Les prémices théoriques de la perspective et leur application à la représentation de l’architecture

Le maître et l’atelier

« Du premier jour d’Octobre 1672 […] Monsieur Rousseau a certifié à l’Académie que Philippe Meunier, natif de Paris, luy est obligé depuis le mois d’Aoust dernier présédent, et a requis qu’il fust enregistré pour jouir des privilèges portez par les Ordonnances, et a payé l’echu d’ort. »
Cet extrait des procès-verbaux de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture vient confirmer la relation de maître à élève établie très tôt entre Jacques Rousseau et Philippe Meusnier. Il « découvrit en [son élève] un goût dominant pour l’architecture » et « reconnaissant en lui de grandes disposition, se plût à l’initier dans un art où il excellait lui même ».
La formation de Meusnier est donc orientée, dès ses débuts, vers la représentation picturale de l’espace et de la profondeur, de la perspective et de l’architecture, auxquelles il semble être resté profondément attaché tout au long de sa carrière, selon le corpus de ses oeuvres que nous sommes parvenue à établir à ce jour.
Boyer, pour sa part, fut probablement initié dans un premier temps dans l’atelier de son père à l’art de la nature morte et du trompe-l’oeil comme semble le prouver leur réalisation commune du décor de la galerie de l’Hôtel Vendôme à Paris en 168437. Cette perspective qui connut alors un immense succès fut décrite de manière détaillée par le Mercure Galant :
« […] Entre les Chef-d’oeuvres de Peinture que l’on y remarque tous les jours, on a découvert depuis quelques mois une Perspective qui fait l’admiration de tout Paris. Elle doit toute sa réputation à sa beauté ; & ceux qui la virent par hazard sur la fin de l’année dernière dans la Galerie de l’Hostel de Vendôme où elle estoit, en furent tellement surpris qu’ils ne pûrent s’empescher de luy donner de grandes loüanges. Ce qu’ils en dirent excita la curiosité de plusieurs autres ; de forte que tout le monde à l’envy voulant voir ce rare Ouvrage, on a esté obligé de construire une Galerie auprès de l’une des Portes de la Foire pour le mettre au bout, afin de satisfaire l’empressement du Public. Cette Perspective qui représente deux Chambres à treize pieds de hauteur, & est large de seize à dix-sept. Aux deux costez de la première, il y a deux Trumeaux embellis de Quadres, & d’autres Ornemens tout dorez. On voit deux grandes Croisées au devant, & deux au fond. Au bas des deux premières sont deux Portes ouvertes, qui donnent entrée dans des Balcons, & au travers desquelles on découvre des éloignemens, avec une partie du Ciel. Il n’y a personne qui ne crust que le jour qui éclaire cette Chambre entre par les deux Fenestres. Les Volets sont de différente manière, les uns à demy fermez, d’autres ouverts. Le Verre y est si bien imité, & le jour donné si à propos, qu’on y prend tout pour le naturel. Un Miroir est entre les croisées, & au dessus règne une corniche autour de la Chambre, laquelle est garnie de Vases de Lapis à l’antique. Entre ces Vases il y a plusieurs Médaillons, dont l’un représente le Cadran d’une Horloge. Cette Chabre [sic] est boisée d’un bois de racine d’Olivier, & dans les embrasures des Fenestres, sont des panneaux de diverse sorte, où l’ombre des Volets & du Verre paroist comme au naturel, aussi bien que les veines du bois. Elle est garnie de Chaises couvertes de Velours Cramoisy, avec des Franges d’or, & une Tableau avec son Tapies de mesme. Sept de ces Chases qui sont à la gauche de la Chambre entre les croisées, n’ont qu’un demy pied en toute leur étendüe, & dans leur point de veuë, elles paroissent avoir un pied & demy chacune. Il y a auprès de ces Chaises une Basse de Viole, que l’on iroit prendre à six pas de là, comme si c’était un véritable instrument. Une Chaise hors de rang le dos tourné auprès de la Table, & une autre couchée qu’on croiroit hors du pavé, trompent si fort la veuë, qu’on ne peut s’imaginer que ce ne soient pas de vrayes Chaises. Au fond de la Chambre on voit une Cheminée avec deux Chenets d’Argent, & au dessus un Buste que deux Amours accompagnent. Le Plat-fond à cul de Lape, avec ses compartimens dorez, n’a que deux pieds et demy dans toute son étenduë, & il paroist en avoir trente deux dans son point de veuë. Son Pavé qui est de Marbre à parquetage, paroist de mesme, & si plat qu’il semble qu’on pourroit marcher dessus. Aux deux côtez de la Cheminée sont deux portes ouvertes, qui laissent voir une autre chambre, avec trois croisées de chaque côté, qui éclairent le Pavé. Il est de Marbre de différentes couleurs à parquetage, & Chaises qu’on y voit sont de Velours vert. Cette Chambre n’a qu’un pied de Terrain, & dans son point de veuë, elle en a environ trente cinq de longueur. L’union des Couleurs est si bien observée dans cette merveilleuse Perspective, que la veuë en est charmée.
