LES PHENOMENES DE PRET ET D’EMPRUNT DE TERRES DE CULTURE ENTRE DEUX VILLAGES SEREER

L’organisation sociale et politique

     Les villages sont dirigés par un Saasaax, équivalant au Djaraaf en milieu Lebou. Pour ce qui concerne le village de Dame, il y a dix concessions dont les trois sont des Tiédo : la concession de Coumba Ndimby Faye (Mbind Kumba Ndimbi) ; la concession d’Abdoulaye Faye (Mbind Abdu Laay Fay) et la concession de Latyr (laa) Djické (Mbind Laa Jike). Ces trois concessions sont les plus anciennes car elles proviennnent des premiers occupants : Coumba Ndimby est le descendant de Diaga Lemessou et Latyr Djiké leur premier allié. Ensuite, il y a eu deux concessions habitées par des Sereer : la concession de Mbaye Kaling (Mbind Mbay Kaling) et celle de Sitor Ndour (Mbind Sitoor Nduur). Enfin, il y a la concession des forgerons (A mbaaaleen) qui est en fait un démembrement de celle d’Abdoulaye Faye. Plus précisément Diaga Lemessou leur ancêtre commun avait une sœur Mame Lemessou qui avait une plaie incurable. Lorsqu’un marabout forgeron originaire du Baol s’engagea à la soigner, Diaga la lui laissa rentrer avec elle, le traitement nécessitant une longue période. Ainsi Mame revint avec un gosse Biram Mbow. Mais comme les représentations sociales Sereer collent aux forgerons le pouvoir d’attirer la malchance et la malédiction dans leur entourage immédiat, Diaga se rendit compte que leur présence au troupeau ne faisait que reculer l’accroissement du bétail. C’est ainsi qu’il s’était décidé à expulser « ceux qui mordent des peaux », on les appelait ainsi pour traduire leur métier (uudé : « ceux qui mordent la peau »). Le fait de mordre la peau était associé à la mort du bétail et à toute autre forme d’événement diminuant son accroissement.

La famille et le système parental

     La parenté est exprimée par le terme « Fog » qui signifie partager, avoir en commun. Elle englobe et l’affiliation, la référence et l’attachement c’est-à-dire la solidarité et la reconnaissance mutuelle entre les membres. Elle est symbolisée par un nom patronymique (Mbog faap), se réfère à l’interdiction aux tabous et aux totems du groupe (Mbog Tiimb). Les parents ont ainsi, un ancêtre commun (O Taan). Le matrilignage est désigné par l’expression (teen yaay) et le matriclan (o tim) alors que le patrilignage se traduit par (o kurcala) et le patriclan (mbog faap). Dans ces villages, tous les habitants entretiennent des rapports de parenté directs ou indirects. Les concessions divisées actuellement en plusieurs maisons gardent la commune descendance. Le lien de parenté le plus partagé, contrairement à autrefois, est le patriclan. A Dame, nous pouvons remarquer que presque tous les habitants se nomment Faye et à Ngardiam Sereer c’est le patronyme Sarr qui domine.

