Les pratiques d’auto-soin : entre autonomisation et appropriation du système médical

Un modèle biomédical qui contraint les personnes et qui produit des normes

Dans cette première partie, nous nous intéresserons à la naissance de la santé publique ainsi qu’à l’histoire de la biomédecine. Il s’agira de découvrir comment ces institutions se sont progressivement développées jusqu’à se trouver aujourd’hui arbitres de normes en santé. Nous verrons également en quoi le médicament pharmaceutique industriel représente un enjeu de taille pour le système de santé biomédical et plus globalement pour la société.

Une approche historique : naissance de la santé publique, développement de la biomédecine

La santé publique

La santé publique apparaît, depuis plusieurs années, intéressante à interroger en anthropologie de la santé. En effet, comme le soulignent Didier Fassin et Boris Hauray (2010) : « la santé publique est […] à cette articulation unique entre la réalité de la maladie, de l’organe, de la cellule, du génome, d’un côté, et la réalité des acteurs, des pratiques, des institutions, des politiques, de l’autre » (p.8). Il s’agira donc, dans un premier temps, de s’intéresser à la notion de santé publique afin de découvrir sa place dans le système de santé en France.

Définition

En 1952, l’OMS définit la santé publique comme « la science et l’art de prévenir les maladies,de prolonger la vie et d’améliorer la santé physique et mentale à un niveau individuel et collectif » (Larousse en ligne) . Didier Fassin et Boris Hauray (2010), pour leur part, écrivent: « la santé publique se réfère […] à un domaine d’activité qui porte sur le bien-être de collectivités, ou tout au moins sur la prévention des maladies et peut-être la prolongation de la vie » (p.7). Pour eux, il s’agit d’« une discipline académique qui s’est fortement institutionnalisée » (p.7) et dont les nombreux acteurs « entrent en concurrence pour dire ce qu’elle est et comment elle doit être pratiquée, et […] s’opposent dans la définition des problèmes ou de leurs solutions » (p.7). La santé publique se réfère ainsi aux « caractéristiques sanitaires d’une population, à la distribution des pathologies ou à l’état de bien-être collectif » (Fassin et al., 2010, p.7). Mais il important, pour comprendre le rôle que joue cette discipline aujourd’hui en France, de revenir dans un premier temps sur la manière dont elle s’est formée.

Histoire de la santé publique

Comme le souligne Patrice Bourdelais (2010), « la volonté de protéger la vie des populations, et la mise en place de mesures articulées entre elles et faisant système, naissent bien avant le XIXè siècle et les progrès dans la connaissance des maladies » (p.14). Pour lui, l’invention de la quarantaine afin de freiner les épidémies de peste noire dans les grandes cités marchandes du XIVè siècle constituerait un des premiers actes de santé publique. Pour cet auteur, « depuis le XIVè siècle, au moins, des politiques de protection des populations contre les grandes épidémies se sont mises en place de façon préventive, explicite, faites de mesures articulées et complémentaires » (p.16). Au XVIIIème siècle et jusqu’au milieu du siècle suivant, avant de s’attacher à chercher « l’agent infectieux responsable » (idem), ces politiques consistent à mettre en évidence les facteurs environnementaux, les conditions de vie et les conditions de travail qui favorisent l’émergence de certaines maladies. En effet, on assiste à cette époque à une redécouverte des œuvres d’Hippocrate qui attribue une grande importance aux causes environnementales des maladies (Bourdelais, 2010). Il s’agit de favoriser les travaux d’assainissement des villes (assèchement des marais, drainage des zones humides) et des habitations (aération) ainsi que la prévention et les comportements individuels de précaution (alimentation et soin du corps) (idem). Selon Thomas McKeown, professeur de médecine sociale à l’université de Birmingham, c’est l’amélioration du régime alimentaire, qui rend les organismes plus résistants aux atteintes infectieuses, ainsi que les travaux d’assainissement et d’adduction d’eau qui, avant même la découverte de traitements efficaces ou l’extension de vaccination spécifique, auraient permis la diminution des maladies infectieuses (cité par Bourdelais, 2010). L’épidémiologie , discipline développée dans l’entre-deux-guerres et surtout après la seconde guerre mondiale, constitue aujourd’hui un des éléments principaux sur lequel se basent les politiques de santé publique.

