Les pratiques de mobilités à vélo durant l’enfance et l’adolescence : des enjeux multiples et variés

Les pratiques de mobilités à vélo durant l’enfance et l’adolescence : des enjeux multiples et variés

Vis-à-vis de l’environnement 

À l’instar de l’objectif d’application du « facteur 4 » (division par quatre des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) d’ici 2050), la France s’est engagée à atteindre des objectifs ambitieux en termes de développement durable. Dans cette perspective, l’adoption de modes actifs par les jeunes générations constitue un enjeu considérable. Le secteur des transports est aujourd’hui à l’origine de 25 % des émissions nationales de GES. Aussi, d’ici à 2020, l’Union européenne s’est engagée à réduire ses émissions de CO2 de 20 % par rapport au niveau de 1990, et de 80 % d’ici à 2050 (Goujon, 2012). À ce titre, la Fédération des cyclistes européens (ECF) a calculé que si chaque européen pédalait comme les Danois·es, à savoir en moyenne 2,6 km par jour, le vélo permettrait de réduire de 15 % les émissions de dioxyde de carbone (CO2) associées aux transports. Au-delà de la réduction des GES, le développement des modes actifs constitue l’opportunité de réduire la pollution atmosphérique (particules, dioxyde d’azote, benzène, etc.). Aussi, le Plan national santé environnement 2 (2010-2014) encourage le développement de la marche et du vélo, notamment pour améliorer la qualité de l’air. Les modes actifs représentent également un enjeu considérable vis-à-vis de la réduction du bruit, essentiellement lié aux transports motorisés, provoquant des effets négatifs sur le plan de la santé (principalement, troubles du sommeil et hypertension) (Goujon, 2012).

En outre, malgré leur développement, les activités de loisirs ne permettent pas aujourd’hui de compenser la diminution de l’activité physique quotidienne liée aux transports ou aux occupations scolaires et domestiques. L’accès à des chemins piétonniers ou cyclables, aux parcs et à des zones de loisirs, est souvent rendu difficile par l’urbanisation extensive ou par les distances entre le domicile et ces équipements. En parallèle, l’évolution de l’offre de loisirs dits « passifs » (télévision, internet, jeux vidéo) favorise les comportements sédentaires (Rostan, Simon et Ulmer, 2011) . En réponse à cette prise de conscience et à l’accroissement mondial de la prévalence du surpoids et de l’obésité, l’OMS recommande l’équivalent de trente minutes d’activité physique modérée ou intense par jour pour les adultes, et le double (soit soixante minutes par jour) pour les enfants et adolescent·e·s (5-17 ans) . Comme pour les adultes cette recommandation doit être réalisée en plus des activités physiques de la vie quotidienne de faible intensité et de celles qui durent moins de dix minutes. De surcroît, au moins trois fois par semaine, ces activités devraient inclure celles qui permettent d’améliorer la force musculaire (exercice en résistance), la capacité cardiorespiratoire (activités aérobies « vigoureuses »), la santé osseuse (activités induisant une contrainte physique plus forte) et la souplesse, sous forme de séances ayant une durée minimale de vingt minutes . L’accent est mis sur la nécessité pour les jeunes d’avoir accès à toute une palette d’activités physiques attrayantes répondant à ces critères. Bien que le nombre d’heures d’Éducation Physique et Sportive (EPS) prévu dans les programmes scolaires français figure parmi les plus importants de la communauté européenne, et malgré une offre de loisirs importante, en France, seule la moitié des enfants et adolescent·e·s atteindraient ce niveau de recommandation (Escalon, Bossard et Beck, 2009) : 40 à 60 % d’entre eux/elles ne pratiquant pas d’autres activités physiques que celles des cours obligatoires à l’école. De plus, une diminution des Activités Physiques et Sportives (APS) de loisirs est observée avec l’âge, notamment durant l’adolescence (ibid).

Or nous allons voir que les activités physiques pratiquées par les enfants et les adolescent·e·s se traduisent par de nombreux effets bénéfiques associés aux trois dimensions de la santé (physique, mentale, sociale) .

