Les sciences sociales, l’espace et les mouvements sociaux : un état des savoirs

Les sciences sociales, l’espace et les mouvements sociaux : un état des savoirs 

La théorie des mouvements sociaux

Le politiste et sociologue français Erik Mathieu définit les mouvements sociaux en tant que « forme d’action collective concertée en faveur d’une cause » ; pour lui « il s’agit d’un agirensemble intentionnel, marqué par le projet explicite des protagonistes de se mobiliser de concert. Cet agir-ensemble se développe dans une logique de revendication, de défense d’un intérêt matériel ou d’une “cause”» (Neveu, 2005, cité dans Starck, 2005, p.85). Cependant, ce terme n’a pas toujours été mobilisé par les sciences sociales. En effet, de manière générale, on peut identifier un tournant majeur dans l’étude de ces phénomènes quand l’approche en termes de « foules » et de « comportements collectifs », dominé par une interprétation des contestations comme des phénomènes largement irrationnels, a été abandonnée au profit d’approches articulées en termes de « mouvements sociaux », « mobilisations protestataires » ou encore « d’action collective » (Le Saout, 1999). La naissance de la « Théorie des Mouvements Sociaux », peut être faite remonter à quand on assiste, à partir de la fin des années 1960, à l’émergence des mouvements contestataires marqués par une forte discontinuité avec les mobilisations ouvrières qui avaient dominé le panorama politique radical occidental jusque-là. D’un point de vue conceptuel, ces changements impliquent la nécessité d’élaborer des nouveaux schèmes théoriques. Plusieurs théories se développent ainsi, notamment entre la France et les Etats-Unis (Staricco, 2012). Alain Touraine, est un des initiateurs de la théorie des Nouveaux Mouvements Sociaux (NMS). Cette théorie, malgré ses limites en termes de compréhension globale du phénomène, se révèle particulièrement intéressante pour son approche comparative et historique (Pruijt, 2013). Selon cette théorie, le passage de la « société industrielle » à la « société postindustrielle », se caractérise, du point de vue empirique, par la crise du marxisme « orthodoxe » au sein des mobilisations sociales, qui se traduit sur le plan théorique, par le dépassement de l’hégémonie du matérialisme historique au sein des penseurs radicaux, laissant la place à ce qu’Inglehart a appelé l’approche « postmatérialiste » (Inglehart, 1977; Mathieu, 2007; Staricco, 2012). Cette théorie voit la « culture » comme élément principal des revendications des NMS, qui abandonnent ainsi la sphère économique pour se lancer sur des thématiques spécifiques liée notamment à l’identité. Les bases théoriques de cette approche peuvent être trouvées notamment dans la « théorie de l’action communicative » d’Habermas, ou des critiques à l’économicisme marxiste proposés par des intellectuels comme Michel Foucault (Staricco, 2012). Cependant, cette théorie, malgré sa valeur « historique », rencontre nombreux limites dans une situation où les enjeux et les pratiques des mouvements sociaux ont radicalement changé. En effet, comme souligné par Della Porta (2001) ou Chatterton (2010), dans les dernières décennies on a assisté à un retour des thématiques économiques et du travail et à une nouvelle centralité des processus consensuels et de démocratie directe (Risanger, 2012). Pour expliquer les phénomènes contemporains, les théories rassemblées sous le nom de Théorie du Processus Politique (TPP) (Neal, 2007) – et qui peuvent être vues comme bases de la « sociologie des mouvements sociaux » (Revillard, 2003) – paraissent les plus adaptées à la tâche. Cette approche théorique a été nourrie notamment par les travaux de Charles Tilly, Tarrow et McCarthy (Neal, 2007). L’ouvrage From Mobilization to Revolution de Tilly (1978) peut être considéré comme le travail fondateur de cette école (Neal, 2007). McAdam, McCarthy et Zald, dans l’ouvrage Comparative perspective on social movements. Political opportunities, mobilizing structures, and cultural framings (McAdam, McCarthy, & Zald, 1996), présentent « les trois grands facteurs permettant de rendre compte de l’émergence et du développement de ces mouvements : les structures de mobilisation, les opportunités politiques et les processus de cadrage » (Revillard, 2003). A ces trois éléments – dont les opportunités politiques constituent l’élément plus marquant tant d’être souvent utilisé comme synonyme de TPP – se sont ajoutés également les concepts de « cycles de proteste » (protest cycles) et de « répertoire contestataire » (repertoire of contentious) (Neal, 2007). Le premier, développé au sein de la théorie de la « Mobilisation des Ressources », prône une « étude des protestations comme formes rationnelles produites par l’action d’organisations [et] rompt ici clairement avec les analyses des foules comme comportements irrationnels » (Le Saout, 1999). Développée notamment par McCarthy, cette théorie donne une grande centralité au rôle des organisations et à leur structure, et marque le pas par lequel les chercheurs commencent à s’interroger non seulement du « pourquoi » des mobilisations mais aussi du « comment » (Revillard, 2003).