La biomédecine

Pour Jean-Paul Gaudillière (2010), le terme biomédecine entre dans le langage courant dans les années 1960, alors que se développent les investissements scientifiques et que les savoirs du vivant se recomposent. Pour l’auteur, ce terme « désignait alors non seulement la place nouvelle accordée aux sciences biologiques dans la hiérarchie des connaissances, mais aussi la conviction que le développement de la biologie expérimentale était la condition nécessaire à tout progrès de la médecine » (p.23). Aujourd’hui, comme le souligne Olivier Schmitz dans Les médecines en parallèle (2006), le terme biomédecine fait l’objet d’un relatif consensus pour les anthropologues et désigne la « médecine biologique enseignée dans les facultés de médecines et exercée à l’hôpital » (p.5). Dans cette partie, il s’agira d’évoquer l’émergence de la biomédecine afin de comprendre l’importance qu’elle détient aujourd’hui dans notre système de santé.

Émergence de la biomédecine

Selon, Olivier Faure, on assiste au XIXème siècle à une « obsession naissante de la santé » qui « se traduit d’abord par la consommation de biens et de services » (cité par Fassin, 1996, p.271). Johanne Collin (2006) constate que le XIXème siècle représente un tournant dans la manière dont on conçoit la médecine. Avant cette époque, l’auteure fait état d’une médecine empirique basée sur la spécificité du patient et souligne le « passage de cet empirisme à un rationalisme expérimental » (p.131) au cours des deux dernières décennies du XIXème siècle.
Pour Johanne Collin (2006), c’est le développement « d’instruments sophistiqués » (p.142) permettant de mesurer les paramètres physiologiques qui transforment la médecine et le raisonnement médical. L’auteure explique en effet que « la maîtrise de ces instruments et la mesure précise des signes cliniques qu’ils rendent possible pavent la voie à la recherche de récurrences, des lois universelles, concernant la maladie et le médicament, en même temps qu’elles dévaluent l’importance de la spécificité du malade lui-même » (idem). Johanne Collin fait ainsi état du « passage du primat de la spécificité du patient à celui du médicament, c’està-dire, à l’idée qu’un même médicament peut soigner une même maladie, peu importe le malade et le stade de la maladie » (p.131). Le médicament apparaît alors spécifique à une maladie ou un symptôme et ne semble plus, comme autrefois, préparé pour un patient, logique que renforcent les processus de standardisation pharmaceutique qui se mettent en place à cette même époque. La fin du XIXème siècle voit apparaître une nouvelle vision de la médecine basée sur la médecine de laboratoire où le médicament acquière progressivement une place prépondérante (Collin et al., 2006). Celui-ci a d’ailleurs contribué au succès de la biomédecine (Baxerres, 2013).
Pour Jean-Paul Gaudillière (2010), les caractéristiques de la biomédecine (« couplage entre macromolécules biologiques, lésions moléculaires et processus pathologique » (p.24)) n’apparaissent qu’après la seconde guerre mondiale. Il ajoute : « les premières décennies de l’après-guerre sont souvent décrites comme celles de le ‘révolution thérapeutique’. La formulation renvoie le plus souvent à la découverte de la pénicilline et des antibiotiques. Mais ceux-ci ne sont pas isolés. Entre 1945 et 1965, la liste des spécialités pharmaceutiques d’emploi courant s’est allongée de nombreuses classes de médicaments » (p.27).

La biomédicalisation aujourd’hui

Dans cette partie, il s’agira de s’intéresser aux acteurs du système biomédical en France. Nous nous pencherons ainsi sur le phénomène de biomédicalisation afin d’en comprendre les répercussions sur le système de santé actuel.

