Les marqueurs microstructuraux du fluage par dissolution cristallisation

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Le système de failles de San Andreas

Le système de failles de San Andreas est un réseau complexe de failles qui s’étend sur plus de 1300 km le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord, pour plus de 100 km de large (Wallace, 1990). Ce réseau de failles constitue la frontière entre la plaque Pacifique et la plaque Nord Américaine. La Faille de San Andreas (SAF) est la plus importante de ce réseau (Figure 1.3) et l’une des plus actives au monde parmi les grandes failles continentales. Etant donné sa proximité avec deux grandes villes de Californie (San Francisco et Los Angeles) et ses antécédents sismiques (séisme de Fort Tejon en 1857 (M=7.9) et séisme de San Francisco en 1906 (M=8.2)), c’est l’une des failles les plus étudiées et les plus surveillées au monde.
La faille de San Andreas est de type décrochante dextre et c’est une faille à l’échelle lithosphérique, c’est à dire qu’elle se poursuit à des profondeurs importantes (séismes jusqu’à plus de 10 km et cisaillement en profondeur). Elle recoupe des terrains géologiques variés qui présentent une asymétrie de part et d’autre de la faille (voir carte géologique en Annexe A1). Elle est divisée en différents segments présentant des comportements mécaniques variés (Figure 1.4) (Steinbrugge and Zacher, 1960; Allen, 1968; Wallace, 1970; Irwin and Barnes, 1975).
Le segment de Parkfield (Figure 1.4) est sans doute un des mieux connus car il est sujet à des séismes récurrents de magnitude 6 (7 depuis 1857 tous les 15 à 30 ans) dont le dernier s’est produit en 2004. Un taux de fluage relativement constant et une forte activé microsismique y sont également enregistrés. La réunion de ces différents phénomènes est probablement due à sa localisation. En effet, ce segment fait office de transition entre un segment en fluage permanent au Nord et un segment verrouillé au Sud, qui ne bouge que lors d’importants séismes (Fort Tejon en 1857). Cette position particulière en fait un environnement d’étude unique et particulièrement intéressant pour tenter de comprendre les interactions entre les différents processus de faille, la transition entre déformation sismique et déformation asismique, ainsi que son partitionnement.
De très nombreuses études ont été menées et sont toujours en cours sur la faille de San Andreas, dans des domaines variés, offrant une bibliographie riche et abondante. En ce qui concerne cette étude, nous nous sommes attachés à comprendre les mécanismes de fluage à l’œuvre dans la zone de fluage permanent près de Parkfield. Mais qu’entend-t-on réellement par fluage ?

Le fluage : une déformation asismique

Les types de fluage

Le fluage est une déformation asismique lente et irréversible qui permet de relaxer des contraintes sans provoquer de rupture majeure au sein du matériel. Dans le cas d’une faille expérimentant du fluage, cela lui permet d’accommoder une partie des contraintes tectoniques auxquelles elle est soumise, sans produire de séismes.
Au niveau des failles, on peut faire la distinction entre deux types de fluage. Premièrement, le fluage de type post-sismique qui va se développer durant des périodes pouvant aller du mois à des dizaines d’années à la suite d’un séisme et qui va donc agir de façon relativement ponctuelle. Ce type de fluage peut aussi bien être localisé dans la croûte inférieure sous la partie sismique de la faille, que dans la croûte supérieure, au niveau des zones de sismicité (Gao et al., 2000; Johanson et al., 2006; Murray and Langbein, 2006; Barbot et al., 2009). Deuxièmement, le fluage dit permanent, qui est associé à des propriétés spécifiques liées aux roches de la zone de faille ainsi qu’à leur environnement. Pour ce type de fluage, le taux de déformation aura tendance à rester relativement constant au cours du temps (Burford and Harsh, 1980; Azzaro et al., 2001; Titus et al., 2006). Ce second type de fluage est souvent associé à une intense activité microsismique (Rubin et al., 1999; Nadeau et al. 2004).

Où trouve-t-on des failles qui fluent ?

