Les moyens formels du marquage du temps et de l’aspect

Le degré d’éloignement

Jusqu’à présent, nous nous sommes penchés sur la possibilité de localiser temporellement une situation, avant, pendant ou après un point de référence ou bien de positionner un point de référence avant, après ou concomitant au moment présent. Il est maintenant important de considérer le degré d’éloignement qu’il peut y avoir entre une situation et son moment d’énonciation. Bien évidemment, des adverbes, ou bien des périphrases, peuvent apporter des informations sur cet aspect : Je suis parti il y a 10 minutes. Notre attention se porte ici sur les structures grammaticales qui permettraient d’exprimer et de caractériser un degré d’éloignement, que ce soit dans le passé ou bien dans le futur. Bien que certains langues (telles que le français) ne possèdent pas de tel système, Comrie (1985) et Dahl (1983) notent que c’est un phénomène relativement commun dans certaines familles de langues. Il est important de distinguer entre un degré d’éloignement qui se rapporte aux structures grammaticales et un qui serait juste basé sur une interprétation d’une forme temporelle donnée (voir Fleischman, 1989 ; Botne, 2012).
A titre d’illustration, le suena (une langue papoue de la famille Trans-Nouvelle-Guinée,sous famille Binanderean) distingue quatre formes de passé, à savoir le passé d’aujourd’hui, le passé d’hier, le passé compris dans les deux dernières années et le passé précédant les deux dernières années (Roberts, 1997). Certaines langues expriment plusieurs formes de futur ; c’est notamment le cas de l’abau (une langue papoue de la famille Sepik) qui possède un futur immédiat ainsi qu’un futur indéfini (Lock, 2011).
Comrie (1985) met en avant cinq paramètres ou principes se rapportant au degré d’éloignement. Tout d’abord, la distance temporelle ne peut se trouver que dans le passé ou le futur ; les systèmes de distinction de degré d’éloignement étant plus élaborés dans le passé.
Ensuite, le présent (ou plutôt le moment de l’énonciation) est, dans la plupart des cas, le point de référence à partir duquel la distance temporelle est mesurée. Le troisième paramètre concerne le nombre de distinctions retenues quant à la distance temporelle dans une langue donnée ; ici encore, de grandes variations sont présentes entre langues, comme nous l’avons noté. Puis, en ce qui concerne le nombre de distinctions faites, il est nécessaire de spécifier précisément quels sont les points de rupture (cut-off points) pour les différentes distinctions (par exemple, différence entre récemment et il n’y a pas longtemps). Plusieurs différences de degrés sont possibles : par exemple entre « futur aujourd’hui », « futur demain » et « futur lointain » comme en nugunu (Anderson et Comrie, 1991). Enfin, le dernier paramètre concerne le degré de rigidité que l’on doit accorder à ces points de rupture ; il peut par exemple être difficile de distinguer entre il y a quelques jours et il y a peu de jours.

Temps et syntaxe

Des anomalies peuvent être relevées entre la valeur sémantique d’un temps utilisé et la syntaxe d’une phrase ; nous ne présentons ici que deux phénomènes. Dans un grand nombre de langues, nous pouvons relever l’existence d’un phénomène de neutralisation du temps : lorsque plusieurs verbes se suivent, seul le premier verbe prend le temps que l’on s’attendrait à trouver dansl’ensemble de l’énoncé. L’énoncé suivant illustre ce point : I will go to the beach and swim. Dans ce contexte, la forme présent du deuxième verbe (« swim ») ne correspond pas à sa valeur temporelle dans l’énoncé. Il convient de noter qu’il faut que les verbes en question aient le même cadre temporel de référence pour que cela fonctionne. Le deuxième phénomène concerne les séquences de temps : si le verbe de la clause principale (le verbe initial) est au passé, alors le verbe secondaire exprime un passé relatif. Considérons l’énoncé suivant : I asked John to pick me pick. Pour to pick me up, le temps de référence est futur par rapport au temps de référence de la première partie de la phrase. En d’autres termes, John ne peut pas venir me chercher avant que je le lui aie demandé. Timberlake (2009) note la complexité de cesenchevêtrements de temps, en particulier dans les langues qui possèdent des systèmes de tempstrès développés.