Médicalisation

Une grande partie de la recherche en santé publique se concentre désormais sur la découverte de nouveaux facteurs prédisposant l’apparition de telle ou telle maladie chez les individus.
Ainsi, pour Jean-Paul Gaudillière (2010), « les facteurs de risque sont progressivement apparus non seulement comme des entités utilisées par les épidémiologistes mais aussi comme des cibles pour des interventions sanitaires mêlant campagnes d’information, screening ou enregistrement des événements indésirables » (p.26). La recherche de facteurs de risque s’intègre aujourd’hui dans un processus de médicalisation de plus en plus poussé.
Comme le soulignent Alice Desclaux et Marc Egrot (2015), le concept de médicalisation « élaboré par des sociologues tels que Irving, Zola et Eliot Freidson au cours des années 1970, a été largement partagé par les historiens, les sociologues, les anthropologues, au travers de la définition proposée par Conrad » (p.28). En 1992, ce dernier définit ce concept comme « a process by which non medical problems become defined and treated as medical problems, usually in terms of illness or disorders » (cité par Abraham, 2010, p.604). Pour Patrice Pinell (2010), « la médicalisation de la société passe par une médicalisation des malades et des maladies obéissant à deux logiques complémentaires, la généralisation du recours au médecin dans l’ensemble de la société et la production permanente par la médecine de nouvelles figures de la maladie » (p.429). Pour Alice Desclaux et Marc Egrot (2015), il s’agirait d’une redéfinition de la part de la profession médicale de « problèmes antérieurement traités comme moraux, spirituels, ou légaux (tels que l’homosexualité, l’alcoolisme, l’avortement, etc.) » (p.28). Au XXè siècle, on assiste à un changement de forme de la médicalisation qui se qualifie désormais de biomédicalisation en raison des « transformations de la médecine de plus en plus fondée sur les technosciences, et l’importance accrue des sciences fondamentales (génétique, virologie, pharmacologie, etc.) au détriment de l’approche clinique, désormais articulée jusqu’à l’hybridation avec les technologies informatiques et informationnelles » (idem). Pour ces deux auteurs, une « nouvelle biomédicalisation » se distingue cependant de ce processus de biomédicalisation « pour marquer l’emprise des aspects biologiques notamment dans la redéfinition des traitements au travers des biotechnologies » (idem).
Jean-Paul Gaudillière (2010) nous fait part des quatre tendances qui caractérisent aujourd’hui cette nouvelle biomédicalisation. Il décrit ainsi « le recours accru aux innovations technologiques (tant génétiques qu’informationnelles), l’importance donnée aux processus de valorisation économique et aux marchés, la priorité accordée à la gestion des risques de santé et à la transformation des corps, et pour finir une régulation des interventions qui passe par une participation et une responsabilisation accrue des patients et des usagers » (p.24). La biomédecine semble aujourd’hui faire un usage prépondérant des mesures et des outils techniques et se concentrer davantage qu’auparavant sur la prévention et la manière de gérer les risques de maladies. Pour Jean-Paul Gaudillière (2010), « on peut considérer que nombre de questions de santé publique autrefois analysées en des termes mêlant clinique, psychologie et sociologie […] sont désormais abordées du point de vue des processus biologiques conditionnant ou prédisposant à telle ou telle capacité, action ou atteinte » (p.27). L’évaluation des risques passe ainsi aujourd’hui par une analyse précise du corps des individus.
Pour Johanne Collin (2006), « la promotion de l’autonomie et de la responsabilité individuelle » fait partie des « règles de l’individualité contemporaine » (p.5). Dans le cas de la santé mentale, l’auteur écrit : « le nouvel usager est […] conçu comme un patient  »compétent », c’est-à-dire qui ne fait pas que pâtir, mais qui devient capable de  »gérer » ses symptômes et sa thérapie (médicamenteuse ou non) en ce sens qu’il doit s’impliquer en tant qu’individu singulier dans la résolution de  »son » problème de santé mentale » (p.5). De même, comme le souligne Jörg Blech (2005), « aujourd’hui, l’automédication est préconisée » alors qu’elle était avant considérée comme une déviance. Ainsi, chaque individu est aujourd’hui non seulement incité à gérer de manière autonome les symptômes de sa maladie mais également à prendre en main ses habitudes afin de se maintenir en bonne santé.
Comme le souligne Adèle Clarke (cité par Gaudillière, 2010), il s’agit de responsabiliser les patients et les usagers. Au XIXème siècle, il était question de responsabiliser les individus vis-à-vis de leur santé dans un objectif de sauvegarde de la santé publique collective (Fassin et al., 2010). Aujourd’hui, alors que le problème ne concerne plus seulement les maladies contagieuses, les individus se voient fortement incités à veiller sur leur bien-être et leur santé.
En effet, comme le souligne Marie-Clémence Pérez (2016), « l’essor de la bioéthique a placé la valeur d’autonomie au cœur des enjeux éthiques et politiques de la santé publique ». Pierre-14 Luc Saint Hilaire (2006) indique : « devenir soi-même est une activité sans fin, tout comme l’est celle de rester en santé » (p.123). Ainsi, chacun est désormais encouragé à minimiser lesrisques de maladie en prenant en main son régime alimentaire, son style de vie et en transformant son corps (Saint Hilaire, 2006).