Comme nous l’avons vu un peu plus haut, la faille de San Andreas est sujette au fluage et elle en présente les deux types. L’un de ses segments expérimente un fluage permanent et constant à 2,5 cm/an (Titus et al., 2006; Burford and Harsh, 1980), tandis qu’un autre, le segment de Parkfield, subit du fluage post-sismique suite aux séismes récurrents dits de type Parkfield. Ce fluage post-sismique a d’ailleurs pu être mieux étudié à la suite du dernier séisme qui s’est produit sur ce segment en 2004 (Johanson et al, 2006; Freed, 2007). Etant donné sa proximité avec le segment en fluage permanent, le segment de Parkfield subit également une partie du taux de fluage permanent (Titus et al., 2006). Il y a d’autres failles dans le réseau de San Andreas qui expérimentent du fluage. Parmi les plus connus on peut citer la faille de Calaveras (Rogers and Nason, 1971) et la faille de Hayward (Lienkaemper et al., 2001).
On trouve bien évidemment des failles qui fluent dans le reste du monde. Pour exemple, nous pouvons citer la faille en chevauchement de Chihshang (4,5 cm/an) qui est l’un des segment de la grande faille de la Longitudinal Valley à Taiwan (Yu and Liu, 1989; Lee et al., 2003). Le fluage permanent sur le segment Est de la faille Pernicana en Italie (Mt. Etna) a également fait l’objet d’une étude suivie pour estimer si ce taux de fluage variait dans le temps (Azzaro et al., 2001). Celui-ci s’est révélé relativement constant, avec un taux d’environ 2,8 mm/an.
De nombreuses failles actives dans le monde peuvent subir du fluage post-sismique ou du fluage permanent, avec des taux de déformation plus ou moins importants. L’étude du fluage sur les failles actives s’est considérablement développée ces trente dernières années. Ceci est dû au fait qu’il était difficile de l’observer sans quelques outils géodésiques sur de longues périodes de temps, pour pouvoir bien le caractériser. Ce qui nous amène maintenant à introduire la façon dont le fluage peut être détecté, notamment à l’échelle générale de la faille.

Comment observe-t-on le fluage ?

Puisque le fluage est une déformation asismique, il est impossible de l’observer sur les enregistrements sismiques, mise à part son association fréquente avec une certaine microsismicité. C’est d’abord sur le terrain qu’il sera le plus visible. Les déformations dans le paysage, escarpements, bombements et décalages (Figure 1.5), sont les marqueurs les plus visibles de la présence d’une faille active. Lorsque celle-ci est asismique ces marqueurs sont les principales évidences attestant d’une déformation par fluage.
Actuellement, le fluage s’observe principalement à l’aide de mesures GPS (Global Positioning System) et INSAR (Interferometric Synthetic Aperture Radar) qui permettent de détecter le fluage sur une faille à une échelle globale et de déterminer un taux de déformation général. L’INSAR permet de délimiter précisément la ou les surfaces des zones en fluage y compris dans le cas où la déformation est répartie sur plusieurs zones. Enfin, ces méthodes sont capables de mettre en évidence des hétérogénéités spatiales et temporelles de vitesse de déformation. Plus localement, on utilise des extensomètres qui permettent d’estimer le taux de déplacement avec plus de précision, directement sur la faille et d’assurer le suivi et la surveillance continue de zones sensibles. Ils peuvent aussi être installés dans des endroits où les mesures GPS ou INSAR sont malcommodes voire impossibles.
Ainsi, l’étude du fluage peut se faire à l’échelle de la faille en surveillant l’évolution du taux de déformation sur le long terme (Titus et al., 2006) ou encore en estimant l’importance des contraintes relaxées par un fluage post-sismique suite à un séisme important (Beeler et al., 2001; Johanson et al., 2006; Murray and Langbein, 2006). Ce type d’étude a révélé l’importance de ce mécanisme au sein du cycle sismique.

