Les législations autour de la « sauvegarde de la race » 

Les législations autour de la « sauvegarde de la race » 

Francis Galton et l’Eugenics (1822-1911)

Cet homme de science britannique, explorateur, géographe, météorologiste, passionné de statistiques, fut anobli en 1909. Il n’est cependant pas médecin, bien qu’il ait débuté des études de médecine qu’il a vite abandonné. On lui doit le néologisme d’eugenics et ses travaux vont instaurer une longue tradition eugéniste en Occident.

Les premiers travaux de Galton

A la suite de ses échecs scolaires à Cambridge, Galton a prêté une attention particulière à ce problème : quelle est l’origine des individus les mieux doués ? En 1969, il publie une étude dans laquelle il examine 300 familles d’hommes appartenant à l’élite sociale (juge, homme d’état, scientifiques, artistes, ecclésiastiques, officiers) ainsi que leurs relations de parenté6 . Les comparaisons étaient opérées de façon méthodique et tenaient compte des diverses relations de parenté : père, fils, frère, grand-père, oncle, neveu, petit-fils, arrière-grand-père, grand-oncle… Grâce aux données statistiques, il met en évidence une loi de distribution des capacités dans les familles: plus la parenté est proche, plus la proportion de « génies » est élevée. Galton lui-même était un membre de l’élite anglaise, un grand bourgeois apparenté à Erasme et Darwin. Il lui était assez facile d’admettre l’hérédité du génie.
Il poursuit sur cette voie dans English men of science: their nature and nurture7 où il relève à nouveau que les individus les plus doués sont très fréquemment de proches parents d’individus eux même très doués.
En 1873, Galton fait paraître un article8 sur l’amélioration héréditaire. Il y explique que c’est un devoir primordial pour l’humanité de contribuer volontairement au processus général de la sélection naturelle. Les hommes doivent faire consciemment, méthodiquement et rapidement ce que la nature fait aveuglement et lentement. Soit favoriser la survie des plus aptes et ralentir (ou interrompre) la reproduction des inaptes. Surtout si la classe douée est menacée, c’est un impératif. Les citoyens les plus médiocres, dégénérés héréditaires ainsi que Morel les décrit, peuvent alors être considérés comme des ennemis de l’Etat, comme des êtres méritant d’être impitoyablement traités. Pour Galton, les statistiques ont un rôle fondamental à jouer dans le projet pratique de l’eugénisme. Il fallait se débarrasser de tout « sentimentalisme » et raisonner globalement, sans trop donner d’importance aux injustices susceptibles d’être commises. Galton peut alors enfin, en 1883, formuler la doctrine eugéniste.

