Les immigrés africains face au marché du logement en France

« Le territoire s’est imposé ces dernières années comme le révélateur des nouvelles inégalités. Il leur a donné un langage pour ainsi dire physique : celui des quartiers et des “cités ”où se matérialise brutalement ce que la statistique peine parfois à décrire. Un langage plus complet aussi, car la ségrégation urbaine articule et concentre presque toutes les formes d’inégalités. […] En cloîtrant le présent dans des territoires, c’est aussi l’avenir que l’on enferme ou que l’on sécurise » (Maurin (2004) : pp. 1 et 8).

Si les grandes vagues de migrations des années 1960 et 1970 ont initié la transition de la société française vers une société multiculturelle, cette transition n’est toujours pas achevée cinq décennies plus tard. Enjeu politique majeur, l’intégration sociale des immigrés et descendants d’immigrés, notamment d’origine africaine, passe par leur intégration spatiale et le rôle joué par le marché du logement est à cet égard essentiel. Désormais, la question centrale n’est plus tant celle de l’accès de cette population à des conditions de logement respectueuses de la dignité humaine, que celle de son accès à l’espace urbain et à l’ensemble des opportunités qu’il représente : paradoxe résumé par Blanc-Chaléard (2006), « c’est au moment où il connaît une amélioration inédite que le logement des immigrés devient un problème de société ». Etudiant conjointement le marché du logement privé et celui du logement social, le présent travail vise à évaluer à quel point les immigrés africains y sont traités différemment des autres consommateurs, à décrire les mécanismes au travers desquels cette inégalité de traitement se manifeste et à documenter ses conséquences sur la localisation, la mobilité résidentielle et la « géographie du chômage » de cette population.

Eléments de cadrage 

Les immigrés africains en France 

Définitions et controverses Les analyses empiriques présentées dans ce travail se concentrent exclusivement sur la situation des ménages dont la personne de référence est un immigré (ou un étranger) d’origine africaine (ou, plus généralement, non-européenne) en France. Les immigrés sont parfois improprement désignés par l’expression « immigrés de première génération », qui est un pléonasme. En effet, selon la définition adoptée par le Haut Conseil à l’Intégration (HCI), un immigré est une « personne née étrangère à l’étranger et entrée en France en cette qualité en vue de s’établir sur le territoire français de façon durable ». A ce titre, les personnes nées françaises à l’étranger et vivant en France ne sont pas comptabilisées. La qualité d’immigré est permanente. A l’inverse, les étrangers sont définis par le fait de ne pas avoir la nationalité française. Les deux groupes ne se superposent donc pas : certains immigrés ont pu devenir français, tandis que certains étrangers sont nés en France. Cependant, en pratique, ce dernier groupe se compose essentiellement de mineurs, qui ne sont pas, sauf rares exceptions, les personnes de référence du ménage. L’assignation d’un ménage à tel ou tel groupe en fonction des seules caractéristiques de sa personne de référence autorise donc le raccourci, pratiqué tout au long de ce travail, consistant à désigner l’ensemble de ce groupe par le terme « d’immigrés ». En revanche, le fait de se concentrer sur cette population des immigrés africains pose une double question : d’une part, pourquoi se focaliser sur les immigrés « africains » ? Quelle pertinence y a-t-il à définir un groupe aussi hétérogène, dont le seul critère est une origine à l’échelle continentale ? D’autre part, symétriquement, pourquoi se focaliser sur les « immigrés » africains ? Les thèmes abordés justifient-ils que l’on exclue de l’analyse d’autres « groupes ethniques » africains ?

Quelques chiffres En dépit des restrictions que l’on vient de mentionner, les immigrés africains constituent une fraction importante de la population du pays, et ce, malgré une présence relativement récente et les nombreuses politiques de limitations des flux migratoires initiées depuis 1974. Référencée dès le XVIIIème siècle mais ne se chiffrant encore qu’en milliers dans les années 1920 (entre 5 et 8000 immigrés originaires d’Afrique subsaharienne, selon Ndiaye (2008)), la présence des immigrés africains en France n’est plus un phénomène anecdotique à compter des années 1950. La taille de cette population augmente ensuite régulièrement, jusqu’à la fin du XXème siècle, alors même que la part de la population immigrée dans la population française totale demeure très stable (autour de 7%) tout au long de cette période. Dans le dernier recensement général de la population, en 1999, elle fait désormais jeu égal avec l’immigration européenne, avec 1,7 millions d’invidus comptant pour 39% de la population immigrée totale, quand ces chiffres étaient respectivement de 0,4 million et 15% au recensement de 1962. La composition de cette population, elle aussi, évolue : si les immigrés originaires du Maghreb, à la présence plus ancienne, en constituent encore les trois quarts, leur part dans la population immigrée totale est désormais relativement stable, à l’inverse de celle de la population d’origine sub-saharienne, qui continue à augmenter.

