Les lois et l’organisation politique, des facteurs déterminants pour définir l’accueil de l’enfant 

Les enjeux de gouvernance en lien avec l’organisation des services et la fonction des institutions

Les modèles de gouvernance, valoriser l’autonomie et les compétences locales

Comme nous venons de le voir avec le travail Stamm, il y a certains enjeux au (dé)cloisonnement des services pour l’enfance. Plusieurs pays membres de l’OCDE, dont la Suisse, continuent à maintenir un système où les services à la petite enfance sont cloisonnés entre affaires sociales et instruction publique. L’Etat vaudois, lui, place le champ de la petite enfance sous la responsabilité du département des infrastructures et du personnel de l’Etat de Vaud (DRIH) pour les institutions préscolaires et parascolaires et sous la responsabilité de la direction générale de l’enseignement obligatoire (DGEO) pour les enfants scolarisés dès 4 ans. Un enfant passe donc d’un service à l’autre selon son âge où son agenda institutionnel quotidien… Bennett (2011) rejoint les propos de Margritt Stamm et soutient la mise en place d’un système intégré, accueillant l’enfant et sa famille de manière continue jusqu’au primaire. Cela contribue selon lui à la clarification des missions, à une meilleure reconnaissance des professionnels et à l’octroi de moyens adéquats notamment en matière de formation professionnelle. Il avance également qu’un service intégré géré par l’Etat permettrai également «l’admissibilité universelle» de manière abordable pour toutes les familles (2011, p.4).
Dollé (2014) va plus loin en relevant, pour le cas de la France, que si plusieurs communes parlent déjà de «service public de l’enfance» (2014, p.23), le service public actuel ne concerne pas les enfants non scolarisés au niveau national. Il relève par conséquent que l’Etat, qui a pourtant comme objectifs l’égalité des chances et l’équité pour tous, ne se donne pas aujourd’hui les moyens de les appliquer pour les familles ayant des enfants de moins de 3 ans. Il préconise donc la mise en place de «services publics liés à l’éducation» pour les enfants de 0 à 10 ans, englobant non seulement l’école, mais aussi les services d’accueil, de protection maternelle ou l’aide sociale à l’enfance.
Pour Rianne Mahon, ce rapprochement permettrait un renforcement du soutien gouvernemental pour des services à l’enfance qui sont reconnus comme importants (Mahon, 2011. P.2). En effet, l’Etat apporterait un soutien actif, favorisant la cohésion sociale, l’équité et la diversité (service pour tous), pour un accueil de qualité. Mais elle ajoute qu’il ne peut y avoir de diversité et d’équité qu’à la
condition d’une bonne coordination entre les niveaux politiques centraux-locaux. En effet, les recherches (OCDE 2006) montrent que définir correctement les compétences entre l’Etat et les communautés locales est démocratiquement important et que « les dispositions gouvernant les rôles respectifs des gouvernements nationaux et locaux constituent une composante importante des structures de gouvernance, limitant ou améliorant les capacités de coordination globale ainsi que l’adaptation aux besoins locaux » (Mahon, 2011. P.5). Les mêmes études montrent également que, plus le système politique reconnaît et applique les principes de la démocratie, plus la définition de ces compétences sera facilitée.

