Les personnes psychiatrisées et leurs allié·e·s s’engagent des organisations pour les défendre

QU’EST-CE QUE L’ANTIPSYCHIATRIE ?

De manière générale, l’antipsychiatrie est présentée comme un mouvement radical de contestation de la psychiatrie « traditionnelle », mouvement ayant émergé dans les années 1960 pour s’estomper au cours de la décennie 1980. Le terme d’« antipsychiatrie » naît ainsi en 1967 sous la plume de David Cooper, un psychiatre sud-africain exerçant à Londres, lorsqu’il fait publier un ouvrage justement intitulé Psychiatry and anti-psychiatry 43 . Toutefois, il se trouve dans la littérature une opinion un peu différente sur la naissance de l’antipsychiatrie, sans nécessairement être contradictoire avec cette première acception. Ainsi, certain·e·s auteur·e·s estiment que l’antipsychiatrie ne se limite pas à l’opposition radicale envers la psychiatrie dans la deuxième moitié du 20ème siècle, mais qu’elle apparaît dès l’émergence de la psychiatrie et de ses moyens d’action, jalonnant toute l’histoire de cette discipline44. Cette définition plus ouverte en termes temporels permet en outre de mettre en lumière que les premiers·ères « antipsychiatres » seraient les psychiatrisé·e·s eux·ellesmêmes : « l’histoire de l’antipsychiatrie ne commence pas avec les mouvements de ladite « antipsychiatrie », mais est l’histoire des résistances, des contre-conduites et de la prise de parole des femmes et des hommes « infâmes » qui ont contesté le pouvoir psychiatrique depuis sa naissance »45.

Toutefois, à proposer cette brève mise en perspective historique en guise d’introduction, la question de la pertinence même du terme « antipsychiatrie » ne se trouve pas posée. Or, est-il approprié de parler d’antipsychiatrie pour ce qui tout relève d’avant les années 1960, alors que le vocable n’existe pas encore ? Répondre oui, c’est prendre le parti de l’anachronisme terminologique ; répondre non, celui de risquer la négation de ces « résistances », « contreconduites » et « prises de parole » qui ont existé précédemment46. Dans le cadre de ce travail, il sera fait référence, sauf mention contraire, à « l’ » antipsychiatrie des années 1960 à 1980. Toutefois, ce bref excursus dans l’histoire de la psychiatrie mérite d’être mentionné, ne seraitce que de par le sujet central du mémoire, puisque l’antipsychiatrie s’est trouvée au coeur d’une polémique mettant en avant, entre autres, la question de la légitimité en, et de la, psychiatrie. Cette interrogation fait en outre déjà pressentir qu’elle ne se laisse pas aisément appréhender.

UNE DÉFINITION AMBIVALENTE

Déterminer ce qu’est l’antipsychiatrie d’une manière claire mais néanmoins la plus exhaustive possible se révèle un exercice délicat. Comme l’écrit Jacques Lesage De La Haye, « Il ne s’agit pas d’un seul courant de pensée : l’antipsychiatrie est un vaste mouvement. On peut la définir comme un carrefour et un réseau de convergences. (…) En fonction des personnalités et des groupes qui l’ont constituée, l’antipsychiatrie a pris des formes tellement diverses qu’il n’est pas possible de la définir par un seul type de pensée et de mise en application. »47 Par rapport aux critiques qui se sont faites jour au cours de l’histoire de la psychiatrie, l’antipsychiatrie du 20ème siècle se pose cependant à un niveau différent par son glissement « sur un registre théorique, notamment philosophique, d’où elle n’a cessé de rebondir violemment en direction d’un projet politique teinté d’extrémisme »48 . Cependant, dans certains cas, l’antipsychiatrie s’est concrétisée également à un niveau pratique.

