Les relations interdites, une autre histoire franco-allemande au cœur du Second Conflit mondial

Les relations interdites, une autre histoire franco-allemande au cœur du Second Conflit mondial

Décentrer notre regard des enfants à leurs géniteurs nous a conduit en fait à reformuler notre problématique. En quoi notre sujet témoigne-t-il qu’une autre histoire franco-allemande s’est écrite pendant le Second Conflit mondial, foncièrement différente de celle qui est restée dans les mémoires ? C’est ce questionnement qui sert de fil directeur à notre étude. Nous montrerons en quoi a consisté cette histoire : élaborée loin du front et du fait guerrier, elle met en jeu des civiles allemandes et des Français, qui bien que soldats ne font plus la guerre et retrouvent à travers le travail les gestes ordinaires du temps de paix ; ces couples se sont affranchis des normes érigées par les Etats, comme si ces citoyennes et ces captifs vivaient presque en-dehors du conflit. L’intérêt de notre sujet est donc que cette histoire, écrite par le bas, témoigne de l’agentivité des acteurs (des actrices en l’occurrence). Les relations interdites reflètent en effet leur capacité à questionner les identités qui leur sont assignées par l’Etat, à transgresser les frontières qui interdit aux femmes allemandes tout commerce avec les étrangers considérés comme des ennemis.

Réévaluer la place du Second Conflit mondial dans l’histoire des relations franco-allemandes du second XXe siècle

C’est en travaillant l’historiographie, en quête de clés pour penser cette autre histoire franco-allemande, qu’une dimension supplémentaire du sujet nous est apparue. Ces clés nous ont été fournies notamment grâce aux travaux d’Alfred Grosser et de Rainer Hudemann. Ces historiens ont contribué, on le sait, à revisiter les relations entre les deux pays telles qu’elles se sont déployées après 1945 : marquées par le lourd héritage des conflits, ces relations ont été envisagées par Alfred Grosser à partir de la notion de capital humain. La lecture de ces travaux nous a convaincue que ce concept était opératoire et qu’il pouvait être appliqué à notre sujet et transposé à la période du Second Conflit mondial. Cet apport nous a donc incitée à envisager notre sujet comme un possible point de départ. Du fait des relations interdites, la Seconde Guerre mondiale peut-elle être considérée comme le prélude des rapports franco-allemands qui se développeront durant le second XXe siècle ? En quoi le conflit a-t-il pu jouer comme un « incubateur » de contacts à venir entre civils, contacts qui se nouent dans le cas présent sur le terrain de la chair, de rapports sexuels ? En quoi le processus selon lequel un passé difficile aurait obligé Français et Allemands à communiquer après 1945 commence-t-il à jouer dès l’époque du conflit ? L’une des questions en jeu ici revient à relativiser la césure que constitue 1945 dans cette histoire franco-allemande. Analysé comme un exemple précoce de rapprochement franco-allemand, notre objet offre en outre l‘occasion de déconstruire un certain nombre de notions réputées structurantes pour la société allemande de l‘époque. L’un des repères identitaires majeurs dans les années 1940, l’Etat-nation, se trouve ainsi tout particulièrement mis sur la sellette. En effet, alors que la référence nationale est constitutive de l’idéologie du Troisième Reich et que la législation s’emploie à rendre étanches les frontières entre races, à l’intérieur de l’Allemagne, les contacts entre civiles et captifs résultent au contraire d’interactions et de constructions « transnationales ». A partir de trajectoires individuelles, on se propose donc d’interroger, voire de déconstruire, le concept de nationalité si prégnant dans la culture allemande d‘alors : comment les « ennemis » ont-ils pu devenir des voisins, des amants ? Mettant en jeu la question du rapport à l’altérité, les relations interdites posent le problème de l’identité de l’autre : qui est-il, qui est elle ? Un/une ennemi.e ? Une Allemande, un Français ? Ou simplement une femme et un homme ? La réflexion menée sur l’identité genrée de nos acteurs nous a incitée en ce sens à effectuer une étude comparée avec la situation qui se joue au même moment, de l’autre côté de la frontière, entre femmes françaises et occupants allemands.