L’Eugenics de Galton

Galton a voulu appliquer à l’homme les méthodes pratiquées avec succès par les éleveurs et les horticulteurs : repérer les meilleurs sujets, c’est-à-dire ceux qui manifestent les « qualités » qu’on souhaite développer et fixer, puis les faire se reproduire entre eux. Corrélativement, il faut éliminer les sujets les moins conformes au modèle jugé idéal ; ou, du moins, éviter soigneusement que les sujets sélectionnés ne se reproduisent avec eux. Par ces moyens, on arrive à constituer artificiellement des variétés ou « races » possédant certains caractères bien définis.
Galton invente alors le terme eugenics, à partir du mot grec Εὐγενία (Eugenia), qui signifie « individu de bonne naissance, de noble origine, bien né ». Ce mot va rapidement supplanter tous les autres termes imaginés afin de désigner la notion de modelage par l’homme de sa propre espèce. Galton définit le mot eugenics en 1883 : « Science de l’amélioration de la lignée, qui ne se borne nullement aux questions d’union judicieuse, mais qui, particulièrement dans le cas de l’homme, s’occupe de toutes les influences susceptibles de donner aux races les mieux douées un plus grand nombre de chances de prévaloir sur les races moins bonnes ».9 C’est alors l’étude des facteurs susceptibles d’augmenter ou de diminuer les qualités, soit physiques soit mentales, des futures générations. Son but est de régler les unions humaines, de façon à obtenir le plus grand nombre d’individus aptes à composer la société considérée comme la meilleure.
Galton a élaboré une doctrine systématique visant à améliorer les qualités physiques, mentales et sociales des générations à venir, pour lutter contre la dégénérescence des races blanches, éliminer les indésirables, et consacrer les économies au profit des couples sélectionnés et de leur progéniture.
Dans la langue française, deux termes peuvent être utilisés pour traduire le terme anglais eugenics : eugénisme ou eugénique. « Eugénisme » évoque une doctrine morale, philosophique, qui a pour but une (hypothétique voire utopiste) amélioration de l’espèce humaine, et attire l’attention sur les aspects militants. « Eugénique », plus neutre, est utilisé pour désigner les recherches scientifiques correspondantes et les progrès techniques accomplis dans ce domaine.
L’un des grands thèmes cher à Galton et à sa postérité, est que de nombreux problèmes pratiques (criminalité, désordres sociaux) seraient résolus par un contrôle serré de l’hérédité. Galton reconnaissait explicitement que le milieu jouait un rôle dans le développement des individus et des groupes humains. Mais, il considérait la race comme plus importante que le milieu.
En 1904, Galton expose ses idées devant la Société de sociologie de Londres dans une conférence intitulée : « L’eugénisme, sa définition, ses buts, ses aspirations ». Celle-ci connu un grand succès et fut le point de départ de l’extension mondiale des travaux de Galton. Professeur à l’université de Londres, il va disposer d’un laboratoire de génétique en 1904 et fonde la Société anglaise d’eugénique en 1908 ainsi qu’ Eugenics Review en 1909.

L’eugénisme, une science ?

Pour Galton, l’eugénisme mérite le terme de « science ». Cette désignation, dans un milieu porté à valoriser tout ce qui était « scientifique », lui donne un certain prestige. L’eugénisme a en effet une approche scientifique par l’utilisation de résultats émanant de l’hérédité, de la démographie, de la psychologie ou de l’anthropologie, et l’emploi des statistiques. Mais l’eugénisme est avant tout social et politique. Le projet fondamental était de réorganiser la société anglaise en utilisant une sélection artificielle pour remplacer une sélection naturelle inefficace. Il faut préserver les élites nationales à tout prix. Galton, en effet, a peur de les voir disparaître au profit des pauvres dont le nombre augmente de génération en génération. L’eugénisme est alors la réponse d’une société apeurée face à l’angoisse du déclin et de la dégénérescence, une sorte de stratégie défensive. Pour atteindre ce but, des recherches scientifiques apparaissaient nécessaires et grâce à elles, les eugénistes auraient les moyens de transformer efficacement la société.
Galton et d’autres scientifiques de sa lignée, ont fait progresser certains thèmes de recherche originaux car ils désiraient confirmer scientifiquement les pré-supposés de leur doctrine. Ils se sont intéressés à la génétique, aux enquêtes statistiques et la pensée eugénique faisait souvent partie intégrante de leurs conceptions et méthodes.