Limites et difficultés posées par l’étude des failles

L’étude des failles s’est longtemps basée sur les observations de terrain faites sur des éléments de failles exhumées. Ces travaux constituent la plupart de nos connaissances en termes de structures, de compositions et de mécanismes de déformations des failles. Cette méthode permet d’appréhender les différents types de failles et d’en étudier une très vaste population. Néanmoins, cette méthode est indirecte et peut être sujette à de nombreuses interprétations différentes. L’étude des mécanismes ayant lieu en profondeur à partir des observations effectuées sur les surfaces exhumées peut vite devenir délicate. En effet, lorsqu’une surface est ainsi exhumée, elle peut subir de nombreuses altérations, que ce soit au cours même de son exhumation ou par érosion, une fois à l’air libre (Zoback et al., 2007). A partir des études de failles exhumées, ce sont surtout les informations sur l’état des fluides en profondeur qui sont difficiles à appréhender. Les études sur les processus de faille via les expérimentations de laboratoire sont souvent difficiles à mettre en place sans connaître précisément les différents paramètres physiques des mécanismes ayant lieu en profondeur. De plus, étant donné la lenteur de certains de ces processus, le facteur temps devient vite, au laboratoire, un problème important dans ce genre d’expérimentation. Ceci étant, des développements récents permettant de générer au laboratoire d’une part des glissements à vitesse sismique (par des machines en rotation : Shimamoto and Tsutsumi, 1994; Di Toro et al., 2011), et d’autre part du fluage très lent avec transferts de matière (Niemeijer and Spiers, 2006; Gratier et al., 2009), ont permis de faire progresser nos connaissances notamment sur l’abaissement de friction lors des séismes et sur la cinétique des réactions fluides-roches sous contraintes. Ces travaux expérimentaux ouvrent de nouvelles perspectives, en particulier sur les interactions entre processus sismique et asismique et entre friction et transfert de matière. Les systèmes étudiés restent cependant encore très simples par rapport à la complexité des systèmes naturels.
Les outils d’étude géophysique tels que les profils sismiques ou la tomographie ont permis une première approche de la complexité des failles en profondeur en donnant des informations sur leur géométrie, ou sur la répartition de la déformation au cours d’un séisme. Mais si ces outils sont capables de déterminer avec plus ou moins de fiabilité la géométrie de la faille en profondeur, ils ne donnent que peu de renseignements sur les processus physico-chimique ayant lieu à ces profondeurs. Les modélisations numériques ont été un bon substitut aux expérimentations de laboratoire car elles permettent de passer outre le facteur temps souvent trop conséquent. Mais ces modélisations requièrent à leur tour la connaissance des conditions in situ pour établir des modèles les plus proches possibles de la réalité.

L’apport des forages

La problématique de l’étude des faille

Comme nous venons de le voir, la plupart des moyens d’études nous permettant d’appréhender les processus de faille en profondeur sont très approximatifs. Ce qui nous amène à la problématique générale que tout chercheur travaillant sur les failles a probablement retourné dans son esprit un jour ou l’autre : mais que se passe-t-il réellement en profondeur ? Cette inaptitude a pouvoir accéder à la majeure partie de son objet d’étude est pour le moins frustrante… et génératrice d’une foule de questions plus pertinentes les unes que les autres. Quels sont les mécanismes qui amènent à la nucléation d’un séisme ? Quels sont ceux qui donneront un glissement asismique ? Quels sont les paramètres in situ qui favorisent ces mécanismes et qui déterminent le comportement de la faille ? Ces questions générales soulignent le problème majeur dans l’étude des faille : nous ne pouvons pas nous rendre sur place et accéder au matériel in situ pour savoir ce qui se passe vraiment en profondeur. La multiplication des observations et des expérimentations de laboratoire n’a cessé d’allonger la liste des questions majeures relatives à l’étude de la mécanique des failles (Zoback et al., 2007; 2011) : comment varient les contraintes à travers la zone de faille, que ce soit au niveau de leur orientation ou de leur magnitude ? Comment évoluent la pression fluide et la perméabilité dans la zone de faille et dans son environnement ? D’où viennent les fluides présents dans les zones de faille et quelle est leur composition ? Les gouges de faille sont des zones très particulières qui soulèvent toute une série de questions à elles seules : quelles sont les propriétés inhérentes aux gouges de failles ? Comment influent-elles sur le comportement de la faille ? Quelle est leur minéralogie et comment évolue-t-elle au cours du temps ? Quels sont les mécanismes de déformations aboutissant à leur formation ? Cette dernière question entraine à son tour celles relatives à la localisation des déformations. Quels sont les processus contrôlant la localisation du glissement et de la déformation ? Comment la rupture sismique se propage-t-elle (Zoback et al., 2007; Brodsky et al., 2009) ? Toutes ces questions sont venues étayer la nécessité de trouver un moyen d’aller recueillir des données directement au cœur des failles. Actuellement, la seule façon de faire des mesures in situ et de prélever du matériel en profondeur est de réaliser un forage.

