urbanisation accélérée s’étaient poursuivis et ont été poussés les autorités coloniales ou étatiques d’appliquer des politiques urbaines, notamment des déguerpissements forcés de certains sites dakarois en vue de développer la ville.

Problématique 

Un demi-siècle après les indépendances, les pays du Sud commençaient à connaître des mutations, tant du point de vue socio-économique que démographique et culturel. Le développement de l’industrie, des services et du commerce restait le principal moteur de la croissance urbaine. Ainsi la forte demande de la main d’œuvre incitait les ruraux à relier les grandes villes porteuses d’emploi.

Les déguerpissements forcés impliquaient d’en comprendre la logique et d’évaluer l’ensemble de normes et de pratiques émanant d’acteurs publics et visant aux déguerpissements forcés des habitants de zones d’habitat précaire. Les déguerpissements forcés étaient réalisés dans le cadre de transformations urbaines. Nous entendons par déguerpissement, le déplacement sous contrainte de citadins installés sur un foncier contesté . Dans la plupart des pays industrialisés, la concentration urbaine s’était réalisée en deux phases successives : d’abord une forte attraction vers les centres urbains, puis un débordement des populations sur les pourtours semi-ruraux. Les vieilles villes étaient autrefois circonscrites par la limite précise d’une enceinte ; et si la population s’accroissait, on élargissait la couronne des murailles autour de la cité. Aujourd’hui la frange qui borde les grandes agglomérations reste floue et toujours mouvante. La ville moderne annexe peu à peu par avancées concentriques, une proportion toujours plus vaste du territoire national.

L’ouverture de Dakar à l’économie de marché suite à la création de l’AOF fut suivie d’importants changements de rénovation urbaine menés par les autorités coloniales, mais dont Dakar incarnait bien les paradoxes sur le paysage urbain. Dakar était une métropole émergente faisant face à un double impératif. En tant que ville du Sud, elle était confrontée à une entreprise de « rattrapage urbain », passant notamment par la régularisation progressive des statuts administratifs et fonciers de ses habitants ; mais les autorités coloniales entendaient également y entreprendre la construction de paysages métropolitains pour témoigner de son insertion dans les réseaux du commerce international. Le recours aux déguerpissements forcés des quartiers Lébou du centre-ville s’était alors mené, au point de s’apparenter à un véritable passage obligé dans la mise en place de toute opération dans les quartiers centraux et péricentraux de la ville de Dakar.

La ville de Dakar, devenue capitale de l’AOF, joua un rôle de premier plan dans les échanges coloniaux grâce à son port et ses activités industrielles extrêmes avantageux dans le reste du pays et de l’expansion de ses activités tertiaires, Dakar reste en effet le principal pôle d’attraction de la population sénégalaise à la recherche d’un mieux-être à la fin de la seconde guerre mondiale. Ce phénomène d’urbanisation s’était poursuivi et de plus en plus difficile à maîtriser. Les déguerpissements forcés à Dakar s’inscrivaient dans le cadre des grands travaux d’aménagements réalisés par les autorités coloniales ou étatiques pour pouvoir développer la ville. En effet, c’est au moment où se mettait en place l’appareil embryonnaire du gouvernement général de l’AOF que se construisaient les premiers éléments du port de Dakar voire d’autres bâtiments administratifs dans le plateau et des travaux de rénovation dans la plaine de la Médina. A l’indépendance, d’importants travaux d’aménagement sont été réalisés à Dakar dans le cadre du premier et du deuxième plan quinquennal de développement du Sénégal (1961 1965) ou (1965-1969) que les déguerpissements forces continuaient d’être menés par les autorités étatiques. Les déguerpissements prenaient place sur des terrains considérés, au moins en partie, comme relevant du domaine public et concernant des citadins catégorisés comme illégaux, n’ayant peu ou pas de droits fonciers. Toutefois, le point commun des mobilités forcées provoquées par les déguerpissements forcés des autorités coloniales ou étatiques dans les villes du Sud résidaient dans un rapport de force généralement violent entre déguerpis et « déguerpisseurs » attirés par la reconquête des espaces centraux et péricentraux revalorisés.