Vis-à-vis de la santé (physique, mentale et sociale) 

Les effets les plus connus ont trait à la prévention de nombreuses pathologies liées à la sédentarité. De fait, les activités physiques préviennent ou retardent l’apparition de maladies cardio-vasculaires (hypertension artérielle, athéromatose et artériosclérose) ainsi que métaboliques (insulino-résistance, diabète de type 1 et 2, dyslipidémie et obésité). Bien que les données spécifiques aux enfants et adolescent·e·s soient peu nombreuses par rapport à celles disponibles pour les adultes, une étude rapporte qu’un niveau de vie actif exerce un effet positif sur la diminution du risque de diabète de type II chez les adolescent·e·s (Goran, Ball et Cruz, 2003). De surcroît, il a été montré qu’une partie de l’« effet protecteur » (contre l’obésité) de l’exercice physique effectué pendant l’enfance et l’adolescence se poursuit au-delà, le risque d’avoir un surplus de poids à l’âge adulte étant inversement proportionnel au volume d’exercice physique pratiqué pendant les cours d’éducation physique et les activités parascolaires (Menschik et al., 2008). Par ailleurs, les activités physiques sont des facteurs de développement de l’appareil locomoteur (densité osseuse, surfaces articulaires et masse musculaire). Pratiquées pendant l’enfance et l’adolescence, elles permettent de maximiser l’accumulation de minéraux dans les os qui déterminera le pic de masse osseuse à l’âge adulte (Baxter-Jones et al., 2008). Elles participent également au développement des qualités motrices, des organes sensoriels, du schéma corporel, de l’équilibre, de la coordination, etc. Or, les habiletés motrices sont à la fois associées positivement à la pratique actuelle (Wrotniak et al., 2006) et à la pratique future d’activités physiques (Lopes et al., 2010 ; Barnett et al., 2009). S’il n’est pas possible de déterminer dans quelle mesure elles favorisent la pratique d’activités physiques ou l’inverse, nous savons que les enfants présentant des problèmes de coordination risquent davantage de faire état d’un excès de poids (Cairney et al., 2010). En outre, plusieurs études ont révélé une association entre la pratique d’activités physiques récréatives à l’adolescence et un risque moins élevé de cancer du sein (Friedenreich, Courneya et Bryant, 2001 ; Shoff et al., 2000). Une méta-analyse de 23 études sur l’activité physique des adolescentes et des jeunes adultes de 12 à 24 ans indique que ce risque est environ 20 % moins élevé chez celles qui sont physiquement actives (Lagerros, Hsieh et Hsieh, 2004). Chez les adolescentes (ici, 13-19 ans), chaque heure d’exercice physique hebdomadaire est globalement serait associée à une diminution de 3 % du risque de cancer du sein. De surcroît, une étude réalisée auprès de 1459 femmes venant de recevoir un diagnostic de cancer du sein et d’un groupe témoin de 1556 femmes, montre que le lien entre la pratique d’activités physiques à l’adolescence et un risque moindre de cancer du sein persiste même s’il y a abandon de la pratique à l’âge adulte (Matthews et al., 2001).

Durant l’enfance et l’adolescence, l’activité physique entraîne également des effets bénéfiques sur plusieurs déterminants de la santé mentale. Comme chez les adultes, l’activité physique améliorerait l’humeur (Annesi, 2005 ; Ortega et al., 2008 ; Williamson, Dewey et Steinberg, 2001) et réduirait les niveaux de stress (Norris, Carroll et Cochrane, 1992), d’anxiété, et de dépression (Strong et al., 2005 ; Ortega et al, 2008). La pratique d’activités physiques permettrait également d’améliorer l’image de soi, soit la perception qu’une personne a d’elle-même ; et l’estime de soi, soit la valeur qu’une personne s’attribue. Elle permettrait d’avoir une bonne image de soi sur le plan physique (ex. habiletés, force, endurance, apparence) mais également sur un plan plus global (Strong et al., 2005). L’effet bénéfique de l’activité physique sur l’estime de soi est quant à lui attesté par des études menées à petite comme à moyenne échelle (Annesi, 2005 ; Bonhauser et al., 2005 ; Strong et al., 2005), mais nécessiterait des études a plus grande échelle et comportant des contrôles plus serrés pour mieux cerner les mécanismes produisant cet effet (Ekeland et al., 2005). D’autant que plusieurs études soulignent que l’encadrement plus ou moins exigeant et valorisant des activités physiques des enfants, peut aussi avoir une influence néfaste sur l’estime de soi (Dworkin et Larson, 2006 ; Fraser-Thomas et Côté, 2009). En outre, certains travaux suggèrent qu’en plus de contribuer à développer des habiletés cognitives propres aux pratiques physiques elles-mêmes (ex. exécuter une séquence de mouvements complexes, prendre des décisions rapidement, etc.), les activités physiques permettraient d’améliorer certaines fonctions exécutives (mécanisme de planification des actions), voire l’amélioration de la réussite des pratiquant·e·s, à des tests de mathématiques (Davis et Lambourne, 2009).