Les apports des grands forages d’étude

Différents forages d’études ont été réalisés à travers le monde sur de grandes failles actives sensibles, souvent sujettes à des séismes de fortes magnitudes, ou présentant un contexte particulièrement intéressant pour répondre aux questions majeures vues précédemment. Parmi ces grands forages, nous pouvons citer :
– le forage Taiwan Chelungpu fault Drilling Project (TCDP), qui a débuté en 2002 sur la faille de Chelungpu (Taiwan) et s’est terminé en 2005. Il a été initié pour comprendre les mécanismes responsables du séisme de Chi-Chi de 1999 (M=7.6), étudier les mécanismes de nucléation et de rupture des grands séismes et identifier le rôle joué par la faille inverse de Chelungpu dans la tectonique régionale (Tanaka et al., 2002; Ma et al., 2003; Zoback et al., 2007; Boullier, 2011).
– le forage du Corinth Rift Laboratory project (CRL), s’est déroulé sur la faille Aigion (localisée du côté sud du golf) en Grèce en 2002. Ce forage a été réalisé pour étudier la déformation in situ d’une faille normale ainsi que les processus de rifting et enfin, pour surveiller les interactions fluide/faille (Cornet et al., 2004; Zoback et al., 2007).
– les forages du Nankai Trough Seismogenic Zone Experiment (NanTroSEIZE), dans la zone de subduction de Nankai située au large de l’île d’Honshu (Japon), ont commencé en 2004. Cette zone est sujette a des séismes de magnitude 8 se produisant à des intervalles de 100 à 200 ans (Lin et al., 2010). Ce projet a été découpé en plusieurs expéditions, chacune devant répondre à un but précis. Les objectifs principaux de ce grand projet étaient de caractériser les propriétés des matériaux et l’état du système de faille, étudier le partitionnement entre processus sismique et asismique, évaluer les changements dans l’état du système durant la période intersismique et récolter des échantillons in situ (Zoback et al., 2007).
– les forages dans la faille de Nojima, au Japon, ont été réalisés un an après le séisme qui a frappé Kobé en 1995 (M7.2). Ce fut un projet pionnier pour l’étude des failles actives. Il a permis une étude détaillée de la minéralogie de la faille grâce aux échantillons prélevés durant le forage (Boullier, 2011).
– les forages du Natural Earthquake Laboratory in South African Mines (NELSAM), basés sur la faille de Pretorius en Afrique du Sud, ont été réalisés dans les mines d’or profondes situées à environ 80 km à l’ouest de Johannesburg. L’environnement des mines dont les processus d’extraction génèrent des milliers de séismes par jour offrait un cadre d’étude unique. Ce forage aura permis la cartographie 3D de la zone de rupture d’un séisme, ainsi que l’enregistrement de nombreuses données. Il a également fourni des informations sur la structure et la composition de la faille en profondeur.
Cette liste est évidemment non exhaustive et l’utilité des forages ayant fait ses preuves, d’autres projets sont en cours sur diverses grandes failles dans le monde. Mais il reste évidemment un grand forage d’étude dont nous n’avons pas parlé et que nous allons à présent voir plus en détail : le forage de la faille de San Andreas.

