Les habitants d’Angkor Une lecture dans l’espace et dans le temps des inscriptions sociales

« Amnésie », le terme ne cesse de revenir dans les propos des Occidentaux – des premiers temps de la colonisation jusqu’à nos jours – pour évoquer les difficultés rencontrées dès lors que l’on entend appréhender auprès des Cambodgiens une mémoire historique et généalogique, qu’elle soit écrite ou orale.

Du côté des écrits, qui sont essentiellement à caractère religieux, force est de constater que les textes anciens sont rares au Cambodge. Hormis les textes gravés dans la pierre pendant la période angkorienne qui glorifient les divinités et rois, les écrits sur feuilles de latanier n’ont pas survécu au temps, au climat, aux insectes et aux saccages des invasions. Les collections de manuscrits essentiellement religieux constituées entre le 19e et au début du 20e siècle et conservées dans les monastères ont ensuite été pratiquement entièrement détruites entre 1975 et 1979 pendant la période khmère rouge. (ANNEXE 1) .

L’exploration de l’oralité se révèle également difficile. Déjà, à la fin du 19e siècle, les explorateurs et les « savants » étrangers s’étonnaient que les paysans qui vivaient aux pieds des vestiges angkoriens n’en racontaient rien hormis quelques légendes qui semblaient faire pâle figure à côté de la grande histoire chronologique qu’ils attendaient. De nos jours, les chercheurs en sciences sociales avouent leur peine à établir des généalogies. Ils évoquent la fluidité, le caractère flexible de la société khmère, pour décrire des relations sociales difficiles à cerner.

Récemment, avec le procès des Khmers rouges, le mot « amnésie » avec son corollaire « le devoir de mémoire » est réapparu dans le discours de certaines ONG et de certains experts pour démontrer la nécessité de mettre en œuvre des programmes de collectes de témoignages et de diffusion de données sur cette période. L’utilisation de ces termes laisse entendre de façon réductrice que la mémoire doit être consciente pour se transmettre.

Approche progressive du terrain cambodgien 

Ma recherche s’est essentiellement appuyée sur un travail ethnographique, lequel est marqué par une durée peu habituelle : près de vingt ans. Elle a été menée à partir d’un espace habité qui est loin d’être anodin puisqu’il est situé dans le périmètre même du site archéologique et touristique d’Angkor. Elle a été préparée, accompagnée et complétée par le recours régulier à des sources documentaires. L’écriture s’est faite en parallèle du travail de terrain par assemblage et analyse de matériaux collectés au fil des ans, prenant en compte de nouvelles rencontres et des réflexions renouvelées. Il faut aussi noter que ce travail ne s’est pas fait de façon continue. Il a été entrecoupé par des périodes plus ou moins longues d’engagement professionnel au Cambodge, principalement sur des programmes de Droits de l’Homme mis en place par les Nations Unies. Cet engagement dans un temps long, s’il m’a fait différer certaines enquêtes, m’a d’un autre côté placée en position de collecter de nombreux matériaux de terrain, avec un recul salutaire et des éclairages originaux, de les réunir, d’élaborer des hypothèses puis de les confronter et de les affiner à nouveau sur le terrain.

En 1992, après avoir présenté une préfiguration de projet doctoral sous la forme d’un DEA soutenu à l’EHESS, je décidai de retourner au Cambodge pour entreprendre un terrain pour ma thèse. C’est par le biais d’un poste de « chargé des Droits de l’Homme » de la mission des Nations Unies APRONUC dans la province de Svay Rieng (ស”#យេរៀង) que j’ai pu vraiment approcher pour la première fois le monde rural cambodgien. Il me faudra cependant attendre octobre 1994 pour m’installer à Siem Reap (េសៀមរប) et commencer mes enquêtes villageoises. Le Cambodge pratiquement fermé et étanche depuis trente ans s’ouvrait tout juste alors à l’extérieur et à l’aide internationale massive. Avec la signature des accords de Paris  en 1991 et dans la foulée de l’APRONUC, de nombreuses ONG commençaient à mettre en place des projets de « reconstruction » à travers tout le pays. L’École française d’Extrême-Orient (EFEO) qui avait dû quitter Siem Reap au début des années 1970 après plus de soixante ans de présence était revenue dès 1992. Dans le pays, la reconstruction avait déjà commencé de l’intérieur depuis la fin des Khmers rouges en 1979. Des habitations souvent précaires avaient été rebâties, les  rizières étaient à nouveau cultivées de façon familiale, mais la paix n’était pas encore là. La guérilla contre les Khmers rouges sévissait encore à quelques kilomètres au nord de Siem Reap. Des réfugiés rapatriés par les Nations Unies des camps en Thaïlande étaient installés dans des villages nouvellement créés.