Elle est de Mr Boyer, Peintre de la Ville du Puy en Vellay, & travaillée par luy et par ses deux Fils, fort entedus [sic] dans ces sortes d’ouvrages. J’auray soin de vous envoyer celuy-cy gravé dans une de mes Lettres. Ce qui le fait admirer n’est pas seulement l’éloignement qui fait la beauté de toutes les Perspectives, mais ce qui surprend plus que toutes choses ce sont les côtez de la Chambre, où sont les quatre grandes Fenestres que l’on ne croit point de loin estre sur la Toile qui fait cette Perspective, & qu’on prend pour les côtez de la Galerie. C’est en cela que consiste la grande nouveauté de ce curieux Ouvrage. Quand son A. R. [le Dauphin ?]alla le voir à l’Hôtel de Vendôme, Elle fut trompée, quoy qu’Elle eust dit en entrant, que pour les Chaises.Elle sçavoit bien qu’elles étoient Peintes. Ce Prince vit une Vitre qui luy paroissoit cassée, & il crut presque d’abord qu’elle étoit de la Maison. Cette Perspective donna tant de plaisir à Mr le Duc du Maine, qu’en se retirant, il le fit à reculons, disant qu’il ne pouvoit la quitter. Il en fit ensuite une peinture fort avantageuse aux Personnes les plus distinguées de la Cour, qui ayant eu la mesme curiosité de la voir, en furent charmées ainsi que ce jeune Prince. »38
En effet, parallèlement à sa production de peintures d’architecture qui nous intéressera ici, Boyer continue tout au long de sa carrière à créer des natures mortes en trompe-l’oeil, impliquant bien souvent des instruments de musique et dont l’artiste se fait une spécialité. En témoignent les deux tableaux du Louvre représentant des natures mortes avec des instruments de musique (fig. 3 et fig. 4), ainsi que les nombreuses oeuvres présentes sur le marché de l’art.
Enfin, à l’instar de nombreux artistes de leur temps, Meusnier et Boyer vont compléter leur formation en atelier auprès de leur maître respectif, par un séjour à Rome.

Les séjours romains

Riche de sa propre expérience dans la ville éternelle, Jacques Rousseau incita son jeune élève à s’y rendre à son tour afin d’y perfectionner son art en se confrontant aux grands modèles antiques et modernes qu’elle abrite.
Nous ne connaissons pas les dates exactes du séjour de Meusnier à Rome, nous pouvons seulement tenter de les déduire des autres informations que nous possédons sur l’artiste. Entré dans l’atelier de Rousseau au plus tard en 1672, il est probable que son départ pour Rome se situe vers le milieu des années 1670. Son retour à Paris ne peut, quant à lui, être postérieur au début de 1683, puisque le 8 août de cette même année, Meusnier épousa Eugenie Malvillain (doc. 15).
