Les pionniers du machinisme pour les petits producteurs à l’Inta

Les pionniers du machinisme pour les petits producteurs à l’Inta

La mise en cause de l’agronégoce et du rôle des technologies dans son installation

L’Argentine a depuis le XIXe siècle eu une économie tournée vers l’exportation de biens agricoles. Premier producteur de grains au monde au début du XXe siècle, l’identité de l’Argentine a été historiquement liée à l’image du « grenier à grain » du monde. L’agriculture du pays a connu au cours du XXe siècle de nombreuses transformations et modernisations, suivant le modèle de la Révolution Verte. Depuis une trentaine d’années, le modèle de l’agriculture de firme, appelé agronégoce ou agribusiness en Argentine, fondé sur la production de matières premières destinées à l’exportation, est devenu dominant dans le pays. De nombreux travaux de sciences sociales ont étudié, en s’inscrivant dans une perspective critique, le développement de ce modèle, et cherché à documenter ses nombreuses implications économiques, sociales et environnementales. Tout d’abord, ces travaux montrent que l’installation de l’agronégoce dans le paysage agricole s’est caractérisée par l’adoption massive de technologies qui sont telles que Roberto Bisang et ses coauteurs évoquent un « changement dans le paradigme technoproductif » (Bisang et al., 2015). En 1996, le soja génétiquement modifié a été introduit en Argentine, et s’est répandu très rapidement et massivement, devenant une « figure iconique » de ce modèle de l’agronégoce (Hernandez et Phélinas, 2017).

Le soja génétiquement modifié est l’une des composantes d’un « paquet technologique fermé » (Gras et Hernández, 2009), combinant une technique de semis impliquant des équipements spécifiques, le semis direct , une semence de soja résistant à l’herbicide glyphosate, connu comme le soja RR, et l’utilisation d’un herbicide à base de glyphosate, le Roundup, commercialisé par la multinationale Monsanto. En plus de ce triptyque technologique (semences, produits phytosanitaires, et machinisme), le modèle de l’agronégoce s’est nourri de différentes innovations organisationnelles, liées à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication notamment. Le sociologue Daniel Cáceres évoque la « subjugation » des producteurs vis-à-vis des technologies liées au modèle de l’agronégoce. Selon lui, les producteurs entretiennent un rapport aux technologies qui relève d’une forme d’addiction : « les producteurs liés à l’agronégoce dépendant en grande mesure de la technologie qu’ils utilisent, et en même temps sont captifs de ses supposées capacités à apporter des solutions rapides aux problèmes qu’ils rencontrent » (Caceres (Cáceres, 2015 p.2).

Ensuite, ces travaux sont revenus sur les impacts de cette adoption massive de technologie. Cela a permis une augmentation des rendements et une expansion des surfaces cultivées, principalement en grandes cultures, au détriment de l’élevage extensif (Gras et Hernandez, 2014). L’Argentine est devenue le troisième exportateur mondial de soja transgénique, derrière les États-Unis et le Brésil. Le complexe oléagineux est au cours des années 2000 le pivot de l’économie, permettant à l’Argentine de rétablir sa balance commerciale et d’assainir ses finances publiques, grâce aux taxes à l’exportation. La sociologue argentine Maristella Svampa (2013), évoquant l’établissement d’un « consensus des commodities » relève ainsi l’apparent paradoxe ayant mené des gouvernements de gauche progressiste, portant des discours d’intervention dans l’économie, à appuyer la production de matières premières destinées à l’exportation et suivant un modèle libéral visant à appuyer les avantages comparatifs du pays.

Les transformations sociales liées à l’adoption de ce modèle sont également considérables. L’émergence de nouvelles figures d’entrepreneurs, la disparition du travail et la déterritorialisation de l’agriculture, en particulier dans la pampa, a été notée (Albaladejo et al., 2012). Une des manifestations qui a été le plus commentée est le phénomène de concentration des terres. Ainsi, selon les données du recensement national agricole, étudiées par Gras et Hernandez (2009) entre 1988 et 2002, on dénombre une diminution de 21% du nombre total d’exploitations, dont la taille moyenne augmente de 27%, atteignant 587 hectares. Les petites exploitations sont les plus touchées par le phénomène de concentration des terres, tandis que la « cúpula» (la frange dominante) du secteur contrôle 36% des terres, en représentant moins de 1% du total des exploitations.