D’une part, certains auteurs antipsychiatriques ont mené des expériences pour appliquer leurs idées sur le terrain et d’autre part, c’est à partir de la deuxième moitié du 20ème siècle que se constituent des groupes et organisations de personnes psychiatrisées (dans lesquelles se retrouvent d’ailleurs souvent des psychiatres et/ou d’autres travailleurs·euses en psychiatrie comme des infirmiers·ères), organismes qui ont pu mener des. Pour à présent tenter d’offrir une définition de ce qu’est l’antipsychiatrie, l’on pourrait dire qu’il s’agit d’un mouvement dont « [l]e trait distinctif essentiel (…) réside en la critique de l’application d’une idéologie médicale à certains états mentaux et types de comportement reçus par la société comme déviants et insupportables. »49 Pierangelo Di Vittorio en donne par ailleurs une définition plus précise : « Si l’on voulait donner une définition préalable de l’antipsychiatrie, on pourrait l’envisager dans les termes d’un questionnement des « relations de pouvoir » qui sont à la base de la psychiatrie et d’un refus de la supposée « neutralité politique » de son savoir et de ses techniques d’intervention. »50 Ces quelques traits qui caractérisent l’antipsychiatrie n’étonnent pas au vu du contexte dans lequel, ou plutôt duquel, elle émerge. Elle apparaît dans un moment d’agitation sociale importante, moment qui imprime le caractère spécifique de l’antipsychiatrie, selon Robert Castel : « L’anti-psychiatrie comme phénomène social a moins été la critique ponctuelle (théorique ou pratique) d’une activité professionnelle particulière, que la surdétermination du sens de cette activité à partir d’une thématique anti-autoritaire généralisée. »51 La plupart des ouvrages antipsychiatriques paraissent ainsi entre les années 1960 et 1970, quelques-uns encore au début des années 1980. Toutefois, sans un intérêt particulièrement vivace d’un potentiel public autour justement des « relations de pouvoir », comme l’écrit Françoise Tilkin, l’antipsychiatrie n’aurait pas eu un écho aussi important : « Fait remarquable, cette contestation, dite « antipsychiatrique », déborde largement le public spécialisé pour atteindre une audience à première vue inespérée. C’est qu’il souffle à l’époque un vent de révolte. L’opinion, passionnée par la nature et l’exercice du pouvoir, sensible à toutes les formes de répression, voit dans le champ psychiatrique le lieu d’une querelle, à ses yeux exemplaire, entre l’archétype de l’oppresseur – la psychiatrie – et celui de la victime – la folie, fortement revalorisée. »52 Par ailleurs, c’est également un moment de changements importants dans le champ psychiatrique. De nouvelles méthodes font leur apparition progressive depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, comme les neuroleptiques dans les années 1950, les communautés thérapeutiques ou encore la psychiatrie de secteur, pour ne citer que ces exemples. L’antipsychiatrie émerge donc dans un contexte d’évolution et d’intégration de nouveaux dispositifs qui influencent et modifient les pratiques et conceptions psychiatriques. Les contributions antipsychiatriques s’inspirent en outre d’autres courants, notamment philosophiques. La littérature sur l’antipsychiatrie s’accorde à dire qu’elle puise ses influences en particulier dans la phénoménologie, qui privilégie l’étude des personnes et de leurs expériences vécues et qui critique vivement la réification qui serait à l’oeuvre en psychiatrie, et l’existentialisme53, tout en adoptant une perspective épistémologique54. Les opinions ne sont en revanche pas unanimes sur la part d’inspiration marxiste dans les discours antipsychiatriques. Pour Nick Crossley, le marxisme constitue une référence forte chez certains auteurs seulement, comme David Cooper par exemple, mais ne représente pas une caractéristique globale du mouvement55. Il pourrait s’agir plutôt d’une extension à partir des années 1970 des thèses marxistes due au contexte dans lequel émerge l’antipsychiatrie, extension de la lutte des classes à une contestation d’ensemble des rapports de pouvoir56. Par conséquent, il semble plus indiqué de parler de discours marxisant plus que fondamentalement marxiste.