La Pensée Galtonienne et la théorie Darwinienne de la sélection naturelle

Galton est le cousin du grand naturaliste Charles Darwin. Il était un adepte de la théorie Darwinienne de la sélection naturelle, énoncée en 1859 dans le livre : L’origine des espèces10. Celle-ci postule que les individus porteurs de variations avantageuses, dans des conditions environnementales données, survivent, car ils sont plus aptes. On note une affinité très remarquable entre la pensée Darwinienne et la pensée Galtonienne en appliquant cette théorie à la société humaine. La plupart des grands apôtres eugénistes sont des darwiniens convaincus.
Dans quelle mesure la théorie Darwinienne de l’évolution a-t-elle pu contribuer à la naissance des idées de Galton ? Il semble que Darwin n’avait ni prévu ni voulu l’eugénisme doctrinal inventé par son cousin, mais il aurait émis plusieurs idées qui ont contribué à le rendre possible voire inévitable. En effet, les œuvres du grand naturaliste contiennent toutes les prémices fondamentales du raisonnement eugéniste. De plus, Darwin a repris à son compte des opinions de Galton relatives à l’hérédité des « qualités » et des effets sociaux de la sélection. Dans son livre de 1871 L’ascendance de l’homme11, il cite plusieurs fois des idées émises par son cousin en 1869 dans Le génie héréditaire12. La théorie de l’évolution par sélection naturelle, fondée sur une analogie avec la sélection artificielle pratiquée par des éleveurs, était évidemment applicable au cas de l’espèce humaine. Darwin, lorsqu’il évoque les origines de l’homme, aborde certaines questions : La sélection a t’elle des effets sur le développement de l’individu ? La préservation d’individus débiles peut elle contribuer à la dégénérescence de certaines populations ? Les réponses fournies sont positives. Faisant la distinction entre les sauvages et les hommes civilisés, Darwin explique : « Chez les sauvages, les individus faibles de corps et d’esprit sont promptement éliminés. Aussi, les survivants se font ils ordinairement remarquer par leur vigoureux état de santé. Tandis que chez les hommes civilisés, tous les efforts sont faits pour arrêter la marche de l’élimination : nous construisons des hôpitaux pour les idiots, les infirmes et les malades ; nous faisons des lois pour venir en aide aux indigents. Les membres débiles des sociétés civilisées peuvent donc se reproduire indéfiniment. Or, quiconque s’est occupé de la reproduction des animaux domestiques sait, à n’en pas douter, combien cette perpétuation des êtres débiles doit être nuisible à la race humaine (…) A l’exception de l’homme lui-même, personne n’est assez ignorant ou assez maladroit pour permettre aux animaux débiles de se reproduire. »13
A partir de telles constatations, le système eugéniste peut facilement se dessiner. Les eugénistes ont prolongé le raisonnement et abouti à cette conclusion : il faut rétablir une forme de sélection biologique afin d’éviter la dégénérescence de l’espèce.
La conséquence logique de ces affirmations est qu’un moyen particulièrement efficace d’assurer la conservation de la race consiste à ralentir la propagation des êtres débiles. Cependant, Darwin estimait qu’il fallait faire preuve de compassion et de sympathie : « Nous ne saurions restreindre notre sympathie, (…) sans porter préjudice à la plus noble partie de notre nature (…) Nous devons donc subir sans nous plaindre les effets incontestablement mauvais qui résultent de la persistance et de la propagation des êtres débiles. »14Le fameux
 » Laisser-faire » Darwinien. Certains experts pourvus d’une âme moins sensible, se demanderaient pourquoi accepter ces effets mauvais alors que des interventions sont possibles.
Il faut alors préciser une différence majeure entre le Darwinisme social et l’eugénisme : les partisans du premier sont des libéraux qui prônent le laisser faire, la compétition est bonne et, grâce à la lutte pour la vie, la survie des meilleurs sera assurée. Il suffit donc de ne pas entraver les processus sélectifs spontanés. L’eugénisme lui, est technocratique et autoritaire.
Le but est de mettre en place un système capable de produire scientifiquement les bons individus et les bons gènes dont la nation a besoin.

 Une notion élastique : la race

Chez Galton, cette notion est polyvalente : tout d’abord, elle renvoie à l’idée courante de la « race » : les blancs, les noirs, les jaunes… Mais Galton l’utilise aussi de façon beaucoup plus souple : une race est aussi constituée par toute population homogène qui perpétue héréditairement certaines caractéristiques. Par exemple, Galton parle souvent d’une « race anglaise » propre à la Grande Bretagne. Statistiquement, les populations concernées lui paraissent relativement homogènes et caractérisables par certains traits physiques, intellectuels ou moraux. Les critères d’une bonne race sont assez flous mais semblent inclure : intelligence, énergie, force physique et santé. Galton utilise aussi parfois le mot race comme synonyme de caste, qui est une classe sociale héréditaire. La préservation et l’amélioration de la race peuvent donc être comprises de plusieurs manières.