Le marché du logement 

L’économie du logement D’abord un objet et un bien matériel, le logement fixe de nombreuses valeurs individuelles et sociales qui en font également un enjeu politique et une catégorie statistique. Son étude transcende largement les frontières des différentes sciences humaines, de la géographie, la sociologie et l’anthropologie à la philosophie ou la science politique. Lévy et Lussault (2003) dressent la liste des principales thématiques des travaux qui s’y rapportent : il s’agit des politiques publiques de l’habitat, des stratégies résidentielles des différents groupes sociaux, des représentations de l’espace habité, des mécanismes de la ségrégation socio spatiale et des liens entre logement et mobilités.

A des degrés divers, tous ces thèmes apparaissent dans le présent travail. Paradoxalement, les thèmes dont la science économique a le quasi-monopole, comme la modélisation du logement comme actif ou l’étude de l’impact du marché du logement sur les grands équilibres macroéconomiques, n’y sont évoqués que de façon très marginale. Quant à la question des déterminants microéconomiques des prix, autre thème phare de l’économie du logement , celle-ci y est abordée à plusieurs reprises, mais de façon connexe, notamment pour insister sur la variabilité géographique des prix du logement privé. En toute généralité, l’analyse économique considère le logement comme un bien doté de multiples attributs, que l’on peut regrouper en trois catégories : les attributs du logement lui-même (sa taille, et plus généralement, son niveau de confort), la localisation du logement et le statut du ménage qui l’occupe. Elle insiste sur le fait que la consommation de logement s’ajuste de façon onéreuse, moyennant des coûts de déménagement et de transaction, et qu’elle implique souvent un accès au crédit . Dans un environnement où les conditions économiques futures sont incertaines, le choix optimal de consommation de logement est donc d’autant plus déterminant qu’il n’est pas toujours aisément réversible (Gobillon (2008)). Enfin, le logement est un bien durable: outre ses implications en termes de décision d’investissement des ménages, cette caractéristique est essentielle pour comprendre les dynamiques urbaines .

Le logement, acteur social Du fait du rôle essentiel du logement dans la vie des ménages, l’impact social de chacun de ces trois grands ensembles d’attributs a fait l’objet de travaux spécifiques, à la frontière avec d’autres champs de l’économie, notamment l’économie du travail et de l’éducation . L’impact des attributs propres au logement a notamment fait l’objet d’évaluations en économie de l’éducation. Toutefois, ce sujet n’est pas évoqué dans cette thèse, à la différence de l’impact des deux autres ensembles d’attributs.

L’impact de la localisation du logement sur différentes dimensions de la vie des ménages fait ainsi l’objet d’une littérature abondante, dont on ne peut se borner ici qu’à esquisser les grands traits. Deux grands thèmes se dégagent : d’une part, le rôle délétère de la distance du logement au reste des activités sociales et économiques, formalisé sous le nom de spatial mismatch (ou « mésallocation spatiale ») par Kain (1968) à propos du marché du travail. Différents mécanismes impliquant l’accès à l’information, les coûts de migration pendulaire ou encore la discrimination géographique (ou redlining) aboutissent ainsi à ce que les ménages habitant des lieux isolés éprouvent plus de difficultés à s’intégrer au marché du travail. Ces mécanismes, qui ont été mis en évidence à maintes reprises à l’intérieur des agglomérations, peuvent également advenir à une échelle régionale, ainsi que l’argumentent Combes et al. (2011), Bouvard et al. (2009) et le quatrième chapitre de cette thèse. L’autre grand canal d’impact social de la localisation du logement passe par le biais de la composition du quartier de résidence, encore appelé « externalités de voisinage ». Ces externalités, qui peuvent être positives ou négatives, sont de deux grands types, évoqués dans le troisième chapitre : les effets des réseaux socio spatiaux, et les effets de pairs. Les effets de réseaux signifient que la diversité et la profondeur des réseaux dans lesquels sont insérés les individus peuvent avoir un fort impact sur la qualité des emplois qu’ils occupent et/ou sur leur durée de chômage (Borjas (1998)). Quant aux effets de pairs, ils signifient que les performances des individus sont influencées par la moyenne des performances de leurs voisins, ce dont de nombreuses études attestent .