Fait notable, et malgré leur critique de la psychiatrie « traditionnelle », de ses théories et moyens d’action, les antipsychiatres ne militent pas pour l’abolition de la psychiatrie. D’ailleurs, la plupart des auteur·e·s considéré·e·s comme antipsychiatres sont eux·ellesmêmes des « psy », en majorité des psychiatres. Ainsi David Cooper, Franco Basaglia mais également Ronald Laing ou encore Giovanni Jervis ont tous suivi une formation de psychiatre, exercent et écrivent en tant que tels. Toutefois, la plupart se sont distanciés à un moment ou à un autre de l’étiquette d’« antipsychiatre », ou alors ne l’ont jamais revendiquée. La crainte d’une récupération, d’une interprétation contradictoire ou un certain flou dans lequel était en train de plonger l’antipsychiatrie fournissent les principales raisons de ce rejet. Giovanni Jervis explique sévèrement : « [D]isons-le tout de suite, l’antipsychiatrie est surtout un nom que les consommateurs de culture et la mode ont attribué tour à tour à des courants différents de la psychiatrie et à des psychiatres particuliers, sur la base du titre d’un livre intéressant de David Cooper, Psychiatrie et antipsychiatrie [sic]. (…)

Non seulement aucune des personnes à qui l’on a attribué le titre d’« antipsychiatre » ne l’a revendiqué comme pertinent : mais encore nombreux sont ceux qui ont eu l’honnêteté et la lucidité de le refuser d’une façon explicite. »57 Ronald Laing quant à lui réfute le nom pour une autre raison : « Je n’ai jamais dit que j’étais un antipsychiatre : les antipsychiatres, ce sont les autres, les médecins qui souillent le nom de la psychiatrie par leur brutalité, leur cruauté »58. Par ailleurs, l’antipsychiatrie a drainé dans son sillage quelques noms fameux de théoriciens des sciences sociales qui se sont étroitement intéressés aux domaines « psy » et au pouvoir. Pour la sphère francophone et en particulier française, ce sont surtout Michel Foucault et le sociologue Robert Castel qui apparaissent à maintes reprises dans les contributions autour de l’antipsychiatrie. En anglais, c’est surtout l’ouvrage Asiles59 d’Erving Goffman qui se trouve marqué de ce sceau. Mais là encore il y a besoin de formuler une distanciation. Foucault y vient après avoir constaté qu’une partie de ses thèses ont été interprétées par trop sommairement par certains antipsychiatres60.

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Table des matières

PREMIÈRE PARTIE – CADRE THÉORIQUE
CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE
CADRE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
SOURCES
MÉTHODOLOGIE
ETAT DE LA QUESTION15
CHAPITRE II : QU’EST-CE QUE L’ANTIPSYCHIATRIE ?
UNE DÉFINITION AMBIVALENTE
CONCEPTIONS COMMUNES
Savoir
Pouvoir
AMBIGUÏTÉS ET LIMITES
DEUXIÈME PARTIE – DÉCONSTRUCTION ET RECONSTRUCTION
DES « DISCOURS DE VÉRITÉ »
CHAPITRE III : RÉPARTITION DES ARTICLES DE PRESSE
CHAPITRE IV : DES « ÉVIDENCES » CONTROVERSÉES
DÉFINIR LA FOLIE : UNE OBSESSION
Une essence énigmatique
Des causes plurielles
RÔLE ET MANDAT DE LA PSYCHIATRIE
La répression contre la responsabilité d’aider
La neutralité, entre nécessité et illusion
Evolution de la psychiatrie
LA PERSONNE PSYCHIATRISÉE ET LE PERSONNEL SOIGNANT
Exclusion sociale et invalidation médicale des psychiatrisé·e·s
D’un rôle d’objet passif à une autonomie subjective ?
Les (presque) invisibles : les soignant·e·s
TROISIÈME PARTIE – LES PAROLES MINORITAIRES
CHAPITRE V : LES PERSONNES PSYCHIATRISÉES ET LEURS ALLIÉ·E·S S’ENGAGENT
DES ORGANISATIONS POUR LES DÉFENDRE
LA FOLIE EST SOCIALE76
CONTRE LA FORCE, POUR LES DROITS
EVOLUTION DE LA PSYCHIATRIE
QUELLE PLACE POUR LES PSYCHIATRISÉ·E·S ?
CHAPITRE VI : LES PSYCHIATRISÉ·E·S ÉCRIVENT
CHAPITRE VII : LES SOIGNANT·E·S, UN NOYAU ENGAGÉ
SYNDICALISME ET CRITIQUE DE LA PSYCHIATRIE
ESPACES DE RÉFLEXION ALTERNATIFS
CONCLUSION – DÉTERRITORIALISER LA PSYCHIATRIE
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
DÉCLARATION SUR L’HONNEUR
CURRICULUM VITAE

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