Les limites des politiques de production et de répartition des logements sociaux

Une difficile équation entre offre et demande de logement social non favorable à la mixité

Un déséquilibre entre offre et demande source de limites des interventions en faveur du logement

La mixité sociale a longtemps été davantage pensée à travers les politiques d’offre de logements. Derrière cette notion se cachait surtout une volonté de permettre et faciliter l’accès au logement des personnes défavorisées. Or, la production massive de logements souvent inadaptés à la demande et concentrée dans certaines parties du territoire témoigne de la nécessaire combinaison des interventions sur l’offre et la demande pour permettre une mixité sociale effective. Le marché du logement, comme tout marché, trouve son équilibre dans le croisement de l’offre et la demande. La crise du logement qui se manifeste par une demande supérieure à l’offre appelle l’intervention des pouvoirs publics et des opérateurs privés pour corriger les déséquilibres du marché en agissant à la fois sur l’offre et la demande.

La Loi d’Orientation pour la Ville, en accompagnant cet objectif de mixité d’outils opérationnels et de planification tels que le Programme Local de l’Habitat (PLH) et l’obligation de réalisation de logements sociaux offre un cadre, bien qu’inabouti, à la création d’une offre sociale.

En 1998, la loi de lutte contre l’exclusion consacre la mixité sociale comme un objectif de politique publique au même titre que le droit au logement et l’égalité des chances des demandeurs de logement social. Davantage axée sur une politique de demande de logement social et non d’offre, la loi prévoit l’élaboration d’un schéma d’orientation visant à harmoniser les politiques d’offre et de répartition des logements sociaux. La loi SRU consacre véritablement une politique d’offre de logement social contraignante via son illustre article 55 qui rend plus opérationnelle l’obligation de réalisation de logements sociaux pour les communes, de 20 à 25% selon la tension du marché. Fortement contestée en raison des conséquences financières du non respect de l’obligation et de son caractère inadapté selon certains acteurs, l’obligation peut aujourd’hui être modulée à l’échelle du territoire intercommunal par les EPCI ayant un PLH afin d’assurer une meilleure correspondance entre l’offre et la demande.

Néanmoins, la construction de logements ne répond que partiellement à la demande en raison de sa mise en œuvre à plus long terme et des problématiques liées à la disponibilité du foncier tout en limitant l’étalement urbain. L’offre doit par conséquent être également axée sur la réhabilitation des immeubles existants (logements du parc privé, logements vacants) dans les centres attractifs, et dans les quartiers en difficultés où se concentrent les poches de pauvreté. Ces politiques d’offre reposent sur des interventions dont le cadre dépasse la seule politique de l’habitat. Il s’agit de combiner les politiques d’aménagement du territoire : politique de la ville, et planification d’urbanisme. En effet, les tensions du marché du logement ne peuvent être traitées séparément des difficultés liées au parc existant et à la maîtrise du foncier. L’atteinte des objectifs de mixité sociale implique à la fois de proposer une offre neuve adaptée sur l’ensemble du territoire, mais également d’agir sur les espaces où se concentre la misère. En 2003, la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine dite « loi Borloo » crée l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) dont le rôle est de piloter le Programme National pour la Rénovation Urbaine (PNRU) pour s’attaquer aux quartiers en difficultés. Les problématiques sont multiples : insalubrité, obsolescence, ségrégation, déficit d’équipements publics. Le PNRU tente de répondre à ces objectifs par le biais d’interventions dans l’offre de logements, de mobilité résidentielle, de meilleure distribution spatiale pour réduire la concentration des difficultés économiques et sociales. Or, 10 ans plus tard, le président du Comité d’évaluation et de suivi (CES) de l’ANRU, Yazid Sabeg, s’exprime au sujet de la mixité sociale : Il s’agit d’une des limites qui fait obstacle à la réalisation du PNRU. Opter pour la stratégie de l’offre de logement social, celle de la production de logements, sans l’associer à une stratégie d’action efficace sur la demande de logement social, n’est pas pertinent. C’est également là que se trouve la limite de la loi SRU : imposer un quota de logements sociaux ne permet pas à lui seul de créer de la mixité sociale si ces logements sont implantés dans les quartiers excentrés de la commune. Dans le même ordre d’idées, si les politiques de l’ANRU ont veillé à promouvoir l’attractivité résidentielle des quartiers en difficulté, les effets sur les typologies des demandeurs ont été très limités. Il convient toutefois d’analyser plus en profondeur les effets du dispositif PNRU après 10 ans de politique de rénovation urbaine afin d’évaluer l’impact de la transformation urbaine sur la ségrégation. Les opérations de rénovation engagées dans le cadre du PNRU ont permis d’améliorer l’offre en matière d’équipements et de logements, en privilégiant des formes urbaines plus cohérentes avec les objectifs d’urbanisme actuels (îlots denses mais aérés, petits immeubles, etc…). Cependant, la mise en œuvre du PNRU a été limitée à un nombre réduit de quartiers, réduisant de fait ses effets. Si l’on s’en tient à l’objectif de mixité sociale qui nous intéresse, un des effets escomptés de ces politiques de rénovation tenait à l’augmentation de l’attractivité résidentielle de ces espaces, notamment à destination des classes moyennes. En proposant une nouvelle offre de logements diversifiée (meilleure répartition entre les types de logements sociaux : PLAI, PLUS et PLS ; accession libre ou sociale), les acteurs du logement entendaient modifier la morphologie de ces quartiers. Si la construction d’une offre diversifiée de logements a nécessairement engendré une modification du « paysage » des quartiers et de ses habitants, les effets ont été inégaux en fonction des territoires. Il a été constaté qu’une grande partie des accédants aux nouveaux logements (en propriété ou en location) est issue des grands ensembles, souhaitant accéder à une offre plus qualitative de logements tout en se maintenant dans le même quartier. Par conséquent, les impacts de cette restructuration se mesurent davantage en termes de mixité des formes urbaines et d’accroissement de la mobilité que de mixité sociale. Ce constat revient à s’interroger sur la pertinence des politiques de mixité sociale. En effet, cette dernière apparaîtrait davantage comme une conséquence des politiques de restructuration urbaine dont le premier effet serait de rendre des territoires plus attractifs. Il faudrait alors forcer la mixité en attribuant les  logements situés dans les quartiers les plus attractifs aux populations les plus précaires, alors même que le problème ne semble pas être lié au territoire en lui-même, en témoigne la volonté des habitants de se maintenir dans les quartiers où ils ont tissé des liens sociaux. Le sentiment d’appartenance à un territoire n’a pas été anticipé par les politiques d’aménagement. Par ailleurs, les effets très limités du PNRU se manifestent dans l’évolution du taux de pauvreté de ces quartiers. Leurs habitants se sont appauvris, accroissant la ségrégation des quartiers face aux centres urbains. Par ailleurs, cette nouvelle offre de logements n’a pas été accompagnée par un effort de construction de logements sociaux dans un contexte de paupérisation des ménages, accentuant encore davantage les tensions du marché. Ainsi, dans la ville de Chanteloup-Les-Vignes, dans les Yvelines, les populations précaires auraient été remplacées par « des populations encore plus précaires  », alors même que la part de logements sociaux dans la commune serait tombée de 80 à 50%.