La création d’espaces singuliers, une condition pour la démocratie

Les éléments apportés par les questions de gouvernance, nous montrent que la question de la démocratie est un élément important de ce travail. Elle peut être définie comme une forme de système de gouvernement, reconnaissable par différentes qualités, qui la caractérise. Par exemple, la présence ou non de liberté d’expression, ou la définition de modes d’organisation hiérarchiques et de processus électoraux favorisant le partage du pouvoir. Mais la démocratie, lorsqu’elle concerne les questions éducatives par exemple, peut aussi avoir une dimension participative. Elle devient alors une valeur, défendue afin de permettre aux citoyens d’échanger sur les questions qui les intéressent et peut alors être «considérée comme un mode d’existence, une façon de vivre ensemble» (Moss,2011. p.2).
S’il est possible de définir la démocratie par des qualités, il est également possible de le faire pour définir un environnement éducatif adéquat. Dans ce sens, Pierre Fürter (1983) s’est intéressé à cette question de l’articulation du pouvoir comme condition déterminante pour une éducation de qualité.
Pour lui, il y a un enjeu démocratique dans les rapports hiérarchiques entre les différents niveaux politiques (Etat/local), notamment en ce qui concerne la valorisation des différences culturelles, dépendant du maintien d’une surface sociale, «d’un espace vital à conquérir» (1983, p.8). Cela a ici un impact sur la définition d’une culture éducative, telle qu’évoquée en introduction de ce travail.
En effet, pour Fürter, la culture est située par l’espace dans lequel elle est produite et transmise sur le temps. A l’exemple d’un village, qui est « le produit historique de rapports sociaux » (1983, p.9), cet espace vital, quand il existe, est l’un des « piliers de notre réalité politique » (1983, p. 16), il est un élément de l’identité d’une région15 et participe donc à sa diversité. Sa création dépend entre autres de la qualité des conditions dialectiques propres au système politique en place, ce qui situe l’enjeu démocratique. Or, toujours selon l’auteur, les rapports hiérarchiques tels que ceux qu’il peut y avoir entre un Etat et ses régions peuvent empêcher le développement d’un tel espace, au point de le remettre en question, ce qui n’est favorable ni à la diversité, ni à l’autonomie locale. Comme nous le verrons plus loin dans le chapitre 6, la participation effective des acteurs concernés atténue cette relation de pouvoir. Mais cette participation dépend de la création d’un espace singulier (1983, p.10), permettant l’articulation entre le sujet et son environnement, fruit d’une synthèse entre l’espace public (représentant le pouvoir et le savoir) et l’espace propre, l’espace local.

L’enfant dépendant de ses «besoins»

Dahlberg et al. relèvent que la pensée dominante liée à l’approche du champs petite enfance est aujourd’hui tenue par les partisans de la psychologie du développement, en provenance des Etats-Unis. Selon ce modèle d’analyse, tous les enfants, indépendamment des cultures ou du pays dans lequel ils grandissent, seraient enclins à se développer d’une manière identique, répondant à des lois naturelles et à des processus biologiques universels qualifiés de besoins. Cette approche de l’enfant provenant de modes d’analyse et d’observation reposant sur des concepts qui se veulent universels, ont un effet décontextualisant et probablement normatif, ne laissant que peu de place à la diversité, faisant de l’enfant un être « naturel plutôt que social » (2012, p.97).
Pour Martin Woodhead, uniquement chercher à répondre aux besoins de l’enfant comporte un risque d’uniformisation des modes culturels de son développement. Cela revient à ignorer les différentes expériences de l’enfant, comme ses manières de jouer, de communiquer… Or, ne faire référence qu’aux besoins ne peut être qu’une démarche partielle, ne tenant pas compte de la complexité de l’enfant et comportant un risque de généraliser, voire d’universaliser le développement culturel du tout petit (2007, p.146). L’exemple des stades de développement de Piaget est donné par l’auteur. Selon lui, le cadre de Piaget est « fortement associé aux images occidentales du jeune enfant et aux objectifs visés pour son éducation. Cependant la preuve scientifique de la théorie est beaucoup moins solide que généralement admise » (2007, p.150), car elle ne tiendrait pas suffisamment compte des dimensions culturelles et sociales influençant le développement de l’enfant. De plus, Woodhead relève que cette manière de voir l’enfant et son développement pourrait régulièrement être reprise dans les discours politiques comme élément pédagogique à promouvoir, alors qu’il ne reflète pas forcément la réalité des contextes concernés, ou des conceptions locales de l’enfance, menant à une uniformisation des pratiques éducatives.

L’enfant citoyen, riche de ses «compétences»

