Les inégalités sensorielles d’accès aux technologies numériques : perspectives sur les obstacles à l’accessibilité numériques des personnes aveugles

Pour décrire les mutations dont les technologies numériques sont à l’origine dans nos sociétés, certains mots sont utilisés de façon récurrente : dématérialisation, virtuel, digital, etc. Ces mots peuvent faire penser que les technologies numériques détachent leurs utilisateurs du monde physique et des contraintes corporelles, en créant un espace distinct et dénué de substance. Pourtant, il est impossible de détacher les usages numériques de la corporéité, tant les technologies occupent une place grandissante dans notre intimité.

C’est dans cette perspective que parler de sensorialité pour décrire les usages numériques est essentiel : le fait que l’écran soit la forme la plus courante d’interface montre à quel point nous sommes imprégnés du paradigme visuel dominant. C’est justement le fait de ne pas penser à ce caractère sensoriel des technologies dans le cadre de leur conception qui provoque l’exclusion de publics en situation de déficience sensorielle. L’idée d’un paradigme sensoriel dominant n’est pas propre au domaine des technologies, comme il est possible de le constater par une observation rapide de l’espace social. Pourtant, cette dominante sensorielle peut être renforcée par le fait que les pratiques numériques sont médiées par une interface.

Il semble cependant que ce paradigme ne soit pas immuable dans la mesure où les innovations technologiques traduisent des efforts réalisés pour rendre les interfaces transparents, diversifier les modalités d’interaction homme-machine pour arriver à des outils conversationnels .

Le constat de l’incompétence numérique des personnes atteintes de handicaps sensoriels, construite dans le contexte du paradigme technologique du visuel

Le développement des technologies numériques a donné lieu à la construction de nombreux discours à propos de la fonction qu’elles joueraient pour les humains : un de ces discours consiste à dire qu’elles augmentent les capacités humaines, qu’elles offrent une plus grande capacité d’action. On peut donc parler de « technologies capacitantes » ou enabling technologies . Dans le cas des personnes aveugles, ce discours est renforcé par le fait que leur accès à l’information ne nécessite plus un passage par le braille. Le rapport ministériel Descargues établi en 2000, souligne le fait que « la numérisation de l’information qui est à la base de l’informatique a pour la première fois permis aux personnes aveugles et malvoyantes, un accès immédiat, direct sans aucun traitement préalable, à l’information écrite.» Ce discours laisse à penser que les technologies numériques donneront aux personnes aveugles une possibilité d’agir et de s’informer sans précédent.

De nombreuses données montrent que les technologies numériques sont maintenant associées à un grand nombre d’activités humaines, comme cela a été montré en introduction. Au-delà d’investir le champ de nos interactions sociales, de notre pratique professionnelle ou de nos divertissements, les technologies numériques sont présentes dans notre sphère intime, dans notre foyer. Le smartphone notamment accompagne ses utilisateurs les plus assidus dans tous les moments de leurs quotidiens : au réveil, dans les transports, au travail, etc. Cette relation à l’intimité est possible car les interfaces avec lesquels nous interagissons au quotidien nécessitent de la proximité, du contact visuel ou tactile pour fonctionner. Et c’est justement cette proximité dans tous les instants de la vie qui fait que la fonction capacitante des technologies est si puissante : il est possible à tout instant de solliciter les ressources technologiques à notre portée immédiate.

Or, cette vertu capacitante immédiate n’est possible que si le contact aux interfaces numériques est à la portée de l’utilisateur. Cela signifie qu’un certain nombre de personnes ne sont pas mesure d’en bénéficier car il leur est impossible de réaliser les interactions nécessaires pour avoir un usage simple et quotidien des technologies numériques, telles qu’elles existent. Dans le cas des personnes aveugles, force est de reconnaître que la présence d’un écran comme interface de la plupart du matériel technologique les exclut d’office de la conception commune des usages numériques quotidien. C’est seulement à la condition d’être équipé en lecteur d’écran ou autres technologies adaptées qu’ils parviennent à utiliser un smartphone ou un ordinateur.