En outre, la paupérisation des occupants du parc social et la reconstitution limitée du parc dans ces espaces ont annulé les faibles effets que cette diversification de l’offre a engendré sur la mixité sociale. Une des critiques formulées à l’encontre de ces opérations de rénovation est celle de l’absence totale de concertation avec les habitants, là où le lien social présent entre ces habitants et leur quartier est fort. Néanmoins, une étude a pu démontrer la satisfaction globale des habitants suite à la réhabilitation des logements et à l’amélioration du cadre de vie . La limite à cette satisfaction résulte des difficultés liées à l’accès à l’emploi, sur lequel le PNRU n’a eu que des impacts très limités. Si l’objectif de mixité sociale tend à rendre attractif les quartiers prioritaires de la ville, il doit également permettre aux populations les plus pauvres d’accéder aux quartiers les plus attractifs. Or, une des limites du PNRU tient au fait que l’offre sociale est restée majoritaire dans les quartiers en difficultés, les nouveaux logements étant sensiblement situés aux mêmes endroits.

Dans le cadre du PNRU et aujourd’hui, du Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), une partie de l’offre de logements est reconstituée hors des quartiers prioritaires de la ville. Cet objectif nécessite de mobiliser tout le foncier disponible en dehors de ces quartiers, ce qui présente un certain nombre de difficultés :

● Tout d’abord, et bien que le rôle des intercommunalités soit renforcé comme échelon stratégique dans la mise en œuvre de la politique de l’habitat, les communes bénéficient d’une importante marge de manœuvre de par leur compétence en matière foncière et de planification d’urbanisme. Il s’agit alors de composer avec les réalités territoriales et les orientations politiques et stratégiques des communes sur un territoire plus large que la seule échelle d’une commune ou d’un quartier.

● L’objectif préconisé par l’ANRU dans le cadre du PNRU était la reconstitution d’un logement social pour un logement social détruit. Or, l’ANRU a assoupli ce principe en admettant, sur certains territoires, une reconstitution bien inférieure au nombre de logements détruits, justifiée par l’inadéquation entre l’offre et la demande et le manque de foncier.

