Les observatoires, des dispositifs représentatifs de l’évolution de la GRH

Les observatoires : des objets peu étudiés 

Les recherches en Sciences de gestion se sont peu intéressées aux observatoires. Toutefois, les travaux existants montrent que ces observatoires abordent différents thèmes liés au travail en produisant des connaissances. Ils sont également chargés d’enjeux pour les acteurs dans le sens où ils vont permettre de leur apporter certaines informations concernant des situations présentes au sein de l’organisation.

Un lieu de production de connaissances

Les observatoires sont créés afin d’étudier des sujets liés aux métiers ou encore aux conditions sociales des salariés. Il existe par exemple des observatoires sociaux, des observatoires des métiers, des observatoires des conditions de travail (ou de la qualité de vie au travail). L’observatoire social permet de rassembler des informations utiles sur les situations de travail des salariés et surtout de faire émerger des processus défaillants de l’organisation souvent occultés (Hereng, 2003). Les structures d’observation sociale sont des lieux de production de connaissances. Ils permettent de réduire l’incertitude des acteurs concernant les situations de travail au sein de l’entreprise et d’être un moyen pertinent d’anticipation du social dans le but d’enclencher des actions adéquates pour l’organisation (Giraud, 1992 ; Igalens et Loignon, 1997). Afin de mieux comprendre les actions d’un observatoire social, les moyens qui y sont mobilisés et de juger de son efficacité, il paraît utile de mieux cerner les raisons des acteurs et les objectifs qu’ils assignent à ce type de structure (Giraud, 1992). Pour mieux caractériser le rôle et la place des observatoires sociaux, Igalens et Loignon (1997) catégorisent dans le tableau ci dessous les différentes pratiques sociales existantes dans une entreprise. Pour les auteurs, les observatoires sociaux sont une pratique sociale comme une autre, à l’instar du diagnostic ou de l’audit social. Ils précisent que ces pratiques ne mobilisent pas les mêmes méthodes et qu’il n’existe pas de hiérarchie entre elles. Les pratiques citées ne remplissent pas les mêmes objectifs et sont toutes utiles selon le contexte. La mise en œuvre de ces différentes pratiques va dépendre de la taille de l’entreprise et leurs actions seront permanentes ou ponctuelles selon les situations rencontrées. Ce tableau nous montre bien la différence entre l’observation sociale et les différentes pratiques sociales en entreprise. En effet, les observatoires ou encore l’observation sociale étant assez peu étudiés, la confusion avec d’autres pratiques est souvent faite. On remarque néanmoins que les différences de méthodes et d’objectifs entre ces pratiques sont multiples. Un audit social sera plus ponctuel car mobilisé à la suite d’un problème précis. Le diagnostic social sera plutôt réalisé par un consultant extérieur. La veille sociale mobilisera beaucoup plus des éléments statistiques à travers le benchmarking ou en comparant les établissements. Enfin, le contrôle de gestion sociale va concerner les objectifs fixés d’un point de vue opérationnel par l’organisation en analysant les écarts entre les prévisions et la réalité.

Pour Igalens et Loignon (1997), l’observation sociale va s’inscrire dans un champ plus large que les autres pratiques. L’observation sociale analysera le fonctionnement et les dysfonctionnements de l’organisation. Elle s’intéressera plus particulièrement aux situations de travail, avec par exemple les conséquences d’un changement sur les métiers ou encore sur la santé physique et psychologique des salariés. Le rôle de l’observation sociale ne sera pas de trouver des solutions aux dysfonctionnements mais de transmettre les informations aux responsables qui prendront des décisions appropriées. De plus, les auteurs soulignent que l’observation sociale n’aura aucun succès à elle seule et qu’elle doit faire partie de la multitude des instruments de gestion des ressources humaines dans une organisation.

