Les narratrices et le narrateur

Les narratrices et le narrateur

Analyse

L’analyse qui suit fait référence à cinq personnes distinctes qui ont vécu une expérience de bénévolat dans un camp de réfugiés en Europe, dans différentes phases de leur vie. • Coline, Camélia et Nicole : les trois premières interviewées étaient au cours de leur Bachelor, notamment au niveau tertiaire de leur formation académique. Les expériences bénévoles ont été vécues en Grèce. • Emilie : la quatrième interviewée avait déjà terminé une première formation et au moment de l’expérience bénévole elle était en train de se former ultérieurement. L’expérience bénévole s’est déroulée au nord de la France. • David : Le dernier interviewé, au moment de l’entretien, avait déjà toute une carrière vécue dans l’humanitaire. L’exercice d’entretien était celui de retracer son expérience d’il y a 25 ans. Sa première expérience de bénévolat humanitaire a eu lieu en Croatie. Chaque entretien effectué aura une analyse autonome pour ensuite en tirer une réflexion commune. Pour chaque interviewé, nous allons organiser l’analyse en trois sections, notamment l’avant départ, le séjour dans le camp de réfugiés et le retour en Suisse. Pour chacun-e d’entre eux, les épisodes les plus significatifs ont été sélectionnés et racontés plus en détail selon le moment dans lequel ils ont été vécus (l’avant départ, le séjour bénévole ou le retour en Suisse). Pour cette raison, selon l’étude de cas, il y aura certaines parties qui seront plus développées que d’autres. Cela n’indique pas qu’une phase de l’expérience a été plus significative que les autres, mais simplement que selon le récit de la personne, il était possible d’en tirer plus de réflexions et faire plus de liens avec la théorie. Légende, en ce qui concerne l’analyse, les figures et les tableaux : Tx : L’entretien a été numéroté dès le début (T1), jusqu’à la fin (Tx), selon l’alternance entre l’intervieweur et l’interviewé … : La phrase n’a pas été terminée par la personne qui parlait Souligné : Un passage de la citation qui est important à souligner [En gras] : Des explications ajoutées par la chercheuse dans le but de clarifier certaines parties de la citation qui pourraient être difficiles à comprendre sans le contexte Mouvement géographique Moment de rupture APs Isabella Alder Analyse Mémoire de Master 52 6.1 Coline : l’entretien « exploratoire » Le premier entretien a été défini comme exploratoire au sein de cette recherche, puisqu’au moment de l’échange avec l’interviewée, les questions de recherche posées faisaient référence à un autre cadre de recherche. De fait, l’entretien avait été fait dans le cadre du cours « La perspective transnationale au sein des études sur les mobilités et les migrations : enjeux théoriques et empiriques » à l’Université́ de Neuchâtel, pendant le semestre de printemps 2017. Même si l’expérience vécue par l’interviewée répond exactement à l’intérêt de la présente étude, à l’époque, l’entretien avait été amené dans le but de répondre à des questions de recherche spécifiques à ce cours, qui différaient en partie de celles de la présente étude. L’analyse était axée sur ce que ce déplacement à court terme (10 jours) apportait à la personne, en terme d’expérience de vie traversant les frontières nationales : les possibles formations sociales et le tissage des liens éventuels, ainsi que les échanges d’expertise, des connaissances, des biens, etc. qui peuvent prendre place avant, pendant et après une telle expérience. Le but était d’identifier plus en profondeur les éventuels enjeux transnationaux d’une expérience d’un pays (la Suisse) à l’autre (la Grèce), notamment dans une réalité dite « à l’écart ». L’étude visait à répondre à la question de recherche suivante : Quels sont les enjeux transnationaux impliqués suite à une expérience de bénévolat de dix jours de la part d’un individu scolarisé en Suisse dans un camp de réfugiés à Malakasa ? D’un autre côté, l’intérêt de l’étude était le même, c’est-à-dire centré sur l’expérience de bénévolat de l’étudiante, pendant son parcours estudiantin, dans un camp de réfugiés à Malakasa. Les données recueillies à travers cet entretien ont pu être relues et analysées selon la lentille d’observation adoptée dans ce travail de mémoire. De fait, celles-ci ont été le point de départ pour développer ensuite la grille d’entretien définitive qui a été utilisée pour les quatre autres entretiens. Les points qui suivent illustrent les informations clés qui ont rendu cet échange une occasion pour se poser des questions ultérieures allant au-delà de la question de recherche initiale. Les sous-chapitres qui suivent ont pour but d’expliquer comment cet entretien a permis de développer des réflexions qui ont ensuite contribué à la réalisation de la problématique en question : les données empiriques ont été enchainées au cadre théorique pour ensuite poser les questions de recherche actuelles. 