Le forage SAFOD

Le forage du San Andreas Fault Observatory at Depth drilling project (SAFOD) est localisé en Californie, sur la faille de San Andreas, près de la ville de Parkfield, sur le segment éponyme. Il se trouve également à la transition avec le segment en fluage permanent (Figure 1.4). Cet emplacement stratégique offre un contexte d’étude unique puisqu’il est à la fois dans une zone sismique à laquelle s’ajoute un taux de fluage permanent d’environ 21 mm/an (Titus et al., 2006), du fluage post-sismique et une microsismicité permanente depuis au moins vingt ans (Nadeau et al., 1994; 1995). La plupart de ces petits séismes ont été localisés entre 2 et 12 km (Zoback et al., 2007). Les sources de certains de ces séismes récurrents de magnitude 2 se trouvant donc à une profondeur atteignable par forage, elles constituaient une cible parfaite. Par conséquent, l’un des but majeur de ce forage était de forer aussi près que possible de l’un de ces foyers de séismes récurrents, afin d’en étudier tous les paramètres possibles : construction des contraintes, type de relaxation, cicatrisation et restauration de la zone, et ce, sur plusieurs cycles. Les autres buts visaient l’étude des mécanismes physiques et chimiques à l’origine des processus de faille et de la génération de séismes (Zoback et al., 2007, 2011).
Le forage a été effectué en plusieurs phases (Figure 1.6). La toute première, le trou pilote (Pilote Hole) est un trou vertical pour reconnaître la géologie locale et effectuer une première batterie de mesures, notamment à mesurer le champ de contraintes. Cela a permis de mettre en évidence la singularité de l’orientation des contraintes principales dans la faille et de considérer cette dernière comme une faille faible (voir Chapitre 3). Il a aussi servi à confirmer que la localisation du site était bien la plus appropriée et a apporté des réponses à certaines questions de premier ordre concernant l’outillage et l’instrumentation. Le forage du puits principal (mainhole), a ensuite commencé avec la première phase. Celle-ci avait pour but de s’arrêter juste avant l’endroit où était supposée commencer la zone de faille proprement dite et d’être consolidée, pour ensuite faciliter la seconde phase, où de nombreux problèmes allaient probablement être rencontrés. Elle a également servi à établir différents paramètres importants pour le forage en lui-même, relatif par exemple, à la densité de la boue de forage. La phase 2 a servi à effectuer une seconde campagne de mesures qui a permis de localiser précisément la zone de faille et d’identifier des zones de cisaillement actif dont nous allons reparler un peu plus loin. Elle a également fourni de nombreux éléments de roche broyée (cuttings) sur lesquels se sont initiées les premières études d’échantillons in situ pour cette faille. Enfin, la phase 3 a consisté en différents puits de forages latéraux, qui ont surtout été utilisés pour remonter des carottes dans lesquelles ont été découpés de nombreux échantillons et où d’autres mesures ont été effectuées.
Le programme d’étude des échantillons ramenés par le forage SAFOD a été ouvert à la communauté scientifique du monde entier. Un projet international associant les universités de Grenoble (France), Padoue (Italie), Louisville (Etats-Unis), Oslo (Norvège) et Aix la Chapelle (Allemagne) nous a permis d’obtenir plusieurs dizaines d’échantillons issus des carottes, nous fournissant ainsi l’opportunité de pouvoir travailler sur des échantillons prélevés au cœur d’une faille, à plus de 2 km de profondeur.
A l’échelle du forage, des zones de faibles vitesses dans les profils des ondes P et S, ainsi que des anomalies dans les mesures de résistivité ont révélé une zone d’environ 200 mètres de large, dans laquelle les roches étaient fortement endommagées. Cette zone, appelée zone endommagée (damage zone), a à son tour présenté d’autres anomalies encore plus prononcées au niveau des vitesses sismiques et de la résistivité, en deux endroits très localisés (Figure 1.7). Des déformations du tube d’acier installé dans le puits de forage au niveau de ces deux zones ont montré qu’elles subissaient un fluage actif. La première, la SDZ (Southern Deforming Zone), est située entre 3196 m et 3198 m et la seconde, la CDZ (Central Deforming Zone), qui est aussi la plus active, est localisée entre 3296,5 m et 3299 m (toutes les profondeurs se rapportant à la localisation des échantillons ou de zones particulières dans les puits de forage ne correspondent pas à des profondeurs réelles, mais des mesures de profondeurs relatives le long du forage (pour plus de précision sur les différents systèmes de mesures, voir Chapitre 3, Table 1)). Ces zones ne dépassent pas les 2-3 mètres de large et sont données comme étant les traces actives de la faille de San Andreas. C’est principalement au cours de la Phase 3 que ces zones ont été échantillonnées et qu’elles ont rendu possible l’étude de zones en fluage actif à partir d’échantillons naturels. C’est dans ces zones que nous avons réalisé notre étude sur les processus de fluage, dont les résultats sont présentés Chapitre 3.