Médecine prédictive et normes

Le développement de techniques plus poussées et notamment la recherche de facteurs de risques génétiques donne lieu à l’apparition d’un nouveau type de médecine fortement concerné par les questions de dépistage. Pour Jean-Paul Gaudillière (2010), c’est « entre la fin de la guerre et le milieu des années 1970 » que « le risque a été associé aux prédispositions héréditaires, aux comportements individuels et  »style de vie » favorisant telle ou telle maladie, aux effets pathogènes des expositions professionnelles ou environnementales, à la toxicité des médicaments etc » (p.26). Pour Jörg Blech (2005), « il y eut un temps où la médecine préventive avait pour but de tenir les gens à distance du système de santé – à l’aire du diagnostic génétique, son rôle est de les en rapprocher » (p.228). En effet, pour Patrice Pinell (2010), « le développement du diagnostic prénatal accélère l’essor de la génétique médicale qui à son tour étend les domaines d’intervention de la médecine en démultipliant le nombre de maladies génétiques susceptibles d’être dépistées in utero » (p.433). Ces nouvelles technologies semblent cependant générer des inquiétudes et participeraient même « à la création de nouveaux problèmes » (Collin et al., 2010, p.118). C’est d’ailleurs ce que souligne Jörg Blech (2005), lorsqu’il écrit que « l’analyse génétique permet de transformer en patients quantité d’individus bien portants » (p.242). En permettant le dépistage de plus en plus précoce des divers facteurs de risques pouvant engendrer une maladie, l’utilisation des nouvelles technologies, très présentes dans la biomédecine, favorise le développement de l’inquiétude des individus et augmente le nombre de traitements et d’opérations effectués en prévention.

Une construction en rapport avec le modèle dominant

Pour Didier Fassin (1996), la médecine moderne exerce sur les médecines parallèles une «  »influence décisive », dans laquelle on peut distinguer un double mécanisme de concurrence et de référence » (p.161). Pour cet auteur, la rencontre entre ce qu’il appelle les médecines douces et la médecine moderne dominante participe à la « formation du champ médical » (idem) dans toute les sociétés, y compris les sociétés occidentales. Olivier Faure (2015) souligne de plus, qu’en France, malgré les condamnations qu’ont pu recevoir certaines médecines parallèles, comme l’homéopathie en 1835, « les relations entre la médecine et ses marges ne furent […] jamais complètement rompues » (p.325). Pour lui, on constate, au contraire, une multitude « d’emprunts réciproques » (idem) et de « circulations » (idem) entre la médecine officielle et les autres.
Ce même auteur souligne d’ailleurs, qu’au départ, la diffusion de ces médecines parallèles s’effectue parmi les médecins eux-mêmes. En effet, il souligne que « les porteurs de ces méthodes étaient membres du sérail médical ou proche de lui » (p.320). La médecine officielle semble, du reste, compatible sur certains points avec l’idéologie véhiculée par ces méthodes (Faure, 2015). Dans l’entre-deux-guerres, ces « médecines naturistes » apparaissent en effet conformes à la pensée biomédicale dominante basée sur l’amélioration de l’hygiène de vie des patients et croisent de plus « la volonté de nombreux médecins de rétablir l’unité de l’individu morcelé en organes par la médecine biologique et de laboratoire » (Faure, 2015, p.321). Les médecins biomédicaux semblent ainsi avoir été à l’origine du développement des médecines parallèles qu’ils semblaient estimer complémentaires voire alternatives à certaines pratiques biomédicales avec lesquelles ils n’étaient pas en accord.
Pour Didier Fassin (1996), « la différenciation du pouvoir est […] au cœur du processus qui donne naissance aux médecines » (p.156). Pour lui, le développement de certaines techniques ainsi que la découverte de nouveaux savoirs permettent la création de « domaines de compétence » (idem). Cependant, c’est surtout « la concurrence pour le pouvoir » (idem) à laquelle se livrent les individus entre ces différents domaines qui influence la création de fonctions spécifiques, et de « territoires propres obéissants à des règles particulières de domination et de régulation » (idem). Dans un chapitre du livre Les médecines en parallèle intitulé « Paroles de thérapeutes » (2006), Olivier Schmitz transcrit les paroles de Magda, une énergéticienne qu’il interroge. Cette dernière expose le mécontentement des médecins face au remboursement de certaines disciplines parallèles comme l’ostéopathie ou l’homéopathie.
Pour elle, cette situation « est un problème d’argent, […] une raison économique et aussi une question de pouvoir » (p.180).
On regroupe ainsi sous le terme de médecine parallèle une importante quantité de pratiques médicales différentes possédant plus ou moins une idéologie commune. Ce regroupement date en réalité de l’apparition d’une médecine officielle, parfois appelée « médecine moderne », la biomédecine. En considérant la biomédecine comme la pratique orthodoxe, les médecins rejettent ainsi les autres pratiques à un rang inférieur et leur refusent un statut reconnu. Cependant, si le développement d’autres médecines s’effectue parallèlement à celui de la biomédecine, il semble important de noter que ces pratiques émergent et sont véhiculées, dans un premier temps, par les médecins eux-mêmes qui voient dans ces pratiques une alternative à une biomédecine « parcellisante » (Paumier, 2006, p.84) et tentent de les diffuser. On constate cependant, aujourd’hui encore, une séparation dans le champ médical en France entre une biomédecine très spécialisée et une multitudes d’autres pratiques au sein desquelles l’approche du soin prend en compte la globalité de l’individu. Dans la prochaine partie, nous nous intéresserons ainsi aux caractéristiques de ces médecines parallèles.