Les auteurs s’entendent toutefois sur la durée du voyage romain de l’artiste, d’au moins de huit ans ; séjour relativement long même pour un jeune artiste de cette époque. Cette unanimité historiographique se base essentiellement sur le témoignage de Dezallier d’Argenville qui évoque également les « continuelles études » dans lesquelles le jeune artiste s’est plongé. Ce dernier ne néglige alors ni la figure, ni « tous les morceaux d’antiquité, toutes les vues des environs de la ville, qu’il dessina plusieurs fois. La seule église de Saint-Pierre l’occupa près d’un an ; il en fit plus de cent desseins pris de différens aspects »
A la lumière de ces citations, il semble donc que l’attention de notre artiste est avant tout tournée vers les édifices. Il s’intéresse à l’architecture antique, comme en témoigne le seul document qui attesterait de ses études romaines, le dessin figurant les ruines d’un portique et d’une fontaine, habitées de quelques personnages, passé en vente chez Christies en 1997 (D 1). L’inscription « P. Meusnier » située en bas à droite de la feuille, sans être nécessairement autographe, pourrait s’avérer être une attribution correcte. Le jeune Meusnier cherche donc à se former dans un premier temps sur le modèle des Anciens à travers les nombreuses ruines antiques, qui restent une référence indispensable à la formation des artistes au XVIIIe siècle.
Mais le regard de Meusnier se porte également sur l’architecture des Modernes qui fleurit à Rome dans les décennies qui précèdent sa venue. L’importance de cette inspiration et la force de cette influence se retrouvent par la suite dans l’oeuvre de l’artiste. Elles se manifestent tant par le choix des matériaux représentés, notamment les marbres richement colorés et l’emploi d’un certain vocabulaire architectural – galeries scandées de colonnes et de statues, plafonds à caissons ou peints,… – que dans la recherche de l’amplification de l’effet produit par cette architecture, en particulier par les jeux de volumes et de profondeur, mais aussi la magnificence obtenue par l’élancement et la richesse de ces intérieurs.
La présence de Michel Boyer à Rome est, quant à elle, signalée quelques années plus tard, autour de 168941. Son séjour romain est sans doute lié au voyage du futur cardinal.
Melchior de Polignac (1661-1741), homme politique, diplomate, philologue et poète, originaire du Puy-en-Velay comme notre artiste, où il vivait dans le château de la Moute, et qui assurait Boyer de sa protection depuis ses débuts. Cette attention portée par Melchior de Polignac à Boyer semble avoir été continue tout au long de sa vie puisque l’inventaire après décès répertoriant ses biens en son hôtel, rue de Varenne, le 4 décembre 1741, signale « une perspective admirable de Boyer » estimée à 250 livres.
En 1689, Melchior de Polignac se rend à Rome en tant que conclaviste d’Emmanuel- Théodose de La Tour d’Auvergne, cardinal de Bouillon (1643-1715)44. Michel Boyer, attaché à la personne du cardinal le suit donc pendant la durée du conclave, entre le 23 août et le 6 octobre 1689, suite à la mort du pape Innocent XI le 12 août de cette même année, conclave qui aboutit à l’élection du cardinal Pietro Vito Ottoboni, sous le nom d’Alexandre VIII.