Typologie des aspects

La notion d’aspect a reçu moins d’attention que la notion de temps dans les études classiques de grammaire et a dans une certaine mesure été amalgamée avec cette dernière (Wallace, 1982 ; Michaelis, 1998 ; Timberlake, 2009). Comrie (1976, p. 3) définit l’aspect de la manière suivante : « les aspects sont différentes façons/manières de voir la composition temporelle interne d’une situation » (« aspects are different ways of viewing the internal temporal constituency of a situation »). Les distinctions d’aspect portent principalement sur le passé – cela a du sens par rapport au présent dans la mesure où ce dernier est surtout un temps descriptif et narratif. La proximité entre le présent et le futur peut expliquer le manque de distinctions aspectuelles au futur (tout du moins en ce qui concerne les langues indo-européennes).
Certaines langues ne disposent pas de marqueurs temporels permettant de distinguer présent et passé (comme nous l’avons vu dans la partie précédente) mais présentent des marqueurs d’aspect. Dans son ouvrage, Comrie (1976) explique qu’il ne restreint pas l’expression de l’aspect à une catégorie grammaticale précise. Dès lors, l’aspect peut, par exemple, être exprimé à travers la morphologie flexionnelle d’une langue (ce qui est très commun dans les langues slaves, ainsi que dans un certain nombre de langues papoues par exemple) ou bien à travers des formes périphrastiques. Nous suivons Comrie sur ce point.

Temps et aspects

Comrie (1976) insiste sur l’importance de distinguer temps et aspects. C’est par ailleurs sur les différences entre les deux que Comrie (1976) débute son ouvrage. Considérons les formes : il lisait un livre et il lut un livre. Comrie (1976) explique que nous n’avons pas à faire à une différence de temps ici (dans les deux cas, nous avons un temps passé absolu comme nous l’avons vu dans la première section) mais à une différence d’ordre d’aspectuel entre le perfectif et l’imperfectif (un point sur lequel nous allons bientôt nous pencher).
En ce qui concerne la relation temps / aspect, nous pouvons tout d’abord rappeler que le temps est une catégorie déictique (c’est-à-dire que le temps positionne ou place des situations dans un cadre temporel en s’appuyant sur le moment de l’énonciation), alors que l’aspect ne porte pas sur ce positionnement par rapport à d’autres évènements. Au contraire, l’aspect se rapporte à la composition temporelle interne d’une situation donnée. De plus, nous savons que le temps (tense) est l’expression grammaticalisée du temps (time). Certaines langues ne possèdent pas de formes grammaticalisées du temps et ne possèdent donc pas de temps (au sens strict du terme). Cela ne veut dire pas que ces langues ne peuvent pas exprimer des notions temporelles mais que ces dernières ont lexicalisé le concept de temps (par exemple à travers l’utilisation d’adverbes ou de périphrases). Comrie (1976) note que la différence entre formes grammaticalisées et lexicalisées n’est pas aussi marquée en ce qui concerne la notion d’aspect.
Comrie (1976) propose l’expression distinctions sémantiques aspectuelles pour faire référence à la fois aux expressions grammaticalisées et lexicalisées de la notion d’aspect. Le terme aspect, quant à lui, est utilisé pour faire référence à des catégories grammaticales qui matérialisent des distinctions sémantiques aspectuelles. Enfin, nous pouvons noter que tout comme pour le temps, certaines langues se prêtent mieux à une analyse aspectuelle que d’autres. Le russe, par exemple, se prête particulièrement bien à l’étude des aspects (Pereltsvaig, 2008). En revanche, certaines langues (telle que l’allemand) ne grammaticalisent pas les distinctions sémantiquesaspectuelles.