Les marqueurs microstructuraux du fluage par dissolution cristallisation

Comme nous venons de le souligner, le mécanisme de fluage par dissolution cristallisation développe une foliation, dans le cas d’une roche composée à la fois de minéraux solubles et de minéraux insolubles. Ce marqueur évident qui s’observe en lames minces au microscope optique (Figure 2.4a), sera par conséquent introuvable dans le cas d’une roche composée uniquement d’espèces solubles. Et dans ce cas, sauf à trouver des évidences de dissolutions de structures préexistantes (grains, fossiles, veines), il sera difficile de trouver des preuves de ce mécanisme. Cette foliation devient particulièrement évidente en cartographie chimique (Figure 2.4c), où l’on voit bien la concentration des éléments insolubles comme l’aluminium, le fer ou le magnésium, dans les plans de foliation. Ces plans se développent perpendiculairement à la contrainte normale principale en compression (Figure 2.1) dans les zones dites exposées, par opposition aux zones protégées, qui conservent la structure et la composition de la roche initiale. Ces zones protégées se trouvent souvent au voisinage d’un objet dur faisant office de barrière à la déformation (Figure 2.5). Cette foliation par différenciation chimique est le marqueur principal permettant d’identifier de façon fiable le fluage par dissolution cristallisation.
Il existe également d’autres marqueurs, comme les indentations entre deux minéraux (Figure 2.6), souvent accompagnées de fracturation quand leur solubilité respective est très voisine (Figure 2.6a). Un milieu fortement fracturé peut également inciter à rechercher des dissolutions puisque c’est l’un des processus contribuant à activer ce mécanisme de fluage (Gratier et al., 2011) (Figure 2.6).
Comme nous l’avons dit plus haut, ce type de fluage entraîne une cicatrisation des fractures lors du transport des espèces solubles. Des évidences de cicatrisation comme de nombreuses veines de calcite pouvant aller jusqu’à des réseaux assez denses présentant plusieurs générations de calcite (Figure 2.7), sont d’autres preuves attestant que le fluage par dissolution cristallisation a pu être actif à un moment donné dans ces zones et qu’il pourrait encore l’être. Néanmoins, ces marqueurs ne suffisent pas à eux seuls à attester ou non de la présence et de l’activité du fluage par dissolution cristallisation. Il est donc nécessaire de recouper les différentes preuves.
Figure 2.7 : Photo d’une lame mince en cathodoluminescence présentant différentes générations de calcite (en rouges lumineux). Les minéraux en bleu sont des feldspaths et le quartz est brun. Echantillon provenant de la faille de San Andreas.
Ce mécanisme est capable d’accommoder des déformations importantes, tout en étant actif dans de très petits volumes de roche, notamment en raison de sa grande capacité de localisation de la déformation (Gratier et al., 2011).