Ici encore, à l’image de son compatriote Meusnier, nous ne savons que peu de choses sur le voyage de Boyer dans la capitale pontificale, tant concernant la durée de son séjour que son activité. Il faut toutefois noter la présence de plusieurs toiles de la main de Michel Boyer dans le palais romain de l’abbé Francesco Maruccelli, situé via Condotti et dont les biens ont été répertoriés dans un inventaire établi le 2 janvier 170945. L’une des premières chambres du palais présente une « toile de format imperatore représentant une armoire avec diverses choses à l’intérieur »46. Dans une pièce attenante à la galerie se trouvent « deux tableaux d’environs cinq palmi de haut, et de près de quatre de large avec un cadre doré, […] représentant le premier un coffret [ou cabinet] en verre à demi fermé avec des cristaux apparents et semblant être plein de diverses galanteries, comme des coquilles, des montres, des porcelaines, et autres, le deuxième est un coffret [ou cabinet] similaire ou une étagère pleine de livres liés avec de l’or feint »47, alors que dans la galerie même, « un carton d’environ trois palmes représentant un livre ouvert peint par Mons. Boyer »48 est exposé. Ce dernier est entouré entre autres choses de nombreuses natures mortes parmi lesquelles « un tableau de mesure de neuf, et six avec un cadre doré représentant quelques instruments, et partitions et autres »49 ou encore une peinture « avec un cadre noir et filet d’or représentant une partition de musique sur une petite table et autres choses similaires », qui sans être nécessairement peints par Boyer, présentent des sujets particulièrement proches de ceux que peut réaliser l’artiste par la suite. Enfin, dans la dernière pièce de la villa se trouvent un violon peint par l’artiste ainsi qu’ « une toile de dix de mesure sur sept, de la main de M. Boyer représentant un cabinet avec deux fenêtres, une étagère de livres et une portière de velours cramoisi ».
Mise à part cette dernière oeuvre qui semble dépeindre la pièce même du cabinet de curiosités, peut-être sur le modèle du trompe-l’oeil, nous pouvons observer à la lumière de cet inventaire que ces oeuvres de jeunesse de Boyer relèvent principalement de natures mortes mais peu encore de représentations d’espaces réels ou d’architectures.
Nous ignorons le contexte de ces commandes et les raisons du choix de cet artiste par Maruccelli. Toujours est-il qu’elles témoignent d’une renommée déjà établie du jeune artiste dans les hautes sphères de la société romaine. Ces travaux, commande relativement importante pour un jeune artiste qui a peut-être bénéficié de l’appui de son protecteur, ne doivent ainsi probablement pas être les seuls exécutés par Boyer au cours de son séjour romain, mais ce sont les seuls que nous connaissons actuellement.

La carrière académique et institutionnelle

L’hypothèse d’un séjour bavarois de Philippe Meusnier

Après une première période de relative tolérance, Louis XIV renforce sa lutte envers les Protestants et les persécutions, les dragonnades, se multiplient dès 1679 contre les Réformés, notamment par leur exclusion des Offices et de certaines professions libérales. Fort des nombreuses abjurations et conversions qui s’ensuivent, le roi révoque l’Edit de Nantes par l’Edit de Fontainebleau le 18 octobre 1685, souhaitant rétablir l’unité religieuse du royaume.
Cet édit entraîne, entre autres choses, l’interdiction pure et simple du culte protestant, la démolition des temples, ou encore la fermeture des écoles réformées, provoquant la fuite de près de 200 000 à 300 000 Protestants, qui exerçaient principalement des professions libérales, du négoce ou de l’artisanat, vers les pays de l’Europe protestante tels que les Provinces-Unies, l’Angleterre, le Brandebourg, ou la Suisse.
A Marly, Meusnier prend la suite de son maître Jacques Rousseau qui se voit contraint de quitter la France suite à cette révocation de l’Edit de Nantes. Déjà expulsé de l’Académie en octobre 1681 à cause de sa foi, il travaille tout de même au service du roi dans les années 1680 avant de s’exiler définitivement vers l’Angleterre autour de 168754. Tout nous porte à croire que Philippe Meusnier est également protestant. Or, pourquoi n’est-il pas, comme son maître, inquiété pour ses convictions religieuses ? Et pourquoi peut-il rester en France pour travailler au service de la couronne à la même époque ? Est-ce plutôt à ce même moment qu’il part pour Munich, comme le signalent certains biographes ?