Une autre approche de la médecine : les revendications des médecines parallèles

Pour Jean Benoist (1998), on constate un certain nombre de caractéristiques partagées par l’ensemble des médecines douces et qui « font leur valeur aux yeux de ceux qui les consultent » (p.18). Ces médecines revendiquent ainsi « le non-découpage de la personne » (idem), le respect de la nature et permettent de se soigner mais également de se maintenir en forme.
Olivier Faure (2015) s’intéresse à l’histoire des médecines parallèles et spécifie que, dans un premier temps, « les clientèles étaient […] surtout recrutées dans une étroite élite cultivée où les artistes, les intellectuels jouaient un rôle important » (p.331). Dans l’entre-deux-guerres, le nombre d’utilisateurs de ces médecines augmente et « des professions à formations scientifiques (médecins, professeurs, ingénieurs, cadres) » (idem) se tournent désormais vers ces méthodes dont les classes moyennes éduquées constituent, aujourd’hui, les principaux adeptes.
Dans cette partie, nous nous intéresserons ainsi aux usagers de ces médecines parallèles et tenterons de comprendre quelles motivations sont à la base de leurs choix thérapeutiques. Nous verrons également quel est l’impact du médecin et du thérapeute sur les pratiques médicales et sur les patients.

Une contestation de la biomédecine

Aujourd’hui, la biomédecine puise sa légitimité dans « l’adhésion inconditionnelle aux méthodes de la science expérimentale » (Moulin, 1986, p.93). Cependant, ces méthodes font l’objet de désapprobations et « on assiste [dans les années 1970-1980] à une critique acerbe de cette hégémonie et à une remise en question de la rationalité scientifique des pratiques de prescription des médecins » (Collin et al., 2006, p.144). Or, comme le soulignent Sjaak Van der Geest et Susan Reynolds Whyte dans un article intitulé Popularité et scepticisme : opinions contrastées sur les médicaments (2003), « la prescription et ensuite le médicament sont une extension métonymique du médecin » (p.103) et, pour ces auteurs, le scepticisme vis-à-vis des médicaments servirait ainsi « à se placer soi-même en opposition à quelque chose, que ce soit un médecin, l’établissement médical, la technologie biomédicale ou le pouvoir des formes cosmopolites (de l’Occident) » (p.111).C’est une contestation du système médical dans son fonctionnement qui semble se dessiner à travers le refus du médecin ou du médicament. En effet, Sylvie Fainzang (2011) souligne que « le refus de prendre un médicament prescrit peut être la manifestation d’une posture politique ou idéologique ». La chercheuse explique ainsi que le refus du médicament pharmaceutique industrialisé s’apparente souvent à « une contestation à l’égard de produits industriels, marchandisés, objets d’une pression commerciale et [à] une critique de la société marchande toute entière qu’incarne, de façon exemplaire, l’industrie pharmaceutique ». Pour Alice Desclaux et Joseph Josy-Lévy (2003), « le refus des médicaments est signifié par le choix de médecines alternatives, en particulier dans les pays en voie de développement où il existe des traditions médicales développées revendiquées comme l’expression d’une connaissance spirituelle visant à une harmonie et un équilibre absent dans les thérapies occidentales ».
On remarque ainsi que le choix des médecines parallèles semble dans certains cas lié à une volonté de contestation du système médical dominant (ici la biomédecine). Le médicament biomédical semble, du reste, représenter le symbole d’une médecine dépersonnalisée dont certains se détournent au profit d’autres pratiques médicales qu’ils envisagent comme plus respectueuses de l’individu et de son environnement.