Enfin, la pratique d’activités physiques peut constituer un vecteur d’adaptation sociale qui contribue à briser l’isolement (Barber, Eccles et Stone, 2001). Elle est souvent l’occasion de développer un sentiment d’appartenance à un groupe, une communauté, et de se créer ainsi un réseau social (Eccles et al., 2003 ; Walseth, 2006).

Bien entendu, les effets bénéfiques venant d’être évoqués peuvent considérablement varier selon les individus et les types de pratiques, et notamment selon la fréquence, la régularité, et l’intensité de ces pratiques. D’une manière générale, les déplacements à vélo et à pied sont associés à des effets bénéfiques vis-à-vis des maladies cardiovasculaires et de la mortalité (Oja et al., 1998 ; Shephard, 2008 ; Gordon-Larsen et al., 2009 ; Doorley et al., 2015), mais également vis-à-vis du bien être (Mytton, Panter et Ogilvie, 2016). Par ailleurs, il a été montré que les transports actifs pouvaient représenter une part non négligeable de l’activité physique totale chez les enfants et les adolescent·e·s (Faulkner et al., 2009). Plusieurs études montrent ainsi que ceux/celles qui se rendent dans leur établissement scolaire à vélo cumulent davantage de minutes d’activité physique modérée ou intense (Alexander et al., 2005 ; Sirard et al., 2005 ; Saksvig et al., 2007) et brûlent davantage de kilocalories journalières (Tudor-Locke et al., 2003 ; Saksvig et al., 2007) que ceux/celles qui utilisent des modes passifs. En outre, certains travaux indiquent que les enfants qui utilisent le vélo pour se rendre à l’école présentent des capacités respiratoires (Cooper et al., 2008 ; Chillon, Vaughn et Ward, 2011) ou des marqueurs de risques cardiovasculaires (Andersen et al., 2011) significativement meilleurs que les autres. Par ailleurs une étude montre que les adolescent·e·s qui continuent de se rendre dans leur établissement scolaire à vélo à 13 ans présentent significativement moins de chance d’être en surpoids que ceux/celles qui ont arrêté et que ceux/celles qui n’ont jamais utilisé le vélo pour se rendre à l’école (Bere et al., 2011). Néanmoins, d’autres travaux ne rapportent aucune association significative entre le recours aux modes de déplacement actifs (marche et vélo) durant l’enfance ou la préadolescence, et la prévalence du surpoids ou de l’obésité (Andersen et al., 2011 ; Heelan et al., 2005 ; Pabayo et al., 2010).

Observons que l’ensemble de ces recherches portent exclusivement sur des déplacements domicile-lieu d’étude, qui constituent dans la grande majorité des cas, des temps d’activité physique très réduits. À notre connaissance, aucune étude sur les enfants et/ou les adolescent·e·s ne met en relation les effets sanitaires des mobilités à vélo dans leur ensemble (déplacements et loisirs), avec leur fréquence, leur durée, et leur intensité.

Par ailleurs, les pratiques du vélo ne présentent pas que des bienfaits pour la santé. Chaque année (sur la dernière décennie), environ 150 cyclistes décèdent sur les routes en France, soit un peu moins de 4 % des victimes de la route. Ce chiffre masque cependant la réalité des accidents cyclistes dans la mesure où ceux-ci sont caractérisés par 10 fois plus de blessé·e·s graves que de tué·e·s (Amoros, Martin et Laumon, 2008), une tendance qui n’est pas propre à la France. Quels que soient leur nationalité, les travaux font consensus sur le fait que les jeunes et les personnes âgées sont plus sujet·te·s au risque d’accident (Vanparijs et al., 2015 ; Bil et al., 2010). Pour les personnes âgées, la dégradation des facultés physiques, visuelles et auditives conjuguée à une plus grande fragilité physiologique (Amoros et al., 2012) est à l’origine de ce sur-risque. Selon certains travaux, la population jeune pourrait être séparée en deux classes d’âge en fonction des facteurs à l’origine de la surexposition : une première allant jusqu’à 14 ans, une seconde rassemblant les jeunes de 15 à 24 ans. Pour les premiers, la vulnérabilité pourrait notamment être expliquée par le manque d’expérience et la difficulté d’appréciation de la vitesse d’un véhicule (Briem et al., 2004). Plus précisément, chez les enfants âgés de 8 à 12 ans, le respect des règles serait décroissant avec l’âge tandis qu’à l’inverse, la recherche de vitesse serait croissante en dépit des règles de sécurité établies. Associée à un gain de confiance et une diminution de la peur avec l’âge, l’augmentation de la vitesse serait accompagnée d’un accroissement du nombre d’erreurs relatives aux règles de sécurité routière (Briem et al., 2004). Pour les seconds (15-24 ans), la surreprésentation serait notamment expliquée par une plus grande prise de risque (Amoros et al., 2012). D’autres études complètent cette analyse en rapportant que les adolescent·e·s (13-18 ans) adoptent généralement des comportements à risque en se distinguant par une faible prise en compte de leurs propres responsabilités dont ils/elles sont pourtant conscient·e·s et par une surestimation de leurs capacités à vélo (Feenstra, Ruiter et Kok, 2010), ou encore que ces derniers·ères (10-17 ans) se blessent fréquemment le week-end, lors de « flâneries », souvent en « dérapant sur la surface de la route », et très rarement en « évitant un autre usager de la route ou un objet » (Billot-Grasset, 2015).