L’institutionnalisation de l’agriculture familiale

Les dynamiques menées autour du machinisme pour l’agriculture familiale ne peuvent être comprises qu’après avoir restitué quelques éléments généraux sur l’institutionnalisation de la catégorie de l’agriculture familiale, devenue une catégorie d’action publique. Les petits producteurs constituent l’essentiel des exploitations dans le monde agricoles. La dualité entre les grandes exploitations latifundiaires, produisant pour l’exportation, et les petits exploitants tournés vers la production d’aliments et les marchés nationaux et locaux, est historique, en particulier dans les pays du sud (Mazoyer et Roudart, 2017). L’Argentine présente aussi cette dualité parmi les agriculteurs. Face à la progression du modèle de l’agronégoce que nous venons d’évoquer, différents travaux ont mis en exergue l’expulsion des petits producteurs, qui s’est accélérée depuis les années 1990 (Lattuada et Neiman, 2005). Depuis les années 2000, de nombreux travaux ont porté sur l’agriculture familiale, et tout particulièrement l’année 2014, qui a été décrétée par la FAO « année de l’agriculture familiale ». Une importante littérature a alors permis de mettre en exergue la multifonctionnalité de l’agriculture familiale, dont les potentialités et contributions ont été détaillées en termes de gestion des ressources naturelles, de production agricole durable, de résilience, de sécurité alimentaire, de travail, de stabilité démographique et territoriale, de capacité d’innovation et d’adaptation (Bosc et al., 2014 ; Sabourin et al., 2014 ; Sourisseau, 2014 ; Thirion et Bosc, 2014).

La notion d’agriculture familiale a été institutionnalisée au début des années 2000 dans différents pays d’Amérique Latine. Ainsi, à partir de 2004, l’« agriculture familiale » est devenue une catégorie au sein du Mercosur, avec la création de la Réunion spécialisée sur l’agriculture familiale (Reaf). Cette catégorie renvoie, selon Manzanal et Schneider (2011), à une dénomination générique utilisée par les politiques publiques pour définir un groupe d’acteurs sociaux très hétérogènes, qui auparavant avaient pu recevoir différentes identifications : paysans, minifundistes, petits producteurs, producteurs pauvres par exemple. En Argentine, la terminologie a fait son entrée au début des années 2000 dans diverses institutions, au niveau régional et national. Le monde du développement rural, et différentes structures d’encadrement, reconnaissent la coexistence de rationalités antagonistes : celle liée à la petite agriculture familiale et celle liée à l’agronégoce (Gisclard, Guibert, 2017). L’agriculture familiale est valorisée, associée à des fonctions environnementales, sociales et économiques, et n’est plus simplement envisagée comme un problème de pauvreté rurale (Gisclard et allaire, 2012). Nous reviendrons sur son appropriation dans le monde de la recherche agronomique, autour de la création du Cipaf.

Les travaux sur l’agriculture familiale dans le contexte spécifique argentin ont notamment permis d’insister sur ses capacités d’innovation et d’adaptation (Chaxel et al., 2013 ; Neiman et al., 2013). Les dimensions productives de l’agriculture familiale ont été revalorisées, y compris dans les régions extra-pampéennes où les agriculteurs familiaux avaient pu être présentés comme archaïques ou réfractaires au développement (Cittadini et al., 2014). Les exploitations familiales ont également été intégrées à la statistique : elles représenteraient 100 000 unités en Argentine en 2002, sur un total de 250 000 exploitations (Cipaf, 2005). C’est dans cette dynamique d’institutionnalisation de l’agriculture familiale que ce sont créés le Cipaf et les Ipaf, nous y reviendrons. Nous allons auparavant présenter des éléments sur le contexte politique propre à la première décennie 2000 en Argentine.