Approche méthodologique

Description méthodologique

Nous avons ici recours à une approche qui s’appuie sur un échantillonnage varié (Bakker, 2011). Cela signifie que nous nous sommes efforcés de choisir un échantillon qui cherche à représenter (de manière non-statistique) la diversité (linguistique et géographique) de la population étudiée (à savoir les langues papoues). Comme nous l’avons expliqué, à travers l’étude des travaux de Comrie (et d’autres) sur le temps et l’aspect, nous avons développé une typologie et c’est cette typologie qui a guidé notre approche. Nous nous sommes donc appuyés sur la typologie produite afin de choisir un échantillon qui soit le plus divers possible. Nous n’avons pas la prétention de proposer un échantillon qui puisse être représentatif de toute la diversité linguistique des langues papoues, mais seulement d’avoir sélectionné un échantillon qui cherche à illustrer cette diversité en mettant en avant certaines dimensions particulièrement importantes se rapport aux temps et à l’aspect dans les langues papoues.
Nous avons ici procédé à un travail d’extraction de données s’appuyant sur des grammaires de langues papoues. Certaines langues ont été exclues parce qu’elles ne présentent pas les dimensions qui nous intéressent dans le cadre de ce projet. En effet, la typologie proposée s’appuie sur quatre dimensions et ces quatre dimensions doivent être présentes et discutées pour que la langue en question soit incluse dans notre échantillon ; nous avons décidé de ne pas inclure de langues pour lesquelles nous ne pourrions fournir que des informations parcellaires (par exemple renseigner deux ou trois dimensions sur quatre). D’autres ne sont pas suffisamment documentées ; pour certaines langues, nous n’avons trouvé que d’anciennes grammaires datant du début du 20 e siècle qui ne sont pas assez détaillées et ne permettent donc pas de renseigner notre étude. Ce travail a donc impliqué de vérifier un grand nombre de langues afin de s’assurer que ces dernières fonctionnent avec la typologie proposée. Au final, nous avons retenu vingt langues qui sont brièvement présentées ci-dessous.

Gloses interlinéaires

Dans le chapitre suivant, un ensemble d’exemples est fourni afin d’explorer et d’illustrer les différentes dimensions de la typologie de ce mémoire. Ces exemples proviennent des grammaires qui ont été étudiées et sont formattés selon les Leipzig Glossing Rules (LGR). Ces dernières ont été développées conjointement par l’institut Max-Planck d’anthropologie évolutive et le Département de Linguistique de l’Université de Leipzig. Il s’agit d’un ensemble de règles de glose qui visent à standardiser la présentation d’analyses linguistiques et plus précisément typologiques.
Nous avons été amenés à effectuer quelques changements sur les exemples sélectionnés dans les grammaires que nous avons étudiées afin de nous assurer que ces derniers adhèrent aux Leipzig Glossing Rules. Nous pouvons donner deux brèves illustrations de ces changements. Premièrement, afin d’exprimer le singulier (par exemple dans le cas d’un nom au singulier), certains exemples utilisaient S ou bien SGN. En accord avec les LGR, nous avons standardisé ces exemples et utilisé SG. Deuxièmement, dans certains cas, la nature du mot était ajoutée en parenthèse dans les gloses interlinéaires. Par exemple, dans la grammaire du Lavukaleve, Terrill (1999) transcrit le comme day(n). Nous avons supprimé (n) et donc remplacé day(n) par day.

Limitations

Ce mémoire de recherche présente deux limitations principales d’ordre méthodologique qu’il nous est difficile d’adresser. Ces deux problèmes sont dus à l’échantillonnage. L’échantillon choisi pour ce mémoire aurait pu être plus grand ; en effet, si nous admettons qu’il y a environ 800 langues papoues, nous n’étudions ici qu’un quarantième de ces langues, ce qui limite la portée de généralisation des résultats obtenus. Une deuxième difficulté de taille concerne la question de la diversité des langues. En effet, comme nous l’avons noté, l’appellation « langue papoue » ne renvoie pas à une famille de langues mais bien à des familles de langues ainsi qu’à un ensemble d’isolats linguistiques. Ainsi, notre approche est forcément parcellaire dans la mesure où certaines familles de langues ne sont pas présentes dans notre échantillon alors même que d’autres peuvent apparaitre plusieurs fois. Ces limitations n’invalident pas le travail de recherche de ce mémoire mais doivent toutefois être prises en considération dans l’élaboration des conclusions qui peuvent être tirées du travail mené.