Par ailleurs, les territoires dans lesquels s’appliquent le principe du « 1 logement détruit = 1 logement reconstitué » peinent à voir l’offre se reconstituer de manière équilibrée sur l’ensemble du territoire. Ainsi, à Angers, les 688 logements détruits dans le cadre du PNRU ont été reconstitués à 63% sur site, et à seulement 14% dans les autres quartiers de la commune. Les 23% restants ont été localisés dans d’autres communes de l’agglomération. A Chanteloup, dans les Yvelines, les opérations de rénovation ont entraîné une diversification de l’offre mais les logements ont été implantés en bordure des quartiers en difficultés, « repoussant la ghettoïsation juste un peu plus loin . » .

On constate donc que les effets de cette règle du 1 pour 1 sur la répartition spatiale équilibrée du parc social, donc sur la mixité, sont limités en partie en raison de la rareté du foncier dans les centres urbains, bien qu’elle ait indéniablement pour effet positif de recréer du logement en quantité suffisante lorsqu’elle est effectivement appliquée. Cette règle doit être associée à l’obligation de réalisation de logements sociaux prévue initialement par l’article 55 de la loi SRU, et implique donc la responsabilisation de tous les acteurs de l’habitat, et plus globalement de l’aménagement du territoire. Or, la prise en charge de la problématique de la répartition spatiale de l’offre de logement relève autant d’enjeux en termes financiers et fonciers que d’une volonté politique de voir se constituer une offre sociale sur l’ensemble du territoire. En outre, les enjeux économiques liés à la valorisation d’un foncier devenu rare ne coïncident pas toujours avec la vocation sociale qui pourrait être affectée à ce foncier.

Une inégalité d’attractivité des territoires non palliée par ces interventions 

Le manque de foncier disponible dans les quartiers attractifs nécessite la mobilisation du parc privé à des fins sociales. Selon l’Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat (ANAH), sur la période 2007-2015, 117 631 logements auraient fait l’objet d’une signature de convention à loyer maîtrisé dans le parc privé, contre une moyenne de 13,5 millions de locations sur la même période, ce qui représente un taux extrêmement faible. Par ailleurs, le nombre de logements conventionnés n’a cessé de diminuer durant cette période .

Le rapport de la Fondation Abbé Pierre réalisé en novembre 2016 sur la mobilisation du parc privé à des fins sociales souligne le manque d’investissement déployé dans la mobilisation de ce parc. Pour répondre à cet enjeu, la communication de l’existence de ces dispositifs auprès des propriétaires, associations et bailleurs est essentielle. De même, l’État et les collectivités sont des acteurs indispensables à sa mise en œuvre, en permettant par exemple des avantages fiscaux aux propriétaires en difficultés qui signeraient une convention à loyers modérés ou qui auraient recours au dispositif d’intermédiation locative. Associés à ces outils, les dispositifs de lutte contre la vacance des logements par la taxe ou la réquisition peuvent être mis en œuvre pour mobiliser des logements. Toutefois, leur caractère très coercitif perçu comme punitif en fait des dispositifs sous-utilisés par les pouvoirs publics. Pourtant, il est essentiel que la reconstitution de l’offre de logement social dans les centres urbains attractifs s’articule avec les politiques de l’habitat définies par les documents de planification et les outils contractuels existants. Il s’agit de définir une stratégie cohérente dans l’offre et la répartition de logements là où les acteurs sont multiples et poursuivent des objectifs parfois différents.

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Table des matières

Introduction
Partie 1 Les limites des politiques de production et de répartition des logements sociaux comme unique variable d’ajustement au service de la mixité sociale
A. Une difficile équation entre offre et demande de logement social non favorable à la mixité
1. Un déséquilibre entre offre et demande source de limites des interventions en faveur du logement
2. Une inégalité d’attractivité des territoires non palliée par ces interventions
B. Une diversité des acteurs et dispositifs non favorable à une politique cohérente de l’habitat au service de la mixité
1. Un objectif dénaturé par la multiplicité d’acteurs aux objectifs contradictoires
2. Les documents de planification : manifestation des jeux d’acteurs en présence
Partie 2 Un droit à la mixité au détriment d’un droit à l’habitat : une apparente contradiction au cœur des politiques d’attribution des logements
A. Entre complémentarité et contradiction des concepts de Droit au Logement et Mixité sociale
1. Mixité sociale et Droit au logement : un antagonisme accepté ?
2. La mobilité dans le parc social au service des deux objectifs
B. Entre intervention inégale des différents acteurs et multiplicité des intérêts en jeu : une politique d’attribution au détriment du droit au logement et de la mixité
1. Une concurrence légale des critères d’attribution
2.Les acteurs du logement social : un rôle inégal dans l’application des critères
Conclusion générale
Bibliographie

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