Pour Dahlberg, Moss et Pence (2012), afin d’éviter les risques liés à la définition de «bonnes pratiques» éducatives, il faut pouvoir considérer cette définition comme relevant de processus sociaux et culturels, donc situés, intégrés et négociables.
Dans ce sens, ces processus doivent avoir pour sens de permettre l’émergence d’inattendus relevant d’un «discours local», valorisant la subjectivité et la différence. Cela implique de pouvoir décrire le monde par un processus de construction sociale, fait de relations, d’interactions et de participations actives. Un processus qui amène à considérer les savoirs en relation avec des contextes étant «chargés de valeurs, ce qui remet en cause la croyance moderniste en des vérités universelles et en la neutralité scientifique» (2012, p.66).
Ce processus de conception sociale peut alors être réfléchi conjointement avec une représentation de l’enfant qui le considère comme faisant partie d’un tout. Dans ce cas, l’enfant est en effet défini non seulement par des besoins et des motivations qui lui sont propres, mais aussi par ce qui se construit dans ses relations avec autrui. Cette influence des relations sur ce qu’est l’individu, ne permet dès lors plus de considérer la personne comme figée et pouvant répondre à un modèle d’attentes, ou de besoins, qui se voudrait universel. Penser l’accueil de l’enfant et les pratiques éducatives en référence à un modèle tel que la psychologie du développement perd alors son sens, et induit une remise en question de la définition de l’enfant, vu dès lors comme un être social.
Pour étayer cette proposition, Gunilla Dahlberg et Peter Moss (2007) se réfèrent aux travaux de Loris Malaguzzi, qui est l’un des théoriciens à l’origine du projet éducatif de la région de Reggio Emilia en Italie. Lors de ses recherches, Malaguzzi a avancé que l’enfant peut être vu comme un constructeur de savoir, d’identité et de culture, comme un citoyen actif et sujet de droits, «riche en potentiel,relié aux adultes et aux autres enfants» (Malaguzzi, 1998, p.10). Dans cette vision, l’enfant n’est donc plus un être en devenir, il est un citoyen.
Ce changement de paradigme, replacé dans le contexte institutionnel et communautaire, nous permet de «passer d’un enfant conçu comme le sujet isolé d’un développement singulier, dont le lien naturel est la famille, à un enfant qui est un être social pour lequel est fait un projet politique d’accueil» (Moisset, 2009. p. 63). C’est donc bien de l’enfant citoyen que nous parlons et d’une institution qui serait pensée non pas autour de l’enfant-problème, porteur comme nous l’avons vu de besoins à satisfaire (spécifiques ou non), mais plutôt autour de l’enfant citoyen, ayant des droits. Un enfant que «l’institution ne devrait plus chercher à éveiller» (2009, p.62).

Le statut de l’enfance et de l’enfant en mutation

Certains sociologues ont observé que, traditionnellement, le jeune enfant est l’objet d’une socialisation hiérarchiquement construite du haut vers le bas, de l’adulte vers l’enfant. Les politiques éducatives et les pratiques éducatives y ont pour but de préparer l’enfant à la scolarisation, également définie selon le même mode de pouvoir. Le savoir est transmis du haut vers le bas. L’enfant est pensé comme un objet d’apprentissages, nécessitant l’apport de soins spécifiques lié à sa condition d’être non-fini (Mayall, 2008). Par conséquent une pratique pédagogique construite sur ce regard lui est proposée, considérant l’enfant comme un récipient qu’il faut observer et remplir, selon une logique prédéterminée par des stades de développement, comme un être «passif, individualisé et incompétent» (Dahlberg, Moss, Pence. 2012. p. 45).
Qu’elle soit préscolaire ou scolaire, l’éducation est donc ici construite par l’adulte pour répondre à sa vision de l’enfance, de ses besoins, dans une intention normalisante, permettant à l’enfant de devenir ce que la société attend de lui. La valeur sous-jacente est de permettre à l’enfant d’acquérir la maturité et la compétence des adultes. L’accent est mis sur le futur plus que sur le «bien-être» de l’enfant, dans l’ici et maintenant. Cette conception de l’enfant lui prête par conséquent un statut minoritaire, l’obligeant encore à lutter pour être écouté et non plus seulement être l’objet d’observations (Mayall, 2008 ; Musatti, 2008).
Cette constatation nous amène à aborder de récentes recherches en matière de sociologie(s) de l’enfance montrant que l’enfant devient un partenaire écouté dans la sphère familiale. La famille ne fait plus un comme auparavant, les enfants sont en effet reconnus comme un groupe social à part entière, avec leurs propres intérêts et leurs propres droits. Cela leur confère une identité sociale propre, située et construite dans «un ensemble de relations négocié activement» (Dahlberg, Moss, Pence. 2012. p. 101). L’enfant est perçu comme un agent social capable de commenter de manière
compétente la société dans laquelle il grandit.
Ce changement de paradigme conduit à une remise en question éducative. Le concept de «bien être» de l’enfant prend de l’importance, car il favorise une écoute du petit dans l’ici et maintenant, plutôt qu’une recherche attentive de réponses spécifiques à ses besoins corrélées par différentes techniques d’observation. Par conséquent, le modèle parental change lui aussi, les valeurs traditionnelles d’autorité et de vision de l’enfant sont remises en question. La prise de conscience des enjeux de l’éducation se traduit alors par une relation plus démocratique au sein de la famille. Il en résulte une perte de pouvoir pour les parents, lié à l’apprentissage d’un nouveau rôle social.

