Les problèmes statistiques posés par les études de biothérapie dans la maladie de Huntington

Les données longitudinales sont des mesures d’une même variable, chez les mêmes patients, au cours du temps. Le traitement statistique des données longitudinales doit tenir compte de la variabilité intra-patients et la variabilité inter-patients comme sources d’hétérogénéité des données. Lorsque les données proviennent d’études observationnelles ou d’essais cliniques, elles permettent de mettre en évidence des marqueurs pronostiques de l’évolution de la maladie et des marqueurs prédictifs de l’efficacité du traitement contre la progression de la maladie. La validation de ces marqueurs nécessite des méthodes statistiques pour (i) identifier des sous-groupes de patients et (ii) concevoir des essais cliniques adaptés.

Nous nous sommes intéressés à ces questions dans le cadre spécifique des petits effectifs, avec comme application les biothérapies dans la maladie de Huntington. Cette maladie rare est multifacette et de durée d’évolution longue, induisant une grande hétérogénéité entre les patients que ce soit sur la présentation de la maladie ou sur son évolution. Les biothérapies en cours d’essai pour cette maladie sont réalisées sur des petits effectifs, avec un effet mesurable à long terme et hétérogène. Identifier des marqueurs d’évolution de la maladie et de réponse au traitement permettrait de mieux comprendre et d’améliorer les résultats des études de biothérapie dans la maladie de Huntington.

La maladie de Huntington 

La maladie de Huntington est une maladie neurodégénérative génétique rare orpheline et se traduit cliniquement par des troubles moteurs (mouvements anormaux involontaires, trouble de l’équilibre,…), cognitifs (perte de mémoire, désorientation dans l’espace,…), et/ou psychiatriques (dépression, irritabilité,…). La maladie se déclare en moyenne autour de 30-50 ans et les troubles s’accumulent progressivement entraînant une perte d’autonomie et conduisant au décès du patient en 15 à 20 ans. On définit cinq stades de la maladie [1] :
• Stade 1 : vie familiale et professionnelle normale, parfois des problèmes comportementaux
• Stade 2 : possible vie professionnelle avec facultés réduites, accomplissement des tâches de la vie quotidienne avec quelques difficultés, apparition des premiers symptômes graves
• Stade 3 : impossibilité de travailler, de faire des tâches ménagères et de gérer des affaires financières courantes, altération des fonctions vitales
• Stade 4 : impossibilité d’accomplir seul les activités de la vie quotidienne, aide professionnelle minimale, communication verbale impossible
• Stade 5 : besoin d’une aide permanente pour toutes les activités de la vie quotidienne, nécessité de séjour dans un centre de soins prolongés, communication pratiquement nulle .

La maladie de Huntington est une maladie génétique autosomique dominante due à la mutation du gène IT15 sur le bras court du chromosome 4 (4p16.3), codant la Huntingtine (Htt). Ce gène contient de 6 à 35 répétitions du trinucléotide Cytosine-Adénine-Guanine (CAG) et le nombre de répétitions est augmenté dans le cas de la maladie de Huntington [2]. La pénétrance de la maladie varie en fonction du nombre de répétitions de CAG [3]. La pénétrance est incomplète de 36 à 40 répétitions et complète à partir de 40 répétitions, c’est-à-dire que tous les individus exprimeront le phénotype de la maladie au cours de leur vie [4]. De 27 à 35 répétitions, on parle de cas intermédiaires, car les sujets, bien qu’ils ne manifestent pas les signes de la maladie, pourraient transmettre la mutation à leurs enfants [5]. Plus le nombre de répétitions est important, plus la maladie apparaîtra précocement et plus sa progression sera rapide [6, 7]. Lorsque la maladie se développe avant 20 ans (souvent associée à plus de 60 répétitions), on parle de forme juvénile [8, 9]. Il est possible de réaliser un test génétique afin de savoir si l’on est porteur de la maladie. Cette demande est encadrée par une équipe pluridisciplinaire (généticien, psychiatre, neurologue) et se déroule sur plusieurs mois du fait de l’impact du résultat sur le sujet à risque et sa famille [10].