L’hérédité selon Mendel

On peut s’étonner que le courant eugéniste, au moment de sa naissance, soit basé sur des croyances concernant l’hérédité alors que les connaissances en matière de génétique étaient balbutiantes. En effet, les travaux de Mendel n’avaient pas encore été re-découvert ; ils resteront méconnus jusqu’en 1900. Avant cela, la connaissance des lois de l’hérédité ne repose alors que sur l’expérience des agriculteurs dans la sélection de leurs variétés animales et végétales. Galton, souhaitant confirmer ses théories eugénistes par la découverte des lois de l’hérédité, qui seules pourraient lui permettre de donner une base scientifique à son projet d’amélioration de l’espèce, adopte une méthode statistique, inédite à l’époque dans le domaine de la biologie, en s’appuyant sur la loi normale gaussienne. Selon lui, il y a continuité de la lignée germinale et corrélativement, il n’y a pas d’hérédité des caractères acquis. Puisque les caractères acquis ne se transmettent pas, l’amélioration de la race n’est possible que par une sélection systématique des individus.
L’essor de la génétique Mendélienne au début du 20ème siècle entraîne un renouveau du mouvement eugéniste car les généticiens sont pour la plupart des eugénistes convaincus. Leurs recherches vont être imprégnées de ce souci d’améliorer l’homme. Les élèves de Galton vont chercher à établir dans tout ce qui peut être appréhendé comme signe de dégénérescence, les indices du facteur héréditaire. Le but est de détecter et d’éliminer ce qui peut apparaître comme un élément susceptible d’amoindrir les capacités de l’espèce, de la race, de la nation. Les traits psychologiques, intellectuels et sociaux peuvent alors être réduits à des caractères récessifs ou dominants à la lumière des lois de Mendel. La folie devient transmissible génétiquement et fait courir un risque sur la descendance.

Congrès et Sociétés savantes

Au début du 20ème siècle, il existe partout dans le monde des sociétés d’eugénique comme l’American Eugenics Society ou l’Eugenics Record Office qui publient des revues où se mêlent des articles scientifiques sur les recherches en génétique et propagande eugénique pure.
Face à la volonté de ces différentes sociétés de fédérer mondialement le mouvement eugéniste, est organisé en 1912 le premier Congrès international eugénique. Il a lieu à Londres, sous le patronage de Churchill et de l’université d’Harvard. La présidence va au major Leonard Darwin, fils du grand naturaliste Charles Darwin. Francis Galton est décédé l’année précédente.
Logo du Congrès de New-York en 1922
Les pays anglo-saxons sont très largement représentés, mais aussi les pays européens, le Japon et l’Amérique latine. La France envoie à Londres une délégation importante et fonde six mois plus tard la Société française d’eugénisme, à Paris. Elle est donc créée le 22 décembre 1912 et disparaitra en juin 1940, faute de militants et de perspectives socio-politiques.
Le second Congrès international eugénique a lieu à New York en 1921, il rassemble plus de 300 délégations venant de tous les continents. Georges Vacher de Lapouge en est le co-président et initiera le courant eugéniste en France. Le troisième et dernier Congrès a lieu également à New-York en 1932.
Bien avant l’Allemagne, les Etats-Unis furent le premier pays à mettre en place des législations eugéniques que nous allons voir ci-dessous.

L’eugénisme aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, l’eugénisme rencontre un franc succès ; la doctrine, en plus de l’amélioration de l’espèce, promet de trouver des solutions biomédicales aux problèmes sociaux et économiques. La société américaine d’eugénisme, présente dans vingt-huit Etats, compte parmi ses membres des universitaires distingués, des prix Nobel et des juristes éminents. L’eugénisme prospère alors à visage découvert, à la fois sur le plan scientifique et dans le domaine législatif comme nous allons le voir à travers les lois de stérilisation ou les lois d’immigration.