Absence de grammaticalisation du temps

Nous pouvons tout d’abord noter qu’en abau (Lock, 2011), le verbe (ou bien la phrase verbale) ne porte pas de distinction de temps. Dans la plupart des cas, les marqueurs temporels précèdent laphrase verbale ; certains de ces marqueurs sont modaux, d’autres sont aspectuels. En abun (Berry et Berry, 1999), le verbe (ou bien la phrase verbale) ne présente pas non plus de distinction de temps. Dans la plupart des cas, nous relevons l’utilisation d’adverbes pour clarifier le contexte temporel d’un énoncé (par exemple ete qui signifie maintenant ou bien be qui signifie plus tard). Dans notre échantillon, une autre langue se distingue du fait de l’absence d’expressions grammaticalisées du temps, à savoir le ternate (Hayam-Allen, 2001).

Grammaticalisation du couple passé / non-passé

En imonda (Seiler, 1985), nous trouvons une opposition entre passé et non-passé. Différents suffixes peuvent être utilisés pour marquer le passé (suivant le passé en question). En ce qui concerne le non-passé, ce dernier est exprimé à travers le suffixe -f. Ce dernier peut revêtir une dimension de présent ou de futur, suivant le contexte.

Relation entre temps absolu et temps relatif

Nous allons présenter dans cette section deux possibilités quant à l’expression des temps relatifs et temps absolus, à savoir (i) Absence de distinction entre temps absolus et relatifs ; (ii) Distinction entre temps absolus et relatifs.

Absence de distinction entre temps absolus et relatifs

Sur les vingt langues étudiées, treize ne présentent pas de distinction entre temps absolus et temps relatifs. A titre d’illustration, il n’y a pas, en menya (Whitehead, 2006), de distinction entre temps absolus et temps relatifs. Des marqueurs aspectuels peuvent, par exemple, dénoter une succession d’actions ou bien la dépendance d’une action sur la matérialisation d’une autre,mais cela ne se manifeste pas au niveau verbal et n’est donc pas retenu ici. Cela est également le cas pour les douze langues suivantes : bimin (Weber, 1997), nungon (Sarvasy, 2017), rotokas (Robinson, 2011), lavukaleve (Terrill, 2011), ternate (Hayami-Allen, 2001), abau (Lock, 2011), bukiyip (Conrad et Wogiga, 1991), imonda (Seiler, 1985), komnzo (Döhler, 2019), marind (Olsson, 2018), abun (Berry et Berry, 1999), kuot (Lindström, 2002). Il ne semble pas y avoir de tendances claires – nous remarquons cependant que l’absence de grammaticalisation du temps induit une absence de distinction entre temps absolus et temps relatifs.

Distinction entre temps absolus et relatifs

La distinction entre temps absolus et relatifs peut s’exprimer de différentes manières. En pamosu (Tupper, 2012), nous trouvons dans certains cas l’expression du plus-que-parfait ; lorsque ava est utilisé comme une forme passée, la construction est perçue comme possédant une valeur correspondant au plus-que-parfait (c’est-à-dire un évènement précédant un autre évènement dans le passé).

Expression du degré d’éloignement

Nous allons présenter dans cette section quatre possibilités quant à l’expression du degré d’éloignement, à savoir (i) Absence ; (ii) Présence dans le passé ; (iii) Présence dans le futur ; (iv) Présence à la fois dans le passé et dans le futur.

Absence de degré d’éloignement

Dans notre échantillon de vingt langues, cinq n’exprime pas de degré d’éloignement que ce soit dans le passé ou bien dans le futur. Ces cinq langues sont les suivantes : lavukaleve (Terrill, 2011), ternate (Hayami-Allen, 2001), bukiyip (Conrad et Wogiga, 1991), imonda (Seiler, 1985), skou (Donohue, 2004). Notre échantillon ne nous permet pas de tirer de conclusions quant à cette dimension.

Présence du degré d’éloignement dans le passé

Le menya (Whitehead, 2006) distingue trois degrés d’éloignement uniquement dans le passé (mais seulement dans les verbes finis) : le passé proche (« near past tense ») pour les évènements qui se sont passés il y a moins de trois jours, le passé (« past tense ») pour les évènements qui se sont passés il y a moins de dix ans et enfin le passé éloigné (« remote past tense ») pour les évènements antérieurs à dix ans. Les trois exemples qui suivent (exemples 10 11 et 12) illustrent ces trois degrés d’éloignement.