La physiopathologie de la maladie reste inconnue à ce jour, mais les recherches ont montré un rôle protecteur de la protéine Htt et un rôle délétère de la protéine huntingtine mutée (Httm) dans le cerveau. La Htt interviendrait dans le transport de vésicules contenant un facteur neurotrophique essentiel à la survie des neurones [11]. Dans le cas de la maladie de Huntington, la Htt formerait des agrégats entravant les fonctions normales de la protéine et induisant la mort neuronale. Les régions les plus atteintes sont les ganglions de la base (notamment le striatum, voir Figure 1), puis le cortex (couches périphériques du cerveau) au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. A terme, on observe une atrophie dans toutes les structures du cerveau.

Un suivi longitudinal de la maladie grâce au centre de référence et aux centres de compétences pour les maladies rares

La prévalence de la maladie de Huntington est de 2,71 [1,55 – 4,72] malades pour 100 000 au sein de la population mondiale, mais varie géographiquement, de 0,25 [0,14 – 0,42] pour la Chine à 12,08 [9,08 – 15,76] pour l’Australie [12]. En France, on estime le nombre de personnes atteintes de la maladie de Huntington à environ 6000 (soit 9 personnes pour 100 000) tandis que 12 000 personnes pourraient être porteuses du gène muté.

La rareté et la complexité de la maladie sont des freins pour la recherche de nouveaux traitements mais aussi pour la prise en charge des patients. Cette maladie nécessite un suivi par des experts. En France, la mise en place des centres de référence et de compétence pour les maladies rares a permis de simplifier et d’intensifier les recherches sur ces maladies. Le centre national de référence pour la maladie de Huntington est situé sur quatre hôpitaux : l’hôpital Henri Mondor de Créteil pour le suivi des patients et la coordination, l’hôpital Albert Chenevier de Créteil pour les formes avancées, l’hôpital Armand Trousseau de Paris pour les enfants et l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière de Paris pour la génétique. Ces centres développent chacun des compétences spécifiques dans la maladie de Huntington et exercent une attraction interrégionale, nationale ou internationale, permettant le suivi d’une grande cohorte de patients. Dans cette maladie, le suivi longitudinal des patients est extrêmement important pour mieux appréhender leur déclin tout au long du processus de la maladie. En France, la première cohorte de patients a débuté en 2002 avec le Réseau Huntington de Langue Française (RHLF), coordonné à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, et comportant aujourd’hui plus d’un millier de patients. Cette cohorte a été intégrée à REGISTRY, la cohorte de l’European Huntington’s Disease Network en 2005 qui elle même sera une composante de ENROLL, une cohorte mondiale, dès 2015. Au centre de référence Henri Mondor, nous avons accès aux données des patients francophones. Ces données regroupent les caractéristiques socio-démographiques et génétiques des patients ainsi que leurs antécédents personnels et familiaux. Les patients ont une visite annuelle où sont évaluées leurs capacités motrices, fonctionnelles et cognitives ainsi que leur état psychiatrique grâce à des échelles d’évaluation standardisées tel que l’UHDRS (Unified Huntington’s Disease Rating Scale) [13]. Les échelles d’évaluation utilisées dans la maladie de Huntington sont détaillées en Annexe A.1. Ces échelles constituent des marqueurs de l’évolution de la maladie.