Les lois de stérilisation

L’Etat de l’Indiana pratique dès 1899 des stérilisations sur des criminels volontaires et sur des arriérés mentaux. Ce même Etat vote en 1907 une loi prévoyant la stérilisation des dégénérés héréditaires. En 1911, la stérilisation est désormais possible dans six états. En 1914, trente états promulguent des textes annulant le mariage de ceux qu’on classe en termes d’idiots, arriérés et malades mentaux. En 1920, vingt-quatre états disposent de lois de stérilisation pour les « idiots, dégénérés, épileptiques, déments précoces, alcooliques et toxicomanes ». L’eugénisme américain gagne également une dimension économique avec la crise de 1929, durant laquelle les politiques de stérilisations sont présentées comme un moyen de réduire les fonds publics alloués à l’aide sociale et aux soins des handicapés. En 1950, cinq ans après la seconde guerre mondiale, trente-huit états américains possèdent une législation en faveur de la stérilisation obligatoire des fous, faibles d’esprit, épileptiques et parfois les délinquants sexuels.L’application de ces lois fut variable selon les états. Elles furent surtout appliquées dans les asiles financés par les fonds publics et ont surtout touché les jeunes femmes noires issues de milieux défavorisés et les minorités ethniques.
Cette pratique est interrompue en 1972. Actuellement dix-neuf états ont toujours cette législation dans leurs textes mais celle-ci n’est plus appliquée.

Les restrictions de l’immigration

Le courant eugéniste américain vise également les immigrants, particulièrement ceux venant d’Europe de l’Est et du Sud. Ils sont vus comme appartenant à une race inférieure à celle des anglo-saxons, et des mesures doivent être prises pour restreindre l’immigration et préserver la « pureté du sang américain ».On doit alors citer Charles Davenport (1866-1944), grand nom de l’eugénisme dans ce domaine, président de la fédération internationale des organisations eugénistes, qui dirige alors depuis 1904 le Département de génétique du Carnegie Institute de Washington et, depuis 1910, l’Eugenics Record Office de Cold Spring harbor. Il adopte des positions radicales en estimant que l’état de pauvreté affectant certains individus relève d’une infériorité mentale. Il attribue aux italiens une tendance au crime, aux allemands au vol… Cette importation de sang nouveau ne pouvait que diminuer la nation américaine, la rendant « plus sombre de peau, plus petite de stature, plus instable de caractère… plus portée à transgresser la loi par le vol, la prise d’otage, l’agression, le meurtre, le viol et la délinquance sexuelle. »Parallèlement se met en place une véritable propagande destinée à recueillir l’adhésion du public aux idées eugénistes : concours de sermon eugénistes, présentation au cours de conférences ou d’expositions d’arbres généalogiques de familles dégénérées, enseignement dans les universités, concours des meilleures familles dans des foires…A Ellis Island, le centre médical d’immigration, les immigrants sont étudiés et on leur fait passer des tests d’intelligence importés de France. Inévitablement, ils sont majoritairement reconnus comme faibles d’esprit et il faut donc en limiter le nombre. Ceci aboutit à L’Immigration Restriction Act de 1924 promulgué par le président Calvin Coolidge. Abrogé en 1965, cette loi permet aux Etats-Unis de mettre en place un filtrage systématique des immigrants. Il abaissait les quotas antérieurement fixés à l’encontre des pays considérés comme de souche inférieure.
La place dominante qu’occupe alors l’hérédité, comme cause quasi unique du malaise social, rend compte en partie de la détermination affichée par les Etats-Unis vers les formes actives d’eugénisme.
Le mouvement eugéniste gagne ensuite petit à petit l’Europe. Les pays scandinaves furent les premiers à voter des lois de stérilisation envers les épileptiques, les retardés mentaux, les criminels sexuels, les malformés… (en 1929 au Danemark, en 1934 en Norvège et en 1935 en Suède et Finlande). Parallèlement, ces pays mettent en place l’interdiction du mariage pour les malades mentaux, épileptiques et porteurs de maladie vénériennes entre 1915 et 1930. L’avortement eugénique est également autorisé en Suède et au Danemark en 1938. Les lois de stérilisation furent abrogées tardivement, d’abord au Danemark (1967) et en Finlande (1970), puis en Suède (1976) et en Norvège (1977).Nous allons évoquer maintenant brièvement un autre homme qui reprit la théorie de la dégénérescence de Morel pour l’appliquer plus spécifiquement aux comportements criminels.