Le choix de Sras Srâng 

Par contraste avec ceux mentionnés ci-dessus, le village de Sras Srâng Cheung (្សះ្សង់េជើង)situé le long d’un bassin au cœur du site d’Angkor (ANNEXE 2) se présenta comme pouvant répondre à mes attentes. Il offrait à la fois un accès sécurisé et l’apparence d’un village relativement dense. Il dégageait un sentiment d’immuabilité, comme si rien n’avait changé depuis des temps anciens ; sentiment qui était renforcé par les dires des habitants qui parlaient d’un village très ancien où leurs ancêtres avaient habité depuis des générations. Cette impression s’avéra cependant en partie illusoire. J’apprendrai en effet assez vite qu’entre 1972-1979, pendant les années khmères rouges, tous les habitants avaient dû abandonner le village et partir vers le Nord. Pendant ces années, les maisons construites en matériaux végétaux s’étaient désagrégées ou bien avaient été démontées. Ce  qui apparaissait être des constructions anciennes datait en fait au plus tôt du début des années 1980. Cependant, à la différence des villages de Svay Romiet et Ampil, à la chute du régime des Khmers rouges en 1979, un nombre important de familles  natives du lieu avaient pu revenir.

Cette différence s’expliquait par la position géographique du village qui avait déterminé son appartenance à un camp politique. Au moment du basculement dans la guerre civile en 1970, une ligne de front coupait la zone d’Angkor. Le village de Sras Srâng se retrouva en zone contrôlée par les Khmers rouges et ses habitants se rallièrent de facto à leur cause. Les habitants de Sras Srâng seront reconnus comme « peuple ancien » par ceux-là. Leurs conditions de vie seront difficiles pendant les années khmères rouges, mais certainement moins dures que celles des habitants des villages de Svay Romiet et d’Ampil qui étaient situés dans la zone contrôlée par les gouvernementaux, les vaincus de 1975 qualifiés péjorativement de « peuple nouveau ».

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Table des matières

Remerciements
Résumés
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
CHAPITRE I. LA MAISON : la matrice sociale
I. 1. REFONDER
I. 1.1. Le chaos : la dislocation sociale et spatiale
I. 1.1.1. Déstabiliser les structures sociales anciennes
I. 1.1.2. Bouleverser le territoire
I. 1.2. La recomposition sociale: le cas de familles du village de Sras Srâng choeung
I. 1.2.1. Le contexte géopolitique local (1970-1979)
I. 1.2.2. Revenir au village natal
I. 1.2.3. Se réapproprier la terre et reconstruire
I. 1.2.4. Renouer avec les divinités et récréer des espaces sacrés
I.2. CONSTRUIRE
I. 2.1. Les préliminaires
I. 2.1.1. Les options techniques
I. 2.1.2. Les choix d’ordre religieux : trouver le temps et l’emplacement justes
I. 2.2. La construction
I. 2.2.1. Les rituels préparatoires
I. 2.2.2. « Eriger la maison » leuk phteas
I. 2.2.3. Les consécrations finales
I. 2.2.4. Se protéger du chaos extérieur
I. 2.3. Le devenir des maisons
I. 3. HABITER
I. 3.1. Les grandes lignes de l’organisation sociale
I. 3.1.1. Le modèle familial nucléaire
I. 3.1.2. La vie quotidienne dans la maison
I. 3.2. L’organisation sociale inscrite dans l’espace de la maison
I. 3.2.1. L’alignement des maisons sur un axe dans la nature
I. 3.2.2. La distribution spatiale des personnes à l’intérieur de la maison
Conclusion du chapitre I de la première partie
CHAPITRE II. LE HAMEAU/VILLAGE PHUM
Extension et duplication du modèle familial
II. 1. LES ÉCHELLES SPATIALES du Phum
II. 1.1. De la maison au hameau
II. 1.1.1. Les abords de la maison
II. 1.1.2. Le hameau familial
II. 1.1.3. Extension spatiale du modèle de la maison
II. 1.1.4. L’adaptation du modèle
II. 1.2. Du hameau au village
II. 1.2.1. Duplication, agglomération et densification des hameaux
II. 1.2.2. Les marges du monde organisé
II. 1.2.3. La maison-île, cadre social de référence
II. 2. LES STRATÉGIES SOCIALES
II. 2.1. S’écarter spatialement et socialement
II. 2.1.1. L’éloignement dans l’espace
II. 2.1.2. L’exclusion sociale
II. 2.1.3. Une attitude ancienne
II. 2.2 Créer des groupes de solidarité opportunistes et précaires
II. 2.2.1. Dupliquer le système de parenté
II. 2.2.2. Etendre le système de parenté à l’extérieur
II. 2.2.3. Prendre de la distance avec l’administration
Chapitre III. LES FORMES ET USAGES DES TERRITOIRES HABITÉS ET CULTIVÉS
III. 1. LE TERRITOIRE HABITÉ
III. 1.1. La forme
III. 1.2. Les pratiques spatiales
III. 1.2.1. Se déplacer dans le village
III. 1.2.2. Se déplacer à l’extérieur du village
III. 2. LE TERRITOIRE CULTIVÉ
III. 2.1. Un espace orienté
III. 2.2. Un découpage administratif limité et continu
III. 2.3. Un territoire agraire en peau de léopard
III. 3. L’EXPLOITATION DES TERRES AGRICOLES
III. 3.1. L’échange de bras
III. 3.2. Gérer l’eau : les problèmes de voisinage
III. 4. L’ACCÈS AUX TERRES ET LA TRANSMISSION
III. 4. 1. Les défrichements
III. 4.3.2. L’héritage
III. 4.3.3. L’achat
III. 4.3.4. La location
III. 4.3.5. Les toponymes

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