La biomédecine : à l’encontre de la nature et du savoir inné

Le rapport à la nature apparaît essentiel au sein des différentes médecines parallèles et s’appréhende différemment que dans la biomédecine. Pour Madeleine Moulin (1986), la médecine officielle perçoit la nature comme quelque chose qu’il faut « dompter » et dont « il convient [de] neutraliser les effets qui, même s’ils répondent à une logique interne connaissable, sont du côté du désordre » (p.104). Au contraire, poursuit-elle, dans « les attendus philosophiques des médecines parallèles », la nature « détient un pouvoir thérapeutique pour l’homme » et constitue une « partie intégrante de son univers » (idem). Il semblerait par ailleurs absurde de vouloir la contrôler puisqu’elle possède ses propres lois. Il s’agirait alors de laisser faire cette force et de se faire confiance puisque chacun posséderait instinctivement les connaissances nécessaires pour faire face aux différents problèmes qu’il rencontre. Une enquête menée par Marie Paumier (2006) auprès de sages-femmes indépendantes souligne ainsi que ces dernières « enseignent […] aux parturientes que l’expérience corporelle qu’elles vivent relève de la nature et qu’elles ne doivent pas aller à l’encontre de celle-ci, comme le fait la biomédecine » (p.79). En effet, « dans l’idéologie de l’accouchement  »naturel », l’emprise de la biomédecine aurait entraîné la perte de savoir inné » (idem).

Les pratiques d’auto-soin : entre autonomisation et appropriation du système de santé