Le prêt ou l’emprunt de terres de culture

    Pour tracer le schéma d’évolution des phénomènes du prêt et de l’emprunt de terres de culture en pays Sereer, nous rendrons compte d’abord de leurs manifestations historiques générales avant d’en parler particulièrement pour les communautés villageoises que nous avons étudiées. Généralement « un homme arrivait avec sa famille ou sa tribu dans une forêt vierge, déserte. A force d’intelligence, de travail, il parvenait à déboiser, défricher un coin de cette forêt et à la transformer en un champ cultivable » Il ne s’agissait pas à ce moment d’une tenure collective comme le suggèrent beaucoup de chercheurs, mais d’une tenure familiale; la famille jouant le rôle qu’en France ce que joue l’individu. Le défrichage du terrain par la hache faisait qu’on appelait le droit ainsi acquis « droit de hache », (o yaal baax) en Sereer celui opérait au feu « droit de feu », (o yaal o ñaay) et enfin celui fait à course hippique, « le droit de sabot », (o yaal o foxos). Ainsi, la famille administrait, soit son droit de sabot, de feu ou de hache, soit cultivait elle-même une partie du terrain ou se défaisait d’une partie de ses terres défrichées au profit d’autres familles. Ce dernier cas, entraînait deux types de droits.
– Le droit de redevance : le chef de famille, devenu un lamane a droit à une redevance sur les familles bénéficiant de sa propriété foncière. Il ne fait qu’administrer le patrimoine foncier commun de la famille (jooxe ou jattu) dont il est le chef et n’en dispose qu’après accord de celle-ci;
– Le droit de culture : il offre à son bénéficiaire les prérogatives, les plus immédiates sur les terres et, lui permet de s’approprier les produits qu’elle en tire sous la seule obligation de verser les redevances coutumières. Ce droit de culture, est garanti uniquement par le respect du versement des redevances et l’entretien permanent des champs c’est-à-dire leur exploitation permanente. Par ailleurs, tous les produits ne provenant pas des cultures reviennent au propriétaire, le titulaire, soit du « droit de sabot », du « droit de feu », ou du « droit de hache ». Les chefs de concession ou de maison (yaal pind) partagent les terres qu’ils contrôlent les différents ayants-droit. Toutes les personnes actives obtiennent des parcelles pour la saison des cultures. Les chefs de carré (yaal kaak) s’efforcent à leur niveau d’assurer une répartition équitable entre les personnes à leur charge. Ainsi, les actifs qui jugent leur insuffisante, vont emprunter des champs à l’extérieur pour combler ce manque.
Signification des prêts de terres de culture Le prêt est le moyen de réduction de l’inégale répartition des terres entre les paysans. Les pratiques relatives au prêt et à l’emprunt des champs permettent aux familles déficitaires d’obtenir les surfaces dont elles ont besoin.
Les modalités des prêts Les prêts étaient autrefois conditionnés, pour une grande part, par la parenté directe ; la parenté par alliance est fondée sur les matriclans (xa tim) et enfin par les rapports de bon voisinage. Les contreparties financières étaient inexistantes et étaient loin d’être le but visé.

L’accroissement démographique accentue l’emprunt de terres

      Selon Bouré Sarr, emprunteur, l’accroissement démographique de leurs familles constitue véritablement leur problème car on ne peut s’empêcher de procréer par peur de manquer de terres de culture même s’ils sont convaincus que leur seul moyen de subsistance, est l’agriculture. C’est pourquoi poursuit-il « dans chaque concession, il y a des exilés pour cause de manque de terres, ce sont des jeunes ménages qui se déplacent accompagnés de certains de leurs cadets pour augmenter la main d’œuvre. Ce sont également ces exilés qui nous permettent d’avoir l’occasion de faire transhumer notre bétail, cause pour laquelle nous les exhortons à partir au Saloum plus précisément à Ndiabel, au Djolof et au Fouta. Ceux qui se dirigent vers la Casamance y vont pour la culture de l’arachide ». Notre enquête directe a révélé sept familles déplacées. Dans la concession fondatrice du village de Ngardiam Sereer, il y a trois déplacées : Babou Sarr et compagnie installés à Gandiaye, Lat Grand Ndiaye à Ndiabel aussi que Sombel Sarr. Ce qui justifie l’attachement de ces populations à la grande famille, c’est que : ayant conscience que l’agriculture reste leur seul support, il faut impérativement un nombre important de personnes pour servir de main d’œuvre. L’autre cause est que les mariages y sont précoces, rares sont les jeunes âgés de vingt ans célibataires. La polygamie est active et ne se réfère pas à l’Islam car on retrouve des personnes ayant à leur compte, plus de quatre femmes, le lévirat aidant. Elle est pour ces hommes un signe positif, un acte de notoriété. Elle participe à la valorisation humaine et sociale. Le mariage garde son caractère ancestral et ne nécessite pas un déploiement de gros moyens comme à Dame. La chasse aux femmes ou vol de femmes existe toujours pratiquée. Elle est désignée par le terme vernaculaire de « Ngif ». il y a une forme intermédiaire qui consiste à emprunter la femme qu’on traduit par « Lup ». Ces pratiques n’existent plus à Dame et sont qualifiées d’obsolètes, dépassées, ignobles. Toutes ces raisons combinées font que l’accroissement démographique de Ngardiam Sereer dépasse largement en rythme celui de Dame : seize maisons pour le dernier avec une population de deux cent vingt quatre personnes entre sept maisons trois pour le premier avec une population de deux cents trente quatre habitants. La population de Dame est très mobile : 52 personnes se sont déplacées temporairement et reviennent soit pendant l’hivernage soit à la tabaski. Ils sont en majorité à Dakar (35). Il y a également (26) déplacements définitifs pour cause et emploi. A Ngardiam, on a compté 38 déplacements temporaires constitués soit de transhumants, soit de personnes parties en exode et qui reviennent à chaque hivernage.

