Les projets de territoire quelles limites ?

LA NAISSANCE DES ARTS DE LA RUE

Émergent dans les années 1960 et connaissant un essor considérable à partir de 1968, l’art de rue ou art d’espace libre , est apparu avec la volonté politique et sociale de se diffuser au plus grand nombre, de désinstitutionnaliser la culture pour la faire sortir dans l’espace public. Cet espace, donc gratuit et commun à tous, permet de se rapprocher de tous les publics, s’adresser à tous. A cette époque, deux types d’artistes s’y cotoient : «les anciens saltimbanques » et les «nouveaux». Les premiers y ont toujours été, ils y font la manche pour gagner leur vie, ce sont les artistes traditionnels de rue. Les seconds y arrivent, nouvelle génération d’artiste qui s’empare de la rue comme terrain d’action politique et engagé. Mais vingt ans après, la culture s’est démocratisée grâce aux artistes et à des politiques publiques culturelles beaucoup plus actives en France avec l’arrivée de la gauche au pouvoir dès 1980. L’art se réinstitutionalise petit à petit et certains des nouveaux saltimbanques repassent les portes des théâtres et des lieux pré-affectés tandis que d’autres se forment sous le terme de « compagnies ». Ces dernière prennent de l’ampleur comme Royal de Luxe et font de la rue plus que leur terrain de représentation, un élément à part entière dans la création des spectacles. Ils conservent une portée politique, éthique et esthétique à leur travail. Parallèlement, les municipalités qui obtiennent plus de « pouvoir » sur les actions culturelles, grâce à la décentralisation, développent des volontés d’animation locale et se tournent vers les artistes de rue. Ces-derniers commencent à s’organiser autour de festivals municipaux, y trouvant une nouvelle forme d’expression et un confort financier. La décentralisation a ainsi pour effet de faire des pouvoirs publics locaux les premiers interlocuteurs des compagnies restées dans la rue.

LES ANNÉES 1990 : L’INSTUTIONNALISATION DU MILIEU

En 1993, l’association HorsLesMurs, centre national de ressources pour les arts de la rue et du cirque, voit le jour à Paris et assure les missions de promotion et de développement des arts de la rue et de la piste. Elle naît suite au changement de statut de Lieux Publics qui deviendra le premier Centre National des Arts de la Rue en France. En 1997 naît la Fédération Nationale des Arts de la rue, réseau d’individus et de structures composé de professionnels du milieu des arts de la rue. Son but est d’ « oeuvrer à la consolidation et au développement des arts de la rue selon trois axes directeurs :
• la reconnaissance professionnelle et artistique.
• le développement de ses financements, de ses équipes et de ses outils.
• l’ouverture et le dialogue avec l’ensemble des acteurs artistiqes et culturels. »
En 2003, les arts de la rue en France s’ouvrent à l’international avec la création du réseau européen In situ, piloté par Lieux Publics. Le réseau comporte vingt partenaires dans douze pays différents. Il met en place des systèmes de repérage d’artistes, de co-production, de diffusion…
En 2005, 2006 et 2007 est mis en place le plan triennal du Temps des Arts de la Rue, co-piloté par le ministère de la Culture, la Fédération Nationale des Arts de la Rue et l’association HorsLesMurs. Ce plan a, entre-autre, abouti à la création des Centre Nationaux des Arts de la Rue en 2005, s’accompagnant de forts soutiens financiers de la part du ministère de la Culture et une augmentation de ceux des collectivités territoriales sur les trois années. Il existe aujourd’hui quatorze CNARdans toute la France.
Une seule formation permet en France de se former aux arts de la rue, il s’agit Formation Avancée Itinérante des Arts de la Rue,FAI-AR, à Marseille, qui a ouvert ses portes en 2005.