Nous ne possédons aucun témoignage concret de ce séjour munichois dont les dates restent floues, ni les raisons qui le poussèrent à se rendre auprès de l’Electeur de Bavière, selon cette tradition historiographique bien ancrée, et basée sur les propos de Dezallier d’Argenville. Selon ce dernier, Meusnier se retire à Munich, mécontent de quelque injustice puisque l’artiste vient alors tout juste d’être reçu à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture.
56 Cette tradition historiographique est reprise par la suite par tous les biographes de l’artiste : Dussieux, 1852, p. 167 ; Bénézit, t. IX, 1999, p. 555 ; Bellier de la Chavignerie et Auvray, 1979, p. 81. dont il aurait été victime ou de quelques désagréments avec les contrôleurs des Bâtiments du roi. Par ailleurs et selon d’autres biographes, la mort du protecteur de Meusnier, Jules Hardouin Mansart en 1708, serait à l’origine du départ de l’artiste pour Munich, mais les dates ne correspondent pas : le voyage de Meusnier serait alors trop tardif. Nous préférons dater le séjour de Meusnier dans la ville bavaroise plus tôt, dans les dernières années du XVIIe siècle, après ses premiers travaux pour le roi à Marly, mais avant son entrée à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en 1700.
« On [probablement Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville] ne nous dit pas le temps que Meusnier passa à Munich ni les travaux qu’il y exécuta »59, mais l’Electeur de Bavière, Maximilien-Emmanuel (1679-1726), le reçoit avec beaucoup de joie, lui accordant tous les avantages pour le conserver auprès de lui et lui faisant probablement réaliser des programmes de décors de palais. Ce prince est effectivement connu pour être un grand amateur d’art et un collectionneur prolifique, parvenant à élever sa collection de peintures au rang des plus grandes d’Europe grâce notamment aux rapports qu’il entretient avec les cours d’Espagne, de France, d’Allemagne et d’Italie.
Il convient de se demander s’il faut lier son séjour Munichois et sa relation avec l’électeur de Bavière avec l’évocation de sa présence à Bruxelles où il aurait entrepris de décorer le théâtre royal. Une fois de plus, c’est Dezallier d’Argenville qui, le premier nous apprend l’existence de ce séjour et le situe dans les années 172062. Les quelques recherches que nous avons menées en ce sens ne nous ont pas permis d’étayer l’hypothèse de la participation de Meusnier au décor du théâtre royal, aujourd’hui désigné comme Théâtre de la Monnaie ; mais nous pouvons d’ores et déjà noter l’intérêt du lien qui existe entre Bruxelles et la Bavière et qui s’exprime notamment par la commande, en 1700, de la construction du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles par Max-Emmanuel, électeur de Bavière.
Enfin, toujours selon Dezallier d’Argenville, Monsieur de Torcy, secrétaire des affaires étrangères françaises, est chargé par le Roi d’envoyer un passeport à Meusnier afin de le faire revenir en France64, probablement au prix de son abjuration.
Dans les premières années du XVIIIe siècle, la carrière de Meusnier prend un nouveau tournant avec son admission dans les institutions artistiques de son temps, telles que l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture ou encore la manufacture royale des Gobelins.
Sa réception à l’Académie, plutôt tardive pour un artiste de ce temps va de peu précéder celle de Michel Boyer. Ainsi, les parcours des deux artistes se rejoignent finalement en ce début de siècle.

L’Académie Royale de Peinture et de Sculpture

Depuis sa création et après des débuts difficiles, l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture représente au début du XVIIIe siècle une marque de reconnaissance notable de la part d’une réunion d’artistes qui occupent le devant de la scène, reçoivent des commandes importantes liées notamment à la Maison royale, et incarnent « le bon goût régnant ».