Présence du degré d’éloignement dans le passé et dans le futur

Le mian distingue six degrés d’éloignement dans le passé (les quatre premiers exprimés à travers un suffixe situé avant le marqueur de sujet et les deux restants par le bais d’un suffixe situé après le marqueur de sujet) : le passé immédiat (« Past ») pour un évènement qui a eu lieu et qui est terminé (exemple 15) ; le passé proche (« Near Past ») pour une action qui a eu lieu peu de temps avant le moment d’énonciation (exemple 16) ; le passé excluant aujourd’hui (« non-Hodiernal past ») pour faire référence à un passé qui exclut aujourd’hui (ce temps semble pouvoir être utilisé pour faire référence aussi bien à hier qu’à des évènements beaucoup plus anciens ; le marqueur de ce passé est similaire au marqueur de l’imperfectif et apparait dans la même position, le contexte peut permettre d’élucider le cas auquel nous avons affaire) ; le passé lointain (« Remote Past ») pour les histoires, mythes et légendes (exemple 17) ; le passé général (« General Past ») (exemple 18) et enfin le passé d’hier (« Hesternal Past ») pour les évènements qui ont eu lieu hier (exemple 19).

Expression de la durée et de la continuité

Nous allons présenter dans cette section deux possibilités quant à l’expression de la durée etde la continuité, à savoir (i) Absence de distinction perfectif / imperfectif mais expression de l’habitude et de formes progressives ; (ii) Présence de la distinction perfectif / imperfectif et expression de l’habitude et de formes progressives.

Absence de distinction perfectif / imperfectif mais expression de l’habitude et de formes progressives

Sur les vingt langues étudiées, cinq langues ne distinguent pas le perfectif de l’imperfectif. Ces langues sont les suivantes : motuna (Onishi, 1994), rotokas (Robinson, 2011), bukiyip (Conrad et Wogiga, 1991), skou (Donohue, 2004), kuot (Lindström, 2002). Des valeurs approximant la distinction perfectif / imperfectif peuvent être exprimées par le biais d’adverbes, d’enchainements de clauses ou bien même sémantiquement mais cela ne tombe pas sous le coup du couple perfectif / imperfectif. Ces cinq langues expriment néanmoins la notion d’habitude et présentent des formes progressives. Nous donnons ci-dessous deux exemples.
En motuna (Onishi, 1994), nous ne trouvons pas de distinction entre le perfectif et l’imperfectif.
La notion d’habitude est exprimée à travers le marqueur -mo présent dans le verbe. Le motuna présente aussi différentes formes continues et progressives ; au présent, le progressif s’exprime à travers -i=tu(h).

DISCUSSION

Ce chapitre se propose de discuter les résultats présentés dans le chapitre précédent et d’en tirer certaines conclusions. Ce chapitre comporte sept parties principales. Dans un premier temps, nous allons détailler les moyens formels du marquage du temps et de l’aspect dans les ving langues étudiées. Cela nous permet d’avoir une vue d’ensemble des valeurs aspectuelles et temporelles dans les langues papoues. Nous allons par la suite brièvement présenter le phénomène de « distributed exponence ». Puis, dans un troisième temps, nous allons mettre en avant la diversité structurelle et sémantique des langues papoues dans l’expression du temps et de l’aspect. Dans un quatrième temps, nous nous concentrons sur les contraintes et facteurs facilitant la grammaticalisation du temps et de l’aspect dans les langues papoues. Ensuite, nous nous penchons sur le statu ambigu du futur en soulignant la relation complexe entre modes et temps dans l’expression de valeurs futures. Dans un sixième temps, nous allons brièvement considérer l’expression du temps et de l’aspect hors du processus de grammaticalisation. Enfin,dans la dernière section de ce chapitre, nous mettons en avant les points d’intérêt et spécificitésdes langues papoues en ce qui concerne l’étude du temps et de l’aspect.