Relations interdites / collaboration horizontale, une histoire (de femmes) en miroir ? 

Interroger les relations interdites au miroir du phénomène de la collaboration horizontale nous a semblé indispensable. La comparaison produit de fait des effets de connaissance sur notre objet, tout en permettant de marquer la distance avec l’expérience vécue outre-Rhin. L’un de ces effets de connaissance est lié au rôle attribué au corps féminin dans le rapport construit, de part et d’autre de la frontière, avec l’ennemi. Comme l’historiographie l’a montré, le contexte guerrier accentue le phénomène de nationalisation du corps de la femme, porteur de forts enjeux pour la communauté. Le cas des relations interdites est particulièrement intéressant à ce sujet. La consultation des dossiers des femmes ayant eu des contacts avec des prisonniers de guerre français donne à penser, dans de nombreux cas, qu’elles ont agi comme si elles n’étaient pas concernées par les convictions idéologiques imposées à la société par le régime national-socialiste. Les relations entretenues avec l’ennemi relèvent pour elles de l’intime et sont dépourvues en ce sens de tout aspect politique. Or en ayant enfreint l’interdit, ces femmes sont justement rattrapées par la politique à travers l’institution judiciaire, chargée de leur rappeler la fonction qui leur est assignée au sein de la Volksgemeinschaft. Les différentes étapes du procès intenté contre elles sont d‘ailleurs l’occasion de réaffirmer la maîtrise exercée par l’Etat sur leurs corps dont l‘appartenance à la communauté est proclamée. La dimension genrée de notre objet ouvre donc des comparaisons fécondes avec la situation française autour du contrôle de la sexualité féminine qui ne saurait échapper à l’Etat, encore plus en temps de guerre. En revanche, pratiquer la collaboration horizontale et prendre pour amant un captif français ne met pas en jeu la même agentivité de la part des actrices. La situation allemande en effet n’est pas celle que l’occupation fait aux femmes françaises placées face aux soldats dans une position de subordination. Les relations interdites échappent en ce sens au schéma classique des rapports occupant/occupée, dans lequel le premier est, dans la majorité des cas, un homme. La configuration à laquelle se rattache notre objet met plutôt face à face des membres de la société des vainqueurs face aux vaincus qui se trouvent sur leur territoire. Pour autant, les premières ne sont pas libres de disposer des seconds à leur guise et de leur imposer un rapport de domination. Ce constat témoigne que la sexualité féminine est au cœur de cette recherche. Deux questions en découlent. En quoi les relations interdites vérifientelles le constat fait par Fabrice Virgili selon lequel « la sexualité masculine demeure une affaire privée » à la différence de la sexualité féminine dont l’État – français et allemand – tente de s’approprier la gestion ? En outre, en quoi la gravité des actes commis par les femmes est-elle redoublée par le lieu où ils se jouent, à savoir leur propre pays ?