6.1.1 Le voyage de Coline Bon alors déjà je suis déjà dans ce domaine en géographie. Puis c’était ma première expérience je pense sur le terrain de bénévolat. Vu que voilà c’est une expérience différente du quotidien. Je ne voulais en tout cas pas “gaspiller” mon séjour en Grèce, vu que j’avais eu des changements de programme, je me suis dit, mais je vais quand même partir. Et ça tombait très bien parce que ce camp se situe à même pas une heure d’Athènes et j’atterrissais là-bas et j’étais seule au final. Du coup c’était vraiment l’expérience top. Puis maintenant je me dis, heureusement que j’ai eu ce changement de programme parce que ça a fait que maintenant j’ai une expérience de vie en plus, j’ai découvert en peu d’autres horizons et puis dans un futur je crois ça va de tout façon m’aider. [Coline, T12] Coline est partie début Septembre 2016 à Athènes, en Grèce. Elle est partie de Milan le matin tôt pour arriver au centre d’Athènes le même jour et y rester les deux premiers jours de son séjour en tant que touriste. À ce moment-là̀, elle séjournait dans une auberge de jeunesse. Elle s’est ensuite déplacée dans un autre quartier de la ville, où se trouvait l’appartement où elle aura pu rester pendant toute son expérience en tant que bénévole pour une association humanitaire suisse. L’appartement en question était la base de stationnement des bénévoles travaillant pour cette association, qui se déplaçaient chaque jour (sauf le dimanche car considéré jour de pause) pour aller travailler sur le camp de réfugiés à Malakasa (un camp d’environ 600 personnes). En plus d’intervenir sur les deux camps, cette association dispose aussi d’un Isabella Alder Analyse Mémoire de Master 53 programme communautaire de rétablissement pour le traitement des addictions. L’étudiante interviewée a été bénévole dans cette association pour une durée totale de dix jours. Après cette expérience, elle est retournée à l’auberge de jeunesse à Athènes où elle avait vécu les deux premiers jours, et elle y est restée pour un jour. Puis, elle a visité l’île de Santorin, pour au final, rentrer à Milan et finalement en Suisse. A. « J’avais eu des changements de programme » : une expérience inattendue Le fait de faire une expérience de bénévolat dans un camp de réfugiés n’était pas la première intention de Coline. En fait, elle avait planifié de voyager en Grèce pour des vacances d’été, mais au final, pour cause d’un changement inattendu de son copain de voyage, elle s’est retrouvée toute seule à devoir choisir de quelle manière passer ses deux semaines de vacances. Dans le but de ne pas « gaspiller » (en la citant, au moment T12) ses vacances, elle a décidé d’investir le temps qu’elle avait à disposition pour faire une expérience de bénévolat, notamment dans un camp de réfugiés. Elle a pris contact avec une association dont elle avait pris connaissance grâce à une amie suisse de longue date, qui avait déjà fait le même type d’expérience en juillet 2016. Au final, suite au changement inattendu et au temps limité à disposition, Coline a pu organiser son séjour comme bénévole à travers cette association en trois jours. Cet élément de la temporalité est fondamental, puisqu’il nous oblige à réfléchir en terme de « trajectoire de vie » (Zittoun et al., 2013, p.261), notamment en terme de moments dans lequel il est possible de prendre certaines décisions, aller faire partie d’autres cadres sociales, ainsi qu’en terme de conditions environnant favorisant un certain comportement plutôt que d’autres, et non seulement le simple individu et l’action qu’il met en acte. La personne prend la décision de partir avec ses raisons personnelles, mais en lien à cela nous devons considérer les conditions qui ont rendu possible une