Les moyens formels du marquage du temps et de l’aspect

Différentes structures et mécanismes sont mobilisés afin de marquer formellement temps et aspect dans les vingt langues qui ont ici été étudiées. En particulier, nous souhaitons mettre en avant six formes principales de marquage, à savoir (i) l’affixation, (ii) l’utilisation d’enclitiques, (iii) le recours aux auxiliaires, (iv) le changement de radical, (v) les constructions de verbes en série et enfin (vi) l’utilisation de la réduplication. Certaines langues présentent une forme de ce que nous pourrions qualifier de symétrie dans le traitement de l’aspect et du temps (c’est-à-dire employant le même processus grammatical pour exprimer temps et aspect), par exemple l’affixation). C’est notamment le cas du kuot, du bilua, du motuna ou du rotokas (parmi d’autres). D’autres langues mobilisent différents outils grammaticaux pour exprimer temps et aspects. C’est par exemple le cas du bimin (Weber, 1997) où nous retrouvons l’utilisation de suffixes pour l’expression de valeurs temporelles et l’utilisation d’affixes, la nominalisation et la construction de verbes en série pour les valeurs aspectuelles. Il est important de noter que cette éventuelle symétrie dans l’expression du temps et de l’aspect est, dans une certaine mesure, contingente à la forme de marquage dominante dans une langue donnée. Par exemple, alors que l’affixation peut exprimer temps et aspect, les constructions de verbes en série servent davantage à exprimer des valeurs aspectuelles que temporelles. Après avoir traité ces six formes de marquage, nous terminons cette première section sur la relationentre marquage et fonction.

Le marquage par l’affixation

Nous pouvons tout d’abord mettre en avant l’importance du rôle des affixes (préfixes et suffixes) dans l’expression d’un vaste éventail de valeurs temporelles et aspectuelles. Dunn et al. (2002) notent qu’en kuot, rotokas, motuna et lavukaleve, la morphologie verbale est segmentable et que ces langues utilisent des affixes afin de marquer le temps et l’aspect. En menya (Whitehead, 2006), l’expression de valeurs temporelles et aspectuelles se fait également par le biais de suffixes. La situation est identique en lavukaleve (Terrill, 1999) ainsi qu’en imonda (Seiler, 1985). En pamosu (Tupper, 2012), nous relevons l’utilisation de l’affixation pour exprimer le temps. Nous pouvons fournir deux exemples, un qui provient du kuot (exemple 27) et un autre du rotokas (exemple 28) :

Marquage et fonction

Enfin, il est important de noter que le type de marquage utilisé peut également différer en fonction de la nature du verbe auquel nous avons affaire (Dunn et al., 2002). Par exemple, en motuna (Onishi, 1994), il y a une différence entre verbes actifs (« active verbs ») et verbes du milieu (« middle verbs ») en ce qui concerne les marqueurs aspectuels et temporels qui sont utilisés. Certains marqueurs sont donc propres à une fonction spécifique du verbe dans un énoncé donné. En ma manda (Pennington, 2016) ainsi qu’en nungon (Sarvasy, 2017), les verbes finaux (« final verbs ») portent des flexions afin de marquer le temps, l’aspect et le mode. Dans ces deux langues, les verbes médians (« medial verbs »), quant à eux, ne peuvent pas porter de suffixes temporels (Sarvasy, 2017). La situation est identique en menya (Whitehead, 2006). Enfin, en rotokas (Robinson, 2011), nous relevons la présence de deux types de racine verbale (Firchow, 1987) ; cela va notamment déterminer le marquage temporel qui sera utilisé dans l’expression grammaticalisée du non-futur.
Un autre phénomène qui nous semble intéressant de relever concerne la présence de contrainte syntaxique dans l’expression du temps. En effet, en nungon, le présent et le futur ne peuvent pas être utilisés dans une clause avec une polarite négative (Sarvasy 2013, 2014), ce qui est en accord avec les normes typologiques connues que l’on retrouve dans un certain nombre de langues (Aikhenvald et Dixon, 1998). En nungon, pour exprimer un évènement présent ou proche (dans le futur) avec une polarité négative, il faut avoir recours, respectivement, aux suffixes du passé proche et du futur lointain. Il semblerait aussi que lefutur soit neutralisé en ma manda dans une clause négative (Pennington, 2016).