Le deuxième axe est celui des « opportunités politiques », qui s’intéresse à l’ensemble plus large de contraintes et d’opportunités politiques caractéristiques du contexte dans lequel s’insèrent les mouvements sociaux, et qui contribuent à façonner ces derniers (McAdam et al, 1996). Le concept d’opportunités politiques est, dans la sociologie des mouvements sociaux, le principal outil théorique permettant de faire le lien entre mouvements sociaux et système politique (Revillard, 2003, p.5).

Certains auteurs, comme Tarrow (1996) qui reste pourtant attaché à « l’approche centrée sur l’Etat, héritière de Tocqueville », a proposé une typologie de structure des opportunités politiques qui renvoie à « un point de vue plus proche des acteurs, qu’il qualifie de « structure des opportunités de proximité » (proximate opportunity structure) ». Avec cette approche, les chercheurs se concentrent, dans l’explication de l’émergence de mouvements sociaux, sur les « domaines de politique publique spécifique, ou bien sur l’environnement immédiat d’un mouvement donné et sur les opportunités pertinentes pour ce mouvement » (Revillard, 2003, p.3).

Enfin, dernier axe, est celui du « processus de cadrage ». Ce concept, élaboré par Snow et al (1986), voit dans le cadrage, comme résumé par McAdam, McCarthy et Zald (1996), [des] efforts stratégiques conscients déployés par des groupes de personnes pour façonner des compréhensions communes du monde et d’eux-mêmes qui légitiment et motivent l’action collective » (p.6) (…) Ensuite, plusieurs auteurs (McAdam, Tarrow et Tilly 2001) ont critiqué le caractère excessivement stratégique des efforts de cadrage tels que pensés par Snow. Une vision plus large du cadrage permet justement de dépasser cette conception faisant des leaders du mouvement des stratèges isolés, en intégrant les notions de boîtes à outils culturelles dont les mouvements sociaux s’inspirent pour définir leurs cadres, mais qui contraignent et façonnent aussi les efforts de cadrage délibérés des leaders du mouvement, la contribution des contradictions culturelles et des événements historiques en tant qu’ils fournissent des opportunités pour le cadrage, la dimension interactive, voire conflictuelle, du processus de cadrage (les cadres pouvant être contestés de l’intérieur comme de l’extérieur du mouvement, par des contre mouvements ou par les autorités (Revillard, 2003, p.9).

Enfin, le concept de « cycles de proteste », se réfère aux vagues temporelles dans lesquelles les mobilisations sociales sont particulièrement accrues. Tandis que par « répertoire contestataire »
– développé notamment par Tilly (1995)– on entend cet ensemble limité des pratiques propres aux politiques contestataires et qui se sont développés notamment à partir de la deuxième partie du XX siècle (Neal, 2007). Les approches mentionnées, développées notamment au sein de la sociologie des mouvements sociaux, nous fournissent des outils conceptuels et théoriques précieux pour la compréhension de ces phénomènes, grâce au développement de réflexions qui prennent en compte une pluralité des dynamiques concernant l’émergence des mobilisations. La combinaison de ces cinq éléments constitue « le cœur de l’approche contemporaine de la TPP. Outre à expliquer l’émergence et le déclin des mouvements sociaux, ils sont également utilisés pour expliquer la forme prise par les protestes et le résultat qui en dérive » (Neal, 2007, p. 3). McAdam, Tarrow et Tilly (2001), fondateurs de cette école, ont répondu aux critiques qui considéraient cette approche trop statique, en formulant une approche plus « dynamique », qui remplace les concepts d’opportunités politiques, structures de mobilisation et de processus de cadrage par ceux de « mécanismes environnementaux, relationnels et cognitifs ». Malgré cette prise de distance, l’approche de la TPP reste hégémonique au sein des études sur les politiques contestataires (Neal, 2007).

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Table des matières

Introduction générale
1 – Les sciences sociales, l’espace et les mouvements sociaux : un état des savoirs
1.1 – La théorie des mouvements sociaux
1.2 – Les mouvements (sociaux) urbains et le « droit à la ville »
1.3 – La dimension spatiale des mouvements sociaux
2 – Un terrain « militant » : méthodologie et réflexivité
2.1 – Spécificités du terrain
2.2 – Techniques d’enquête
2.3 – Posture et positionnement : une recherche (géographique) « engagée »
3 – L’espace et la politique à Rome : éléments de mise en contexte
3.1 – Les politiques (urbaines) à Rome : l’espace urbain comme marchandise
3.2 – Le monde de l’autogestion à Rome : l’espace urbain comme ressource collective
4 – Decide Roma, une plateforme collective pour la construction une alternative urbaine d’autogouvernement métropolitain
4.1 – Composition et fonctionnement de la mobilisation
4.2 – Histoire de la mobilisation
4.3 – Thèmes et perspectives de la mobilisation
4.4 – Les multiples spatialités de Decide Roma
Conclusion
Glossaire
Bibliographie
Matériaux produits sur le terrain
Table des matières
Table des illustrations
Annexes
Annexe 1: Entretien avec Alessandro “Esc”
Annexe 2: Retranscription V assemblée d’autogouvernement
Résumé / Abstract

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