Si les observatoires sociaux ont fait l’objet de quelques travaux notamment à la fin des années 1990 (Igalens et Loignon 1997 ; Galey, 2001 ; Hereng, 2003), les chercheurs en Sciences de gestion se sont davantage focalisés sur les observatoires des métiers notamment dans un contexte législatif concernant la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Les observatoires des métiers ont été mis en place avec cette idée de mettre en évidence des évolutions possibles de l’environnement et d’anticiper l’impact de ces évolutions sur le devenir d’un métier (Boyer et Scouarnec, 2005). Selon Dietrich et Parlier (2007), les observatoires des métiers assurent « la maintenance et la diffusion des outils de représentation (cartographie des métiers, répertoire des emplois, référentiels), et d’investigation (identification des passerelles possibles entre les métiers). Ils offrent ainsi aux salariés les « savoirs » nécessaire à la conduite d’un projet professionnel mais surtout, ils leurs donnent les règles du jeu, leur permettant de se constituer en capital de compétences » (p. 36). Pour aller plus loin dans la définition d’un observatoire des métiers et des différents concepts autour de cette notion, il faut souligner qu’il existe des observatoires à des niveaux différents. En effet, nous pouvons retrouver ces structures à trois niveaux :

– les observatoires des métiers régionaux, créés dans les années 1980 en France dans un contexte de décentralisation dans l’objectif de diagnostiquer la relation formation-emploi et d’élaborer des dossiers statistiques descriptifs de cette relation dans les régions. Aujourd’hui, comme le soulignent Healy et Verdier (2010), certains de ces observatoires permettent de joindre à cette élaboration de dossiers statistiques une prestation de service pour aider les acteurs locaux à s’approprier « ce produit statistique ».

– les observatoires des métiers de branches professionnelles, mis en place à partir de la moitié des années 1990, à l’image de l’Observatoire des métiers des télécommunications, celui des métiers de l’assurance ou encore des métiers de la banque. Ces différents observatoires au niveau des branches ont pour mission de s’informer des évolutions impactant les métiers d’une branche précise, pour éventuellement anticiper les nouvelles politiques de gestion des ressources humaines dans les entreprises de la branche en question.

– les observatoires des métiers dans les organisations, qui ont été créés depuis plusieurs années notamment dans les années 1990 dans de grandes entreprises publiques comme la SNCF, ont connu une expansion rapide depuis la signature d’accords GPEC pour se conformer à la loi de cohésion sociale de 2005. Selon Vlamynck et Gilbert (2010), ces observatoires sont souvent centraux dans un dispositif GPEC et sont présents dans deux tiers des accords signés, encore plus dans le cas des grandes entreprises.

Il faut noter que, mis à part la thématique de l’étude des métiers et de leurs évolutions, chaque région, branche professionnelle ou organisation confiera des missions et une méthodologie propres à son observatoire, dépendant du contexte et des acteurs impliqués dans sa mise en œuvre. Cela peut expliquer notamment le manque de régulations précises concernant l’objet « observatoires des métiers » ou même les « observatoires » en général. Néanmoins il existe tout de même dans la littérature des notions proches autour des observatoires comme celui «d’observation». Vlamynck et Gilbert (2010) estiment qu’en fonction des objectifs, l’observation peut avoir des portées différentes. L’observation peut être rétrospective avec l’idée de rendre compte des évolutions passées d’une manière descriptive à l’image du bilan social. L’observation photographique peut apporter des éléments plus précis sur un instant donné, avec par exemple l’élaboration d’une carte des métiers existants. Enfin, l’observation peut être prospective. Elle est alors anticipatrice et plus uniquement descriptive. Dans ce cas, Vlamynck et Gilbert (2010) précisent que peu d’entreprises peuvent réaliser ce genre d’observation, hormis les organisations publiques ou les grandes entreprises privées ayant les moyens et pouvant se permettre d’évoluer sur des perspectives plus longues. Le concept d’observation dans la littérature apporte des premiers éléments théoriques sur les différentes méthodes de recueil d’informations des observatoires des métiers.

D’autres travaux se sont intéressés aux observatoires des métiers dans le but de les caractériser, plutôt sous l’angle des pratiques et des dispositifs de GPEC. Les travaux analysant les différentes pratiques de GPEC mises en place en application de la loi de 2005 mettent en évidence la multiplication des observatoires des métiers dans les entreprises. Ces observatoires des métiers paritaires ont pour mission de présenter aux représentants des organisations syndicales des données sur les métiers de l’entreprise (Oiry et al., 2013). Les observatoires des métiers recouvrent diverses appellations comme le soulignent Vlamynck et Gilbert (2010) : « comité GPEC » ou « comité de suivi ». Ces différentes dénominations ne permettent pas forcément d’atténuer le flou autour de ces dispositifs qui peuvent avoir un fonctionnement spécifique selon les entreprises. Si les travaux sur les observatoires des métiers soulignent leur flou et le mystère existant autour de ces structures, ils mettent en évidence leurs apports potentiels. Les observatoires des métiers jouent un rôle dans des démarches d’anticipation avec une mission de veille sur l’évolution des compétences et métiers d’une organisation (Vlamynck et Gilbert, 2010). De plus, l’intérêt de ces observatoires des métiers réside dans le fait de réunir différents acteurs afin de développer une nouvelle forme de dialogue social, échappant aux difficultés rencontrées dans les instances classiques (Oiry et al., 2013). En effet, direction et syndicats se retrouvent d’une certaine manière dans une autre configuration du dialogue social avec des débats apaisés et enrichis par des données issues d’études. Un contexte est alors différent des autres instances telles que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou les comités d’entreprises (CE) où les rapports de forces entre directions et représentants des organisations syndicales sont présents.