Le phénomène de « distributed exponence »

Nous notons la présence, en komnzo (Döhler, 2019), du phénomène de « distributed exponence ». Ce dernier est défini comme les cas où « morphosyntactic feature values can only be determined after unification of multiple structural positions. This distribution of featurevalues at the level of the word we can call distributed exponence. » (Carroll, 2016, p. 1). Pour Döhler (2019, p. 5), le phénomène de « distributed exponence » peut être défini de la manière suivante : « Distributed exponence is characterised by the fact that morphemes are underspecified for a particular grammatical category ». Ce phénomène morphologique est considéré comme une sous-catégorie de « mulitple (ou bien extended) exponence » qui est définie comme « one morphological feature or property being realized in more than one place; i.e., by more than one exponent ». Alors même que le phénomène de « multiple exponence »est relativement commun (Harris, 2017) – nous le retrouvons par exemple en anglais (Matthews, 1991) – le phénomène de « distributed exponence » est beaucoup plus rare etcomparativement moins étudié. Nous pouvons expliciter et illustrer ce phénomène à travers latable suivante qui provient de Döhler (2019, p. 6) et met en scène une des langues qui a étéétudiée, à savoir le komnzo.

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Table des matières
Introduction
Chapitre 1. Cadre conceptuel : Approche typologique du temps et de l’aspect
1.1 Typologie des temps
1.1.1 Temps absolus
1.1.2 Temps relatifs
1.1.3 Le degré d’éloignement
1.1.4 Temps et syntaxe
1.2 Typologie des aspects
1.2.1 Temps et aspects
1.2.2 Le perfectif et l’imperfectif
1.2.3 Aspect et sens
1.3 Présentation et justification de la typologie de ce mémoire
Chapitre 2. Approche méthodologique
2.1 Présentation de l’objet d’étude : les langues papoues
2.2 Approche méthodologique
2.2.1 Description méthodologique
2.2.2 Échantillonnage
2.3 Gloses interlinéaires
2.4 Limitations
Chapitre 3. Présentation des résultats
3.1 Expression formelle du temps et de l’aspect
3.2 Grammaticalisation du temps
3.2.1 Absence de grammaticalisation du temps
3.2.2 Grammaticalisation du couple passé / non-passé
3.2.3 Grammaticalisation du couple futur / non-futur
3.2.4 Grammaticalisation de deux temps (présent / passé, présent / futur ou bien passé / futur)
3.2.5 Grammaticalisation des trois temps (passé, présent et futur)
3.3 Relation entre temps absolus et temps relatifs
3.3.1 Absence de distinction entre temps absolus et relatifs
3.3.2 Distinction entre temps absolus et relatifs
3.4 Expression du degré d’éloignement
3.4.1 Absence de degré d’éloignement
3.4.2 Présence du degré d’éloignement dans le passé
3.4.3 Présence du degré d’éloignement dans le futur
3.4.4 Présence du degré d’éloignement dans le passé et dans le futur
3.5 Expression de la durée et de la continuité
3.5.1 Absence de distinction perfectif / imperfectif mais expression de l’habitude et de formes progressives
3.5.2 Présence de la distinction perfectif / imperfectif et expression de l’habitude et de formes progressives
Chapitre 4. Discussion 
4.1 Les moyens formels du marquage du temps et de l’aspect
4.1.1 Le marquage par l’affixation
4.1.2 Le marquage par l’enclitisation
4.1.3 Le marquage par les auxiliaires
4.1.4 Le marquage par le changement de radical
4.1.5 Le marquage par les constructions de verbes en série
4.1.6 Le marquage par la réduplication
4.1.7 Marquage et fonction
4.2 Le phénomène de « distributed exponence »
4.3 Diversité structurelle et sémantique
4.4 Contraintes et facteurs facilitant la grammaticalisation du temps et de l’aspect
4.5 Le statu ambigu du futur
4.6 Temps et aspects hors grammaticalisation
4.7 Points d’intérêt et spécificités des langues papoues
4.7.1 Les langues papoues comme modèle
4.7.2 Les spécificités des langues papoues
Conclusion 
Bibliographie 
Annexes

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