Cependant, même la possibilité de passer par des technologies adaptées ne permet pas de penser que les technologies numériques en l’état actuel sont adaptées à la pratique des personnes aveugles. L’action simple de visiter un site web présente de nombreux obstacles pour les personnes aveugles. Dans un article paru sur Rue 89 , un internaute aveugle répond aux questions qui lui sont posées sur la façon dont il arrivait à accéder au web, et sur ses difficultés, il souligne les nombreuses entraves qu’il rencontre. Un de ses principaux constats est que tous les contenus non textuels d’une page web sont autant d’obstacles potentiels pour lui d’accéder à son contenu avec son logiciel de lecture d’écran. Les images, les GIFs, les vidéos, les boutons, les publicités ne lui sont pas accessibles dans la plupart des cas, sauf si le développeur du site a pris le temps de décrire ces contenus à l’usage des personnes aveugles. Mais d’autres problèmes se posent : des fautes d’orthographe, des mots en langue étrangère ou une erreur dans le titrage d’un article peuvent provoquer de la confusion pour un utilisateur qui passe par un lecteur d’écran. Et c’est sans compter les fenêtre pop-ups, les publicités en « pré-roll », voire même les formulaires de consentements à l’utilisation des données qui peuvent tout simplement empêcher l’accès à une page web pour un utilisateur aveugle si elles ne sont pas adaptées. De grosses difficultés se posent aussi face à des sites Internet très visuels, comportant très peu de textes mais beaucoup d’animations, créant une surcharge pour les logiciels de lecture d’écran qui ne parviennent pas à les lire : ils sont donc complètement hors de portée des internautes aveugles. De telles difficultés se présentent aussi à l’utilisation d’applications mobiles ou de logiciels.

Il s’agit donc de constater que malgré le potentiel que représentent les technologies numériques pour les personnes aveugles, leurs usages sont souvent complexifiés voire empêchés. Il serait simple de dire que les technologies numériques ne sont pas compatibles avec le fait d’être aveugle et de regretter qu’elles soient presque inaccessibles à une minorité en raison d’un handicap, sans se poser plus de questions. Ce schéma de pensée revient à considérer le handicap comme une caractéristique essentielle d’une personne, et d’en faire la cause de ses difficultés. Pourtant, d’autres discours émergent et permettent de penser que les difficultés d’accès aux technologies numériques des personnes aveugles, mais aussi celles d’autres personnes en situation de déficience sensorielle ou d’autres types de handicap, ne résident pas dans une incapacité insurmontable à utiliser les technologies numériques, mais dans la construction de leur incompétence numérique.

En 2004, le texte Configuring the users as everybody : Gender and Design Cultures in Information and Communication Technologies explore le sujet des méthodes de  conception des technologies numériques sous l’angle féministe. Il montre que les technologies sont nécessairement plus adaptées aux usages de certains groupes d’utilisateurs. Pour élaborer de ce raisonnement, les chercheuses montrent que les acteurs qui participent au processus de conception des technologies, envisagent un utilisateur type, pensent ses préférences, ses besoins et ses compétences, et incorporent cette vision tout au long de la conception technique de l’outil produit. Ce qu’elles soulignent est que cette vision de l’utilisateur-type n’est pas neutre. Les concepteurs tendent à projeter inconsciemment sur cette figure-type leurs propres compétences et préférences, en les considérant comme représentatives, construisant une représentation d’utilisateur leur ressemblant. Ce biais s’observe même dans le cas où des études marketing, des sondages ou des tests utilisateurs sont réalisés, car les choix de conception restent empreints de ces représentations. En effet, il est très difficile de se représenter la diversité des compétences, des préférences et des attentes d’un public d’utilisateurs, et de faire des choix de conception en conséquences. Pour illustrer ce biais, cet article s’appuie sur l’étude du processus de conceptions de deux outils, dont un dans le cadre public, portant sur des projets de villes virtuelles. Dans les deux cas, elles observent que, malgré des objectifs de conception inclusive, les choix de conception sont menés par les préférences des concepteurs, comme le fait de pouvoir apprendre à se servir de l’outil par un système d’erreurs ou de réussite.

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Table des matières

INTRODUCTION
Partie 1 : Les inégalités sensorielles d’accès aux technologies numériques : perspectives sur les obstacles à l’accessibilité numériques des personnes aveugles
A – Le constat de l’incompétence numérique des personnes atteintes de handicaps
sensoriels, construite dans le contexte du paradigme technologique du visuel.
B – Le prisme de l’accessibilité pour compenser les inégalités sensorielles, une réponse
insuffisante
C – Les évolutions technologiques bouleversent l’ordre du paradigme sensoriel dominant
et font émerger la possibilité d’une accessibilité « par accident ».
Partie 2 : Les usages numériques des personnes aveugles : de la compensation vers la désintermédiation
A – La recomposition de la compétence numérique des personnes aveugles grâce aux
technologies sonores et vocales.
B – Une évaluation des gains apportés par l’usage des technologies sonifiées.
C – La persistance des difficultés d’usage des outils numériques pour les personnes
aveugles malgré la désintermédiation.
Partie 3 : Les personnes aveugles sont-elles devenues des utilisateurs comme les autres ? Les limites d’une accessibilité « par accident ».
A – Penser l’utilisabilité des technologies sonores et vocales par les personnes
aveugles.
B – Des usages inégalement distribués parmi les personnes aveugles : un renforcement
du digital divide ?
C – L’émergence de nouvelles problématiques numériques : des conséquences subies
par les personnes aveugles dans l’usage des technologies sonifiées
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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