Les recherches en Sciences de gestion se sont intéressées aux observatoires des métiers, directement ou indirectement en analysant notamment les pratiques de gestion des compétences suite aux évolutions de la législation. C’est également le cas des questions de santé au travail qui ont fait récemment l’objet de nombreux travaux portant sur la mise en place de politiques et la création d’outils, qui à l’image des observatoires, permettent de prévenir, d’analyser ou encore d’envisager de nouvelles pratiques pour résoudre des problématiques de conditions de travail. Dans les années 2000, la législation en matière de prévention sur la santé au travail a évolué en mettant en place plusieurs dispositions vis-à-vis de la responsabilité de l’employeur. Par exemple, le décret de 2001 impose à l’employeur de mettre à jour les résultats de l’évaluation des risques pour la sécurité et la santé des travailleurs dans un document unique. En 2002, la loi de modernisation sociale rattache à l’obligation générale de prévention de l’employeur la protection de la santé mentale des salariés. Enfin, il faut également citer l’accord national interprofessionnel de 2008 qui rappelle les obligations des employeurs, fournissant, par ailleurs, un cadre dans la détection et la prévention des problèmes de stress au travail. Les entreprises ont dû mettre en place des dispositions concernant la prévention de la santé mentale des travailleurs et de leurs conditions de travail pour respecter ces obligations légales, surtout dans un contexte d’événements médiatisés comme chez France Télécom. Les entreprises publiques et privées mobilisent alors différents types d’outils adaptés à leur environnement et aux enjeux autour de ces questions. Parmi ces outils on peut citer le document unique d’évaluation des risques, des actions de communication et de formation du management pour les sensibiliser aux problématiques des conditions de travail, la création de comité avec la participation d’experts et de médecins du travail afin d’anticiper certaines situations à risques, ou encore des espaces de discussion pour mettre en lumière les difficultés des salariés (Detchessahar, 2009, 2011). Certains de ces outils ont l’objectif, du moins sur le papier, d’apporter des connaissances et une terminologie précise (stress, risques psychosociaux, qualité de vie au travail…) sur les problématiques de conditions de travail, et de faire participer aux débats et aux actions préventives de nombreux acteurs comme le management, les syndicats, des médecins, des experts et les salariés.

Pour répondre aux exigences légales et prévenir les risques de santé au travail, certaines entreprises ont fait le choix de créer des observatoires. Ce choix correspond à l’idée citée précédemment, en l’occurrence permettre de rassembler plusieurs acteurs pour observer des situations de travail et réfléchir à des actions potentielles pour anticiper ou résoudre des problématiques déjà existantes. Ces acteurs sont notamment accompagnés par des consultants ou des chercheurs pour apporter des connaissances sur le sujet, conseiller sur les possibilités d’actions ou encore les guider dans la création même de leur observatoire et les orientations de leurs travaux. C’est le cas, par exemple, de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) qui a accompagné plusieurs entreprises dans la mise en place de leurs observatoires, voire a été présente au sein de ces observatoires pour participer à certains travaux ou former les acteurs. Sarazin (2015) fait part notamment de l’expérience de l’Agence avec les observatoires de la SNCF, d’EDF et du Crédit Agricole. Il est intéressant de constater que ces observatoires ne fonctionnent pas de la même manière et n’emploient pas des moyens d’actions similaires. L’observatoire d’EDF repère par exemple les bonnes pratiques déjà existantes dans l’organisation pour les diffuser. Pour l’observatoire de la SNCF, le but est de comprendre les situations de travail, expérimenter des actions, les évaluer et dans certains cas les diffuser, tout en adoptant une posture « d’aiguillon pour l’entreprise » (Sarazin, 2015, p. 93). Quant à l’observatoire du Crédit Agricole, l’objectif est de réfléchir à de nouvelles pratiques et méthodes, mettre en place des expérimentations d’organisation du travail dans l’une de leur structure pour les diffuser si cela fait ses preuves. Un point commun entre ces observatoires est leur volonté de discuter, notamment avec les représentants syndicaux, dans un nouveau lieu différent des instances habituelles du dialogue social, dans lequel les rapports de forces classiques peuvent être atténués.