Cesaro Lombroso et le « criminel-né » (1836-1909).

Ce professeur italien de médecine légale est l’un des fondateurs de l’école italienne de criminologie. Ses théories étaient fortement marquées par celle de la dégénérescence, le racialisme et le transformisme : il considérait ainsi que l’humanité avait évolué en partant des « noirs » vers les « jaunes » et enfin les « blancs ».En 1878, il publie L’Homme criminel (L’Uomo delinquente), basé sur des études phrénologiques et physiognomiques, et dans lequel il expose ses travaux autour du « criminel-né ». Il y est élaboré une théorie selon laquelle la délinquance serait nettement plus fréquente chez certaines personnes porteuses de certaines caractéristiques physiques, ce qui serait en faveur du caractère inné de certains comportements. L’auteur se base sur des observations anthropométriques de crânes de soldats délinquants, qu’il a pu étudier en tant que médecin militaire, et sur des crânes d’assassins guillotinés. Sur 35 de ces derniers, la fréquence de certaines caractéristiques, lui permet d’en déduire que la criminalité innée concerne 1/3 de la population criminelle.Lombroso impose l’idée que la cause de la délinquance se trouve dans des anomalies corporelles ou mentales. Les criminels constituent alors une classe héréditaire qu’on pourrait distinguer par l’apparence physique. La conviction d’avoir résolu le « problème de nature du criminel », l’amène à décrire celui-ci comme un « être atavistique reproduisant dans sa nature les féroces instincts de l’humanité primitive et des animaux inférieurs ». La description du criminel-né ne manque pas de pittoresque : mâchoires énormes, hautes pommettes, arcades sourcilières proéminentes, oreilles « en forme d’anse » semblables à celles des « sauvages » et des singes, longueur « excessive » des bras, insensibilité à la douleur, amour des orgies, désir de tuer et boire le sang de la victime.Cette théorie héréditaire du « criminel-né », évolutionniste, expliquant le comportement criminel comme une régression biologique s’oppose aux conceptions sociologiques où les déviances seraient conséquences du milieu. Si les thèses de Lombroso font aujourd’hui sourire, il aura eu le mérite de déplacer l’objet d’étude du crime au criminel et à sa personnalité, présageant des disciplines telles que le profilage criminel.Plus récemment, on retrouve une théorie autour d’un chromosome supplémentaire considéré un temps comme possiblement « chromosome criminel » qui illustre très concrètement le processus qui mène de la biologie à la tentation eugéniste. Le syndrome XYY est une anomalie chromosomique de type aneuploïdie, caractérisée par la présence anormale d’un deuxième chromosome Y. En 1965, un article de Patricia Jacobs envisage l’existence d’une relation significative entre le comportement agressif et la présence de ce chromosome mâle surnuméraire16. Ces travaux sont basés sur une enquête dans une institution carcérale Ecossaise, auprès de 197 hommes mentalement inférieurs à la norme et ayant des tendances dangereuses, violentes ou criminelles. 8 sont porteurs du syndrome XYY. La fréquence du fameux chromosome est alors de 3.5%, alors qu’elle est de 0.1% dans la population générale. D’autres articles qui paraissent les années suivantes qui confortent les suspicions d’agressivité, de déviance, de criminalité et de comportement antisocial liés à la présence du chromosome Y17. Cette théorie prospère dans les années 1960 et 1970, puis est réfutée par d’autres études qui ne montrent finalement pas de lien entre l’agressivité et le syndrome XYY. Les résultats de Jacobs sont alors à mettre en lien avec les déficiences mentales présentées par les patients. Malgré tout, cette notion se retrouve dans plusieurs œuvres multimédias. On peut citer la série littéraire de Kenneth Royce (1920 – 1997) The XYY Man qui met en scène un homme dont le caryotype est XYY ; cet anti-héros, William Scott, cambrioleur de très haut niveau, dont le chromosome supplémentaire est pointé du doigt comme étant responsable de sa carrière. Egalement, dans le film Alien³ (1992), la protagoniste atterrit sur une planète prison peuplée de criminels au caryotype XYY, avec le sous-entendu qu’ils sont plus enclins aux crimes et viols.