Portée par ces différents axes problématiques, notre recherche entend donc mettre en exergue les contradictions entre les exigences de l’Etat-nation et les pratiques individuelles, dans le contexte du Second Conflit mondial. La logique nationale du régime y entre en tension avec la perspective transnationale que revêtent les contacts entre les filles et femmes des vainqueurs et les vaincus. Dans cette autre histoire, le contexte guerrier n’est pas antinomique avec le rapprochement, il le favorise au contraire, l’un interagissant avec l’autre. En ce sens la Seconde Guerre mondiale aurait moins été une césure qu’au contraire un catalyseur des relations franco-allemandes, à l’échelle des individus. Cette étude a donc pour ambition de s’intéresser aux mécanismes des relations interdites définies par le décret de Verbotener Umgang mit Kriegsgefangenen afin de saisir l’impact de ces rapports franco-allemands dans la société national-socialiste et leurs conséquences jusqu’à nos jours.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Etat de la recherche
2. Perspectives de recherche et objectifs
3 Axes problématiques
3.1 Les relations interdites, une autre histoire franco-allemande au cœur du Second Conflit mondial
3.2 Réévaluer la place du Second Conflit mondial dans l’histoire des relations francoallemandes du second XXe siècle
3.3 Relations interdites / collaboration horizontale, une histoire (de femmes) en miroir?
4. Sources et méthodologie
5. Structure et organisation de l’étude
Chapitre 1- Présentation des acteurs : des ennemis sous le IIIème Reich ?
1.1 Le recours au travail des étrangers en Allemagne : contextualisation
a) Les origines du recours aux travailleurs étrangers
b) Qui sont les « étrangers » au sein du Reich ? Les différentes catégorisations
Les prisonniers de guerre de l’Est
Les prisonniers de guerre de l’Ouest
c) Mesures préventives de l’Etat ou comment protéger la population
1.2 La situation des prisonniers de guerre français en Allemagne : Des Franzosen au sein du Reich
a) Le statut des prisonniers selon l’administration allemande
b) Une gestion partagée ? Le suivi des prisonniers par la France
Des situations variables
Un statut hybride ?
c) Les prisonniers de guerre au sein du Reich
1.3 En Allemagne : des soldats partis au front aux femmes qui sont restées
a) Une propagande ciblée pour les femmes
Le mariage
Absence du mari et divorces
Des femmes comme main d’œuvre indispensable
b) Distorsion entre normes et pratiques
1.4 Entre assignation par le haut et aspirations féminines : des ennemis en guerre ?
Chapitre 2 – Contrôler : quelles normes raciales et juridiques pour la Volksgemeinschaft ?
2.1 La Volksgemeinschaft, une notion complexe
a) Aux origines du terme
b) Utilisation du terme au temps du national-socialisme
Forme d’intégration sociale
Exclusion
Relations entre la société et le système politique
2.2 Des acteurs au cœur des mécanismes d’inclusion/exclusion
a) Des actions concrètes pour inclure les femmes dans la Volksgemeinschaft
Les femmes en tant que « réserve morale du parti »
Participation active à la société grâce aux organisations politiques : L’exemple de la NS-Frauenschaft
b) Le revers de l’inclusion : les exclus de la Volksgemeinschaft
Exclusion des femmes
Les prisonniers de guerre français, à l’image des Fremdvölkische
2.3 Application des lois et du droit en accord avec l’idéologie national-socialiste 130
a) Une modification des pratiques du droit en fonction du concept de Volksgemeinschaft
« Das gesunde Volksempfinden » ou la légitimation du juge
Des lois qui ont pour fondement les théories raciales
b) Le Verbotener Umgang mit Kriegsgefangenen : des pratiques qui modifient les normes
Chapitre 3 – Enfreindre la norme, des pratiques risquées
3.1 Le décret sur le Verbotener Umgang : historique et contenu
a) Aux origines : l’apport de la Première Guerre mondiale
b) La ségrégation raciale comme matrice du Verbotener Umgang
c) Les chars d’assaut de la justice : les Sondergerichte
3.2 Le cadre légal du Verbotener Umgang mit Kriegsgefangenen
a) Mise en application
b) Perception du décret tout au long de la guerre
Le Deutsches Strafrecht
Enquête de 1942 conduite par le ministère de la Justice du Reich
La publication des Richterbriefe
Les Meldungen aus dem Reich
c) Dénombrer un phénomène massif
3.3 Les dossiers judiciaires : quel sort pour les accusées allemandes ?
a) Qui condamne ?
Les différents tribunaux
Les juges
b) Déroulement d’un procès
Dépôt de plainte
Dénonciation
La comparution des témoins
Le jugement
La défense
3.4 La justice militaire : le délit de Verbotener Umgang envisagé du point de vue des prisonniers de guerre français
a) Déroulement du procès
b) La défense
c) Des coupables plus lourdement sanctionnés ?
3.5 Après le procès : Sanctions et détention
a) Sanctions infligées aux femmes allemandes
b) Sanctions infligées aux prisonniers de guerre français
c) Recours en grâce (Gnadengesuch)
d) Conditions de détention
CONCLUSION

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