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Table des matières

Introduction générale
Généalogie d’une recherche
Les pratiques de mobilités à vélo durant l’enfance et l’adolescence : des enjeux multiples et variés
Constats à l’origine de la problématique de recherche
Un cadre théorique dispositionnaliste
Des méthodes multiples et diversifiées prenant en compte les spécificités des adolescent·e·s
Plan du mémoire
PARTIE 1 – CADRAGE THÉORIQUE, RÉSULTATS STATISTIQUES ET MÉTHODES DES ENQUÊTES DE TERRAIN
CHAPITRE 1 : Fondements théoriques. L’adolescence, une période de renforcement des socialisations sexuées aux (et par) les mobilités à vélo ?
1. L’adolescence, une période charnière de socialisation aux (et par) les mobilités
2. L’adolescence, ou le renforcement des socialisations sexuées à (et par) l’investissement de l’espace public
3. Des socialisations aux (et par les) activités physiques/sportives
4. L’adolescence, ou le renforcement des socialisations sexuées aux (et par les) activités physiques/sportives
CHAPITRE 2 : Analyse statistique des variations socio-spatiales des pratiques sexuées du vélo durant l’adolescence
1. Des socialisations sexuées variables
2. Certains déterminants socio-spatiaux des pratiques du vélo impactent-ils dans une mesure significativement différente les filles et les garçons ?
CHAPITRE 3 : Enquêtes de terrain, questions de méthodes
1. De la pertinence de l’association entre entretiens semi-directifs et observation
2. Quelles particularités méthodologiques prendre en compte pour enquêter auprès d’adolescent·e·s ?
3. Présentation des territoires d’enquête
4. Caractéristiques, modalités et déroulement des enquêtes
CHAPITRE 4 : Rendre intelligible et décrire la diversité et la fluidité des manières de penser et de pratiquer le vélo des adolescent·e·s
1. Dépasser les typologies existantes
2. Cartographier les manières types d’être pratiquant·e du vélo des adolescent·e·s en milieu urbain
3. Compléter la méthode cartographique
PARTIE 2 – RÉSULTATS ISSUS DES ENQUÊTES DE TERRAIN ET DE TROIS ÉTUDES COMPLÉMENTAIRES
CHAPITRE 5 : La bicyclette des adolescentes, les vélos des adolescents
1. Hyperféminité, hypermasculinité : les injonctions cachées des vélos « de fille » et des vélos « de garçon »
2. La bicyclette des adolescentes, les vélos des adolescents
CHAPITRE 6 : Le vélo, un support à la fabrique des corps sexués
1. Le vélo, d’abord perçu comme un sport masculin et/ou un mode de déplacement dangereux
2. L’adolescence, ou le renforcement des dispositions sexuées à risquer ou protéger son corps
3. L’adolescence, ou le renforcement des dispositions sexuées à forcer ou ne pas forcer
CHAPITRE 7 : Le vélo, un support à la fabrique d’espaces publics sexués
1. L’adolescence, ou le renforcement des dispositions sexuées à (ne pas) craindre de se déplacer seul·e
2. L’adolescence, ou le renforcement des dispositions sexuées à (ne pas) s’aventurer
3. L’adolescence, ou le renforcement des dispositions sexuées à (ne pas) trainer dans l’espace public
4. L’adolescence, ou le renforcement des compétences cyclistes sexuées
CHAPITRE 8 : Le vélo, un support de distinction sexuée, sociale et spatiale, par les corps
1. Des socialisations au (et par le) vélo particulièrement sexuées en QPV
2. Les adeptes-filles : des adolescentes aux opportunités réelles augmentées
3. Des normes sexuées et des dispositions « féminines » assujettissantes « trop » solidement ancrées ?
Conclusion générale
Synthèse des résultats de recherche
Limites et perspectives
Annexes
Bibliographie

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