Edouard Toulouse et l’hygiénisme en Psychiatrie

Le contexte de la naissance de l’hygiénisme

L’hygiénisme apparaît à la fin du 19ème siècle, période marquée par l’apparition de nouvelles menaces collectives, d’autant plus inquiétantes pour le monde politique et médical qu’elles sont susceptibles d’atteindre sans discrimination l’ensemble du corps social et de se transmettre aux générations futures : la syphilis, la tuberculose, l’alcoolisme, la criminalité, la mortalité infantile et la maladie mentale. La notion de dégénérescence de Morel, dans laquelle s’intègrent ces fléaux, est unanimement validée avec sa transmission héréditaire.
Autour de ces menaces s’organise le débat médical hygiéniste dont la doctrine affirme l’idée d’une régénération des lignées défectueuses grâce à une pratique sociale et collective de prévention. La conservation de la vie et de la santé des populations est au premier plan. L’action philanthropique au sein de laquelle l’hygiénisme a pris corps, rencontre la volonté politique de fédérer l’ensemble des sociétés, œuvres ou ligues agissant dans le cadre de la lutte contre les fléaux sociaux. Ainsi, la Société de médecine publique, fondée en 1877, se base sur l’idée qu’un homme sain est meilleur.
La médicalisation de la société est intimement liée au développement des lois sur la protection sociale et la règlementation du travail, ainsi que du souci de préserver la petite enfance. On assiste au développement de la puériculture et de l’obstétrique, le mouvement insiste sur l’éducation des jeunes filles et des mères. On lutte aussi contre l’avortement, de crainte d’une dépopulation. On se trouve face à un nouveau modèle, caractérisé par l’intervention de l’état dans le domaine de l’assistance publique, de la santé et de la législation sociale.Le mouvement hygiéniste atteint son plein développement après la première guerre mondiale, dans un contexte de dénatalité et une démographie en baisse face à l’Allemagne, un climat économique défavorable et une période de peur et de haine sociale. La première guerre mondiale a détruit la meilleur part de la population, il y a une nécessité « nationale » de récupérer les malades curables afin de restaurer le capital humain indispensable aux besoins de la collectivité et à la régénération des lignées défaillantes. Le thème de la menace pesant sur la race est alors très présent, exacerbé par l’idéologie nationaliste, et renforce un profond sentiment d’insécurité.