La réception de Philippe Meusnier à l’Académie le 20 juillet 1700 est relativement tardive dans la vie de celui-ci puisqu’il est alors âgé de quarante-cinq ans et a déjà derrière lui une carrière bien avancée. Par ailleurs, cette entrée est particulière car l’artiste est présenté, agréé et reçu académicien le même jour. En effet, « la Compagnie, après avoir pris les voix par les fèves a agréé sa présentation, et, ayant jugé que le tableau d’architecture par luy [Meusnier] présenté pouvoit luy servir à sa réception, elle a résolu de le recevoir dès aujourd’hui ». Cette pratique est relativement rare à l’Académie et n’a été observée que pour deux autres artistes sur la période allant de 1689 à 1704. Le peintre Hyacinthe Rigaud (1659-1743) et le sculpteur François Barois (1656-1726) ont été chacun présentés et reçus à l’Académie le même jour, respectivement le samedi 2 janvier et le samedi 30 octobre de la même année 170068. La Compagnie, jugeant que les tableaux ou sculptures présentés par les deux artistes lors de leur présentation pouvaient leur servir de morceaux de réception et connaissant par ailleurs le mérite de ces artistes les reçut donc le jour même de leur présentation, comme il fut également fait pour Meusnier en 1700. Quelle peut-être la raison de ce privilège accordé à seulement trois artistes, reçus par ailleurs la même année ? Faut-il le lier à l’âge déjà avancé de ces artistes lors de leur présentation à l’Académie, à leur carrière déjà bien établie, ou à l’accord de quelques faveurs ? Peu de temps avant la réception de Philippe Meusnier, le 26 juin de cette même année 1700, Michel Boyer s’est également présenté à l’Académie. Sa réception suit cependant le processus traditionnel établi par l’institution. Le jour de sa présentation, la Compagnie lui demande de présenter « pour ouvrage de réception, un tableau d’architecture de la grandeur ordinaire dans six mois »69. Cette présentation est suivie de l’agrément de Michel Boyer, qui présente l’esquisse de son morceau de réception l’année suivante, le 28 août 170170, avant sa véritable réception qui a lieu le 30 avril 1701 en tant qu’ « Académicien sur le talent de l’architecture », comme l’avait été plus tôt son aîné Meusnier. évolué constitue l’une des principales clés de compréhension de la peinture française, plus particulièrement depuis la seconde moitié du XVIIe siècle jusqu’au début du XIXe siècle. Les morceaux de réception, matérialisant l’expression artistique de cette institution, sont des documents précieux : témoins visuels d’une certaine chronologie de la peinture française, ils sont pour nous l’occasion de rendre hommage à des peintres connus, à réviser nos idées sur d’autres, ou à découvrir le talent d’artistes oubliés.
Les morceaux de réception des deux artistes qui nous concernent présentent un caractère semblable, lié aux choix identiques de leur spécialité, la peinture d’architecture. Si celui de Meusnier, représentant « le dedans d’un Palais en perspective ouvert de deux grandes arcades, au travers desquelles on voit un paysage »73, longtemps identifié comme étant l’un des tableaux du Musée des Beaux-Arts de Nancy, est désormais perdu (*P 2)74, on connait celui de Boyer qui présente « des édifices bâtis en mer à la vénitienne avec des figures »75 et qui est désormais conservé au Musée du Château de Versailles (fig. 5). Le premier plan de ce tableau, plongé dans l’ombre, est constitué d’une sorte d’embarcadère pavé et bordé de deux édifices d’inspiration antique – caractérisés par le relief sculpté à gauche et la frise dorique alternant les triglyphes et les métopes – encadrant la composition et jouant le rôle de motif repoussoir.
Ce vocabulaire architectural antique se retrouve avec les édifices à sénestres du deuxième plan de la composition. Un portique à colonnes jumelées, surmonté de baies cintrées avec balustrade, borde le plan d’eau et fait face à un édifice de pierres blanches inspiré de l’architecture classique comme en témoignent les lignes droites qui le régissent, le premier niveau aux grandes croisées cintrées, surmonté d’un premier étage fortement rythmé par des colonnes doubles. La régularité de cette façade est cassée par la présence d’une petite terrasse permettant le débarquement, de part et d’autre de laquelle deux grandes cariatides soutiennent un balcon. Le plan d’eau est délimité dans le fond par un arc de triomphe en ruine qui se poursuit par un portique.