DES ARTS QUI SE RAPPROCHENT DU TERRITOIRE

L’art de rue n’est pas la seule discipline à « fuir » les espaces institutionnels pour sortir dans la rue, au plus près du « public-population »
Ainsi, différents mouvements d’art comme le landart ou les happenings se retrouvent dans une tendance nommée « art contextuel » par l’artiste polonais Jan Swidzinski en 1976. L’art contextuel est défini par Paul Ardenne comme « l’ensemble des formes artistiques qui diffèrent de l’oeuvre d’art au sens traditionnel : art d’intervention et art engagé de caratère activiste […], art investissant l’espace urbains ou le paysage […] esthétiques dites participatives ou actives dans le champ de l’économie, des médias ou du spectacle. ».
Toutes ces pratiques se développent, portant une attention toute particulière au fait de s’attacher à la réalité « plutôt que de travailler du côté du simulacre » dans l’idée que l’oeuvre n’est valable qu’à l’instant où elle se produit, à l’endroit où elle se produit. « L’œuvre n’a ici de sens qu’au moment et à l’endroit où elle est installée et tente d’opérer. Elle est l’ensemble composé de la proposition artistique plus de son contexte. Ces deux éléments séparés, il ne reste que des résidus de la proposition ou du contexte qui a repris son état antécédent. En ce sens, l’art contextuel crée une distorsion temporaire de la réalité, et propose une expérience forte de l’art contemporain, défendant largement l’action du public et de l’artiste contre la passivité du spectateur ou de formes d’art académiques.»
On parlera également d’oeuvre in situ , pensée à partir d’un site et ancré dans celui-là.
Alors que les pratiques artistiques se rapprochent petit à petit du territoire et de ses composantes sociales, politiques et environemmentales, des questions autour de la fabrique de la ville émergent. Au début du XXIème siècle, urbanistes et aménageurs sont à la recherches de « nouvelles clefs de lecture de l’outre-ville » . Ils semblent porter de toutes nouvelles attentions à des enjeux comme la cohésion sociale, l’habiter, les usages, la participation habitante et perçoivent dans l’art et la culture, un possible moyen d’y répondre, un « outil d’urbanisme et d’aménagement des territoires ». Collectivités et pouvoirs publics décident alors, petit à petit, d’accompagner cette hybridation entre champ artistique et aménagement du territoire. Cette volonté d’accompagnement, additionnée à des pratiques artistiques de plus en plus ancrées dans des territoires, donneront naissance à une nouvelle « catégorie » d’artistes : les géo-artistes. Leurs motivations seront autant la création artistique in situ, que la question de la participation habitante, la co-construction ou la volonté de repenser nos villes pour y vivre mieux, ensemble toujours basées sur l’expérimentation.

LE MONDE DES BARONS PERCHÉS

L’ASSOCIATION

Le Monde des Barons Perchés est une association de scénographie. Elle a été fondée il y a environ dix ans en Vendée, par deux frères, «Renzo» et «Mamat». Il y a six ou sept ans elle s’installe à Saint Philibert de Grand Lieu (44) [où son siège social se trouve encore] avant de finalement poser bagages à Montbert (44) pour ses ateliers et au Solilab, sur l’Île de Nantes, pour son bureau administratif. Aujourd’hui, l’équipe se compose de dix membres auxquels s’ajoutent des intervenants ponctuels et les bénévoles. L’objet de l’association est «de créer des temps et espaces de rencontres» à travers l’organisation d’évènements. Leurs valeurs s’articulent principalement autour de «l’environnement, de l’équité, de l’organisation en collectif et de l’accessibilité tout public».
Ainsi, les projets développés peuvent tout aussi bien être du mobilier urbain que de la scénographie de spectacle, ou de l’installation urbaine pérenne à plus grande échelle. Ils organisent également des évènements comme le festival du Rêve du Loup et l’association dispose de tout un parc de mobilier qui lui permet d’assurer l’organisation de ce genre d’évènement. La plus «grosse activité» de l’association consiste à louer son matériel pour des évènements publics afin de pouvoir ensuite assurer la réalisation de leurs propres évènements. Cette activité représente 60% de leur financement, le reste provient de fonds publics.
Depuis trois ans maintenant, l’équipe développe aussi l’envie de monter ses propres spectacles, là où avant, elle produisait les spectacles d’autres compagnies. Elle souhaite aujourd’hui s’affirmer «comme une association [ayant] des projets de territoires et qui s’inscrit dans le développement d’une cohésion sociale et utilisant la culture et l’artistique comme vecteur de lien social».

LES VOIES D’ENTRÉE AU TERRITOIRE

Le système classique création/diffusion du spectacle vivant

Sur les quatre groupes que j’ai étudiés, trois fonctionnent de la même manière : ALICE, l’Écumerie et Maboul Distorsion s’approchent du schéma « classique » de création/diffusion du spectacle vivant. Ce schéma n’est pas propre aux projets de territoire, il est même à la base de toute l’économie du spectacle vivant en général. C’est le schéma « qui encadre le plus souvent le spectacle vivant, ce qui permet de le financer et de le faire vivre.»