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Table des matières

Introduction générale
I Discrimination sur le Marché du Logement
Chapitre 1 : The Neighbor is King. Customer Discrimination in the Housing Market
1.1 Introduction
1.2 Customer discrimination in the rental market : theory
1.2.1 The model
1.2.2 Understanding customer discrimination
1.2.3 From the theory to the empirical strategy
1.2.4 Comparative statics
1.2.5 Discussion
1.3 Customer discrimination in the rental market : test
1.3.1 Data
1.3.2 Test of the main prediction
1.3.3 Discussion
1.4 Discrimination and ethnic composition of public housing
1.4.1 The French public housing market : magnet or buffer stock ?
1.4.2 Public housing as a mirror of discrimination
1.4.3 Empirical Strategy
1.4.4 Results
1.5 Conclusion
Appendix
1.A Expected profits
1.B Proofs
1.B.1 Proof of Proposition 1.2.1
1.B.2 Proof of Proposition 1.2.2
1.C Ethnic matching between different buildings
1.D Descriptive Statistics
1.E African immigrants vs non-European immigrants
1.F A model for Prediction 2.1
1.G Robustness checks for Section 1.4
II Logement Social et Ségrégation
Chapitre 2 : Does Public Housing Reduce Segregation ? A Partial Sorting Model
with Endogenous Prices and Rationing
2.1 Introduction
2.2 The framework
2.2.1 The private city
2.2.2 Public housing policy
2.3 Public housing when neighborhood quality is exogenous
2.3.1 Random allocation of public housing
2.3.2 Screening
2.3.3 The planner’s choice
2.4 Endogenous neighborhood quality
2.4.1 Set-up
2.4.2 The impact of public housing under peer effects
2.5 Conclusion
Appendix
2.A The neighborhood sorting index
2.B Analytical expressions from Section 2.3
2.B.1 Covered-market condition
2.B.2 Welfare in the private city
2.B.3 Optimality
2.B.4 Allocation process
2.B.5 Prices and segregation under random allocation
2.B.6 The effects of screening public housing applicants
2.B.7 The planner’s decision
2.C Analytical expressions from Section 2.4
2.C.1 Private market Equilibrium
2.C.2 Equilibrium with no screening of applicants
2.C.3 The snowball effects of screening
2.C.4 Neighborhood choice
2.D Additional figures
2.D.1 Trade-off with public housing in neighborhood 1
2.D.2 Segregation with public housing in neighborhood 1
2.D.3 Welfare of the two groups of consumers under screening
2.D.4 Relative welfare gains with and without externalities
Chapitre 3 : Ethnic Sorting in French Public Housing
3.1 Introduction
3.2 The HLM program
3.2.1 The HLM population
3.2.2 Location of the HLMs
3.2.3 Pricing in the HLM market
3.3 Ethnic sorting in the HLMs
3.3.1 Definition
3.3.2 Controlled correlations
3.3.3 Propensity score matching
3.3.4 Stratified Mahalanobis matching
3.3.5 Robustness of the results
3.4 Is it supply or demand ?
3.4.1 Potential explanations
3.4.2 Are African immigrants happier in poorer neighborhoods ?
3.4.3 What can previous refusals tell ?
3.4.4 Does HLM governance matter ?
3.5 Conclusion
Appendix
3.A Additional descriptive Statistics
3.B Additional tables and Figures
3.C To be or not to be in ZUS
3.D A Paris effect ?
3.E Wait and see, you will end up in better company
3.E.1 Applicant behavior under income uncertainty
3.E.2 The determinants of a rejection
III Logement, Mobilité Résidentielle et Emploi
Chapitre 4 : Mobilité Résidentielle et Emploi des Immigrés Africains en France :
Une Approche par Calibration
4.1 Introduction
4.2 Faits stylisés
4.3 Cadre théorique
4.3.1 Le modèle
4.3.2 Mobilités prédites
4.4 Calibration du modèle
4.4.1 Taux de transition
4.4.2 Distribution des préférences géographiques
4.4.3 Calibration des niveaux d’utilité
4.4.4 Probabilités d’obtenir une offre d’emploi et de logement
4.5 Impact des paramètres structurels du modèle
4.5.1 Court terme
4.5.2 Long terme
4.6 Extensions
4.6.1 Paris vs Province
4.6.2 L’effet du statut résidentiel
4.6.3 Impact du paramètre de recherche d’emploi
4.7 Conclusion
Annexes
4.A Différentiel de mobilité : l’approche par régression
4.B Biais mémoriel
4.C Distribution empirique des préférences géographiques
4.D Calibration des préférences : tests de robustesse
4.E Calibration des préférences : méthode alternative
4.F Paris vs Province
4.G Prise en compte du statut résidentiel antérieur
4.H Sans la population de propriétaires
4.I Modèle à trois zones
Conclusion générale
Bibliographie

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