L’évocation vénitienne signalée dans la description du morceau de réception de Boyer ne peut certes pas se trouver dans le vocabulaire classique du palais situé à droite dont les grandes croisées, proches du niveau de l’eau, ne correspondent pas à l’architecture et aux contraintes de l’environnement vénitien. Mais la présence d’un palais, les pieds dans l’eau, lié de manière si étroite à la mer ne permet pas moins par la présence des gondoles, d’évoquer le caractère si particulier de la Sérénissime.
Ce tableau de Trianon que nous venons de décrire est très souvent cité accompagné d’un pendant, représentant des Ruines d’architecture (fig. 6). L’habitude de Michel Boyer de créer deux tableaux en pendant, l’un représentant une scène liée à la mer, l’autre à la terre, ainsi que les dimensions très proches des deux tableaux laissent en effet à penser qu’ils sont les pendants l’un de l’autre. Cependant, il serait étrange que Boyer ait réalisé deux tableaux en pendant alors que les documents de l’Académie ne citent qu’une oeuvre commandée, préparée et réalisée par l’artiste dans le cadre de sa réception à l’Académie. Une observation plus précise des Ruines d’architecture nous a alors conduit à remettre en cause cette attribution à Boyer.
En effet, ce tableau présente des traces très visibles d’agrandissement : à l’origine, il était de format portrait dont les dimensions étaient d’environ 97,3 x 76,5 cm, ce qui indique qu’il ne pouvait donc pas être peint par Michel Boyer comme un pendant du premier tableau.
Par ailleurs, les ruines antiques occupent une place peu importante dans ce tableau où la nature domine. Contrairement à la production de Boyer, nous sommes donc en présence d’un paysage comportant des ruines et non un tableau d’architecture. Ces premiers doutes, alimentés également par la mention de Jean-Baptiste Martin sur certains éléments de la documentation du Château de Versailles, sont fortement confortés par la comparaison de ce tableau avec deux Ruines d’architecture, attribuées précisément à ce Martin, également appelé Martin des Batailles (fig. 7 et fig. 8). Ce dernier, à l’instar d’Adam François Van der Meulen (1632-1690) était le peintre des conquêtes de Louis XIV, mais il semble également avoir réalisé des tableaux de paysage avec des ruines antiques et des foires, dans une atmosphère proche de l’art classique romain. La comparaison entre ces trois tableaux est tout à fait éloquente : il est possible d’y retrouver cette architecture antique en ruine, placée au coeur d’un paysage italien à travers lequel un chemin serpente et conduit tant le regard des spectateurs que les figures du tableau. Enfin, le savant mélange des essences d’arbres ainsi que la manière d’exécuter les feuillés sont communs dans les trois oeuvres.

Les Salons : 1704 et 1725

Même si l’organisation du Salon est moins fréquente entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle, la manifestation conserve toutefois son statut de vitrine artistique de premier plan. Le Salon de 1704, récemment étudié à l’occasion de l’exposition de Sceaux reste ainsi un évènement important de la scène artistique du début du XVIIIe siècle90.
A l’occasion de ce Salon de 1704 tenu dans la Galerie du Louvre, Michel Boyer, peu d’années après sa réception à l’Académie, présente cinq tableaux d’architecture exposés « à costé des deux portes de la sortie »91. Malheureusement, la maigre évocation de ces derniers, fait bien souvent caractéristique des tableaux de paysage ou d’architecture, ne nous permet pas aujourd’hui d’identifier ces oeuvres. Le commissaire de l’exposition de Sceaux a cependant fait le choix de présenter le Repas dans une architecture (fig. 9), tableau conservé avec son pendant, Lever de soleil sur un port de mer (fig. 10), au Musée Auguste Grasset de Varzy.