Etat de L’art

Les déguerpissements forcés sont devenus de nos jours une notion familière, tant elle nourrit les commentaires de l’actualité, interpelle les politiques et les décideurs de la ville, soutiennent les discussions des chercheurs en sciences sociales, cultive les angoisses de franges, de plus en plus nombreuses de la population, qui craignent de se voir un jour prises dans la spirale de la précarité. C’est bien un phénomène social qui prend son origine dans les principes mêmes de fonctionnement des sociétés modernes. C’est ainsi que Robert Lenoir cherche à expliquer l’exclusion par des causes sociales, telle que l’urbanisation désordonnée génératrice de ségrégations sociales et spatiales. Henri Gaudin mettra en avant un peu plus tard les carences des architectes « il ne suffit pas de dénoncer, écrit-il, le racisme et l’exclusion là, en tolérant ses formes dans l’architecture même ». Les déguerpissements forcés étaient un processus qui affectait de plus en plus de gens et de tous les milieux. Les sites de déguerpissements forcés consistaient à faire partir des gens de leur domicile ou de la terre qu’ils occupaient contre leur volonté en dehors de toute procédure ou de quelque garantie juridique que ce soit. L’éviction permanente ou temporaire contre leur volonté et sans qu’une protection juridique ou autre appropriée ait été assurée, de personnes de familles ou de communautés de leurs foyers ou des terres qu’elles occupaient. Le « problème » des sites de déguerpissements forcés hors normes apparaissait dès la révolution industrielle, qui entraînait la croissance rapide des villes. Pendant cette période les ouvriers étaient contraints de se loger dans des habitats exigus et insalubres voire dans des locaux non prévus pour l’habitation tels que des caves, comme le dénonçait notamment Friedrich Engels dans son ouvrage célèbre la question du logement . La question des sites de déguerpissement forcés s’exprimait aussi au cours du 19eme siècle à travers deux types de discours (Moret 1998). ? D’abord celui des « philanthropes », qui entend montrer aux classes bourgeoises les conditions de vie, les habitats précaires des ouvriers, par exemple, l’ouvrage du docteur Villermé sur l’habitat insalubre dans les années 1930 et 1940 ou bien celui du docteur Bertillon qui, jusqu’en 1908 permettait de sensibiliser tant l’opinion que les pouvoirs publics sur le problème de l’insalubrité. Le second type de discours était celui des « socialistes » qui plaçaient l’habitat au cœur d’un nouveau système social pour sortir du chaos urbain et de l’insalubrité. C’étaient justement les problèmes sanitaires qui avaient déclenché les déguerpissements forcés sur les habitats insalubres, avec la toute première Loi de 1850 en France, parce que ces logements insalubres constituaient des préoccupations sociales. . L’action publique face aux logements « hors normes » se traduisait le plus souvent par l’éradication pure et simple des logements insalubres, sans proposition de relogement pour les populations concernées. Les sites de déguerpissements forcés se trouvaient aussi dans les quartiers précaires insalubres puis des sites urbains valorisés par les autorités publiques. Toutefois, au 19eme siècle, les quartiers insalubres « hors normes » étaient très nombreux : par exemple, « les taudis ne sont pas l’exception, ils sont la règle pour l’ensemble des salariés » (Guerrand 1996 p 223) et l’action publique très ponctuelle. Il en résultait ensuite que l’habitat « hors normes » ne disparaissait pas des centres villes. Dans les années 1950, les études de géographie urbaine ont été réellement commencées en France. Jacqueline Beaujeu Garnier note dans son article intitulé « La géographie urbaine française au cours des 50 dernières années » et durant ces années, que de nouveaux types d’habitat précaire poussaient les pouvoirs publics à mettre en place de nouveaux outils actions : les bidonvilles. Face à cet habitat précaire, les déguerpissements forcés ont été menés par les pouvoirs publics du fait « qu’il fallait recenser les logements insalubres et leur population, étudier les plans d’urbanisme, imaginer des solutions pour animer et desservir les quartiers ou les morceaux de villes que l’on bâtissait un peu partout ». Les bidonvilles étaient entièrement déguerpis et les habitants relogés ou bien dans des cités de transit, ou bien dans des grands ensembles plus ou moins lointains à la périphérie des villes. Pour de nombreux auteurs, les bidonvilles n’étaient pas seulement détruits au nom de l’amélioration des conditions de vie, les bidonvilles avaient été aussi déguerpis parce qu’ils avaient été considérés comme « anormaux » dans le sens où ils ne respectaient pas les normes en vigueur dans la société française de l’époque. Cette politique de déguerpissements forcés totale des bidonvilles, dite de « la table rase » s’était pratiquée face à tous les bidonvilles du monde. Pourtant en 1976, lors de la conférence mondiale de l’habitat de Vancouver, des solutions plus positives que les déguerpissements forcés et la démolition radicale des bidonvilles apparaissaient. Par exemple, l’amélioration in situ ou la reconstruction de nouveaux logements pour les plus pauvres, puis Granotier préconisait de légaliser les habitants des bidonvilles, qui occupaient le sol sans autorisation, car « on sait aujourd’hui que la sécurité d’occupation est décisive pour pousser les ménages pauvres à améliorer leur logement et leur quartier ». Et même «la sécurité foncière conditionne toute possibilité de développement » (Cannat 1988 p.220).

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DE LA ZONE D’ETUDE
CHAPITRE 1 : FACTEUR PHYSIQUE
CHAPITRE 2 : DONNEES SOCIO-ECONOMIQUES
CHAPITRE 3 : LES DEGUERPISSEMENTS FORCES
DEUXIEME PARTIE : LES POLITIQUES URBAINES DES AUTORITES COLONIALES
CHAPITRE 1 : LES DEGUERPISSEMENTS DE 1858 A 1914
CHAPITRE 2: LES DEGUERPISSEMENTS FORCES DE 1945 1960
CHAPITRE 3 : LES POLITIQUES URBAINES DE L’ETAT INDEPENDANT
TROISIEME PARTIE : LES POLITIQUES URBAINES DES ANNEES 1970
CHAPITRE 1 LES PARCELLES ASSAINIES
CHAPITRE 2 : LA POLITIQUE DE RESTRUCTURATION DES QUARTIERS SPONTANES
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CARTES TABLEAUX

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