Les biothérapies 

Actuellement, des traitements symptomatiques peuvent améliorer l’état des patients. Par exemple les neuroleptiques permettent de limiter les mouvements anormaux et les troubles psychiatriques tandis que les antidépresseurs peuvent prémunir les patients contre la dépression ou l’anxiété, d’autant que le risque de suicide est accentué par la maladie [14]. Cependant aucun traitement curatif n’existe. Les recherches de ces dernières années se tournent, entre autres, vers la neuroprotection et les biothérapies. Les biothérapies sont une nouvelle classe de thérapeutiques regroupant à la fois les thérapies géniques (transfert de gènes, intervention sur les gènes) [15], les thérapies cellulaires ou tissulaires substitutives (manipulation de cellules souches ou différenciées) [16, 17, 18], et de manière générale tous les traitements modifiant les paramètres biologiques du patient. Cette classe thérapeutique bouleverse le paysage des essais cliniques. Trois aspects compliquent l’évaluation de l’efficacité du traitement. Premièrement, la complexité et les coûts engendrés par ces traitements impliquent de réaliser des essais cliniques sur de petits effectifs de patients. Deuxièmement, la multitude des étapes nécessaires à la mise en place du traitement, très dépendantes du patient, ajoute de la variabilité. Enfin, ces thérapies nécessitent des actes de chirurgie, rendant l’essai difficilement réalisable en aveugle. Bien que ce type d’essai en double aveugle ait déjà été utilisé [19], cela pose des problèmes d’éthique. En effet, un des critères du traitement de référence ou du placebo est qu’il ne doit pas nuire aux patients, les actes d’anesthésie et de chirurgie comprenant tous les deux des risques [20]. De plus, l’effet de ces traitements peut être lié aux caractéristiques individuelles du patient, qu’elles soient cliniques, génétiques, biologiques ou immunitaires, incitant à développer différentes stratégies thérapeutiques en parallèle et à définir pour chaque patient, celle qui lui sera favorable. Cela passe par une modification des plans expérimentaux utilisés dans les essais cliniques. On ne valide plus seulement le traitement mais aussi des marqueurs d’efficacité du traitement et l’utilité de recourir à une médecine stratifiée [21].

Les greffes de neurones pour la maladie de Huntington 

L’une des biothérapies proposées dans plusieurs essais cliniques de phase I ou II sur la maladie de Huntington est la transplantation de cellule fœtales. L’allogreffe consiste à implanter dans le striatum atrophié des patients, des neurones homologues issus de l’éminence ganglionnaire, zone de formation du striatum, provenant de fœtus humain après interruption volontaire de grossesse. L’idée sous-jacente est que les neurones fœtaux se différencient en neurones striataux et établissent des connexions neuronales fonctionnelles. Les études sur les animaux ont montré un bénéfice de cette technique chez des macaques pour lesquels une lésion striatale a été induite [22] ainsi que chez des souris transgéniques exprimant le génotype de la maladie humaine [23]. Depuis 1998, sept études utilisant ce procédé chez les humains ont été publiées, incluant de 2 à 10 patients [24, 25, 26, 27, 28, 29, 30]. Les résultats restent variables aussi bien entre les études qu’au sein d’une même étude [18]. Les techniques utilisées diffèrent et aucune recommandation officielle n’existe. La première étude montrant un bénéfice chez des patients a été réalisée en France [25] en 2000 avec trois patients sur cinq ayant un bénéfice de la greffe à long-terme [31]. Les bonnes performances cliniques corrèlent avec le métabolisme striatal observé en fluorodesoxyglucose (FDG) par tomoscintigraphie par émission de positrons (TEP). Les résultats encourageants de l’étude pilote réalisée à l’hôpital Henri Mondor de Créteil sur cinq patients [25, 31], ont conduit à réaliser un essai clinique contrôlé et randomisé chez un plus grand nombre de patients afin de démontrer l’efficacité de l’allogreffe. L’essai clinique multicentrique de greffe intracérébrale de neurones fœtaux pour le traitement de la maladie de Huntington (Multicentric Intracerebral Grafting in Huntington’s Disease, MIG-HD) a commencé en 2001 (NCT00190450). C’est un essai ouvert en « delayed-start », comprenant trois phases pour une durée de suivi de 52 mois (Figure 2). En premier lieu, tous les patients sont suivis sans traitement pendant un an. Puis, les patients sont randomisés soit dans le groupe « greffe précoce » soit dans le groupe « greffe tardive », le groupe « greffe précoce », greffé à M13 et M14 et le groupe « greffe tardive », greffé à M33 et M34. Entre M12 et M32, le groupe « greffe tardive » constitue un groupe contrôle. Compte tenu de la durée de l’essai et du déclin pressenti des patients non traités, le comité d’éthique a jugé nécessaire que tous les patients soient greffés. Dans cet essai, le groupe contrôle n’a pas subi d’intervention placebo.