Si la participation de Michel Boyer au Salon est avérée, celle de Philippe Meusnier reste plus problématique, certains auteurs allant même jusqu’à affirmer que « cet artiste n’a pris part à aucune exposition »92. En réalité, à la suite de la description de trois oeuvres présentées par Jacques Lajoüe au Salon de 1725, l’artiste est mentionné pour avoir « exposé quelques tableaux peints dans le même goût, avec des vües et des lointains très-bien ménagez »93. L’absence d’une notice dédiée uniquement à Meusnier et le manque de précision sur le lieu où seraient exposées ces peintures ne nous permettent pas d’affirmer directement qu’il s’agit bien du Salon de 1725 dont le carnet relate les propos. Il n’est cependant pas rare dans ce type de document datant de cette période que l’auteur n’use pas de références précises aux oeuvres présentées dans l’exposition. Ainsi, et contrairement à ce que certains biographes ont voulu croire, il semblerait que le peintre d’architecture expose bien certains de ses tableaux au Salon de 1725, l’identification de ces derniers restant difficile par l’absence d’une description assez précise.
Dans la seconde moitié du XVIIIe, après la mort de Philippe Meusnier et Michel Boyer, les oeuvres des deux artistes se font encore plus rares dans les Salons ou les diverses expositions de peinture. Si leurs noms sont cités à l’occasion du Salon de la Correspondance, l’exposition générale de l’Ecole française de 1783, il semblerait qu’aucune de leurs oeuvres ne soit présentée.

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Table des matières

Remerciements
Avertissement 
Introduction 
I. Philippe Meusnier et Michel Boyer : la carrière d’un peintre d’architecture sous l’Ancien Régime
A. Le milieu social et la formation
1. L’origine sociale et la naissance
2. Le maître et l’atelier
3. Les séjours romains
B. La carrière académique et institutionnelle
1. L’hypothèse du séjour bavarois de Philippe Meusnier
2. L’Académie Royale de Peinture et de Sculpture
3. Les Salons : 1704 et 1725
4. La manufacture des Gobelins
5. Le logement aux Galeries du Louvre
C. De la maturité aux dernières années
1. Les années fastes : les grandes commandes des premières décennies du XVIIIe siècle
2. Au crépuscule de la vie, inventaires et successions
II. Les questions de collaboration 
A. La spécialisation des peintres et l’exemple de la tapisserie
1. La hiérarchie des genres et la spécialisation des peintres
2. Les arts décoratifs : l’exemple de la tapisserie
B. La collaboration aux grands décors : simple exécuteur ou concepteur ?
1. Les décors royaux de la Perspective de Marly à la chapelle de Versailles
2. Philippe Meusnier, collaborateur d’Antoine Coypel : les décors pour le duc d’Orléans
3. L’escalier de la Reine à Versailles : une exception ?
C. Les figures des tableaux d’architecture
1. Les sources de la tradition historiographique de la collaboration
2. Antoine Watteau, ses satellites ou le peintre d’architecture : qui peint les figures ?
3. Les raisons d’un échange de compétences
4. La question de l’attribution et ses conséquences
III. Le genre de la peinture d’architecture dans la première moitié du XVIIIe siècle : l’architecture « contexte » ou l’architecture « sujet » 
A. De la technique à la théorie, de la théorie à la représentation
1. Les prémices théoriques de la perspective et leur application à la représentation de l’architecture
2. L’architecture « contexte » en peinture
B. L’architecture et la nature, vers une architecture « sujet »
1. Du paysage aux ruines, des ruines à l’architecture « sujet »
2. Collectionner et exposer les tableaux d’architecture
3. La quadratura ou le « règne de la perspective »
C. Philippe Meusnier, de la réalité à l’imaginaire
1. Le vocabulaire architecture et les références picturales de Philippe Meusnier
2. L’architecture rêvée de Philippe Meusnier
Conclusion : Le dernier renouveau de la peinture d’architecture sous l’Ancien Régime
Conclusion 
Bibliographie 
1. Sources
2. Littérature critique
Catalogues d’exposition

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