telle prise de décision et le mouvement géographique (Gillespie et al. 2012) qui a suivi. B. « J’ai une expérience de vie en plus » : une expérience importante Plusieurs adjectifs sont utilisés pour décrire une telle expérience : une expérience de vie (T12), différente du quotidien (T12), significative (T126), unique (T178), importante (T216). Il y a une conscience de la part de la personne du fait que cette expérience a signifié quelque chose dans son parcours de vie, étant un séjour qui lui a permis de vivre des choses qu’en Suisse elle n’aurait pas pu vivre. Cela nous renvoie, de nouveau, à la dimension temporelle incluant une trajectoire. L’interviewée est questionnée quant à cette expérience et c’est dans le cas d’une réflexion qui est faite à posteriori qu’il est possible d’avoir accès à ces informations. C’est par exemple le cas du moment de l’imprévu qui l’a empêché de partir avec son compagnon : à ce moment-là, il y avait des émotions impliquées qui avaient été comprises au moment de l’entretien, ce qui lui a permis d’avoir une vision claire et contextualisée de ce que cette expérience lui a apporté sur une échelle temporelle plus ample : Puis maintenant je me dis, heureusement que j’ai eu ce changement de programme parce que ça a fait que maintenant j’ai une expérience de vie en plus, j’ai découvert en peu d’autres horizons et puis dans un futur je crois ça va de toute façon m’aider. [Coline, T12] La réflexion envers l’événement acquiert des caractéristiques fondamentales pour comprendre l’expérience individuelle selon une échelle qui comprend l’expérience passée, le moment présent dans le passé, le moment présent à l’état présent et le futur proche. Les raisonnements partagés à haute voix par l’interviewée ont permis de prendre conscience de cette dimension temporelle et d’ensuite la considérer dans l’analyse des entretiens suivants selon une perspective de trajectoires de vie. Isabella Alder Analyse Mémoire de Master 54 C. « C’était quand même deux mondes différents » L’expérience de bénévolat n’est pas seulement à considérer dans sa globalité (10 jours), mais aussi à une échelle quotidienne (au niveau de microgenèse). La réalité de vie dans le camp est « différente du quotidien » de la Suisse, ainsi que par rapport aux différentes sphères d’expérience (Zittoun, 2012) qui sont traversées pendant la journée, à savoir un déplacement auquel le bénévole est confronté chaque jour de son expérience bénévole : Le matin tu te levais, tu savais que t’étais à Athènes dans un endroit normal qui ressemble à chez toi. Puis t’avais un peu le voyage où dans ta tête tu disais, ouais ben maintenant on va au camp. Là-bas c’était un peu un monde extérieur, externe [elle fait référence au camp de réfugié de Malakasa]. Puis à 18 h on quittait le camp et on revenait tous fatigué et tout. Mais là encore le voyage ça permettait de réfléchir et de faire un peu le changement. Ouais c’était quand même deux mondes différents. [Coline, T38] La bénévole exprime un sentiment de « bizarrerie » (T38), pour le fait qu’un même jour elle arrivait à se déplacer entre deux mondes différents. Ceci nous renvoie au concept de sphère d’expérience (Zittoun, 2012a) et à comment à l’intérieur de l’expérience bénévole la personne est confrontée à plusieurs sphères d’expériences : • La vie à l’appartement avec les bénévoles de l’association, notamment les bénévoles de longue durée ainsi que ceux temporaires comme Coline ; • La vie dans le camp de réfugiés, notamment en lien avec les résidents, les autres organisations et aussi les autres bénévoles ; • La vie en Grèce, en dehors du camp (notamment au restaurant, dans le parc de Victoria, etc.). • La vie en Suisse, notamment quand elle se réfère à Athènes et compare cette ville à « un endroit normal qui ressemble à chez toi » [T38]. La personne est confrontée à des lieux qui diffèrent de ceux en Suisse, grâce auxquels elle à l’opportunité de se confronter avec des autres personnes ayant des parcours de vie similaire ou non au sien. Cela amène la personne à se déplacer d’un endroit à l’autre (l’appartement – le camp de réfugiés pour donner un exemple), ce qui est un mouvement géographique (Gillespie et al. 2012), ainsi que comparer dans sa propre tête les différentes « mondes », ce qui représente du mouvement sémantique (Gillespie et al. 2012).