Politiques Kirchnéristes et nouveaux mandats pour les sciences et technologies

Le contexte politique argentin est marqué en 2003 par l’arrivée au pouvoir de Nestor Kirchner. Cette alternance participe du « tournant à gauche » d’une partie importante des pays d’Amérique latine, qui a vu la mise en place de politiques présentées comme plus sociales et interventionnistes, favorables à la redistribution des richesses et à la nationalisation de l’économie, et affirmant une identité latino-américaine (Dabène, 2012). Les analystes politiques, reprenant un vocabulaire très répandu dans les champs médiatiques et politiques, ont parlé de « Kirchnérisme » pour évoquer les présidences successives de Nestor Kirchner (2003-2007), puis de Cristina Fernandez de Kirchner (2007-2011 puis 2011- 2015) (Kulfas, 2016, Velut, 2016). Si l’on peut bien sûr distinguer plusieurs moments bien distincts, et même plusieurs kirchnérismes (Kulfas, 2016), au sein de ces douze années, cette période s’est fondée sur un discours de rupture avec les politiques menées dans la décennie 1990. La présidence de Carlos Menem (1989-1999) a été caractérisée par la mise en place de politiques néolibérales de « réajustement structurel », inspirées par le « Consensus de Washington ». Ces politiques ont mis en place une importante réduction des dépenses publiques, avec notamment des privatisations et la réduction du nombre de fonctionnaires dans de nombreux secteurs étatiques (Albaladejo, 2002).

Le Kichnérisme, qui s’implante durablement après une période de forte instabilité politique et économique ayant culminé autour de la crise de la dette de décembre 2001, porte un projet de refondation de l’Etat. Si cette période a été marquée par une croissance très importante jusqu’en 2007, à plus de 6,7%, sous la présidence de Cristina Fernadez de Kirchner, le pays a traversé d’importantes difficultés. Crises de subprimes, conflit interne opposant le gouvernement aux principales organisations syndicales agricoles, baisse de la croissance, et retour de l’inflation ont notamment marqué le pays à partir de 2008.

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Table des matières

Remerciements
Sommaire
Sigles et acronymes
INTRODUCTION
Le machinisme pour l’agriculture familiale et la question de recherche
Le contexte agricole en Argentine
Politiques Kirchnéristes et nouveaux mandats pour les sciences et technologies
La recherche agronomique et l’agriculture familiale
L’enquête
Annonce de plan
PREMIERE PARTIE HISTOIRE DU DEVELOPPEMENT DE MACHINES APPROPRIEES POUR L’AGRICULTURE FAMILIALE A l’INTA
Chapitre 1 – Trajectoire de circulation du concept de technologies appropriées
Section 1- Les origines du concept
Section 2- Circulation et hybridation du concept en Amérique Latine et en Argentine
Section 3- Technologies appropriées pour l’agriculture familiale dans l’Inta des années 2000
Conclusion
Chapitre 2 – Les pionniers du machinisme pour les petits producteurs à l’Inta
Section 1- Promouvoir l’autonomisation technologique des paysans
Section 2- Encourager la production nationale de technologies pour les petits producteurs
Conclusion
DEUXIEME PARTIE S’ENGAGER SUR TOUS LES FRONTS. LES AGENTS DES IPAF ET LE DEVELOPPEMENT DE MACHINES APPROPRIEES POUR L’AGRICULTURE FAMILIALE
Chapitre 3 : Prototyper : La matérialisation d’une contre-problématisation
Section 1- Remettre en cause la problématisation d’une technologie d’assistance aux vendanges
Section 2- Matérialiser une problématisation concurrente
Conclusion
Chapitre 4 : Fabriquer des machines et un fabricant de machines
Section 1 – La construction d’un projet de développement de machines de post-récolte de quinoa
Section 2- Du prototypage à la fabrication en série de machines de post-récolte de quinoa
Conclusion : s’impliquer à toutes les étapes pour « parvenir à une fin heureuse » ?
TROISIEME PARTIE TENTATIVE DE CONSTRUCTION D’UN SECTEUR DE MACHINISME POUR L’AGRICULTURE FAMILIALE
Chapitre 5 – S’allier avec des fabricants de machines pour l’agriculture familiale
Section 1- Un projet d’alliance avec des fabricants de machines pour l’agriculture familiale
Section 2- Le recrutement de fabricants aux profils hétéroclites
Conclusion
Chapitre 6– Constituer un secteur de fabricants de machines pour l’agriculture familiale
Section 1 – Tracer les contours du secteur
Section 2 – Structurer le secteur
Conclusion
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
Table des matières
Table des illustrations
Table des encadrés
Table des photos
Table des extraits de catalogues
Table des cartes
Tables des annexes
Résumé

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