Dans les deux parties précédentes, nous nous sommes intéressés à certaines offres de soins proposées par le système de santé en France aujourd’hui. Nous nous sommes ainsi penchés, dans un premier temps, sur le modèle biomédical puis sur les médecines parallèles. Dans cette partie, il s’agira de se centrer sur les pratiques d’auto-soin. Cette division en trois parties (modèle biomédical, médecines parallèles et pratiques d’auto-soin) semble se rapprocher de la vision qu’Arthur Kleinman développe dans un ouvrage intitulé Patients and Healers in the context of culture. An exploration in the borderland between anthropology, medicine and psychiatry (1980). Dans ce livre, l’auteur développe le concept de « health care system » dans l’objectif de « rassemble[r] le réseau des réponses adaptatives aux problème s humains entraînés par la maladie » (Benoist, 2002). En effet l’auteur s’attache à étudier les « représentations de la maladie à travers les récits des individus révèle les itinéraires thérapeutiques, c’est-à-dire le parcours suivi par une personne exposée à un problème de santé pour tenter de le résoudre » (p.543). Pour Arthur Kleinman, le système de soin de chaque société ne se limite pas à la profession biomédicale mais comprend en réalité trois différents secteurs : professionnel, populaire et traditionnel (Helman, 1981). « Le secteur professionnel (professional sector) est celui des professions de santé organisées. C’est le plus puissant, en raison principalement de son haut degré d’institutionnalisation. Il concerne la médecine scientifique moderne et il est fortement autocentré » (Joly et al., 2005, p.543). Dans notre étude, nous pouvons rapprocher ce secteur du modèle biomédical évoqué dans la première partie. Le secteur traditionnel (folk sector) formé selon Patricia Joly (2005) « de spécialistes non professionnels » (p.543) possède des similitudes avec les secteurs populaire et professionnel. Bien que certaines médecines parallèles soient aujourd’hui professionnalisées, ces dernières peuvent néanmoins s’apparenter au secteur traditionnel dans la mesure où elles ne bénéficient pas, pour la plupart, de l’aura de légitimité de la médecine biomédicale. Dans cette troisième partie, nous nous intéresserons au secteur populaire que Kleinman considère comme le plus important et le plus méconnu et qui constitue notamment le lieu de « l’identification du trouble et de l’évaluation de ses retentissements par l’individu et par sa famille » (Joly et al., 2005, p.543) ainsi que celui d e l’automédication et des conduites préventives (Benoist, 2002). C’est au sein de ce secteur que les individus prennent les décisions quant à la médicalisation ou non d’un symptôme, le recours ou non à un médecin ou thérapeute et le choix de ce dernier.
Malgré une forte médicalisation dans la période récente, comme il en a été question dans la première partie de ce mémoire, la prise en charge de leur santé par les individus semble un phénomène répandu et très ancien. Dans un article intitulé « Femmes, soins domestiques et espace thérapeutique » (1999), Francine Saillant écrit que « pour les profanes, membres des groupes domestiques, le recours à des soins non spécialisés est chose normale : il est habituellement le premier recours ». Dans son « Enquête ethnohistorique de la médecine populaire » (2006), cette même auteure souligne que jusqu’au milieu du siècle dernier « on allait chez le guérisseur (soigneux) ou chez le médecin surtout pour des situations graves liées au risque de mort, laissant deviner certaines logiques d[…]’autosuffisance dans toutes les autres circonstances » (p.41). Il apparaît que, depuis toujours, chaque individu possède des connaissances quant aux moyens à mettre en place pour se soigner ou se maintenir en bonne santé. Nous nous intéresserons donc à l’auto-soin et à l’automédication des individus.
L’OMS définit la notion d’auto-soin par « les actes que l’individu met en place pour prendre soin de lui-même, pour établir et maintenir sa santé, prévenir et traiter la maladie, que cela passe par la réalisation d’activités bénéfiques à la santé ou la réalisation des soins du quotidien» (Paillard et al., 2016). Dans cette partie, nous nous intéresserons principalement à l’auto-soin en tant que pratique médicale. Dans sa thèse intitulée Identification des pratiques d’auto soin à partir de la pharmacie familiale (2016),Géraldine Vitteta souligne que l’autosoin « ne se limite pas à l’automédication médicamenteuse mais renvoie à la consommation d’un produit ou d’un service de santé au sens large ». Dans ce mémoire, nous envisagerons l’automédication, qui constitue donc une pratique d’auto-soin, à l’instar de Sylvie Fainzang (2012), « comme l’acte, pour le sujet, de consommer de sa propre initiative un médicament sans consulter un médecin pour le cas concerné, que le médicament soit déjà en sa possession ou qu’il se le procure à cet effet (dans une officine auprès d’une autre personne) » (p.3).
Dans cette partie, nous nous intéresserons dans un premier temps aux acteurs et au contexte de l’auto-soin puis nous nous demanderons dans quelles mesures celui-ci s’intègre dans le modèle biomédical. Enfin, nous verrons en quoi l’auto-soin et en particulier l’automédication résultent d’une appropriation des différents secteurs du système de santé.

L’auto-soin : contexte et acteurs

Francine Saillant (1999) explique que la notion d’itinéraire thérapeutique « décrit concrètement la construction des choix thérapeutiques à partir des différents parcours que suivent les malades et leur famille » et suggère « que l’univers domestique [est] conçu comme le lieu premier de l’itinéraire qui façonne les orientations subséquentes ». Pour elle, l’univers domestique semble ainsi constituer l’endroit où se prennent les premières décisions quant à la prise en charge médicale ou non de la maladie.
Nous verrons, qu’avant de faire appel au médecin ou thérapeute, c’est d’abord dans ce lieu que s’effectuent les premiers soins. Dans cette partie, nous nous intéresserons à cet univers domestique que représente le domicile et aux individus qui l’habitent afin de comprendre leur rôle dans les pratiques d’auto-soin. Enfin, nous nous intéresserons à l’armoire à pharmacie en tant que lieu clé de l’automédication.