Le temps de création

Il s’agit du temps qui permet de définir l’objet qui va être diffusé. Pour Estrans, cela a représenté deux ans de travail : « elles ont eu des temps de création où elles ont défini leur objet Estrans, ce que c’était, quels protocoles elles mettaient en œuvre pour arriver sur un territoire, de quelle matière elles avaient besoin etc. »29 . Ces deux années ont abouti à l’ « objet » déambulation [qui est la représentation finale] et à la mise en place de différents protocoles de récolte de données du territoire : temps de rencontre avec les habitants, ateliers… Ce temps s’est réalisé en résidence, c’est-à-dire dans des lieux qui ont soutenu la création : Capucine : « On s’est lancé dans Estrans et pour ça on a sollicité des lieux. On a répondu à un appel à résidence [ à Noirmoutier et Notre-Dame de Monts]. Marie : Là, c’est nous, on était en train d’imaginer quelque chose donc on était porteuses d’une idée et pour la développer, il fallait trouver des résidences donc on a été chercher ces résidences là. »
Capucine et Marie ont sollicité différents CNAREP pour qu’ils les accompagnent, financent leur création et les aident à trouver un lieu où s’installer le temps de la création. Il arrive que des collectivités ou des opérateurs culturels lancent des appels à projet de création comme cela a été le cas pour Estrans à Noirmoutier.

Le temps de la diffusion

Une fois la création « bouclée » vient le temps de la diffusion.
La diffusion correspond au moment où le spectacle (ou la création) va être acheté ou commandé pour être joué quelque part. Dans la pratique classique du spectacle vivant, le commanditaire peut être une salle conventionnée – comme le LUpar exemple – ou un autre programmateur, mais ce n’est pas le cas des compagnies que j’ai rencontrées.
Dans le cas des projets de territoire, les commanditaires sont généralement des collectivités et c’est souvent un partenaire culturel qui en est à l’initiative (bibliothèques pour In Dreams à Alençon, le service culture d’Indre et le service archives et patrimoine de Couëron pour Estrans …)
Il existe cependant une différence notable entre les projets de territoire et les projets « classiques » de spectacle vivant. Alors que les projets « classiques » sont « finis » au moment de la diffusion et peuvent tourner sans réadaptation, les projets de territoire ne sont pas « terminés » et nécessitent un temps d’adaptation qui prend la forme d’une résidence d’infusion sur le territoire.
« Après Estrans, il y a d’autres lieux qui ont été intéressés par les processus de travail qu’on mettait en place et qui nous ont fait des commandes. Cela passe par la forme de la résidence, mais c’est juste que ces lieux-là… notamment la Paperie, ils savent qu’on travaille plutôt par des résidences d’infusion dans le territoire. » – Capucine.
La résidence d’infusion dans le cas des projets de territoire répond à un système de commande ou d’appel à projet

La commande

Par exemple pour le cas d’Estrans, les communes d’Indre et Couëron ont commandé à l’Écumerie une traversée spectacle. Ces projets se diffusent avec des contrats de cession qui correspondent à la vente d’un spectacle. Le producteur, généralement la compagnie, cède les droits d’un spectacle pour une certaine date, pour tant de temps contre tant de rémunération [au commanditaire].
Les projets du Groupe Artistique Alice et Ruée Rouge de Maboul Distorsion rentrent également dans ce système de commande et de temps de création/infusion.

L’appel à projet

Une autre sorte de commande peut être l’appel à projet. C’est le cas des Créations Partagées.
Une fois la création pensée, les artistes envoient leur candidature à la Ville qui va, avec le comité de sélection, analyser la proposition. Une fois choisie, les artistes se rendent sur le territoire pour un temps d’infusion avant la restitution finale. Les artistes sont d’abord mis en relation avec les différentes directions (culturelles, jeunesse, solidarités…) qui sont territorialisées, c’est-à-dire sur place, in situ.

L’appel à projet et la commande : quelles limites ?