En quoi la réforme foncière a-t-elle une part de responsabilité dans cette situation ?

     La réforme foncière du 17 juin 1964 a des limites que même le profane peut remarquer étant donné que son élaboration était présidée par cette double démarche :
– Restaurer la dimension communautaire de la tenure foncière africaine conforme au socialisme Senghorien ;
– Adopter les règles et usages traditionnels aux exigences du développement politique, économique et social.
Les limites sont entre autres le fait que les mécanismes de textes juridiques sont inadaptés et ignorés des paysans ; l’inefficacité du système de communication due à la langue dans laquelle les messages sont véhiculés ; les limites émanent surtout de la situation d’analphabétisme des paysans ; de la complexité des procédures administratives relatives à l’application des textes qui concernent les communautés de base ; du fait que les moyens de recours administratifs ou juridiques sont contournés par les paysans etc. Ainsi, sa responsabilité est grande et multidimensionnelle.
 A la date d’entrée en vigueur de la loi 64-46 relative au domaine national, les bénéficiaires des droits d’usage et de toutes autres formes de concession ont continué d’exploiter et d’occuper les terres qu’ils détenaient.
 Les prêts de terre à titre temporaire et gratuit du fait que l’affectation est strictement personnelle à l’individu ou au groupement qui en bénéficie sont prohibés par les articles 20 du décret 66-858 du 07 novembre 1966 et 19 du décret 64-573 du 30 juillet 1964. mais les populations font pire puisque des prêts à titre onéreux et de la location de terres se sont développés, ce qui est contraire à l’esprit de l’article 423 du code pénal qui les sanctionne. C’est pourquoi les prêteurs adoptent peut être la rotation stratégique des terres Les articles 15 et 18 de la réforme permettant aux usagers d’exploiter et d’occuper les terres qu’ils possédaient ont les conséquences ci-après :
– Les descendants de lamane possèdent de grands domaines qu’ils prêtent pour faire semblant de mettre en valeur. Ils conservent l’avantage de disposer de leur fonds car aucune loi, ni décret n’a permis de déterminer les excédents fonciers et de les désaffecter en vu de les redistribuer aux emprunteurs qui sont déficitaires ou sans terres.
– Les prêts de terres participent à l’appauvrissement des sols et à la désertification progressive. Ce n’est pas celui qui tient un champ pour un an et à qui on refuse de bénéficier de ses autres fruits qui va planter des arbres ou le fertiliser.