Le domicile

Dans son article intitulé « Approche de la  »culture du domicile » » (2011), Elian Djaoui décrit l’habitat comme « le lieu d’accueil de la vie intime » (p.79). Il poursuit : « l’intime recouvre, en particulier, tous les usages du corps. Celui-ci, parce que considéré comme trop proche de l’animalité, doit être dressé ; tout ce qui peut évoquer sa matérialité (odeurs, sexualité, physiologie, déficiences, pathologies, hygiène) doit disparaître de la scène sociale » (idem).
Pour lui, il s’agirait d’un lieu de liberté au sein duquel « l’habitant peut s’autoriser à être luimême » et manifester « sa personnalité profonde » (ibid, p.86). En effet, on peut lire dans ce même article que « tout individu cherche à préserver un minimum d’emprise sur un territoire même modeste, qu’il peut dominer et dans lequel il peut évoluer » (ibid, p.85). Elian Djaoui présente ainsi le domicile comme un espace rassurant dans lequel l’habitant se trouve en position de force, à l’abri des « regards » (ibid, p.86) ou des « jugements » (idem) et où une place privilégiée s’y trouve réservée à l’intime.
En se définissant comme l’espace dans lequel le corps est libre de s’exprimer, le domicile apparaît comme un endroit privilégié pour le soin. C’est d’ailleurs ce que démontre Elian Djaoui(2011) qui définit le domicile comme « le lieu  »naturel » du prendre soin » (p.81) et le lieu des soins « profanes » (ibid, p.82) ou « familiaux » (idem). Selon lui, « quand une personne ressent un malaise quelconque, le conseil spontané prodigué par son entourage est de  »rester au domicile », et éventuellement de  »garder le lit » » (idem). Le lieu de vie aurait ainsi, d’après cet auteur, pour « fonction d’accueillir toutes [les] manifestations du corps et, en particulier, ses désordres» (ibid, p.79). Pour Elian Djaoui, l’habitat semble ainsi un endroit familier, une extension de l’habitant, un lieu dans lequel ce dernier trouverait l’intimité et les ressources nécessaires à tout processus de guérison.
Le domicile apparaît comme l’espace du soin et de l’auto-soin par excellence et pourrait même, comme le souligne le sociologue Gullestad, détenir une « fonction curative » (cité par Djaoui, 2011, p.81).

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
Introduction
I) Un modèle biomédical qui contraint les personnes et qui produit des normes 
1. Une approche historique : naissance de la santé publique, développement de la biomédecine
A) La santé publique
a) Définition
b) Histoire de la santé publique
c) Contrôle des individus
B) La biomédecine
a) Émergence de la biomédecine
b) Suprématie du système de santé biomédical
2. La biomédicalisation aujourd’hui
A) Médicalisation
B) Médecine prédictive et normes
C) Intérêt pour les laboratoires
3. Zoom sur le médicament pharmaceutique industriel
A) Le médicament : un objet aux multiples facettes
B) Définition d’un objet complexe
C) Pharmaceuticalisation
II) Les alternatives à ce système dominant 
1. Approche historique des médecines parallèles
A) Émergence des médecines parallèles
B) Une construction en rapport avec le système dominant
2. Une autre approche de la médecine : revendications des médecines parallèles
A) Une contestation de la biomédecine
a) La biomédecine : à l’encontre de la nature et du savoir inné
b) La quête d’un mode de vie plus équilibré
B) Une autre vision du corps et de la santé
C) Médecins et thérapeutes
a) Médecin : une profession respectable et respectée
b) Une relation de confiance
c) Une recherche d’autonomie
3. Le pluralisme médical en France
A) Une utilisation combinée de la biomédecine et des médecines parallèles
B) Les médicaments parallèles
a) Le médicament parallèle : un médicament naturel
b) Une adaptation des médecines parallèles au contexte occidental
C) Une biomédecine pas si hermétique
III) Les pratiques d’auto-soin : entre autonomisation et appropriation du système médical
1. L’auto-soin : contexte et acteurs
A) Le domicile
B) Les acteurs du soin dans le domicile
C) L’armoire à pharmacie : un élément prépondérant de la santé à la maison
2. Influences sur les pratiques d’auto-soin
A) S’autonomiser par rapport au système biomédical, se réapproprier son corps et son identité
B) L’influence des secteurs professionnel et traditionnel au sein du secteur populaire
C) Subjectivité et interprétation
3. L’auto-soin, une appropriation du système de santé
A) S’approprier le médicament
B) L’intégration du médicament dans le domicile
C) L’armoire à pharmacie : un exemple d’intégration du système de santé dans le domicile
Conclusion
Bibliographie 

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *