Les mutations de l’ingénierie publique

Longtemps monopolisée par l’Etat, l’ingénierie publique se caractérise depuis la fin des années 90 par le retrait progressif de celui-ci ; jusqu’à ce qu’il soit définitif en 2014 avec l’arrêt de l’ATESAT (Assistance technique fournie par l’Etat pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire). Les collectivités les plus démunies techniquement et financièrement doivent alors faire face à une complexité normative croissante avec la multiplication des documents à respecter, une gouvernance à réinventer (projets complexes, multiples partenaires et transversalité), des financements de plus en plus contraints, une montée en puissance des enjeux transversaux des politiques publiques (développement durable, accessibilité, participation citoyenne). Ces collectivités sont généralement de petites communes qui cherchent alors à faire appel à d’autres collectivités susceptibles de les aider. Le premier niveau est l’EPCI de référence si celui-ci dispose d’un service technique. Si l’EPCI lui-même rencontre des difficultés, le département devient le niveau le plus évident. C’est pourquoi l’on observe, face au retrait de l’Etat, l’émergence d’une offre d’ingénierie publique au niveau des intercommunalités et des départements.

Les facteurs entraînant l’émergence d’une offre d’ingénierie publique 

Le retrait progressif de l’Etat du champ concurrentiel et la complexification des normes 

Au cours des 30 dernières années, l’Etat s’engage puis se retire de l’ingénierie publique face à la complexification des normes qu’il impose. La loi MOP (loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique), appliquée à partir de 1985, évoque les premières réglementations concernant la maîtrise d’ouvrage publique. Le périmètre de la loi est limité à la réalisation d’ouvrages publics. Selon cette loi, un programme ayant pour objectif de réaliser un ouvrage public doit suivre la procédure suivante : il doit commencer par l’élaboration des objectifs de l’opération ; la définition des besoins à satisfaire ; le questionnement des contraintes d’ordre social, urbanistique, architectural, fonctionnel, technique et économique, ainsi qu’à l’insertion dans le paysage et à la protection de l’environnement. Cette loi ne s’applique alors pas encore aux demandes de planification territoriale ou d’élaboration des politiques publiques. Elle évoque aussi l’enjeu de formation des élus des petites collectivités. En 2001, la loi MURCEF (Mesures Urgentes de Réformes à Caractère Economique et Financier) lance la mise en concurrence de l’ingénierie. Les prestations d’ingénierie publique entrent alors dans le champ concurrentiel et sont soumises au code des marchés publics. La loi détermine aussi le champ d’action de l’ingénierie et les domaines prioritaires qu’elle devra traiter :

Champ d’action de l’ingénierie publique :
• Fonctions régaliennes et de régulation.
• Fonction de maîtrise d’ouvrage.
• Fonction de connaissance, d’évaluation et d’études.
• Fonction de prestations pour tiers prévues par la loi ou s’inscrivant dans un cadre conventionnel.
• Fonction d’impulsion et d’animation des politiques prioritaires.

9 domaines prioritaires : connaissances, intégration du développement durable, stratégie et action territoriale, climat-air-énergie, bâtiment, logement, gestion intégrée de la ressource en eau, milieux vivants et biodiversité, prévention des risques.

C’est aussi à cette date que l’Etat met en place le dispositif de l’ATESAT, pour maintenir une mission de solidarité dans des conditions compatibles avec le droit communautaire de la concurrence. En 2008, l’Etat commence à amorcer son retrait comme acteur de l’ingénierie publique. Il commence par se retirer du secteur concurrentiel en arrêtant totalement les missions en assistance à maîtrise d’ouvrage et en maîtrise d’œuvre.

Les services de l’Etat pourront : « apporter une expertise et une assistance technique pour aider les collectivités à créer les meilleures conditions d’une intervention d’autres acteurs dans les domaines concernés par le redéploiement de l’ingénierie. Un soutien particulier pourra être apporté en faveur d’intercommunalités adaptées aux nouveaux enjeux. » L’Etat ne jouera alors plus que le rôle de conseil dans le cadre de l’assistance technique, entraînant un déficit de l’offre publique face aux nouveaux enjeux adressés aux communes. De plus, jusque-là, l’Etat mettait à disposition des communes et EPCI l’élaboration gratuite des documents d’urbanisme. En janvier 2012, le discours amorcé en 2008 est totalement mis en application. Il y a alors un arrêt total de l’assistance technique fournie aux petites collectivités en matière d’aménagement et de droit des sols par l’Etat. Enfin, en novembre 2014, la loi ALUR annonce l’arrêt de l’ATESAT, dernière aide en ingénierie publique dont disposaient les communes.

Aujourd’hui, une nouvelle loi pourrait avoir une influence sur la répartition des compétences en ingénierie publique. En effet, la loi NOTRE, en cours de discussion, prévoit une refonte de la carte des régions, avec la suppression de structures existantes et la modification de la répartition des compétences et donc des services entre les collectivités. Cela prévoit une révision du rôle de la Région dans le cadre de l’ingénierie publique. Quant au rôle du département, les mesures prises en décembre 2014 laissent entrevoir les prémices d’un renforcement de ses compétences en matière d’ingénierie, notamment dans les domaines de l’eau, l’assainissement ou le logement.

Quelle place pour l’ingénierie privée ?

Les collectivités ne pouvant plus faire appel à l’Etat pour leurs besoins en matière d’ingénierie font appel, notamment, aux offres d’ingénierie privées disponibles sur leur territoire. Les recours à l’ingénierie privée ont pour objet la conception et la réalisation des projets communaux. Dans le cas, notamment, de l’élaboration d’un document d’urbanisme, il n’y a pas de difficultés particulières mais cela nécessite un encadrement du travail du bureau d’études. Pour cela, la collectivité doit se munir d’un service d’urbanisme. De plus, le recours à l’ingénierie privée n’est pas transposable à l’instruction des autorisations du droit des sols. La difficulté de recours au secteur privé se manifeste aussi par le fait qu’il n’est pas toujours motivé pour assumer certaines missions de l’ingénierie publique. En effet, les entreprises privées n’acceptent pas toujours de prendre les projets des petites collectivités rurales, peu rentables car le temps à y passer est peu rémunéré étant donnés les faibles montants en jeu. De plus, elles ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour assurer les missions que l’Etat a délaissées. En effet, l’ingénierie publique ayant été prédominante dans certains domaines et pendant des années – voiries et espaces publics avec les DDE par exemple – les entreprises privées n’auraient pas eu le temps de développer des compétences dans la matière selon un rapport du sénat . Il y a, dans les secteurs en question, une nécessité de complémentarité à l’ingénierie publique, jusqu’à ce que le secteur privé se développe.

Les nouveaux acteurs de l’ingénierie publique 

Suite à l’arrêt de l’ATESAT, les communes de petite taille, ne sachant pas toujours comment enclencher un projet d’investissement, se tournent vers d’autres acteurs locaux, notamment vers l’intercommunalité, échelon logique de proximité.

L’intervention émergente des EPCI en tant que fournisseur d’une offre d’ingénierie

Le niveau intercommunal apparaît comme le plus pertinent pour assumer les compétences en matière d’ingénierie territoriale. En effet, les intercommunalités interviennent dans de nombreux domaines, historiquement ceux des services à la population (eau, assainissement, voirie et gestion des déchets). De plus, elles sont dotées, du fait de leur taille, de services supports (domaine juridique, informatique, financier, administratif).

L’EPCI comme fournisseur d’une offre d’ingénierie
Devant l’arrêt de l’ATESAT, les intercommunalités de plus de 30 000 habitants fournissent un appui pour leurs communes membres, selon une enquête réalisée par l’AdCF en juin 2014. En effet, ces intercommunalités possèdent les services nécessaires pour venir en aide à leurs membres. L’enquête de l’AdCF révèle que ces communautés de communes de taille importante, comprenant souvent une ville centre et sa banlieue, font rarement appel à l’aide du département. Dans le cas de ces EPCI, il est possible de rencontrer des communes urbaines moins demandeuses en aide que les communes rurales, car d’importance suffisante pour posséder leurs propres services. L’aide de l’EPCI peut donc se tourner directement vers les communes rurales. Dans ces espaces et ces intercommunalités, il est nécessaire d’encourager la mutualisation au niveau intercommunal. L’Etat aimerait tendre vers un transfert des compétences liées au droit de l’urbanisme de la commune à l’intercommunalité, l’intercommunalité devenant l’échelon de cohérence territoriale. En revanche, les communes sont très réticentes à transférer l’urbanisme.

Selon la même enquête, les intercommunalités entre 5 000 et 10 000 habitants ne fournissent généralement pas d’aide à leurs communes membres par manque de moyens ou parce qu’elles ne possèdent pas les services nécessaires. La mutualisation se fait plus difficilement dans le cas des territoires ruraux. Leurs petites communes faisant autrefois appel à l’Etat, se tournent alors vers les départements, échelle non négligeable pour l’offre d’ingénierie publique.

Les EPCI qui le peuvent soutiennent leurs communes membres dans de nombreux domaines. L’aide fournie est différente selon la taille de l’EPCI :
• Les communautés les plus petites offrent à leurs membres l’appui technique pour la conception et réalisation d’infrastructures et d’équipements ;
• Les EPCI de plus de 10 000 habitants les appuient dans la mise en œuvre des politiques publiques et en matière d’ingénierie de stratégie autour du développement territorial ;
• Enfin, quelle que soit la taille de l’EPCI, ceux-ci fournissent une assistance juridique, financière ou informatique à leurs membres.

L’ingénierie technique concerne notamment les phases de diagnostic et de conception, l’assistance à maîtrise d’ouvrage et la constitution des dossiers de subvention. Les EPCI offrent rarement des prestations de maîtrise d’œuvre ou alors ponctuellement. L’ingénierie de projet s’axe sur la sensibilisation, la conception de projet et le diagnostic territorial. En revanche, le domaine qui tend à être davantage couvert par les EPCI aujourd’hui est le domaine de l’urbanisme. Ils recherchent à étendre leurs offres à l’instruction des autorisations du droit des sols, et, de manière moins appuyée, à concevoir des plans d’urbanisme intercommunaux. Cette tendance est valable pour tous les EPCI, quelle que soit leur taille. En revanche, les communes se refusent à déléguer cette compétence.

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Table des matières

Introduction
1 Les mutations de l’ingénierie publique
1.1 Les facteurs entraînant l’émergence d’une offre d’ingénierie publique
1.1.1 Le retrait progressif de l’Etat du champ concurrentiel et la complexification des normes
1.1.2 Quelle place pour l’ingénierie privée ?
1.2 Les nouveaux acteurs de l’ingénierie publique
1.2.1 L’intervention émergente des EPCI en tant que fournisseur d’une offre d’ingénierie
1.2.1.1 L’EPCI comme fournisseur d’une offre d’ingénierie
1.2.1.2 Les besoins des EPCI, comme clients de l’ingénierie publique
1.2.1.3 Conclusion sur le rôle des EPCI
1.2.2 Les conseils départementaux : échelon de la solidarité territoriale
1.2.3 La place des Pays
1.2.4 L’Etat
1.2.5 La Région
1.3 Conclusions première partie
2 Positionnement des départements de France métropolitaine pour apporter de l’ingénierie aux collectivités rurales
2.1 La montée en puissance des services d’ingénierie des départements
2.2 Le champ d’action des agences techniques départementales
2.2.1 Les prestations d’ingénierie proposées
2.2.1.1 Type de prestations
2.2.1.2 Les domaines d’intervention
2.3 Les moyens mobilisés par les agences techniques départementales
2.3.1 Moyens financiers
2.3.1.1 Le budget
2.3.1.2 Participation du département
2.3.2 Quelles modalités d’adhésion ?
2.3.2.1 Tarifs des adhésions
2.3.2.2 Les critères d’adhésion
2.3.2.3 Détail des adhérents
2.3.3 Facturation des prestations
2.3.4 Moyens humains
2.4 Les statuts
2.4.1 Les Etablissement Publics Administratifs
2.4.1.1 Définition juridique
2.4.1.2 Fonctionnement d’un EPA
2.4.2 Les régies
2.4.2.1 Définition juridique
2.4.2.2 Fonctionnement des régies
2.4.3 Les Sociétés Publiques Locales
2.4.3.1 Cadre juridique
2.4.3.2 Fonctionnement des SPL
2.4.4 Les Syndicats Mixtes
2.4.5 Les associations
2.4.6 Conclusion sur les statuts
2.5 La remise en question des agences techniques face au droit de la concurrence
2.5.1 Les modalités d’intervention des collectivités territoriales
2.5.2 L’agence comme opérateur économique ?
2.5.3 Quelles pistes pour éviter la fiscalisation et les contestations à l’exercice des agences ?
2.5.4 Une concurrence déloyale ?
2.5.5 Conclusions
2.6 Quels besoins des territoires ruraux et quelles solutions apportées par les conseils départementaux ?
2.6.1 Les besoins des territoires ruraux
2.6.1.1 Quelles sont les demandes les plus récurrentes de la part des collectivités rurales ?
2.6.1.2 Comment déterminer les besoins d’un territoire ?
2.6.2 Les agences et leurs partenaires
2.6.2.1 Le département et ses services
2.6.2.2 Les services de l’Etat
2.6.2.3 Quel rôle pour la région ?
2.6.2.4 Les Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE)
2.6.2.5 Les autres services publics
2.6.2.6 Les relations avec le secteur privé
2.6.3 Quels rôles pour les EPCI : adhérents ou partenaires ?
2.6.3.1 L’EPCI partenaire
2.6.3.2 L’EPCI adhérent
3 L’ingénierie dans le territoire des Yvelines
3.1 Spécificités du territoire des Yvelines et de ses besoins
3.1.1 Brève présentation du territoire des Yvelines
3.1.2 Les besoins des collectivités locales des Yvelines
3.1.3 Les EPCI yvelinois : attentes et positionnement
3.2 Les réponses apportées par l’ingénierie publique dans les Yvelines
3.2.1 Les services d’ingénierie existants : partenaires potentiels ?
3.2.2 Les nouvelles structures : de futurs partenaires éventuels ?
3.2.2.1 La Métropole du Grand Paris
3.2.2.2 Les Maisons départementales des Yvelines
3.3 Positionnement de l’agence IngénierY’ et préconisations
3.3.1 Le choix du statut et la mise en concurrence
3.3.2 Les prestations proposées pour répondre aux besoins d’ingénierie du territoire des Yvelines
3.3.3 Les modalités d’adhésions qui peuvent être adaptées au territoire des Yvelines
3.3.4 Les moyens financiers et humains à mobiliser
3.3.5 Les relations avec les partenaires du département
Conclusion générale
Bibliographie
Index des sigles
Table des Illustrations
Annexes

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