Quantification des déformations accommodées

Le processus de dissolution, de transfert de matière et de déposition, implique un changement de la composition minéralogique de la zone par rapport à son état initial, avant déformation et donc, un changement de volume. Ce changement peut par conséquent être quantifié par le biais d’un comparatif entre la composition chimique de la zone exposée (ZE) et la composition d’une zone protégée (ZP) censée refléter la composition initiale de la roche. Ce changement de masse peut s’exprimer dans un premier temps en utilisant la concentration passive des minéraux insolubles dans la ZE en la comparant avec la concentration de ces mêmes insolubles dans la ZP : ΔM/M0 = (Ip/Ie)-1 (1).
où ΔM/M0 représente le changement relatif de masse, Ip la concentration de tous les insolubles dans la ZP et Ie cette même concentration dans la ZE. Ce calcul peut aussi être effectué pour chaque minéral soluble suivant cette seconde formule : ΔMm/Mm0 = (Ip/Ie)(Se/Sp)-1 (2).
où Se et Sp représentent la concentration de chaque minéral soluble dans la ZE et dans la ZP, respectivement (Gratier et al., 2013). Ces deux équations sont valables lorsque l’on considère un système ouvert. Dans le cas d’un système clos où les minéraux dissous reprécipitent dans la zone protégée, on utilisera plutôt les équations suivantes :
ΔM/M0 = ((Ip/Ie)-1)/(Ip/Ie)+1) (3).
ΔM/M0 = ((Ip/Ie)(Se/Sp)-1)/((Ip/Ie)(Se/Sp)-1) (4).
Ces méthodes peuvent fournir de bons résultats, à partir du moment où aucun autre processus de transfert de matière n’a pu intervenir dans les zones étudiées. Gratier et al., (2011) en fournissent un exemple appliqué aux échantillons provenant de la faille de San Andreas fournis par le forage SAFOD.
Il existe d’autres méthodes pour estimer le changement de volume effectué par les transferts de matière dû au processus de fluage par dissolution cristallisation. Elles peuvent être géométriques (Ramsay, 1967), ou géochimiques, en incluant la différence de densité des zones considérées (Gresens, 1967).

Le fluage avec friction (cataclastique ou granulaire)

Quelques notions de mécanique

En mécanique, la friction est une force de résistance s’opposant au glissement relatif de deux surfaces l’une contre l’autre (fluide ou solide). Elle est également connue sous la dénomination de force de frottements. Son action est simple, au cours du mouvement de deux surfaces l’une contre l’autre, elle convertit l’énergie cinétique en chaleur. Tous les matériaux possèdent un coefficient de friction µ, sans dimension, qui est défini par la force cisaillante F nécessaire pour produire un glissement entre les deux surfaces considérées que divise la force normale N appliquée sur les surfaces : µ=F/N (5).
Plus ce coefficient de friction est faible, plus la force nécessaire à appliquer sur une surface pour la faire glisser sur une autre sera faible. Ce coefficient dépend directement de la nature des matériaux et globalement : 0 < µ ≤ 1. En mécanique des roches, l’équation (5) peut se réécrire comme suit : µ = τ / σn (6).
où τ représente la force de cisaillement et σn la contrainte normale (Byerlee, 1978). De nombreuses expérimentations de laboratoire ont permis de définir le coefficient de friction de la plupart des roches et minéraux (Byerlee, 1978; Scholz, 2002). Ces expérimentations ont également mis en évidence une catégorie de minéraux considérés comme faibles, étant donné leur faible coefficient de friction. Ces minéraux sont principalement des argiles, comme par exemple, la montmorillonite ou la vermiculite. On peut aussi retrouver ces minéraux faibles au niveau des gouges de faille, ce qui influe beaucoup sur le comportement de la faille et met en évidence le rôle important que joue la gouge et sa minéralogie dans la mécanique des failles.