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Table des matières

Introduction 
Histoire de l’eugénisme en psychiatrie 
I. Benedict Augustin Morel et la théorie de la dégénérescence 
I-A : La notion fondamentale de dégénérescence
I-B : La dégénérescence appliquée à la maladie mentale
II. Francis Galton et l’Eugénics
II-A : Les premiers travaux de Galton
II-B : L’Eugénics de Galton
II-C : L’eugénisme, une science ?
II-D : La pensée Galtonienne et la théorie Darwinienne de la sélection naturelle
II-E : Une notion élastique : la race
II-F : L’hérédité selon Mendel
II-G : Congrès et sociétés savantes
II-H : L’eugénisme aux Etats-Unis
III. Cesare Lombroso et le « criminel-né » 
IV. Edouard Toulouse et l’hygiénisme en Psychiatrie 
IV-A : Le contexte de la naissance de l’hygiénisme (p.24) IV-B : Rencontre entre l’hygiénisme et l’eugénisme (p.24) IV-C : Le mouvement d’hygiène mentale (p.26) IV-D : Les travaux de Toulouse
V. Alexis Carrel et les « établissements euthanasiques » 
La psychiatrie allemande sous le IIIème Reich
I. La psychiatrie allemande avant 1933 
I-A : Les psychiatres allemands et l’hygiène raciale
I-A.1 : Les auteurs allemands et la question de la place des malades mentaux dans la société
I-A.2 : L’hygiène raciale : naissance, idéologie et disciples
I-B : L’organisation asilaire bavaroise avant 1933
II. L’arrivée au pouvoir du parti nazi et les bouleversements induits dans le milieu médical et psychiatrique
II-A : Contexte socio-économique lors de l’élection de 1933
II-A.1 : L’hygiène raciale : une caution scientifique pour le régime Hitlérien
II-A.2 : Mise au pas du corps médical
II-B : Propagande sur les « sous hommes », destinée à la population
III. Les législations autour de la « sauvegarde de la race » 
III-A : Loi sur la prévention de la transmission des maladies héréditaires
III-A.1 : Application au plan national
III-A.2 : Application en Bavière
III-B : Loi pour la protection du sang et de l’honneur allemand
III-C : Loi de santé matrimoniale
IV. Les programmes dits d’Euthanasie 
IV-A : L’ »Euthanasie » des enfants déficients
IV-A.1 : Le dossier K
IV-A.2 : Organisation nationale du programme
IV-A.3 : Mise en oeuvre au sein des asiles Bavarois
IV-B : « L’Aktion T4 »
IV-B.1 : Un décret « discret »
IV-B.2 : Organisation de l’Action T4
IV-B.3 : Opposition au programme
IV-B.4 : Suspension de T4 et « euthanasie sauvage »
IV-B.5 : L’Action T4 en Bavière
IV-B.5.a : Deux personnages emblématiques
IV-B.5.b : L’Action T4 au sein des asiles publics Bavarois
IV-B.5.c : L’Action T4 et les asiles de soins privés Bavarois
IV-B.5.d : La fermeture d’asiles
IV-C : Autres actions
IV-C.1 : L’opération 14f13
IV-C.2 : L’action Brandt
IV-C.3 : Actions à l’encontre des patients issus du système judiciaire
IV-C.4 : Actions à l’encontre des patients issus du service du travail obligatoire
V. La privation de nourriture ou Hungerkost 
V-A : L’alimentation dans les asiles
V-B : Kaufbeuren : asile pionnier dans l’application du Hungerkost
V-C : Les objectifs du Hungerkost
V-D : L’application du Hungerkost en Bavière
VI. La thérapie dans les asiles et les expérimentations sur les malades 
VI-A : La thérapie dans les asiles
VI-B : Expérimentations médicales en neuro-psychiatrie
VII. L’après-guerre
VII-A : Les psychiatres lors du procès de Nuremberg
VII-B : L’après-guerre en Bavière
VII-C : Perception des événements jusqu’à aujourd’hui
Enjeux actuels : entre éthique, politique, médecine et société 
I. Peut-on encore parler d’eugénisme actuellement ? 
II. Eugénisme, procréation médicalement assistée et handicaps 
II-A : Eugénisme et diagnostic anténatal
II-B : Place du handicap dans notre société et mesures de « prévention »
II-B.1 : Le dépistage de la trisomie 21
II-B.2 : La confiance totale dans le génome
II-B.3 : Le droit de « naître normal »
III. Contrôle des naissances chez les personnes handicapées mentales 
III-A : La contraception
III-A.1 : L’absence de données sur le sujet
III-A.2 : La demande de contraception
III-A.3 : L’avis du CCNE
III-A.4 : Les recommandations actuelles
III-B : La stérilisation
III-B.1 : La stérilisation dans la population générale
III-B.2.a : A l’échelle mondiale
III-B.2.b : Les modalités en France
III-B.2 : La stérilisation des personnes handicapées mentales
III-B.2.a : La position du CCNE
III-B.2.b : La position du législateur
III-B.2.c : Réflexions autour de la législation
III-B.2.d : Place du psychiatre face à cette problématique
Conclusion 
Annexe

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