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Table des matières

Introduction générale
Première partie : Revue de la littérature
Chapitre 1 : Les observatoires, des dispositifs représentatifs de l’évolution de la GRH
1.1 Les observatoires : des objets peu étudiés
1.2 De la production de connaissances statistiques à l’observation sur le terrain : l’évolution des méthodes mobilisées par les observatoires
1.3 Les observatoires, des outils résultant de l’évolution de la GRH
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 : Les multiples vies d’un outil de gestion : entre fonctions multiples et appropriations successives
2.1 Les diverses fonctions d’un dispositif de gestion
2.2 L’appropriation : un processus révélateur des jeux d’acteurs autour des dispositifs de gestion
Conclusion du chapitre 2 85
Chapitre 3 : La légitimité d’un dispositif de gestion confrontée aux logiques institutionnelles présentes dans une organisation
3.1 L’interaction entre outils et logiques institutionnelles portées par les acteurs : les manques empiriques de la littérature 88
3.2 Le concept de légitimité intra-organisationnelle
3.3 L’intérêt d’un cadre théorique analysant la légitimité intra-organisationnelle d’un dispositif de gestion face aux logiques institutionnelles présentes dans une organisation
Conclusion du chapitre 3
Fin de la première partie
Deuxième partie : Design de la recherche
Chapitre 4 : La construction de notre objet de recherche dans un positionnement épistémologique interprétativiste
4.1 Un objet de recherche enrichi par des études exploratoires
4.2 Une recherche inscrite dans un paradigme épistémologique interprétativiste
4.3 La réalisation d’une étude de cas unique au travers d’un raisonnement abductif
Conclusion du chapitre 4
Chapitre 5 : Les méthodes de récolte et d’analyse de données
5.1 La présentation du cas
5.2 Les méthodes de récolte de données
5.3 La méthode d’analyse de données et l’organisation de la restitution des résultats
Conclusion du chapitre 5
Fin de la deuxième partie
Troisième partie : Analyse des résultats et discussion
Chapitre 6 : Une manifestation sans contrainte de la logique d’observation sociale des membres de l’observatoire
6.1 Un contexte de modernisation de la gestion des ressources humaines dans l’organisme favorable à l’introduction d’un observatoire des métiers
6.2 Le processus d’intégration de l’observatoire dans la nouvelle politique RH de l’organisme202
6.3 Des fonctions développées et une légitimité acquise autour de la production de connaissances concernant les ingénieurs et techniciens
Conclusion du chapitre 6
Chapitre 7 : Une confrontation entre deux logiques qui modifie la fonction et la légitimité de l’observatoire
7.1 Des transformations profondes au sein de la DRH avec la montée en puissance du nouveau management public
7.2 Le processus de défense des membres de l’observatoire face à l’appropriation du dispositif par la DRH
7.3 L’influence majeure des nouvelles activités de l’observatoire sur son fonctionnement et sa légitimité au sein de l’organisme
Conclusion du chapitre 7
Chapitre 8 : Un compromis entre les deux logiques qui aboutit à une nouvelle fonction pour l’observatoire
8.1 L’importance accrue de la GPEC dans le cadre des réformes de la fonction publique et de la recherche
8.2 Le processus de compromis entre la DRH et l’observatoire pour les besoins de la politique de GPEC
8.3 L’arrêt des études, le symbole de la nouvelle fonction et légitimité de l’observatoire tournée vers l’expertise
Conclusion du chapitre 8
Chapitre 9 : Apports et limites d’une recherche sur les conditions du maintien d’un observatoire dans une organisation
9.1 Les apports théoriques issus de l’analyse d’un observatoire des métiers
9.2 Les apports managériaux, perspectives de recherche et limites de notre travail
Récapitulatif des apports et limites de notre recherche
Fin de la troisième partie
Conclusion générale
Bibliographie

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