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Table des matières

Introduction
Les problèmes statistiques posés par les études de biothérapie dans la maladie de Huntington
I Analyse de l’effet d’un traitement dans le cadre de données longitudinales et définition de sous-groupes répondeurs
1 Modélisation des données longitudinales (Etat de l’art)
1.1 Le modèle linéaire à effets mixtes
1.1.1 Notations et modélisations
1.1.2 Estimation des paramètres du modèle marginal
1.1.3 Estimation des effets aléatoires
1.2 Le modèle à effets mixtes linéaire par morceaux
1.2.1 Notations et modélisations
1.2.2 Application à MIG-HD
2 Clustering des données quantitatives (Etat de l’art)
2.1 Mesures de dissimilarité entre deux observations
2.2 Cas des données transversales
2.2.1 Algorithmes non paramétriques
2.2.2 Algorithmes paramétriques
2.3 Cas des donnés longitudinales
2.3.1 Un algorithme non paramétrique : clustering des données longitudinales par K-moyennes
2.3.2 Un algorithme paramétrique : clustering des données longitudinales par modèle mixte à classes latentes
2.4 Estimation du nombre de clusters
3 Méthode de clustering pour l’effet d’un traitement prenant en compte l’information pré-traitement dans le cadre de données longitudinales
3.1 Article « CLEB: a new method for treatment efficacy clustering in longitudinal data»
3.2 Simulations supplémentaires
3.2.1 Estimation de la différence d’effet entre les deux groupes
3.2.2 Estimation du nombre de clusters par le critère d’information bayésien (BIC)
3.2.3 Comparaison avec la méthode KML
3.2.4 Comparaison avec la méthode par régressions individuelles
3.3 Application à MIG-HD
II Intégration de nouveaux paramètres dans la conception des essais cliniques
4 Marqueurs pronostiques et marqueurs prédictifs (Etat de l’art)
4.1 Définition générale
4.2 Définition dans le cadre d’une maladie évolutive
4.3 Utilisation des marqueurs en soins courants
5 Intégration des marqueurs pronostiques dans les essais cliniques
5.1 Article « COMT Val158Met Polymorphisms Modulates Huntington’s Disease Progression »
5.2 Exemples d’intégration des marqueurs pronostiques dans les essais cliniques
6 Intégration des marqueurs prédictifs dans les essais cliniques
6.1 Les plans expérimentaux d’essai clinique basés sur un marqueur prédictif (Etat de l’art)
6.2 Impact des valeurs prédictives et pronostiques du marqueur sur les plans expérimentaux stratégiques : une étude de simulation
6.2.1 Objectif et notations
6.2.2 Nombre de sujets nécessaires
6.2.3 Conséquences d’un marqueur prédictif et pronostique sur la puissance de l’étude
6.2.4 Conséquences de l’utilisation de ces plans expérimentaux lorsque le traitement expérimental est meilleur que le traitement standard, indépendamment du marqueur
6.2.5 Discussion
7 Intégration des mesures cognitives grâce à la prise en compte de l’effet retest
7.1 Définition de l’effet retest et problématique associée
7.2 Article « How to capitalize on the retest effect in future trials on Huntington’s disease? »
Discussion
Annexes
A Echelles d’évaluation et plans expérimentaux utilisés dans la maladie de Huntington
A.1 Les échelles d’évaluation de la maladie de Huntington
A.2 Les essais cliniques dans la maladie de Huntington
B Clustering pour l’effet d’un traitement sur des événements récurrents
B.1 Modélisation des événements récurrents
B.2 La méthode CREME (Clustering for Recurrent Event using Mixed Effects)
B.3 Etude de simulation
C Calcul de la puissance comme une fonction de la valeur pronostique du marqueur
C.1 Notations et puissance du test
C.2 Cas des plans expérimentaux stratégiques simple et inverse
C.3 Cas du plan expérimental stratégique modifié
Conclusion
Bibliographie

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