Fluage et friction

Le mécanisme de fluage controlé par friction va surtout intervenir au niveau des gouges de failles. Comme nous venons de le voir, la minéralogie va jouer un rôle prépondérant dans ce mécanisme de fluage. De nombreuses expérimentations se sont attachées à caractériser l’influence de la minéralogie de la gouge sur les propriétés de friction de la zone de faille (Carpenter et al., 2009; Ikari et al., 2009, 2011; Vrolijk and van der Pluijm, 1999; Niemeijer and Spiers, 2006). Tembe et al. (2010), ont ainsi pu mettre en évidence que le coefficient de friction dépendait fortement de la quantité d’argile présente dans la gouge ainsi que de sa minéralogie. Dans plusieurs expérimentations, il a été démontré qu’il fallait en moyenne plus de 50% d’argile dans un environnement quartzo-feldspathique pour que le mécanisme de fluage puisse être efficace sans augmenter significativement la température le long de la faille comme observé dans la faille de San Andreas (Ikari et al., 2009; Tembe et al. 2010; Moore et Lockner, 2011; Lachenbruch et Sass,1980).
Les conditions requises pour la mise en place de ce type de fluage sont donc une quantité de minéraux argileux (ou phyllosilicates) supérieur à 50% et de préférence, des types d’argiles possédant un coefficient de friction très faible (µ ≤ 0,2). Dans le cas des zones en fluage actif de la faille de San Andreas, le principal minéral responsable du faible coefficient de friction de ces zones est la saponite. C’est une argile appartenant à la famille des smectites, dont le comportement est très proche de celui de la montmorillonite et avec un coefficient de friction très faible (< 0,2).
Le fluage avec friction peut intervenir dans deux mécanismes de déformation :
– Le fluage granulaire, (granular flow) durant lequel les grains ou des éléments de grains vont glisser les uns sur les autres sans se déformer en interne, pour accommoder la déformation (Adam et al., 2005; Fossen et al., 2006). Pour un matériel polycristallin avec des éléments argileux, le mouvement des grains les plus durs est accommodé par les minéraux argileux glissant les uns sur les autres et entourant chaque grain. Pour la mise en place de ce processus, la quantité d’argile doit à nouveau être majoritaire par rapport aux grains plus durs, afin d’éviter toute interaction entre ces derniers susceptible de mettre en œuvre d’autres processus.
– Le fluage cataclastique (cataclastic flow) est un processus de déformation courant dans les roches de la croûte terrestre et capable d’accommoder d’importantes déformations (Hadizadeh et Rutter, 1983; Zhu and Wong, 2012). Les processus de cataclase vont fragmenter la roche et même en fracturer les grains. Par la suite, la rotation de ces fragments va permettre de continuer à accommoder la déformation en faisant intervenir des processus de friction aux limites de ces fragments (Sibson, 1977). Dans le cas où la zone s’enrichit en argile, la rotation et le glissement des fragments pourra être assumé de la même façon que dans le fluage granulaire par des glissements privilégiés sur les minéraux argileux. Il est à noter que le développement de foliation avec des lits riches en argiles facilite encore plus le glissement (Collettini et al., 2009). Si la quantité d’argile n’est pas assez importante pour accommoder le mouvement, alors la résistance aux processus de friction peut entraîner d’autres mécanismes, tels que des transferts sous contrainte ou des déformations plastiques.

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Table des matières

CHAPITRE 1 Contexte général
Introduction
1.1 Qu’est-ce qu’une faille active ?
1.1.1 Quelques définitions
1.1.2 Les processus de faille
1.1.3 Le système de failles de San Andreas
1.2 Le fluage : une déformation asismique
1.2.1 Les types de fluage
1.2.2 Où trouve-t-on des failles qui fluent ?
1.2.3 Comment observe-t-on le fluage ?
1.2.4 Limites et difficultés posées par l’étude des failles
1.3 L’apport des forages
1.3.1 La problématique de l’étude des faille
1.3.2 Les apports des grands forages d’étude
1.3.3 Le forage SAFOD
Conclusion
Références
CHAPITRE 2 Les mécanismes de fluage
Introduction
2.1 Le fluage par dissolution cristallisation
2.1.1 Principes
2.1.2 Les marqueurs microstructuraux du fluage par dissolution cristallisation
2.1.3 Quantification des déformations accommodées
2.2 Le fluage avec friction (cataclastique ou granulaire)
2.2.1 Quelques notions de mécanique
2.2.2 Fluage et friction
2.2.3 Evidences en lames minces
2.3 Les autre mécanismes de fluage
2.3.1 La corrosion sous contraintes (stress corrosion)
2.3.2 Fluage par dislocation (dislocation creep) et superplasticité
2.3.3 Fluage par maclage (twinning)
Conclusion
Référence

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