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Table des matières

INTRODUCTION
Première partie : CADRE THEORIQUE ET APPROCHE METHODOLOGIQUE 
ChapI. : Cadre Théorique
I- 1. Problématique générale
I – 1 – 1. Problématique spécifique
I – 2. Etat de la Question et revue critique de la littérature
I – 2 – 1. Etat de la question
I – 2 – 2. Revue critique de la littérature
I – 3. Objectifs de l’étude
I – 3 – 1. Objectif général
I – 3 – 2. Objectifs spécifiques
I – 4.Corps d’hypothèses
I – 4 – 1.Hpothèse générale
I – 4 – 2.Hypothèse spécifique
I – 5.Définition des concepts
I –6.Modèle d’analyse
ChapII. Approche méthodologique
II – 1.Les types de recherche
II – 2.Méthodes d’observation et plan de collecte des données
II – 2 – 1.La documentation
II – 2 – 2. L’observation directe
II – 3.Les techniques de collecte des données
II – 3 – 1.Les entretiens
II – 3 – 2.Les fiches d’observation
II – 4.Les techniques d’analyse des données
II – 5. Les méthodes d’argumentation
II – 6. Chronogramme des activités de la recherche
II – 7. Les difficultés rencontrées
Deuxième partie : LES LOCALITES ETUDIEES ET LEUR TERROIR FONCIER 
ChapIII. Le champ d’étude 
III – 1. Les villages : Mythe et histoire
III – 1 – 1. Le village de Dame
III – 1 – 2. Le village de Ngardiam Sereer
III – 2. Situation administrative et démographique
III – 3. L’organisation socio-politique et économique
III – 3 – 1.L’organisation sociale et politique
III – 3 – 2. Les relations sociales traditionnelles entre les deux villages
III – 3 – 2 – 1.La famille et le système parental
III – 3 – 2 – 2. Les alliances
III – 3 – 3. L’économie et le mode de vie
III – 3 – 3 – 1. L’agriculture
III – 3 – 3 – 2. L’élevage
III – 3 – 3 – 3. Le commerce
Chap.IV – Les terroirs fonciers : la dynamique du mode d’organisation et de la distribution des terres 
IV – 1. Les terroirs fonciers : aspects généraux
IV – 1 – 1. La représentation des terroirs selon les habitants
IV – 1 – 2. Classement, description, noms usuels et destinée théorique des sols
IV – 2. les tenures foncières coutumières des villages
IV – 2 – 1. L’origine de la propriété foncière
IV – 2 – 2. La transmission des terres
IV – 2 – 3. L’accès à la terre
IV – 3. Gestion et statut des terres : de la réforme à nos jours
IV – 3 – 1. L’accès des jeunes aux terres
IV – 3 – 2. L’accès des femmes aux terres
Troisième partie : PRESENTATION ET ANALYSE DES PRATIQUES FONCIERES LOCALES ET DE LEURS IMPLICATIONS SOCIO – JURIDIQUES 
ChapV. Historique des phénomènes 
V – 1. Le prêt ou l’emprunt des terres de culture
V – 1 – 1. Signification des prêts de terres de cultures
V – 1 – 2. Les modalités des prêts
V – 2. Le gage : une pratique intermédiaire
ChapVI. Analyse et présentation des pratiques foncières locales 
VI – 1. Les phénomènes de prêt et d’emprunt de terres de culture
VI – 1 – 1. Pourquoi prêter ou emprunter des terres ?
VI – 1 – 2. Situation foncière de Dame
VI – 1 – 3. Situation foncière de Ngardiam Sereer
VI – 1 – 3 – 1. Répartition des champs de la concession
VI – 1 – 3 – 2. La représentation de la répartition des champs d’une concession
VI – 2. L’accroissement démographique et emprunt des terres
VI – 3. Les cas de gages de terres existants
VI – 3 – 1. Répartition des cas de gages de champs à Dame
VI – 3 – 2. Les causes des gages
VI – 4. Les stratégies locales foncières
VI – 4 – 1. Les stratégies des prêteurs
VI – 4 – 2. Les stratégies des emprunteurs
VI – 4 – 3. La prestation financière : un impératif actuel
Chap VII – Les conséquences des pratiques foncières locales 
VII – 1. Les problèmes fonciers
VII – 2. Les litiges fonciers
VIII – 3. En quoi la réforme foncière a t-elle une part de responsabilité dans cette situation ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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