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Table des matières

1. PRÉAMBULE 
2. PRÉSENTATION DU CONTEXTE DE TRAVAIL ET DU CHOIX DE MON SUJET DE RECHERCHE 
A. LE CONTEXTE LOCAL
B. ET HORS DE MON RÉSEAU ?
C. L’IMPORTANCE DE LA MISSION DES IPE POUR LES QUESTIONS DE QUALITÉ ET DE DÉMOCRATIE
D. QUELS LIENS ENTRE CETTE QUESTION DE LA QUALITÉ ET MON RÔLE DE DIRECTEUR EN ACTION SOCIALE DANS LE CONTEXTE POLITIQUE SUISSE ACTUEL ?
E. CHOIX DU SUJET
F. PRÉSENTATION DE L’EFAJE, DE L’HIRONDELLE ET DES MOUSSAILLONS
i. L’association et son mode de gouvernance
ii. Les acteurs
iii. Organigramme
iv. L’Hirondelle et les Moussaillons
3. POLITIQUE ET GOUVERNANCE : LES LOIS ET L’ORGANISATION POLITIQUE, DES FACTEURS DÉTERMINANTS POUR DÉFINIR L’ACCUEIL DE L’ENFANT 
A. LES LOIS ET LE CADRE INTERNATIONAL, FÉDÉRAL ET CANTONAL VAUDOIS
i. La CIDE
ii. L’ordonnance fédérale de 1977
iii. Laje 2006
B. LE CHOIX DE DEUX INSTANCES NATIONALES ET INTERNATIONALES ET LEUR DISCOURS SUR L’ENFANT
i. OCDE
ii. UNESCO
C. LES ENJEUX DE GOUVERNANCE EN LIEN AVEC L’ORGANISATION DES SERVICES ET LA FONCTION DES INSTITUTIONS
i. Les modèles de gouvernance, valoriser l’autonomie et les compétences locales
ii. La création d’espaces singuliers, une condition pour la démocratie
iii. l’IPE comme forum dans la société civile, un lieu de débat
4. L’ENFANCE, L’ENFANT ET SON DÉVELOPPEMENT : QUELS PARADIGMES ? 
A. L’INTERPRÉTATION DU DROIT AU BON DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT
i. L’enfant dépendant de ses « besoins »
ii. L’enfant citoyen, riche de ses « compétences »
B. L’ENFANCE, UNE PÉRIODE DE VIE IMPORTANTE
i. Le statut de l’enfance et de l’enfant en mutation
ii. L’IPE comme lieu intermédiaire entre la famille et la société
5. MÉTHODOLOGIE 
A. MÉTHODE DE RECHERCHE, LE CORPUS THÉORIQUE ET L’ANALYSE DES DONNÉES
B. L’ENTRETIEN COMPRÉHENSIF ET LE QUESTIONNAIRE, LE CHOIX DES THÉMATIQUES
C. LES ACTEURS
6. PREMIER AXE D’ANALYSE : LA QUALITÉ, DIFFÉRENTES DIMENSIONS, DIFFÉRENTES CULTURES
A. LES DIMENSIONS DE LA QUALITÉ
i. La dimension des orientations, la valeur de l’éducation pour la société
ii. La dimension structurelle, les moyens adéquats
iii. La dimension fonctionnelle, des relations de qualité
iv. La dimension opérationnelle, un système compétent
B. LES CULTURES DE LA QUALITÉ
i. La qualité normative, un enjeu d’évaluation
ii. La qualité effective, une vision intégratrice
7. DEUXIÈME AXE D’ANALYSE : LE FAIRE SENS, UN ENJEU DÉMOCRATIQUE ET POLITIQUE DE DÉFINITION DE LA QUALITÉ 
A. LA DÉMOCRATIE
B. LES NIVEAUX POLITIQUES, LEURS CHOIX ET LEUR RESPONSABILITÉ
i. A l’échelle d’un canton
ii. A l’échelle d’un réseau
iii. A l’échelle d’une IPE
C. LES VALEURS, LA DIVERSITÉ ET LES GROUPES D’INTÉRÊT
D. LE FAIRE SENS
8. TROISIÈME AXE D’ANALYSE : LA MISE EN ŒUVRE D’UNE PHILOSOPHIE ÉDUCATIVE : UN ENJEU STRATÉGIQUE 
A. L’IPE, LIEU DE DÉBAT POUR DIFFÉRENTS PROJETS
B. LA DÉFINITION DES OBJECTIFS ET DES MISSIONS DES IPE
9. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
10. QUELQUES CITATIONS 
11. INDEX DES TERMES ET ABRÉVIATIONS UTILISÉS DANS CE TRAVAIL 
12. BIBLIOGRAPHIE 
13. ANNEXES 

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