Camélia : je suis une « activiste »

Camélia est une étudiante suisse, originaire du canton du Tessin. Au moment de l’interview, elle avait 23 ans, elle était étudiante, niveau Master, dans une Université au nord d’Italie. Elle a achevé un Bachelor à la Faculté de lettres à l’Université de Fribourg (Suisse). Jusqu’au début de ses études tertiaires, elle avait toujours vécu au Tessin, dans un petit village près de Lugano. L’AVANT DÉPART C’est pendant l’été de la deuxième année de Bachelor que Camélia commence à s’informer sur une éventuelle expérience bénévole. Suite à l’input d’une amie qui lui parle d’une association tessinoise opérant dans des camps de réfugiés en Grèce, elle commence à s’informer sur la thématique de réfugiés. De manière générale, elle prend davantage conscience des questions migratoires de nos jours, ce qui l’amène à vouloir faire du bénévolat dans un camp de réfugiés quelques mois plus tard. Elle prend contact avec la directrice de l’association susmentionnée et organise son voyage. Suite à une réunion avec d’autres bénévoles de l’association, elle se rend compte qu’une autre fille, Sophia, qu’elle ne connaissait pas auparavant, allait partir à la même période qu’elle. De ce fait, elle prend contact avec elle avant le départ et partagent quelques aspects de l’organisation de leur séjour. Plus spécifiquement, pouvoir partir avec cette association impliquait une récolte de fonds à utiliser sur place. Pour ce faire, elles organisent une journée-apéro où tout le monde était invité ; amis, familles et connaissances. L’association donnait pleine liberté quant au choix des dates de départ et de retour, et les bénévoles étaient en charge des billets d’avions, de la nourriture sur place et de l’hébergement. Sur place il y avait un coordinateur, qui s’occupait de garantir une chambre d’hôtel ou un appartement à louer pendant leur séjour. Ainsi il s’occupait d’aller les prendre à l’aéroport et de les soutenir tout au long de leur expérience, parce qu’il était le principal responsable de l’opération de l’association et il était présent tous les jours dans le camp au nom de l’association. i. L’avant-départ comme un moment de rupture Pendant son récit, Camélia réflechit beaucoup par rapport à elle comme personne et à comment elle a pu décider de partir pour cette expérience bénévole. Plus précisément, le témoignage de comment elle justifie son intérêt de partir et comment elle vit l’expérience en soi, lui permettent d’identifier plusieurs positionnements qui changent au cours et à mesure du déroulement de cette parenthèse bénévole.

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Table des matières

Remerciements
1. Introduction
1.1 Le bénévolat
1.2 L’aide humanitaire
1.2.1 L’aide humanitaire selon une perspective psycho socio-culturelle
1.3 Apprendre en dehors de l’école
1.3.1 Le camp de réfugiés comme cadre d’apprentissage
2. Problématique de recherche
3. Cadre théorique
3.1 La transition
3.1.1 Développement et apprentissage
3.1.2 « Donner du sens » comme moyen pour s’orienter dans la vie
3.1.3 Les dynamiques de changement identitaire
3.3 Une temporalité “restructurée
3.3.1 L’imagination
3.3.2 L’expérience imaginaire
4. Questions de recherche
5. Démarche de recherche
5.1 Les narratrices et le narrateur
5.2 La grille d’entretien
5.3 Technique d’analyse des données
5.3.1 Le récit
5.3.2 L’analyse selon une perspective dialogique
5.3.3 La relation entre passé, présent et future
5.3.4 L’analyse des données en résumé
5.4 Positionnement de la chercheuse
6. Analyse
6.1 Coline : l’entretien « exploratoire »
6.2 Camélia : je suis une « activiste
L’AVANT DÉPART
LE SÉJOUR BÉNÉVOLE
LE RETOUR EN SUISSE
6.3 Nicole : une future éducatrice sociale
L’AVANT DÉPART
LE SÉJOUR BÉNÉVOLE
LE RETOUR EN SUISSE
6.4 Emilie : une étudiante sage-femme
L’AVANT DÉPART
LE SÉJOUR BÉNÉVOLE
LE RETOUR EN SUISSE
6.5 David : le bilan d’une carrière dans l’humanitaire
6.5.1 L’engagement dans une expérience bénévole dans une perspective à posteriori
L’AVANT DÉPART
LE SÉJOUR BÉNÉVOLE
LE RETOUR EN
6.6 Discussion commune : Les histoires de deux mondes qui se rencontrent
i. UN VIDE A REMPLIR
ii. Mots clés : DECOUVERTE ET RENCONTRE
iii. LA DECOUVERTE D’UN AUTRE MONDE EN LIEN AVEC LA SUISSE
iv. L’EXPERIENCE IMAGINAIRE : NOUS SOMMES TOUS DES REFUGIES
v. LA RUPTURE COMME RESSOURCE POUR APPRENDRE
7. Conclusion
7.1 À propos du sujet de recherche
7.2 À propos de la méthodologie : perspectives d’amélioration
7.3 Ouverture
8. Bibliographie
9. Les annexes
9.1 La grille d’entretien
9.2 Liste des figures et des tableaux

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