Comme l’explique Éloise Braets à propos de Sarah Harper, (artiste de territoire dans la compagnie Friche Théâtre Urbain), l’artiste voit dans la commande une diminution de sa liberté : « C’est un compromis qu’elle fait par rapport à la commande, elle doit se contenter de travailler dans les deux quartiers ciblés par les mairies, et dans les endroits les plus passants. Elle se sent donc moins libre artistiquement, et affirme d’ailleurs se méfier des commandes publiques, car les contraintes induites sèchent l’inspiration.»
Pour Sarah Harper, la commande la contraint dans les territoires qu’elle voudrait rencontrer.
D’autres comme Laura, dans son rapport, y voit une limite à la rencontre des différents acteurs du territoire que ce soit les associations, les habitants ou les institutions : « Les appels à projets, qui sont la nouvelle forme actuelle de contractualisation entre société civile et pouvoirs publics, peuvent limiter la coopération entre acteurs associatifs et institutionnels dessinant des relations bilatérales et descendantes. [Alors que] les projets développés sur le territoire Dalby-Moutonnerie par l’association le Monde des Barons Perchés sont intentionnellement basés sur un fonctionnement démocratique, mettant l’humain au centre du projet, en partant des gens qui y participent, dans une logique ascendante. »
Pour elle, en suivant le schéma « classique » des projets, l’appel à projet restreint les possibilités de rencontre entre les différents acteurs.
Pour que le projet soit réussi, on imagine alors qu’il faudrait trouver un équilibre entre commande et liberté, que ce soit en terme de liberté pour sortir du schéma institutionnel bilatéral ou en terme de liberté artistique et laisser de la place à de nouvelles formes de participation.

À LA RENCONTRE DES «HABITANTS», LA CRÉATION IN VIVO

Conformes à notre définition d’un projet de territoire, les porteurs de projets partent également à la rencontre de ceux qui font le territoire, ces habitants/usagers.

Qui sont ces habitants/participants ?

Les projets culturels de territoire sont l’occasion pour les compagnies et associations de partir à la rencontre de différents acteurs du territoire. Au moment de l’infusion, les projets peuvent ainsi solliciter une grande variété d’acteurs du territoire. Ils peuvent toucher autant des habitants que des associations, des écoles, des services techniques de la ville, des adultes, des enfants…
Par exemple, pour Artères comme pour Ruée Rouge, des commerçants peuvent être sollicités pour devenir complices des artistes :
«On aime bien les épiceries parce qu’on a une scène où on mange des tomates donc dans l’épicerie, on rentre, on lui pique les tomates, mais ça on s’arrange avec le commerçant avant, on lui achète cinq tomates et puis on fait semblant de lui voler.»

Comment sont-ils informés du projet ?

Pour informer les « habitants » de l’arrivée d’un projet, c’est souvent celui qui à la main sur le territoire qui relaie l’information, donc la collectivité territoriale. Je me souviens par exemple être allée voir des informations pour une réunion Estrans sur le site de la mairie d’Indre, par le biais de son service culturel.
Comme le Rêve du Loup ne relève pas d’une commande, c’est principalement les représentants des associations qui sont allés faire du porte-à-porte et distribuer des flyers pour mobiliser des habitants lors de la première édition. La presse Ouest France a aussi été un moteur dans la communication du projet. En effet, le journal local relayait toutes les informations et lieux de rendez-vous. Puis le « bouche-à-oreille » a fait le reste du travail.
Dans le cas d’Estrans, comme certaines rencontres peuvent se faire au gré du hasard lors d’une balade, les artistes ont cette fois-ci, développé un outil de communication : Le Gula. Il s’agit d’un dépliant qui contient à la fois l’idée du projet et son historique depuis qu’elles sont arrivées sur le territoire.

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Table des matières

AVANT-PROPOS
De ma pratique circassienne au spectacle vivant dans l’espace public
INTRODUCTION
Des arts de la rue à l’apparition des projets de territoire
CARNET D’IDENTITÉ
Quatre compagnies en prise avec le territoire nantais et quelques-uns de leurs projets
1 PARTIE
Le grand pays nantais : terrain propice aux projets de territoire ?
La notion de territoire
Le cas de la ville de nantes
Les autres collectivités
La Paperie, un CNAR géo-artistique
Un territoire privilégié à l’échelle nationale ?
2 PARTIE
En amont du projet : volontés des artistes et voies d’entrée sur le territoire
Sortir dans la «rue», sortir des lieux institutionels
Différentes attentes de la relation au territoire
Les voies d’entrée au territoire
3 PARTIE
L’infusion, à la rencontre du territoire
À la rencontre du contexte , la création in situ
À la rencontre des habitants, la création in vivo
Spécificités des projets de territoire
4 PARTIE
Les projets de territoire : quels enjeux dans nos villes ?
Enjeux culturels
Enjeux sociaux
Enjeux environnementaux
Enjeux politiques
Les projets de territoire : quelles limites ?
CONCLUSION
Petite éloge critique des projets de territoire
BIBLIOGRAPHIE
ICONOGRAPHIE

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